• Nouphilo réfléchissait encore. Pourtant, il devait se dépêcher. Erlhas ne semblait pas du genre à sortir avec n’importe qui pour guérir une peine de cœur. Si Nouphilo l'avait vu avec quelqu'un d'autre le lendemain de leur dispute, il n'aurait pas réfléchi et aurait laissé tombé. C'était un comportement qu'il haïssait. Mais Erlhas s'était conduit comme d'habitude, étudiant et dormant autant qu'avant. Cela n’empêchait pas qu'il finirait par passer à autre chose et Nouphilo s'était récemment découvert un penchant pour la jalousie. Être jaloux, c'est forcément qu'il y a quelque chose. Mais le garçon ne cessait de se demander si ce n'était pas simplement parce que, dès lors que Erlhas ne l'aimerait plus, il cesserait d'être quelqu'un de spécial. Bon, il faut au moins que tu essais de mieux lui expliquer ton problème. Nouphilo s'était décidé. Aujourd'hui et c'est tout. Il ne se laissait pas le choix où cette histoire durerait éternellement, tel qu'il se connaissait. L'adolescent était donc monté au dortoir, après les cours, fermement résolu à ne pas laisser la panique prendre le dessus. Tu y vas, tu dis ce que tu as à dire et c'est tout, tu le laisses pas parler ou ça risque de t'embrouiller. Surtout, tu restes calme. Il frappa à la porte de la chambre en espérant que Sebizan serait absent. Quelque secondes plus tard, son espoir s'évapora lorsque le garçon blond ouvrit :

    -Hey ! Salut.

    -Salut. Erlhas est là ?

    Sebizan fit la grimace :

    -Non, il est en train de régler une histoire de transfert avec sa mère.

    Une histoire de quoi ?

    -Il a un problème ?

    -Son père veut le changer d’école…

    Il s’en va.

    -Du coup, sa mère essaie de faire…. ça va ?

    Nouphilo aurait bien répondu, mais il réalisa soudain qu’il pleurait à chaudes larmes. Le garçon s’empressa de les essuyer.

    -Désolé.

    A grands pas, il retourna dans sa chambre, ferma à clé et s'écroula. Qu'est-ce qui m'arrive, c'est pas vrai. Sa poitrine était secouée de sanglot irrépressible. Il s'entendit gémir et serra les dents. Non, mais c'est pas vrai. J'ai craqué et devant Sebizan en plus. Qu'est-ce qu'il se passe ? L'adolescent enfouit son visage dans ses bras en espérant étouffer ses pleurs, mais ce fut peine perdue.

    Quelques instants plus tard, on frappa doucement à la porte, alors que, les joues encore humides, Nouphilo fixait le sol sans le voir. Il se leva lentement, essuya son visage avec ses manches et ouvrit la porte. Un Sebizan à l’air inquiet se tenait dans le couloir :

    -Ça va mieux ?

    La honte du siècle. Il se contenta de hocher la tête.

    -T’inquiètes pas, Erlhas est pas près de partir. Nos mères vont s’en occuper vite fait bien fait.

    Nouphilo réussit à sourire.

    -Ça va ?

    Il hocha à nouveau la tête.

    -OK, salut, j’te laisse.

    Sebizan s'éloigna alors que Nouphilo refermait la porte. Les quelques mots du garçon semblaient avoir suffi à l'apaiser complètement. Merde, j'aurais dû lui demander de pas dire à Erlhas que j'avais pleuré. Il se laissa tomber sur le lit. Tant pis, m'en fiche d'abord. Ses yeux se fermèrent tout seul. Quand il se réveilla, l'adolescent se sentit rempli d'une énergie nouvelle, pourtant, si Erlhas devait partir, était-ce vraiment nécessaire de lui parler ? Oui, mais apparemment, Sebizan dit qu'ils sont en train de régler le problème. Il se mit à marcher de long en large dans sa chambre tout en réfléchissant. En plus, il faut quand même que tu es une idée sur ce que tu veux expliquer exactement. Le garçon releva la tête pour fixer la porte. Quelques pas, tu sors et tu cherches Erlhas. Oui, mais s’il part, on s'en fout de ce que tu veux lui dire. Mais s’il reste… Ou alors, tu attends de savoir s’il part ou pas… et si finalement il reste, ce sera trop tard. Il s'ébouriffa les cheveux en grognant, avant de s'avancer résolument vers la porte. Allez, y en a marre, t'y vas et pis c'est tout.

     

    Nouphilo hésita encore devant la porte de la chambre d'Erlhas, mais il savait que si Sebizan ouvrait à nouveau, il perdrait toute volonté. Avec un peu de chance, il travaille en permanence maintenant. Il descendit pour trouver la salle fermée. Sombre tâche, on est samedi. Les salles étaient fermées le week-end, obligeant les élèves à travailler dans leur chambre ou en extérieur. Nouphilo passa devant l’accueil au cas où Erlhas serait encore au téléphone, mais n'y trouvant personne, l'adolescent se glissa dehors. Il lui fallut un moment avant de le trouver assis à cheval sur un des bancs, livres et cahiers posés devant lui. Allez, go. Si tu fais demi-tour, je te fous des baffes. Il avança. C'est ça, continue, les yeux fixés sur l'objectif. Il s'assit de la même manière, face au jeune homme. A nouveau surpris de le voir, le chef de dortoir ouvrit la bouche, mais Nouphilo ne lui laissa pas le temps de parler :

    -Mon corps sait des vérités que ma tête ignore.

    Erlhas fronça les sourcils et Nouphilo crut déceler un sourire aux coins de ses lèvres. OK, ça marche.

    -J’ai oublié ma casquette, je n’oublie jamais ma casquette. J’ai rougi, je ne rougis jamais. C'était fortement désagréable d'ailleurs. J'ai pleuré, bon je pleure beaucoup trop à mon goût, mais là ça venait de nulle part.

    Comme Erlhas s’apprêtait à faire un commentaire, il le coupa.

    -Si tu regardes comment est décrit l’amour dans les films et les livres, tu as le cœur qui bat la chamade, le souffle court, on est triste quand on laisse la personne, même si c’est pour un court instant, blablabla. Quand je te vois, y a rien de tout ça qui se passe. Je respire normalement, mon cœur bat lentement et je survis très bien sans te voir plusieurs jours.

    Comme la mine d'Erlhas s’assombrissait, il s’empressa d’ajouter :

    -Mais c’est justement là où j’ai compris. Je panique tout le temps, au cas où tu n’aurais pas remarqué, je suis angoissé en permanence, mais pas avec toi.

    Erlhas était concentré. Visiblement, il tentait de savoir où ce monologue allait le mener. Alors, Nouphilo conclut :

    -Tu es le seul à qui j’ai envie de parler, à qui j’ai envie de raconter des trucs. Tu es le seul à mettre mon cœur au repos, tu comprends ?

    Un sourire se dessina sur le visage de son interlocuteur, mais comme il ouvrait la bouche, Nouphilo s’empressa d’ajouter :

    -Oh, et j’aime pas les surprises. C’est ça qui bloqué en fait, pour le baiser, où quand tu m'as réveillé, ça m'a surpris, j'ai horreur de ça.

    Erlhas attendit un peu avant de retenter de parler et Nouphilo finit par ajouter :

    -Le fait que je ne t’ai jamais frappé peut aussi être un indice important.

    Il se leva :

    -Voilà, j’ai rien oublié, je crois. C’était juste pour essayer d'expliquer, tu vois. Je n’éprouve peut-être pas un amour comme dans les livres, mais c'est le mien, à ma manière, c'est pas si mal, hein ?

    Erlhas se leva à son tour :

    -Est-ce que ça signifie que j’ai droit à un câlin ?

    -Tu peux toujours essayer, c’est pas dit que je le rendrais, mais c’est normal pour moi.

    Erlhas le prenait déjà dans ses bras. Nouphilo sentit ses muscles se crisper au contact, puis il se demanda où il était supposé mettre sa tête. Devait-il poser le menton sur son épaule ? C'te blague ! T'as vu sa taille. Peut-être poser sur le côté alors ? Tourné vers son cou vers l'extérieur ? Un mouvement attira son regard.

    -C’est normal que ton frère danse tout seul au loin.

    -Oui, il aime se croire devin.

    -Devin en quoi ?

    -Oh, à peu près tout.

    Erlhas le relâcha pour fixer Sebizan qui, captant leurs regards, cessa son cirque pour courir se cacher derrière un arbre.

    -Faut que j’aille finir un exposé.

    Erlhas hocha la tête :

    -Tu veux venir regarder un film avec moi, ce soir ?

    -Oh ouais avec des bonbons ?

    -Avec des bonbons.

    -Yeah .

    Nouphilo s’éloigna avec un signe de la main et se permit un petit bond de joie, une fois hors de vue. Il réalisait soudain combien il lui avait manqué.


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