• De l'autre côté du monde - Tome 1 : L'adieu (Aventure, Fantastique)

    Noré a perdu sa mère et tout ce qui lui reste sont un bracelet d'argent et une consigne : "Trouve Lyan au septième anneau du ciel. Ne quitte jamais le bracelet". Désireuse d'obéir aux dernières volontés de sa mère, Noré s'embarque pour l'autre côté du monde à la recherche de Lyan. Cela a l'air plutôt simple si on oublie les pirates, les sirènes, les esclavagistes, les sorcières... Il y a certain jour où on ferait mieux de rester chez soi.

  • Elle resserra ses mains sur sa poitrine espérant étouffer les battements frénétiques de son cœur. Le pirate entra dans la pièce obscure où elle se cachait et commença à fouiller. Il appela ses camarades pour l'aider à emporter les provisions. Noré se recroquevilla, souhaitant disparaître et cessa de respirer. L'homme s'approcha, la réserve se vidant inexorablement. Elle entendait les pas des hommes, leur souffle entrecoupé par l'effort. Les sacs, les tonneaux furent emportés. Elle ferma les yeux et se mit à prier qu'il ne la trouve pas. C'est alors qu'une main puissante agrippa ses cheveux et la tira hors de sa planque.

    Noré hurla et se mit à se débattre. L'homme ricana en observant l'enfant gesticuler. Puis il l'entraîna sur le pont où elle vit l'équipage aligné. Les hommes d'un côté, les femmes et les enfants de l'autre. Elle fut jetée au milieu de ceux-ci. En se redressant tant bien que mal, elle se cala entre deux femmes en larmes.

    C'est là qu'il apparut. Le pirate aux cheveux océan. Le plus sanguinaire et terrifiant de tous. Ses cheveux bleu-vert étaient un mystère pour tous les hommes. On le disait né d'un démon des mers. Un sourire machiavélique sur les lèvres, il s'avança sur le pont, observant une à une ses proies.

    -Allez, embarquez-les. Choisissez des filles et mettez les hommes sur le pont.

    Noré fut entraînée par la masse de femmes qui passa sur le bateau pirate. Le navire était rouge de la coque aux voiles. La légende voulait que cela soit le sang des victimes qui avait imprégné tout le navire. Des squelettes étaient restés attachés le long du pont et pendants du mât, comme une sinistre décoration.

    On les stoppa de nouveau. Les hommes les passèrent en revue. La plupart étaient grands, costauds, la peau brûlée par le soleil. Certains portaient des chapeaux ou des bandanas qui leur enserraient le crâne, laissant échapper des mèches de cheveux gras. Tous sentaient la mort. Presque aussitôt, un homme empoigna la jeune fille qui grimaça de douleur. Il l'observa des pieds à la tête, saisit ses bras l'un après l'autre, particulièrement intéressé par son bracelet semblait-il. Noré craignit qu'il ne lui prenne, mais il se contenta de regarder. Puis, ayant l'air satisfait, il l’entraîna avec force à l'intérieur, ouvrit une porte et la jeta, avant de refermer. Elle se releva et observa la petite pièce. Une table de bois, qui semblait servir de bureau, croulait sous les feuilles et des objets étranges qu'elle ne prit pas le temps de détailler. Un siège bancal se trouvait en face. A l'opposé, un lit à même le sol, dont les draps sales étaient défaits. La jeune fille s’accroupit du côté du lit, invisible de la porte. Emprisonnant ses jambes de ses bras, elle joua avec le bracelet à son poignet droit attendant avec angoisse.

    Le temps passa lentement. Elle avait entendu des choses sur le capitaine pirate et son équipage. Les hommes, ainsi que les jeunes garçons étaient tués tandis que les femmes et les jeunes filles étaient violées, puis écartelées sur le pont. Des larmes se mirent à couler sur ses joues. Au loin, les cris et les pleurs, étouffées par la porte, lui parvenaient encore. 

    Elle sanglotait toujours quand la porte s'ouvrit sur un jeune homme. Le signe ο sur la gauche de son cou le désignait comme étant le second du capitaine. La fillette se recroquevilla après s'être aperçu qu'elle ne pourrait se cacher nulle part. L'homme resta un moment à scruter la chambre, la cherchant  du regard, puis s'avança dans la pièce. La jeune fille le vit plus nettement dans la lumière que projetait la lampe accrochée au mur. Des cheveux courts et châtains clairs, une mèche plus longue du côté gauche était tressée. Il portait une chemise à manches longues et sans col, qui avait dût être blanche à une époque lointaine. Un pantalon corsaire marron élimé, ce qui lui permit de voir un poignard attaché au mollet droit. Les ceintures à sa taille, attachées en biais, étaient ornées de petites sacoches. Le côté qu'elle voyait de lui, permettait de voir un pistolet à la ceinture. Quant il lui fit face, elle vit qu'une dague était attaché au côté droit. La fille reporta son regard sur le visage du garçon qui s'avançait vers elle. Il avait le visage fin, des petites mèches lui tombaient dans les yeux. Ceux-ci, d'un vert moucheté d'or, étaient mis en évidence par sa peau dorée par le soleil. Le corps mince était musclé par le travail laborieux du navire.

    Il s'accroupit devant elle, posa ses bras sur ses genoux et resta à la regarder. Ses larmes s'étaient remises à couler, la peur la paralysait et son cœur sembla vouloir pulvériser sa poitrine. Un silence pesant s'installa. L'homme leva la main droite, Noré ferma les yeux.

    -Je suis Titian et toi ? T'es qui ?

    La jeune fille releva la tête. Il se pointait de son pouce avec fierté. Elle ouvrit la bouche mais rien ne sortit. Le garçon bailla, se gratta la tête et dit :

    -J'ai faim.

    Il se releva, s'étira et sortit. Noré resta immobile, incertaine de ce qui venait de se passer. Doucement, elle se redressa pour jeter un regard vers la porte par-dessus le lit. Le temps qu'elle se persuade de s'approcher pour vérifier que le pirate avait pensé à fermer à clé, il revint avec un plateau garni. Elle y vit de la viande séchée, une pomme et un morceau de pain à l'air douteux. Le pirate jeta tout ce qui se trouvait sur la table d'un grand geste du bras et s'y installa, tournant le dos à la fillette. Celle-ci était retourné se blottir à son entrée. A présent, elle entendait son ventre gargouiller. Elle appuya dessus avec son bras, espérant étouffer le bruit. Quelque chose de dur lui atterrit sur la tête. Elle sursauta surprise et ramassa la pomme. Jetant un regard sur l'homme qui disait s'appeler Titian et commença à manger. Un lourd silence tomba, seulement rompu par leurs mastications. Quant il eut fini, le pirate s'affaissa sur son siège avec un soupir de contentement.

    Noré avait mangé jusqu'aux pépins de la pomme, seul la tige lui restait dans la main. Elle jeta un regard au pirate. Elle ignorait si cela venait du fait qu'elle avait quelque chose dans l'estomac, mais elle se sentit ragaillardie, prête à réfléchir plus posément et à se défendre. Mais le pirate s'était laissé basculer sur les pieds arrières de la chaise, les bras ballants, fixant le plafond d'un air rêveur. Alors qu'elle se demandait ce qui allait se passer ensuite, une voix résonna :

    -Titian, le capitaine veux te voir !

    Le garçon se redressa, s'étira, se leva en baillant puis sortit en se grattant la tête. Lorsque la porte s'était ouverte, la terreur des autres passagers avait empli la pièce. Cela la poussa à agir. 

    Aussitôt la porte fermée, la jeune fille courut vers le plateau espérant trouver une arme. Elle aperçut les couverts inutilisés et s'empara du couteau. Jetant un nouveau regard vers la porte, elle allait retourner dans son coin lorsqu'elle stoppa à mi-chemin. Elle fixa la porte avec plus d'insistance. Pouvait-elle tenter de l'ouvrir ? Noré s'en approcha avec précaution, craignant que le pirate ne rentre durant son entreprise. Elle approchait la main de la poignée, lorsqu'elle vit celle-ci tourner. La jeune fille se jeta en arrière, tandis que Titian apparaissait dans l'embrasure. Noré le fixa tétanisée. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler qu'elle était armé. Elle recula d'un pas et leva son couteau, prête à attaquer. Le jeune homme la regarda, sans expression. Elle ne sut si c'était la surprise ou autre, mais elle l'entendit, tout de même, pousser un "oh" sans qu'aucun sentiment ne passe sur son visage. Il baillât, finalement et pénétra dans la pièce. Elle recula encore, serrant si fort le couteau que ses phalanges devinrent blanches. Le pirate considéra le plateau en soupirant. Ses épaules s'affaissèrent comme s'il devait s'acquitter d'une tâche laborieuse. Il se gratta la tête, prit le plateau, au prix d'un grand effort, et ressortit, sans un regard vers la jeune fille. Celle-ci resta un temps immobile lorsque la porte fut de nouveau fermée.

    Le comportement du garçon ne l'avait rassurée en rien. Elle s'était cramponnée au couteau, se doutant que s'il s'était jeté sur elle, il aurait pu réussir à la désarmer. Mais, le fait qu'il n'aie rien tenté l'inquiétait d'autant plus. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qui lui passait par la tête. Se questionnant encore, elle retourna s'asseoir, le couteau tenu fermement dans sa main et attendit.

    Noré fut réveillée par des hurlements de femmes et des rires d'hommes. Se redressant aussitôt, elle s'aperçut qu'on l'avait mis dans le lit. Encore habillée, le couteau posé près d'elle. La jeune fille s'en empara et le leva aussitôt, dans un geste de défense. Elle se mit à scruter la pièce, devenue complètement sombre, à la recherche du pirate. Des rayons de lune passaient à travers le plafond. Un mouvement à sa droite, elle se tourna brusquement vers lui, prête à frapper. Une ombre informe se tenait accroupie près du lit. Une main apparut, qui contenait deux boules de tissus.

    -Met ça. Tu ne les entendras plus.

    Elle reconnut la voix maussade de Titian. Toujours le couteau levé, elle s'exécuta. Tout devint silencieux. Ses yeux habitués à l'obscurité lui permirent de voir que le jeune homme se bouchait, lui aussi, les oreilles. Puis, elle le regarda se levait et aller s'affaler sur son bureau. Elle resta un moment, toujours sur la défensive, à fixer le dos du pirate. Comme il ne bougeait plus, elle se recoucha lentement sans le quitter du regard. Elle lutta un temps contre le sommeil, couteau toujours en main, mais finit par s'endormir sans s'en rendre compte.

    Lorsqu'elle se réveilla le lendemain, il lui fallut quelques secondes pour se souvenir de l'endroit où elle se trouvait. Quand cela lui revint, elle se redressa dans un sursaut. Titian n'était plus là. Elle chercha son couteau à tâtons, mais il avait disparu. Noré souleva le drap et retourna l'oreiller dans des gestes de plus en plus paniqués. Le simple fait d'avoir ce couteau en main la rassurée, à présent, elle était de nouveau sans défense et la terreur s'insinuait en elle, à nouveau. C'est alors que son regard se posa sur le sol. Le couteau était là, au pied du lit. Là où il avait dû tomber durant la nuit. Elle poussa un profond soupir de soulagement et le récupéra. Elle se redressa et prit enfin le temps de regarder autour d'elle. Sur la table siégeait un plateau sur lequel se trouvaient encore quelques restes de viande. Jetant un regard inquiet à la porte, elle guetta le moindre son pouvant trahir l'approche d'un homme vers la cabine. Comme rien ne lui parvenait, elle s'approcha et, affamée, mangea ce qui restait. Des éclats de vois lui parvinrent. Paniquée, en un bond, elle retourna sur le lit. Quand la porte s'ouvrit, elle s'aperçut qu'elle avait laissé le couteau dur la table.

    Un homme barbu entra. De grande taille, il dût se baisser pour passer la porte. Costaud, il portait une vieille veste couverte de tâches de gras et de vin. En la voyant, un sourire pervers se lut sur son visage. Elle reconnu l'homme qui l'avait emmené dans la cabine et se laissa glisser de l'autre côté du lit, écœurée. Quand le pirate s'avança, elle aperçut la silhouette élancé de Titian derrière lui et se sentit étrangement rassurée.

    -Alors, Titian, est-ce que cette gamine te convient ? J'ai bien vérifié cette fois.

    Le jeune homme lui passa devant sans répondre et alla s'asseoir sur le coin de la table, laissant balancer ses jambes dans le vide. Aussitôt, le soulagement qu'elle avait éprouvé s'envola. Noré recula jusqu'au mur. L'homme rit et s'approcha encore. Face à lui, Noré se déplaça en longeant le mur. A pas lents, elle se rapprocha de la table. Elle espérait pouvoir se saisir du couteau avant que les deux hommes ne réagissent. L'homme s'avançait encore :

    -Dis, je peux essayer aussi ?

    Il tendit la main, mais Titian descendit de son perchoir, s'avança d'un pas nonchalant et se glissa entre les deux. Il fit face à l'homme. Noré pencha un peu la tête pour voir la réaction de l'autre pirate. Celui-ci observait Titian avec un sourire amusé. Elle sentit alors que quelque chose lui donnait des coups légers à l'épaule. C'était le jeune pirate qui tenait le couteau dans sa main et semblait l'inciter à le reprendre. Noré s'en saisit.

    -Bon, si tu me disais de quoi tu voulais me parler.

    L'homme se redressa.

    -Eh bien, les  hommes et moi, on aimerait avancer les exécutions des femmes.

    -En quel honneur ?

    -On arrive sur le territoire de la Métane et tu sais comme c'est tendu entre les deux nations en ce moment. Si on se fait attaquer, on ne pourra pas les tuer tranquille.

    Titian croisa les bras et haussa les sourcils :

    -Quoi d'autre ?

    L'homme ne sembla pas comprendre :

    -Comment quoi d'autre ? C'est tout.

    Titian serra la mâchoire, gagné par l'énervement :

    -C'est pour ça que tu tenais à me parler en privé ? Tellement privé que tu envahis ma cabine ?

    Chose incroyable, l'homme, deux fois plus grand que le jeune pirate, baissa les yeux d'un air gêné et se dandina d'un pied sur l'autre :

    -Eh bien... c'est que...

    -Pourquoi tu n'es pas allé voir le capitaine, directement ?

    L'air penaud, il ne dit rien. Titian soupira d'exaspération :

    -La trouille, hein ? Allez, fous le camp, fillette, j'en parlerais au capitaine.

    L'homme resta un moment immobile. Il releva la tête et attarda son regard sur la jeune fille. Celle-ci remarqua que Titian avait rapproché sa main de sa dague. L'autre surpris le geste, bredouilla un bref salut et finit par partir sans histoire.

    Noré avait écouté avec appréhension. On venait de lui annoncer qu'elle mourrait bientôt. Elle se souvint de ce qu' l'on racontait. L’écartèlement. Elle fixa ses mains et imagina ses bras séparés de son corps. C'était impossible. Elle imagina la douleur de la peau qui se coupe, les muscles qui s'arrachent, les os qui cèdent. Inutile. Elle n'avait pas peur. C'était trop irréel encore. L'adolescente observa Titian qui était retourné près de la table. Il fixait le plateau à la recherche d'une force intérieur qui lui donnerais le courage de le ramener où il l'avait trouvé. Elle ne lui faisait pas totalement confiance. Mais jusqu'alors, il n'avait rien fait qu'elle pu lui reprocher. Donc, elle parla :

    -Je suis Noré Dint.

    Le pirate leva les yeux sur la jeune fille.

    -Si je dois mourir bientôt, autant que vous le sachiez.

    Il la regarda en silence, revint à son plateau, soupira, bailla et finit par demander :

    -J'ai dix-neuf ans, et toi ?

    A nouveau prise au dépourvu, elle mit un temps à répondre :

    -Treize ans.

    -Alors tu voudras bien jouer avec moi.

    -Hein ?

    Décontenancée, sa méfiance se réveilla d'un coup. Elle raffermit sa prise sur le couteau, sans pour autant menacer le pirate. Celui-ci fouilla le bazar qu'il avait mis par-terre en apportant le plateau la première fois, et qu'il n'avait toujours pas eu la force de ramasser. Il finit par se redresser en brandissant, dans un geste victorieux, un paquet de cartes sales.

    Titian nomma un jeu et elle fut soulagé que ce soit un de ceux qu'elle connaissait, un que sa mère lui avait enseigné. Elle ne se voyait pas se faire expliquer un jeu par un pirate. Ils avaient pris place sur le sol, bien que la table, hormis le plateau, fut débarrassée. Mais la jeune fille ne se voyait pas discuter de cela non plus avec lui. Pendant qu'elle décollait ses cartes, soudées par diverses substances, dont elle refusa de deviner la provenance, elle s'attarda un peu plus à penser à sa mère.

    Les souvenirs affluèrent, elle souriait, tandis que Titian sifflotait. Ils jouèrent aux cartes pendant plusieurs heures. Au début, inquiète et timide, elle ne prononça pas un mot. Le pirate parlait seul, commentant ses coups, s'acclamant lui-même. Il fallut peu de temps à Noré pour s'apercevoir qu'il trichait. Elle ne lui fit aucune remarque, le regard sur le pistolet et les armes blanches qu'il portait. Cependant, le temps passant, la fatigue la gagnant, les fanfaronnades du pirate l'exaspérèrent. Et alors qu'il s'annonçait une nouvelle victoire, Noré prit son courage à deux mains :

    -Excusez-moi, mais... vous trichez.

    Titian la regarda d'un air interdit :

    -Bien sûr.

    -Mais ce n'est pas comme ça que l'on joue.

    Elle guetta un mouvement de colère, au lieu de ça le pirate la regardait d'un œil morne, se gratta la tête et dit sur un ton naturel :

    -Moi, j'ai toujours joué comme ça.

    -Et vos adversaires ne vous en ont jamais fait la remarque ?

    -Non, je joue tout seul d'habitude.

    Elle faillit rire, mais se retint. 

    -D'accord, eh bien, c'est pas comme ça que l'on joue.

    -M'en fiche, je joue comme ça. T'as qu'à tricher toi aussi.

    Noré se redressa. Elle n'avait jamais triché, c'était le moment de commencer. La partie reprit. Chacun d'eux faisant de son mieux pour embrouiller l'autre. De nouvelles règles apparurent, les points défilèrent à une vitesse folle. A la fin, le jeu était tellement éloigné de ce qu'il aurait dû être que Noré éclata de rire. 

    Leurs estomacs crièrent famine et il fallut s'arrêter. Lorsque le pirate récupéra les cartes pour les ranger, elle dut admettre qu'elle n'avait plus peur de lui. Il jeta le tas de cartes dans le bazar qui reposait au pied de sa table. Ensuite, il s'étira et se décida à ramener le plateau. La porte refermée, Noré fixa le couteau posait près d'elle. Elle n'en avait plus besoin, alors elle le prit et le posa sur la table. La jeune fille fit quelques pas vers le lit, avant de stopper et de se retourner. Elle fixa le couteau un moment, puis, revint vers lui d'un pas vif, pour le récupérer en murmurant :

    -On ne sait jamais.

    Le temps passa. Titian ne revenait pas. Sans doute était-il allé parler au capitaine de la requête de ses hommes. Elle s'assit à la table. La pensée qu'elle mourrait bientôt, revint la hanter. Elle tourna la tête vers la porte. Elle devrait s’échapper, mais comment ? Quand bien même elle sortirait de cette cabine, qu'elle atteigne le pont, ils étaient en plain océan. Pourquoi se fatiguer ? La peur de la mort ne l'ayant pas encore atteinte, elle croisa les bras sur la table et y déposa la tête. La fatigue l'emportant sur la faim, elle s'endormit. Lorsque Titian revint, il déposa son nouveau plateau au sol et la mit au lit.

    Noré fut réveillée par des cris, de joie cette fois. Les rayons du soleil traversaient déjà le plafond. Elle resta un instant allongée à les fixer. Puis, elle se redressa et marqua un nouvel arrêt, les yeux posés sur la table, notant l'absence de Titian. Elle ne pensait à rien de précis, bien qu'elle pressentait que la joie de l'équipage ne présageait rien de bon pour elle. A cet instant, le jeune homme entra, bailla, en se grattant la tête, puis en la fixant, il dit :

    -Demain matin, tu meurs.

    Un silence s'installa. Noré n'arrivait pas à réaliser. Cela ne pouvait pas être vrai. Elle vivait sa dernière journée sur le bateau du plus terrible pirate, en compagnie d'un garçon de dix-neuf ans des plus étrange. Il avait été bon pour elle et, au fond, l'adolescente avant sans doute espéré qu'il la sauverait. Mais c'était un pirate tout de même, cela, elle avait commencé à l'oublier. Noré fixa son bracelet. Un simple anneau de métal qui représentait beaucoup. Elle ne pouvait pas mourir. Inspirant un grand coup, elle se leva, se campa devant Titian et dit :

    -Non, je ne vais pas mourir. J'ai quelque chose d'important à faire.

    -Eh bah, ce sera pas dans cette vie.

    Elle sourit avec tristesse. Elle avait espéré une autre réponde, sans savoir quoi précisément. Elle devait se souvenir qu'il était un ennemi et cela lui faisait de la peine.

    La journée fut étonnamment longue. Noré tournait en rond. Titian ressorti presque aussitôt, lui laissant une pomme sur la table. Elle avait essayé d'ouvrir la porte, sans y parvenir. Aucune idée lumineuse ne lui traversa l'esprit qui aurait pu l'aider à s'en sortir. Elle ruminait, retournant vers la porte, s'asseyant sur le lit, la chaise. Plus le temps défilait, plus la peur la gagnait, avec le besoin d'agir. Pourtant, elle ne pouvait rien faire. 

    Quand la nuit tomba enfin, Noré ne s'endormit pas. Titian était revenu à un moment de la journée, simplement pour retirer deux feuilles de son fouillis et repartir avec. Ils n'avaient échangé aucune parole. Pas plus, lorsqu'il rentra le soir. Allongée sur le lit, elle le vit s'affaler sur son bureau. Elle devait partir cette nuit. Il valait mieux tenter sa chance seule en mer, que rester sur son bureau. Elle devait partir cette nuit. Il valait mieux tenter sa chance seule en mer, que rester et attendre un miracle. Cette pensée lui apparut comme une évidence. Elle décida d'agir de suite, avant que son courage ne retombe. Sa seule chance était la blé de la porte que Titian jetait chaque soir sur le bureau. Elle attendit d'entendre le souffle régulier du dormeur pour se lever. Elle approcha doucement. Il avait la tête tournée vers la porte, son bras gauche plié dessous, le droit étendu sur la table. La clé avait atterri dans le coin gauche de la table. Elle pouvait la prendre sans danger. Cependant, méfiante, elle agit avec précaution.

    Doucement, elle s'avança. Tendit le bras. Au moment où elle empoignait la clé, Titian se redressa. Noré stoppa net. Son cœur manqua un battement et elle arrêta de respirer, sans s'en rendre compte. Le garçon s'étira, en profita pour se gratter la tête, puis s'affala de nouveau en baillant. Il ne s'était pas réveillé. La fille sourit, expira doucement et s'approcha de la porte, toujours avec précaution. Le bois craquait sous ses pas et elle faisait la grimace chaque fois que cela se produisait. Une fois à la porte, elle glissa lentement la clé dans la serrure, tentant de faire tinter le métal le moins possible. Les gonds grincèrent légèrement quand elle ouvrit. Elle se glissa à l’extérieur avec un regard sur Titian qui n'avait pas bougé et sortit sur la pointe des pieds. Malgré le peu de lampe dans le couloir, elle retrouva sans peine le chemin du pont. La cabine n'était qu'à quelques mètres de l'échelle qui y menait et le trajet s'effectuait en ligne droite.

    Lorsqu'elle fut dehors, la jeune fille mit ses mains sur sa bouche pour étouffer un hurlement. Les hommes et les garçons du bateau sur lequel elle avait embarqué étaient là, éventrés, pendus au mât par leurs entrailles. Le sol était recouvert de sang plus ou moins séché et de bouts de chair. Se retenant de vomir, elle fit de grands pas pour marcher le moins possible dans les flaques de liquide rouge. Elle retint sa respiration le plus longtemps qu'elle put, assiégée par l'odeur, ce fut en vain. Noré pensa respirer par la bouche, mais cela la répugnait. Le simple fait d'imaginer ce que cet air pouvait transporter la rendait malade.

    La pleine lune brillait fortement. Cela lui permettait, outre de jouir du spectacle des rapaces endormis près des cadavres, de repérer les canots plus facilement. Le bras replié sur son visage pour se couvrir la bouche et le nez, sans jeter de nouveau regard aux pendus, Noré fit le tour du pont. Elle regarda le long de la coque sans rien voir, pas le moindre canot. Elle était revenue à son point de départ. S'efforçant de ne pas lever les yeux, elle chercha à vive allure ce qu'elle devait faire. La pensée qu'elle se ferait écarteler dans quelques heures, s'imposa à son esprit. Elle s'élança de nouveau aux abords du pont, penchée sur le rebord. Il y avait forcément quelque chose pour s'échapper. C'est alors qu'une voix lui chuchota à l'oreille :

    -Alors, on m'abandonne ?

    Noré se retourna d'un bond. Elle poussa un soupir de soulagement quand la lune éclaira Titian. Soulagement qui se mua aussitôt en crainte, car elle se demanda s'il n'allait pas donner l'alarme, malgré le fait qu'il semblait l'apprécié. Noré pria pour que ce ne fut pas le cas et eut tout de même une vague pensée pour le couteau, abandonné près du lit. Si les choses venaient à mal tourner, elle était sans défense. Titian sourit, s'étira et dit :

    -Désolé, nous avons éradiqué tous moyens permettant une fuite.

    La voix de la jeune fille n'était guère plus qu'un murmure :

    -Et si le bateau coule ?

    -Nous coulons avec lui, n'est-ce pas magnifique ?

    Noré déglutit à grand peine, la gorge serrée. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour ne voir que l'océan à perte de vue. Ne valait-il pas mieux finir noyer ? Certainement. Le pirate bailla, mais au moment où il allait se gratter la tête et que Noré s'était décidée à sauter, des pas se firent entendre.

    -Titian ! Que fais-tu ?

    Un regard derrière le garçon permit à Noré d'apercevoir le pirate aux cheveux océans. C'était maintenant ou jamais. Alors qu'elle s'apprêtait à prendre appui sur le rebord, Titian la souleva et la passa dans son dos. Elle entoura instinctivement le cou du garçon de ses bras. Puis, le pirate fit face à son capitaine pour lui crier :

    -Je fomente une trahison.

    Sous l'effet de la surprise, l'homme n'eut pas le temps de réagir lorsque Titian se jeta par-dessus bord, entraînant Noré avec lui.

     


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