• Été-ce si stupide ?

    La lune était ronde. La nuit semblait scruté de son œil vide la dernière fenêtre illuminée de l'immeuble. Dans la pièce, le feu de cheminée lançait une lumière douce et chatoyante. Les différents invités prirent un siège et s'assirent autour des flammes pour s raconter des histoires afin de terminer la soirée.

    La nuit était noir, quand un jeune homme s'avança. De longs cheveux blonds lui arrivaient à mi-dos. Il se plaça au centre du cercle formé par les sièges et commença :

    -Chers amis, vous avez tous raconté vos contes préférés ou des histoires effrayantes pour rire de nos regards apeurés. J'ai, moi aussi, une histoire, une histoire qui m'a terrifié lorsque l'on me la raconter. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

     

    Il était une fois, un orphelinat situé aux abords d'une forêt. Dans cet orphelinat, il y avait dix enfants et deux surveillants. Parmi les orphelins se trouvaient deux frères. L'un avait neuf ans et le plus jeune sept. Tous deux avaient perdu leurs parents récemment, dans un accident de voiture et avaient été placé à l'orphelinat, aucun membre de leur famille ne pouvant les prendre en charge. Tandis que l'aîné se faisait à cette nouvelle vie, le second se mettait à l'écart, refusant une aide quelconque et furieux que tous aie l'air si heureux, alors qu'il souffrait tellement.

    Gaël, le grand, s'approcha un jour de son frère et dit :

    -Max, pourquoi tu ne veux pas jouer avec les autres ?

    Le garçon leva la tête et Gaël vit les yeux rougis de larmes. Il s'accroupit à côté de lui et le prit dans ses bras.

    -Tu sais, c'est pas en restant à l'écart que tu souffriras moins. Tu peux me parler, tu sais, un grand frère, c'est pour ça.

    Max le repoussa  violemment et se redressant, les larmes aux yeux, il hurla :

    -Tu parles d'un grand frère ! Je passe mon temps à pleurer, alors que toi, tu t'amuses ! Nos parents sont morts, je te signale ! Tu t'en fous complètement, c'est ça ?! Si ça se trouve t'es content d'être orphelin, après tout maintenant, t'es tranquille !

    La gifle claqua si fort que Max resta un moment sans bouger. Gaël fut lui-même surpris de son geste et fixa sa main, avant de reposer les yeux sur son frère. Max porta la main à sa joue et ses larmes redoublèrent. Comme Gaël avançait la main pour s'excuser, le garçon fit demi-tour et courut vers la forêt.

    L'enfant s'assit à l'ombre des arbres et pleura, la tête au creux de ses bras. Il en voulait aux autres d'être si insouciants, il en voulait à son frère si fort et il s'en voulait de lui avoir dit ces méchancetés. Un craquement l'arracha à ses remords.

    -Gaël ? C'est toi ?

    Mais, au lieu de la taille mince et allongé de son frère, ce fut une petite forme rabougrie. La petite créature à la peau marron et au crâne dégarni lui lança :

    -Eh bé, petit, je sens une grande tristesse en toi.

    L'enfant fixa la créature, incertain.

    -Je me nomme Trompe-la-mort. Je suis un gnome.

    -Vous êtes méchant ? demanda l'enfant inquiet.

    -Méchant ?! Oh non, loin de là. Je suis un peu magicien et j'aide les gens malheureux à trouver le bonheur.

    -A trouver le bonheur ?

    -Tout à fait. Dit moi ton vœu le plus cher et je l'exaucerai.

    Max repensa à sa vie jusque-là et la colère monta à nouveau. La rage au cœur, il murmura :

    -Si seulement ils pouvaient tous disparaître !

    -C'est comme si c'était fait.

    -Hein ? Non... attends !

    Mais le gnome disparut dans un claquement de doigts. Max resta un moment sidéré, puis, ce dialogue finit par lui paraître absurde et se convint que son imagination lui jouait des tours. Cependant, en rentrant au bâtiment, il aperçut un attroupement devant l'une des portes des chambres. Il se faufila parmi les enfants et aperçut l'un d'entre eux, allongé sur le lit. La jeune fille était livide, ses bras effleurés le sol, tandis que son regard fixait un point du mur. Max entendit les surveillants discutaient avec un homme portant une mallette, qu'il déduisit être un docteur.

    -Eh bien, l'affaire est simple. Cet enfant a été étouffée avec son oreiller.

    Max ouvrit de grands yeux et refixa son regard sur la victime. Il sentit deux bras passaient par-dessus ses épaules et le tirer en arrière, il s'arrêta en sentant un corps dans son dos et les autres pensionnaires lui bouchèrent la vue. En levant la tête, il aperçut Gaël, qui lui fit un sourire triste avant de l'entraîner à l'extérieur.

    Quelques temps plus tard, des hommes vinrent emmener le corps. Les deux enfants regardèrent les adultes s'agiter en silence, mais Max entendit une voix à son oreille, qui chantonnait :

    Enfant, écoute le requiem du gnome

    Regrette ce que tu as dit sous la colère, sale môme

    Car en énonçant ce vœu tu as eu tort

    Puisque je suis le gnome Trompe-la-mort

    Le garçon regarda autour de lui, mais il n'y avait rien. Son dialogue avec le gnome lui revint. Pensant qu'il s'imaginait des choses, il tenta de calmer les battements de son cœur. Au dîner, ils furent informés que des policiers viendraient jusqu'à leurs chambres. Là, il s'assit sur son lit et l'image de la morte lui revint. Le garçon ne ferma pas l’œil de la nuit hantait par ce corps inerte. Max se réveilla à l'aurore en sueur. Se levant, il se dirigea vers la cuisine pour boire un verre d'eau. Il poussa la porte de la salle et poussa un hurlement avant de se mettre à courir dans l'autre sens. L'enfant aperçut son frère qui descendait les marches et se jeta sur lui, avant d'éclater en sanglot. Un surveillant en peignoir, demanda :

    -Quoi ?! Qu'est-ce qui se passe ?!

    Comme Max ne pouvait répondre, l'adulte se dirigea vers la cuisine, resta un moment interdit dans l'embrasure de la porte, puis se jeta sur le téléphone. L'autre adulte qui venait d'arriver en grande trombe, demanda :

    -Que ce passe-t-il ?

    -C'est horrible... le petit Tom s'est pendu.

    Les autres enfants se mirent à chuchoter avec des regards apeurés. Le premier surveillant raccrocha et dit :

    -La ligne est coupé et nous sommes à plusieurs jours de marche de la ville. Que va-t-on faire ?

    -On ne peut pas laisser les enfants seuls...

    Max n'entendit pas la suite, car une horrible voix lui chuchota à l'oreille :

    Deux enfants disparu

    J'avance à la vitesse d'une tortue

    Mon imagination augmente encore

    Plus amusantes seront les prochaines morts

    Le garçon serra son frère un peu plus. Que devait-il faire ? Tout lui raconter ? Non, il fallait qu'il trouve le gnome et qu'il lui parle. Max se mit à courir vers la sortie, mais l'un des surveillants le rattrapa et le prit dans ses bras. L'enfant se débattit en hurlant :

    -Lâchez-moi ! Il faut que j'y aille !

    -Allons, allons, reste calme. Il faut qu'on reste groupé.

    L'adulte l'entraîna dans la salle à manger avec les autres enfants. Ensuite, les deux adultes s'appliquèrent à fermer les portes à clé tandis que Max continuait à brailler. Quelque temps passa, les grands qui s'étaient absentés pour s'occuper du corps, prendre des vivres et des couvertures, ne revinrent dans la salle qu'au couché du soleil. Ils placèrent leurs trouvailles sur la table et annoncèrent :

    -Bon... les enfants, compte tenu des récents événements, nous allons loger dans cette pièce. Vous ne sortez jamais seul d'ici, compris ?

    Tous les enfants acquiescèrent, puis les surveillants distribuèrent leurs couvertures et les enfants se couchèrent. Dans la pénombre, Gaël observa son frère. Couché sur le dos, Max fixait le plafond. Alors, l’aîné le prit dans ses bras et ils s'endormirent blottit l'un contre l'autre. Le lendemain, les surveillants les réveillèrent à l'aurore et après un petit-déjeuner frugal, ils réunirent les enfants autour d'eux.

    -Bien... les enfants, nous allons monter à la salle de bain. Vous prendrez un bain chacun votre tour, tandis que les autres attendrons devant la porte. Surtout, vous restez bien groupés.

    Ils arrivèrent devant la porte et là, chacun à son tour, ils allèrent se laver. Cependant, tandis que le troisième enfant entrait, Max sentit la présence du gnome près de lui. La voix du surveillant le fit sursauter :

    -Bon, à ton tour Gaël.

    Le garçon s'avança, mais s'arrêta aussitôt en sentant quelqu'un s'agripper à son bras. En se retournant, il croisa le regard de Max et compris que quelque chose lui faisait peur. Il dit aux adultes :

    -Euh... on devrait peut-être... retourner dans la salle à manger ? Dès que Sonia sera sortit.

    -Mais n'est pas peur, on est là.

    A peine avait-il finit sa phrase qu'ils entendirent un hurlement, accompagné de grand bruit d'éclaboussure. Les adultes s'entre-regardèrent avant de se précipiter vers la porte. Celle-ci avait été fermée à clé. Ils s'égosillèrent :

    -Sonia ! Ouvre tout de suite ! Ouvre !

    La porte céda, mais il était trop tard, Max entendit :

    Songe à ses âmes torturées

    Par ta faute, ils ont pleuré

    Je te ferais souffrir encore

    C'est la loi de Trompe-la-mort

    L'un des surveillants raccompagna les enfants dans la grande salle, tandis que l'autre transporté le corps de la noyée à l'extérieur de la pièce. Gaël fixa son frère. Tous deux s'étaient assis sur leurs couvertures. Max tremblait légèrement.

    -Bon, comment tu savais qu'il y aurait une nouvelle attaque ?

    La voix de son frère le fit sortir de ses pensées. Le garçon regarda autour de lui, puis reposa les yeux sur son frère. Allait-il le croire ? Avait-il vraiment le choix ? Max se résigna. Il respira un grand coup et vida son sac. Gaël le laissa terminer son histoire, puis réfléchit et demanda :

    -Donc... tu crois que c'est le gnome qui a fait ça ?

    Max fut content qu'il le prenne au sérieux et répondit par l'affirmative.

    -Il faut que l'on trouve un moyen de l'arrêter avant qu'il ne tue tout le monde.

    -Je ne sais pas comment faire et ça me fait peur.

    Tous les deux se mirent à réfléchir, mais aucune idée ne leur vint. Lorsque le moment vint de se coucher, ils ne purent fermer l’œil. Max se redressa en entendant un bruit vers la table, il vit une petite silhouette qui se dirigeait vers la sortie.

    -Eh !

    Gaël venait de se relever et interpellait la silhouette. Celle-ci se tourna vers eux et répondit :

    -Je vais boire dans la cuisine. Il n'y a plus d'eau ici.

    Les deux garçons se redressèrent d'un coup et dirent en chœur :

    -On vient !

    -Non, c'est bon.

    La silhouette sortit, mais les frères se jetèrent sur la porte. Elle s'était fermée à clé. Ils purent entendre des petits cris étouffés venant de la cuisine. Les frères s'entre-regardèrent et se mirent à courir dans l'autre sens pour réveiller les adultes. Les deux enfants leur racontèrent ce qu'ils venaient de voir et d'entendre. Les surveillants enfoncèrent la porte ce qui réveilla les autres enfants. L'un d'eux entra tandis que l'autre empêchait les enfants d'y pénétrer. Le premier ressortit de la cuisine plus pâle que le carrelage de la salle. Les deux garçons étaient assez près pour les entendre dire  :

    -C'est Jack. Il a été poignardé trois fois.

    Cependant, Max fut le seul à entendre la petite voix agaçante :

    Enfant, pleure sur le malheur que tu as causé

    Plus jamais le bonheur ne te sera accordé

    Perdu dans le labyrinthe du minotaure

    Tu erreras jusqu'à la mort

    Le garçon éclata en sanglot. Il en avait assez, ne savait plus quoi faire et avait peur. Le surveillant dit :

    -Allons, ne t'inquiètes pas, ça va aller. Tu verras. Quand la ville remarquera que nous ne donnons plus de nouvelles, ils nous enverrons des secours.

    Sa voix tremblait et il était aussi pâle que son compagnon. Gaël prit son frère par les épaules et l'emmena sur sa couverture. Là, Max pleura encore longtemps, puis finit par s'endormir. 

    Le soleil le réveilla au petit matin et la nuit lui avait paru très courte. Max se leva et décida de se laver. Il en profiterait pour parler au gnome, s'il le croisait. Dans les escaliers qui menaient à la salle de bain, le garçon entendit des marches craquaient derrière lui. En se retournant, il aperçut Julie. Il eut peur et lui cria :

    -Reste pas là ! Retourne dans la grande salle, tout de suite !

    Mais la fillette répliqua :

    -Pour qui tu te prends, d'abord ? Je partirais pas, tant que tu me diras pas où tu vas.

    -Je vais me laver, alors va-t-en.

    -Non, je viens aussi.

    Tout en parlant, ils avaient continué à monter et Max tentait de maintenir la porte fermer, mais Julie, avec une bourrade plus forte, réussi à pénétrer dans la petite pièce. Elle lui dit :

    -Qu'est-ce que tu fais ? Tu veux te faire tuer ?

    -Il ne m'arrivera rien. Mais toi, tu dois...

    Il ne finit par sa phrase. L'eau de la baignoire venait de se mettre à couler. Julie, les yeux écarquillés, bégaya :

    -Qu'est-ce que...?

    Puis, le sèche-cheveux se brancha de lui-même et Julie fut poussée par une force invisible, dans la baignoire, suivie par l'outil de coiffure. Max se protégea le visage de ses bras. Il était aveuglé par les éclairs de lumière qui se propagés et tentait de se boucher les oreilles pour ne plus entendre les hurlements de la fillette. Quand tout s'arrêta, il se redressa et aperçu l'enfant gisant dans la baignoire. L'eau fumait autour d'elle et ses yeux vitreux le fixés. Max se crispa en entendant la voix du gnome !

    Enfant, cesse de lutter

    Quoi que tu fasses, tu seras tué

    Puisque je distribue les morts

    Moi, le grand Trompe-la-mort

    -Max !

    Le garçon sursauta. Il se tourna vers la porte et s'aperçut qu'on l'avait fermé. Il l'a déverrouilla et les adultes, suivirent des autres enfants, entrèrent. En voyant le corps de Julie, ils firent sortir Max et les autres et fermèrent la porte. Une fois dehors, Gaël serra fort son frère dans ses bras et dit :

    -Ouf, j'ai eu peur que ce soit toi.

    Max murmura :

    -Il va tous nous tuer.

    A nouveau, ils se rendirent dans la salle à manger. Les surveillants étaient restés dans la salle de bain. Max regarda autour de lui. Cinq, il n'était plus que cinq enfants.

    -La cuisine et la salle de bain.

    La voix de son frère le surprit et il demanda :

    -Qu'est-ce que tu dis ?

    -Les meurtres. A part le premier, ils se sont tous déroulés dans la cuisine et la salle de bain.

    -Et alors ?

    -Alors, ça veut dire que ce sont les seules pièces dont il a l'accès. Sinon, pourquoi ne viendrait-il pas ici, directement ?

    -C'est vrai. Mais, alors, qu'est-ce qu'on peut faire ?

    -Si on arrive à persuader les autres de ne plus mettre les pieds dans les pièces où il y a eu des crimes, on peut éviter les meurtres.

    -Tu as raison.

    Les adultes revinrent. Leur pâleur était inquiétante. Les deux frères se jetèrent sur eux et leur exposèrent leur hypothèse, mais les grands répondirent :

    -Allons, ne soyez pas inquiet. Nous contrôlons la situation.

    Gaël murmura :

    -Ouais... vachement.

    Mais le surveillant n'entendit pas. Il continua, tandis que l'autre, s'étant assis, fixé un point avec des yeux hagard :

    -Désormais, personne ne sort seul. On fera tout en groupe.

    Gaël n'insista pas et entraîna son frère vers leurs couchettes. Les surveillants se mirent à se parler entre eux. Les deux frères ne disaient rien, mais des hurlements les sortirent de leurs pensées :

    -Non ! Il faut sortir ! On va tous se faire tuer ! Je veux pas mourir ! Laissez-moi sortir !

    Le surveillant, qui, quelques temps plus tôt, s'était figé sur sa chaise, tentait à présent d'atteindre la porte, en hurlant comme un dément. L'autre adulte n'arrivant pas à le calmer avec des mots, l'assomma avec une bouteille. Tandis que l'homme, inconscient, s'écroulait sur le sol, les enfants se mirent à pleurer. Max éclata en sanglot. Il avait peur. Pas seulement pour lui, mais pour son frère. Quand le gnome allait-il le tuer ? Pourrait-il l'en empêcher ? Gaël serra son frère contre lui. 

    La nuit tomba lentement par les fenêtres. Tout était devenu silencieux. Les enfants s'étaient serrés les uns aux autres et se tenait la main, pour être sûr qu'ils ne seraient pas séparés. Le surveillant dormait près de son collègue encore inconscient. Et pendant que la lune montait paisiblement, le plafond de la grande salle était fixé à cinq paires d’œils terrifiés. Bien que la nuit fût calme, aucun des enfants ne ferma les yeux. Ils passèrent la journée suivante dans la salle silencieuse. Cependant, quand la nuit fut tombée, d'épuisement, les enfants s'endormirent aussitôt. Seul deux ne dormirent pas. Max se leva le matin, épuisé et à bout de force. Il fallait que ça finisse ou lui aussi deviendrait fou. A cette pensée, il tourna machinalement la tête vers les surveillants encore endormis. Mais en s'approchant, il s'aperçut que l'un des lits était vide. Il réveilla le deuxième surveillant précipitamment. Lorsque celui-ci aperçu la couchette vide, il s'écria :

    -Le fou, il aura tenté de sortir ! Vite, Max, réveille les autres !

    Le garçon s'activa. Les enfants se regroupèrent autour de l'adulte.

    -Bon, les enfants, nous allons passer par la cuisine pour rejoindre le hall. On ne se sépare pas, tenez-vous par la main.

    Les enfants obéirent. Gaël fit passer son frère devant lui pour l'avoir sous les yeux, mais Max ne se sentait pas rassuré de savoir son frère en fin de fil. Il cramponna sa main pour être sûr de ne pas le perdre. Lorsqu'ils pénétrèrent dans la cuisine, ils eurent un haut le cœur. L'un des enfants dit :

    -Bwa... ça sent la pourriture.

    Max avait déjà senti cette odeur, mais il ne se souvenait plus où. Il sentit tout d'un coup, la main de son frère lui échapper. Terrifié, il se retourna précipitamment. Gaël s'était senti glisser sur une flaque d'eau et avait atterri lourdement sur le dos. Sous le choc, il tourna la tête vers la table et se retrouva nez à nez avec un visage, des yeux contenant encore une lueur de folie le fixaient intensément. Gaël se releva en hurlant, tout en s'apercevant que ce qu'il avait pris pour une flaque d'eau était, en fait, une mare de sang.

    Aussitôt, Max se souvint où il avait senti cette odeur. C'était un jour où lui et son frère avaient vu leur père vider un porc et l'odeur les avait dégoûté. Tout comme l'animal de ce jour-là, le mort avait les intestins qui débordaient à profusion de la plaie béante qui séparée son ventre en deux. Max entendit le gnome chantonnait :

    Enfant, de sommeil tu manques

    Tu te terres dans ta planque

    Je te tuerais avant l'aurore

    Foi de Trompe-la-mort

    Le garçon crispa les poings et se retint de pleurer. Gaël ne put s'empêcher de vomi. Le surveillant dit :

    -Tout le monde dans la grande salle, vite !

    Max se jeta sur la porte et tourna la poignée, mais il resta tétanisé. L'un des enfants demanda :

    -Et alors, qu'est-ce que tu fous ?! Grouille !

    Le garçon se tourna vers eux avec une lenteur inquiétante. Gaël fut inquiet en voyant sa pâleur. Une goutte de cristal glissa sur sa joue et il prononça les mots fatals :

    -C'est fermé. Il nous empêche d'aller où il ne peut aller.

    Tous restèrent sans voix. Puis, l'adulte se reprit :

    -Mais qu'est-ce que tu racontes ? Pousse-toi !

    Il tenta d'ouvrir la porte, de l'enfoncer, mais rien n'y fit. Elle resta close. Il finit par se tourner vers les enfants et dit d'une voix tremblante :

    -Bon, vous ne touchez à rien, vous ne mangez rien et on reste groupé. On va s'en sortir, ne vous inquiétez pas.

    Le petit groupe sortit de la cuisine. Bien qu'ils firent plusieurs fois toutes les pièces, ils ne trouvèrent aucun moyen de sortir. De fatigue, ils s'arrêtèrent dans le hall pour faire une pause. Les enfants s'assirent par terre, tandis que l'adulte restant jetait des regardes inquiets vers la cuisine.

    -Excusez-moi.

    La voix de Gaël le fit sursauter. Il se tourna vers le garçon et celui-ci continua :

    -Où avez-vous mis les corps ?

    L'adulte sembla réfléchir, comme si c'était un souvenir lointain et répondit :

    -Euh... nous les avons enveloppé dans des couvertures et les avons disposé dans l'une des chambres.

    Max observait de loin la conversation de son frère, quand il entendit le bruit d'un papier que l'on froisse à côté de lui. En se tournant, il aperçut un garçon qui s'apprêtait à mettre un bonbon dans sa bouche. Max dit :

    -Le surveillant a dit de ne rien manger. Où t'as eu ça ?

    Le garçon le toisa du regard tout en avalant la sucrerie et dit :

    -J'l'ai piqué dans la cuisine.

    Max se leva d'un bond et se jeta sur lui en criant :

    -Vite ! Crache-le !

    Mais il était trop tard. Le garçon qui s'était relevé en voyant son camarade lui fonçait dessus, jetait à présent, des regards d douleur et de terreur autour de lui. Il se plias en deux dans un cri et se tint le ventre de ses bras. Les autres l'entourèrent ne sachant que faire. Un nouveau cri et le sang se mit à couler de sa bouche et de son nez. Le garçon jeta un regard suppliant à Max qui restait terrifié, tandis que du sang sortant de ses yeux, se mêlait à ses larmes. Puis, ses veines semblèrent gonflées, alors que le liquide rouge coulait à présent de ses oreilles. L'enfant se mit à pousser des cris suraigus. D'instinct, les autres se jetèrent à terre, tout en tentant de se boucher les oreilles pour ne plus entendre les cris du malheureux. Max se sentit aspergé d'un liquide chaud et, en relevant la tête, il aperçut un œil qui avait atterri à quelques centimètre de sa tête. En se mettant debout, Max regarda autour de lui. Le sol était jonché de morceau de chair et de cerveau, le sang avait giclé jusque sur les murs. Les enfants se mirent à pleurer, certains à vomir. Max rejoignit son frère et ils s'accrochèrent l'un à l'autre, en pleurant silencieusement. Les cris du garçon résonnaient encore dans sa tête, ce qui ne l'empêche pas d'entendre la petite voix grinçante :

    Enfant, sent la peur qui monte en toi

    Puisque même en Dieu, tu n'as plus foi

    Je te poursuivrai jusqu'à ta mort

    Car je me nomme Trompe-la-mort

    Le surveillant tentait de soutenir les enfants de son mieux. Puis, une fillette se mit brusquement à courir vers la porte qui se trouvait sous l'escalier et qui, il y avait peu de temps encore, s'était ouverte sur la salle qui leur avait servi de refuge. Mais, celle-ci resta close sous les supplications de l'enfant. Un craquement se fit entendre, alors tous devinrent silencieux. Les frères se serrèrent l'un contre l'autre en jetant des regards inquiets autour d'eux. Devant la porte, la fillette se mit à hurler tandis que les escaliers cédèrent et l'écrasèrent dans un bruit d'ossements broyaient et de bois fracassait. C'était trop pour Max, il tomba à genoux et se mit à crier pour se soulager, tout en laissant ses larmes coulaient. Gaël s'agenouilla à côté de lui, joignit les mains et se mit à prier. Max se calma et imita son frère. Il ne connaissait pas de prière, mais il y mit tout son cœur. Le surveillant et le dernier garçon, quand à eux, pleuraient tout en les regardant faire. Max avait à nouveau foi et même la rengaine du gnome ne put le détourner de ses prières :

    Enfant, voilà que je te sens faiblir

    Aurais-tu peur de mourir ?

    Je vais te saigner comme un porc

    Oui, c'est moi, Trompe-la-mort

    Ils restèrent à genoux quelques minutes, puis le surveillant leur dit :

    -Il faut que nous montions dans l'une des chambres pour nous changer.

    Gaël pensa que dans des moments pareils fallait être tordu pour prendre le temps de se changer. Mais il n'avait plus la force de contester quoi que ce soit. Son frère non plus, d'ailleurs. Et les trois enfants suivirent l'adulte docilement. Ils se changèrent dans la même chambre, en silence. Max remarqua que le dernier garçon s'était uriné dessus de terreur. Le surveillant sortit et dit :

    -Dépêchez. Il ne faut pas traîner.

    Les frères le rejoignirent, mais lorsque le garçon voulut sortir à son tour. Le rideau de la fenêtre comme mu par une force invisible s'enroula autour de son bras droit. L'enfant poussa un cri de surprise. Heureusement, la longueur du rideau était telle que son bras gauche sortait de la pièce. Ce qui permit à Max et Gaël de l'empoigner. Cependant, la couverture du lit emprisonna sa jambe gauche et s'attacha au pied du lit, tandis qu'une ceinture de peignoir lui ligota l'autre jambe avant de s'accrocher au pied d'une armoire. L'enfant hurla, alors que les meubles s'éloignaient de lui. Les deux frères ne lâchèrent pas son bras pour autant, mais les objets continuaient à s'écarter et déjà l'enfant laissait couler des larmes de douleur. Il eut le temps de murmurer avec un regard suppliant :

    -Je veux pas mourir.

    La porte claqua subitement avec un choc assourdissant. Il fut suivi par un hurlement strident, les frères s'étaient retrouvés assis par terre et ils leur fallu un certain temps avant de réaliser qu'ils tenaient encore le bras de l'enfant. Avec des cris de terreur, ils le jetèrent et se blottirent contre le mur. Ils écoutèrent impuissant, pleurant sans s'arrêter, les hurlements aigus et interminables entrecoupaient de sanglots bruyants, qui traversaient la porte. Lorsqu'il n'y eut plus rien, la porte s'ouvrit d'elle-même, laissant aux enfants la vue du corps écartelé. Et à la petite voix de souffler :

    A présent, je suis sûr que tu veux en finir

    Sache, cependant, qu'un gnome n'a qu'une façon de mourir

    Apprend également que tu auras des remords

    Car je ne partirais pas seul dans la mort

    Max regarda son frère. Il ne lui avait pas parlé de cette voix, mais peut-être que Gaël comprendrait ce qu'elle venait de lui dire. Les frères se relevèrent. Gaël regarda autour de lui et demanda :

    -Où est le surveillant ?

    Max haussa les épaules. Ils regardèrent autour d'eux, puis décidèrent d'aller à sa recherche. Tout en marchant, le garçon parla de la voix et des derniers vers du gnome. Son aîné écouta avec attention et après réflexion, tout ce qu'il trouva à dire fut :

    -S'il pouvait te dire, directement, comment le tuer, ça nous aiderez mieux.

    -C'est sûr.

    Max soupira. Ils étaient retournés dans le hall. La vue du sol et de ce qui le jonché, lui donna un nouveau haut le cœur. Gaël dit :

    -Regarde, il est là.

    Son petit frère regarda dans la direction qu'il lui indiquait et aperçut l'adulte. Celui-ci était pâle comme un mort, les yeux exorbités, il fixait le sol. Il leva la tête en entendant les enfants approchaient. Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres du surveillant, lorsque les deux enfants entendirent un craquement. D'instinct, ils levèrent tous deux les yeux et aperçurent le plafond se fissurer. Gaël s'écarta à temps pour éviter un morceau qui venait de tomber. Les deux frères se mirent à courir à droite et à gauche pour éviter de se faire écraser. Gaël restait derrière son frère le portant de temps en temps, mais ils ne pourraient pas continuer comme cela très longtemps. Gaël cria pour se faire entendre :

    -Il faut se mettre à l'abri et vite !

    Max acquiesça et hurla :

    -Dans la cuisine !

    Un morceau du plafond tomba à proximité. Les enfants détournèrent la tête pour ne pas recevoir de poussière. En rouvrant les yeux, ils aperçurent le surveillant à travers les fines particules blanche, ils s'étaient approchés de lui sans s'en apercevoir. L'adulte les fixa avec un regard de démence et un sourire sadique lui défigura le visage. Il se précipita vers la porte de la cuisine. Les deux frères s lancèrent à sa poursuite, mais il était trop tard, la porte se referma sur eux. Les garçons tambourinèrent à la porte en hurlant, suppliant, pleurant, mais ils n'eurent pour seule réponse  que le rire assourdissant du surveillant. La poussière et les gravats les faisaient tousser. Le bruit devenait insoutenable. Gaël serra Max contre lui pour le protéger, du mieux qu'il pouvait, des projections. Ils s'accroupirent contre la porte. Les morceaux tombaient de plus en plus proche et les garçons attendaient la peur au ventre, les larmes collant la poussière sur leurs visages. Puis,tout s'arrêta. Ils ne bougèrent pas, tout d'abord, de peur que ça ne reprenne. Mais des cris derrière la porte les firent sursauter. C'était au tour de l'adulte de supplier. Ils l'entendirent hurler si fort, qu'ils eurent l'impression que les murs en tremblaient. Ses sanglots s'accompagnaient de bruit de lutte. Bientôt, ils entendirent dans sa voix comme des glougloutements, comme lorsqu'on parle la bouche pleine d'eau. Les garçons étaient épuisés, avaient mal à la tête de tous ces cris et n'avaient plus de larmes à verser. Ils restèrent là, blottis, ne pensant à rien, les yeux vides à attendre que ça finisse.  L'agonie fut longue et ce n'est qu'une ou deux heures plus tard que Max entendit cette voix, qu'il n'avait que trop entendu :

    Ecoute, me faire bouillir dans une marmite

    Pour me manger ensuite

    Ce sont des paroles en or

    Te dis le gnome Trompe-la-mort

    Le garçon eut un sursaut en entendant ces paroles et ravivait d'une nouvelle énergie, il secoua son frère et lui répéta les vers du gnome. Tout d'abord, Gaël abasourdi, se leva d'un bond et ouvrit la porte de la cuisine sans difficulté. En entrant, ils virent en premier le corps du surveillant gisant sur le sol, la tête à deux mètres de là. Cependant, la petite forme rabougrie cachait dans un coin ne leur échappa pas. Se voyant découvert, le gnome lâcha la scie ensanglantée qu'il tenait encore en main et tenta de prendre la fuite. Il reçu la chaise lancé par Gaël, de plein fouet et s'écroula sur le sol, inconscient. Le garçon fixa un moment la forme allongée par terre, puis, il prit son frère dans les bras et le mit dehors. Max se débattit du mieux qu'il put, mais, à nouveau, la porte se referma sur lui. Il eut beau trépigner, hurler ou essayer d'envoyer des bouts de plafond dessus, rien n'y fit son frère n'ouvrit pas. Il s'obstina pendant des heures et, au couchant, la porte s'ouvrit. A nouveau, il entre et ce qu'il vit cette fois, c'était son frère recroquevillé sur lui-même, il semblait dormir. Max remarqua ensuite la marmite et les ossements sur le sol. Le garçon s'agenouilla près de son frère et le secouant légèrement, il dit :

    -Allez, viens Gaël, on s'en va.

    Mais, il ne bougea pas. Il le secoua plus fort sans résultat, alors il se mit à pleurer de nouvelles larmes. Une voix... si lointaine :

    Adieu, je disparais

    Malgré tout, ton vœu est exaucé

    Partir dans l'au-delà, je suis heureux

    Car derrière moi, je ne laisse qu'un malheureux

    Elle s'éteignit. Max se leva d'un bond, il renversa les étagères, explosa les bocaux et les bouteilles, il frappait sur tout ce qui lui tombait sous la main, en hurlant à plein poumon le nom de son frère au milieu des sanglots, comme si cela pouvait le faire revenir. Puis, de rage et d’épuisement, il s'endormit à coté de son frère.

    Le lendemain, la police l'a retrouvé endormi et l'ont conduit à l'hôpital. 

     

    Voilà chers amis, l'histoire qui me donna des cauchemars. 

     

    Le silence fut interrompu par des éclats de rire. L'un des invités réussit à articuler entre deux fous rire :

    -Il... il a bouffer le gnome ?

    A cette question, les rires repartirent. Un autre lança :

    -Ce garçon est stupide... moi, je l'aurais poignardé.

    Les rires fusèrent à nouveau. Puis, l'un d'eux dit :

    -Dite-moi...

    Mais il ne finit pas sa phrase. Le jeune homme était parti

     

    La pleine lune éclairait le cimetière de tout son éclat. Le garçon s'arrêta devant une tombe et dit :

    -Salut, Gaël. C'est moi, Max. J'ai raconté notre histoire ce soir. Ils ont ri, comme tu t'en doute. Ils ont même dit que tu étais stupide... mais tu avais peur. On avait tous peur et on était petit. Je ne sais pas si tu avais raison ou si on aurait dû réfléchir à un autre moyen quand le gnome a été assommé.

    Max s'allongea à côté de la tombe, comme avant, lorsqu'il s'allongeait près de Gaël. A la différence qu'il n'entendait plus ni sa respiration, ni les battements de son cœur qui l'apaisait avant. Max regarda les étoiles et continua :

    -Il y a quand même une question que je me pose...

    Il ferma les yeux.

    -Ce que tu as fait, je suis peut-être ridicule, mais je me demande...

    Du passé lui revint une chaleur, une étreinte protectrice. Il sourit et murmura avant de s'endormir :

    -Été-ce si stupide ?

    FIN

     

     

     

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