• Histoire d'amour

    Ils s'aimaient sans le pouvoir. Un seul regard pour un bonheur d'une seconde. Un sourire et les chants des anges résonnaient dans leurs cœurs. Ils se connaissaient depuis toujours, du moins, ils leur semblaient. Lui, fils d'une noble famille. Elle, fille de jardinier. Le hasard qui unit les êtres sans logique, ne se souciant guère de ce qui peut arriver par la suite, les avait mené l'un à l'autre. Chacun connaissant l'amour de l'autre, chacun continuant sans chercher plus. Ne pouvant s'aimer, ils se donnèrent une amitié bien plus pure que le plus grand des amours.

     

    -Je lui demanderais.

    -Vraiment ? A votre père ?

    -Bien sûr.

    -Ne soyez pas idiot. C'est ce faire du mal pour rien.

    -Je n'ai pas peur.

    -Cela ne vous épargne pas de la bêtise.

    -C'est ce genre de parole qui me donne confiance en moi. Ah si, si, je vous assure.

    -Oh, mon pauvre chéri.

    -Ravi de voir que mon malheur vous fait rire.

    -Excusez-moi, cher amour, mais, vraiment, demander le consentement de votre père pour un mariage aussi inconvenant ? Ah, vous voyez, vous souriez aussi.

    -Bah, tant que vous restez dans les environs, il n'est pas besoin que nous nous marions.

    -Exactement.

     

    Pourquoi l'amour surgit sans donner ses règles au préalable ? Sans doute parce que plus d'un refuserait le pacte. Ils se parlaient de tout et s’intéressaient tant à l'autre que rien ne pouvait les dissocier. Lorsqu'il partit pour des études prestigieuses dans une ville lointaine, ils s'écrivaient sans se lasser.

     

    "Ma chère et douce amie,

    Si loin, je m'ennuie de vous. J'ai tant à dire que cette lettre ne peut tout contenir. J'attends avec impatience mes prochains congés pour pouvoir vous voir et vous présenter les cadeaux que je vous ai trouvé. Je travaille avec acharnement, ne vous inquiétez pas. Et pour répondre à votre lettre précédente, non, je ne dépense pas inconsidérément la pension que me donne mon père. Est-ce votre pauvreté qui vous rend si inquiète pour mon argent ? Je vous abandonne, car l'on m'attend. Je vous embrasse le plus tendrement du monde."

    "Mon adoré,

    Votre lettre m'a ravie, bien que m'acheter des cadeaux est,  ce que je considère, comme des dépenses inconsidérées. Pour ce qui est de votre pique sur ma pauvreté, sachez, jeune homme, que j'ai plus d'un prétendant qui serait ravi de prendre votre place. Et des bien plus gentils. J'aimerais que vous ne vous épuisiez pas au travail, amusez-vous tout de même. J'ai entendu dire que les citadines étaient des femmes distinguées et charmantes. Mon amour vous accompagne."

    "Tendre amour,

    Vous ne pouvez nier que vos prétendants, tout gentil qu'ils soient, ne sont rien sans ma beauté et mon charme. Pour ce qui est des citadines, je ne peux les regarder sans honte. Que je pose les yeux sur une autre femme et j'ai l'impression de vous tromper. Je devrais trouver un autre moyen de m'amuser. J'attends vos suggestions avec impatience. En espérant vous retrouver bientôt."

     

    Certaines règles sont connus dès le départ. Un appel aux cœurs brisés se lance et tout se noie. La blessure n'est pas nette, pas tranchante. Non. Elle est sournoise, se glisse et coupe progressivement. Elle conserve les débris des cœurs, avant de tous les déployer d'un seul coup, au moment opportun. Il fallu le marier à une femme de sa condition.

     

    -Je ne l'épouserais pas.

    -Et pourquoi, mon fils ? C'est une femme des plus honorables.

    -Sa fortune la rend honorable à vos yeux. Je la trouve quelconque.

    -Ne soyez pas si difficile.

    -Je ne le suis pas. Simplement, j'aime déjà.

    -Vraiment ? Et qui donc ?

    -Une jeune fille honorable.

    -En voilà des cachotteries. Quelle est sa fortune ?

    -Sa pauvreté la rend honorable.

    -J'en doute.

    -Sa joie la rend belle.

    -Peu m'importe.

    -Son bonheur conditionne le mien.

    -Ridicule.

    -Mon amour la rendra reine.

    -Non.

     

    Le hasard se moque dans le dos des amoureux. Si l'amour ne s'épuise pas avec le temps, il le rend impossible. Les lois des hommes ne sont pas faites pour lui convenir. Voilà les cœurs unis en une seule âme déchirés. Mais l'amour se veut combatif. Il lutte, se débat et sombre ensuite.

     

    -Partons ensemble.

    -Mais bien sûr.

    -Je suis sérieux. Partons.

    -Et de quoi vivrons-nous ?

    -Je travaillerais dur. J'en suis capable.

    -Vous n'avez jamais connu la misère.

    -J'apprendrais.

    -Vous ne la supporterez pas.

    -Vous avez peur.

    -Oui, pour votre réputation. Ne soyez pas fou. Nous serions retrouvés et ce serais notre ruine à tous deux.

    -Je hais ce monde. Je hais ce Dieu qui nous sépare.

    -Pas moi. Il vous a créé, vous. Il vous a créé rien que pour moi. Même si une autre partagera le restant de votre vie. Vous êtes né pour moi.

    -Même par-delà les océans, je serais là. Toujours près de vous pour essuyez vos larmes, écouter vos chagrin, vous entendre rire.

    -Mais je ne rirais jamais plus.

     

    Avez-vous déjà ressenti cette horreur qui vous submerge brusquement ? Ce moment où la blessure relâche les morceaux qui vont s'éparpiller dans votre poitrine. Cette douleur qui vous fait dire qu'il vaut mieux n'avoir jamais connu l'amour que de subir cette souffrance. D'abord, il faut quelque temps, des secondes qui vous paraissent des minutes, pour réaliser. Tout se superpose dans votre tête, tous les "et si" auxquels vous pensiez de temps en temps, reviennent à la charge, de front. Les regrets les plus amers vous submergent violemment sans crier gare. Alors, cette surprise, à laquelle vous ne vous attendiez pas, vous force à pleurer. Pas par envie, mais parce qu'il le faut si vous ne voulez pas perdre la raison. Dans la gorge, gonflent les hurlements que la bienséance nous oblige à réprimer. Ces cris sont les morceaux de votre cœur que la douleur a renfloué, car ils sont devenus étranger à votre propre corps. Mais comme vous serrez les dents pour les étouffer, ils ne sortent pas et retournent à leur place. Voilà, un cœur bricolé qui bat doucement dans la poitrine, mais l'amour, qui l'a rendu ainsi, étant incomparable, il ne battra plus jamais aussi fort qu'à cet instant-là. Des bouts infimes manquent qu'il ne récupérera plus.

    Son mariage eut lieu. Une jeune femme pleura dans l'assemblée, discrètement, secrètement. Il n'eut pas d'enfant, elle ne se maria jamais.

    L'amour n'a pas de règles car il serait trop facile à contrer. Il a ses raisons que la raison ignore, dit-on. La raison est seine et secourable. Elle fait traverser la souffrance, relever la tête, rend l'espoir. L'amour est un monstre qui se lasse vite. Il préfère fuir avant de finir son oeuvre, laissant les hommes brisés. Si Dieu donna la raison à l'homme, l'amour reste le jouet favori du Diable.

     

    FIN

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