• 33 - Elférad : Si ce n'est pas quelqu'un de l'extérieur, c'est que l'un de nous a trop parlé

    Elférad jouait aux cartes avec ses amis quand le professeur entra dans la classe. D'autorité, l'adolescent ramassa les cartes pour les ranger et se retourna sur son siège pour faire face au tableau. Il entendit Matior grommeler :

    -J'allais gagner.

    Neghttris eut un ricanement moqueur :

    -Le rêve et la réalité, une fine limite.

    Comme à son habitude, l'enseignant tapa le bureau de sa règle pour amener le silence et commença en souriant :

    -J'ai une grande nouvelle.

    Il s'assura que toute l'attention lui était consacrée avant de continuer :

    -Les secondes années estiment qu'ils en ont assez. Le jeu des souhaits est officiellement terminé.

    Il y eut une explosion de joie et d'applaudissement dans la salle, bien qu'Elférad ne se souvenait pas de la dernière fois qu'un seconde année lui avait demandé quelque chose. Il avait le sentiment que ce jeu était terminé depuis un moment. Le cours reprit normalement après cette annonce. A la fin de la journée, ils se retrouvèrent tous les quatre, dans le parc de l'école à discuter autour d'un banc. Elférad rappela à Neghttris ce qu'il avait dit hier aux deux autres, qu'il voulait être tenu au courant du moindre événement, même insignifiant.

    A cet instant, l'héritier d'or angoissé qui avait été chargé de livrer les lettres au jeune couple s'approcha d'eux. Matior prévint en le voyant arriver :

    -Elférad, y a quelqu'un qui vient et ça va pas te faire plaisir.

    L'adolescent se retourna pour apercevoir le nouvel arrivant. Celui-ci lança quand il fut à portée de voix :

    -Hey, Elférad. Tes parents sont au courant que tu es avec l'héritier de la famille Thoun ?

    Tout le corps du garçon se crispa d'un coup. Du coin de l’œil, il vit que Matior, Lyert et Neghttris avaient quitté le banc d'un bond, près à agir au moindre signal. L'autre continuait :

    -La famille Thoun, elle était bien dans ton clan avant. Elle a été chassée, c'est bien ça ?

    Elférad sentit son cœur s'emballer. Il claqua des doigts. Dans la seconde, ses trois amis se jetaient sur le garçon et l'immobilisaient au sol. Neghttris appuyait son pied sur la poitrine de l'adolescent, tandis que Lyert et Matior lui maintenaient les bras. Elférad les rejoignit, prenant sur lui pour ne pas se laisser aller à la colère :

    -Comment tu sais ça ? Qu'est-ce qu'on t'a dit sur la famille Thoun ?

    L'interrogé semblait complètement perdu et son regard passa de Neghttris à Elférad sans pouvoir articuler le moindre mot. Neghttris fit passer son poids sur la poitrine du garçon :

    -Réponds aux questions. Grouille-toi.

    Les larmes aux yeux, l'héritier d'or ne put que laisser échapper des gargouillis inarticulés. Elférad se pencha au-dessus de lui :

    -Tu sais quelque chose sur Trinitores ?

    Le poids de Neghttris devint insupportable et le garçon éclata en sanglot en disant :

    -Non, non, je sais rien. On m'a dit de te dire ça comme ça. Je sais rien.

    Elférad se redressa, mais Lyert lança :

    -Il fait semblant. Il ment.

    Son ami secoua la tête en repensant au premier entretien qu'il avait déjà eu avec le garçon :

    -Je ne pense pas.

    Il posa la main sur l'épaule de Neghttris :

    -Relâchez-le.

    Ils obéirent et pendant que le garçon se redressait en tremblant de tout ses membres, Elférad s'accroupit face à lui :

    -Faut vraiment que t'arrêtes de te mettre dans des situations pareilles.

    Son interlocuteur renifla en s'essuyant les yeux et bégaya :

    -Si... je ne le fais...pas...Il peut me tuer... je pensais pas que... c'était quelque chose de grave...

    Elférad retint une grimace à le voir essuyer sa morve avec sa manche et demanda à ses amis :

    -Vous avez pas un mouchoir ?

    Lyert et Matior allèrent fouiller leur sac. Neghttris s'accroupit également devant le garçon et Elférad n'avait pas besoin de le regarder pour savoir qu'il était furieux. Ce fut avec un calme contrôlé que Neghttris dit :

    -Écoute, mon gars. Pourquoi on t'aurait demandé de faire passer un message inoffensif ? Tu devrais le savoir après ce que tu as fais avec les lettres. Réfléchis un peu, bon sang.

    Lyert tendit un mouchoir que Dorase saisit d'une main tremblante. Elférad reprit l'interrogatoire :

    -C'était encore une lettre ? Il t'a écrit ce que tu devais dire ?

    Un hochement de tête pour réponse.

    -Elle est où cette lettre ?

    L'adolescent se moucha avant de répondre :

    -Il était écrit que je devais la détruire. Je l'ai brûlé.

    Lyert répéta :

    -Il ment, si ça se trouve.

    Elférad approuva :

    -Lyert, tu vas l'accompagner dans sa chambre. Tu fouilles de fond en comble. Si la lettre est encore là, tu me la rapportes.

    Son ami saisit le bras de l'héritier d'or qui commençait à peine à se ressaisir :

    -Allez, debout.

    L'autre ne chercha même pas à protester et suivit Lyert sans résister. Quand ils furent rentrés dans le bâtiment, Neghttris fit face à Elférad :

    -Personne n'est au courant de ce qu'il s'est passé entre la famille Thoun et notre clan. Comment... ?

    Matior coupa pour préciser :

    -Personne, sauf la famille Thoun et les membres de notre clan. Je veux dire, même nous qui étions trop petits à l'époque, on est au courant.

    Elférad commençait à s'impatienter :

    -Alors quoi ? On reprend depuis le début pour inclure des gens de l'extérieur dans la liste des suspects ?

    Par habitude, il se tourna vers Neghttris, mais pour une fois, celui-ci ne trouva rien à dire. Si ce n'est pas quelqu'un de l'extérieur, c'est que l'un de nous à trop parlé. Il ne put s'empêcher de jeter un regard vers Matior, avant de se détourner en espérant que son ami ne l'aurait pas remarqué. Neghttris fut beaucoup moins délicat :

    -T'aurais pas encore parlé à tort et à travers, Matior ?

    Choqué que l'on puisse le soupçonner, celui-ci se rebiffa :

    -Non, bien sûr que non. Je sais tenir ma langue quand il faut quand même.

    Neghttris montra par son expression qu'il n'en croyait pas un mot. Matior se tourna vers Elférad :

    -Je te jure. J'ai rien dit sur cette histoire. Pourquoi j'en parlerais ?

    Elférad fut tenter de le croire et pour apaiser Neghttris, il annonça :

    -On n'a pas assez d'info pour conclure quoique ce soit, il vaut mieux...

    Neghttris le coupa :

    -On a déjà conclu que cela ne venait pas de l'extérieur parce qu'il y avait le numéro de votre chambre sur l'enveloppe. Hors, qui à part nous sait ce qu'il s'est passé entre la famille de Gzadien et notre clan ?

    Matior s'empressa de répéter en élevant le ton :

    -J'ai rien dit. Je jure, j'ai rien dit.

    Neghttris fit un pas vers Matior, exaspéré :

    -Et qui ça pourrait être ? Tu passes ton temps à raconter toute notre vie à de parfaits inconnus. Si ça se trouve, tu ne t'en rappelles même plus...

    -Neghttris, ça suffit !

    Il se tut aussitôt à l'ordre d'Elférad. Celui-ci s’exhortait au calme avec de plus en plus de difficulté, mais il savait que cela finirait mal s'il se laissait emporter :

    -Ça ne sert à rien de nous battre. Matior dit qu'il n'a rien dit, il n'a rien dit, point. Il reste Lyert, toi et moi.

    Neghttris ajouta à voix basse :

    -Et Gzadien.

    Loin de se laisser démonter par cet ajout, Elférad reprit :

    -Et Gzadien. Mais pourquoi on s'enverrait des lettres à nous-même ?

    Matior tenta d'une petite voix :

    -Parce que t'as pas d'ami qui t’écrive et que ça te brise le cœur.

    Il leva discrètement les yeux pour vérifier l'effet de sa remarque et fut soulagé de voir que Neghttris laissait échapper un sourire. Elférad rit doucement :

    -Sérieusement.

    Il y eut un silence. Au bout de plusieurs minutes, comme il semblait que personne n'avait de théorie à proposer, Elférad proposa :

    -On va manger ? On réfléchira plus tard.

    Ses amis accueillirent la proposition avec soulagement et ils se rendirent au réfectoire. Lyert finit par les retrouver quelques instants plus tard et leur apprit qu'il n'avait rien trouvé. Elférad n'était pas vraiment étonné.

    -Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

    Il répondit à Lyert en disant :

    -Vous rien. Moi, je vais interroger Gzadien.

    Ils le regardèrent comme s'ils s'attendaient à ce qu'il dise qu'il s’agissait d'une plaisanterie, mais il n'en fit rien. Alors, Neghttris lâcha :

    -Il va être furax.

    Elférad n'en doutait pas un instant, mais il n'avait pas tellement le choix. Si je lui demande gentiment...

    -Il mange pas avec nous, au fait ?

    Matior se tournait pour tenter d'apercevoir Gzadien, mais il restait invisible. Elférad haussa les épaules :

    -Apparemment non.

    Neghttris glissa :

    -Ça fait deux jours au moins, qu'il ne mange plus avec nous.

    Elférad saisissait bien le sous-entendu, mais l'ignora en répondant :

    -Il s'est peut-être trouvé de nouveaux amis.

    Lyert prit un air dégoûté :

    -On est parfait, qu'est-ce qu'il lui faut de plus ?

    Matior rit, mais Neghttris observait Elférad avec inquiétude. Celui-ci finit par se lever :

    -Bon, j'y vais. On se voit demain.

    Il quitta la pièce sans un regard en arrière, réfléchissant à la façon dont il pourrait lancer la discussion avec Gzadien. Quand il arriva dans leur chambre, ce fut pour la trouver de nouveau vide. Il ne s'inquiéta pas pour autant et fit ses devoirs pour patienter jusqu'à l'arrivée de l'héritier d'argent. Celui-ci revint à peine quelques temps avant le début du décompte.

    -Eh bah, t'étais où ?

    Gzadien ouvrit les bras d'un air joyeux :

    -Je t'ai manqué ?

    Elférad se mit à rire :

    -J'ai survécu.

    Il observa l'adolescent qui s'installait à son bureau en continuant de se demander comment lancer la discussion. Finalement, il opta pour la simplicité :

    -Tu te souviens de l'héritier d'or qui nous envoyait les lettres ? Celui qui était complètement flippé.

    Gzadien réfléchit un instant :

    -Celui de la chambre d'à côté ? Oui, pourquoi ?

    -Il nous est tombé dessus tout à l'heure. Il a fait allusion à ce qui est arrivé à Trinitores.

    Même en ne voyant que son dos, Elférad sentit qu'il se crispait. Il se tourna vers son petit-ami avec lenteur :

    -Trinitores ?

    Elférad acquiesça :

    -Il ne savait pas grand chose. Une lettre lui est parvenue pour lui demander de nous dire deux trois phrases et voilà. Ce crétin ne s'est pas posé de questions. Il n'avait pas la moindre idée du sens de ce qu'il racontait.

    Il avait à présent, toute l'attention de Gzadien :

    -Elle est où cette lettre ?

    -Il a dit l'avoir détruite, mais j'ai quand même envoyé Lyert vérifier. Il a rien trouvé.

    L'adolescent le dévisagea en attendant la suite.

    -Comme Neghttris l'a fait remarqué, la personne qui envoie les lettres ne peut être qu'un élève. Hors, parmi les élèves, seuls cinq connaissent cette histoire. Matior a juré qu'il n'avait rien dit et je le crois. Il reste Neghttris, Lyert, toi et moi.

    Gzadien garda le silence, toujours en le dévisageant, alors Elférad s'empressa d'ajouter :

    -Je te fais confiance, autant qu'à eux.

    Le jeune homme poussa de son pied sur le bord de son bureau pour propulser son siège à roulette jusqu'à Elférad :

    -Je sais.

    -...Mais, j'ai trop de question.

    Gzadien s'installa correctement sur son siège pour lui faire face :

    -Je comprends. Vas-y.

    Elférad procéda dans l'ordre :

    -Comment tu as pu devenir un héritier d'argent ?

    Gzadien battit des paupières :

    -Je pensais que tu me parlerais de mes progrès sur les lettres, mais soit. Je ne sais rien de sûr, mais je pense que mes parents ont payé une petite fortune.

    Elférad fronça les sourcils :

    -Payé ? Le directeur ?

    -Non, la grande famille de notre clan. Ils n'ont pas d'héritier, alors ils se sont laissés convaincre assez facilement.

    Elférad restait perplexe :

    -Se laisser convaincre ? Avec le passé de ta famille ?

    Gzadien sourit :

    -Oui, hein ? C'est un clan pas très important et pas très riche. Ils étaient à deux doigts de s'écrouler, d'être dissous. Puis, mes parents sont arrivés, avec leur argent. Beaucoup d'argent. Alors, disons que tout le monde était gagnant en m'envoyant ici.

    Elférad hocha la tête :

    -OK, mais, du coup, quelqu'un de ce clan a-t-il été mis au courant de ce qu'il s'est passé ? Le chef ?

    Gzadien répondit par la négative :

    -Mes parents restent discrets. Ils ne tiennent pas non plus à ce que ça s'ébruite.

    Avant qu'Elférad ne le demande, Gzadien ajouta :

    -Pour les lettres, je ne peux pas dire que je progresse encore. J'ai quelques difficultés à trouver certaines infos.

    A nouveau, avant qu'Elférad puisse réagir, il dit :

    -Mais, je n'ai pas besoin de ton aide.

    Elférad sentit que même si cela avait été le cas, il ne lui aurait rien demandé. Cependant, il avait une dernière question :

    -Tu penses toujours que ce n'est lié qu'à ta famille ? Si c'était le cas, je ne pense pas que ma famille aurait été incluse dans le message que l'autre nous a transmis tout à l'heure.

    Gzadien resta un instant silencieux.

    -Elf, je me débrouille.

    Le ton incisif dissuada Elférad de continuer. De toute façon, j'ai posé les questions les plus importantes. Malgré tout, il glissa l'air de rien :

    -Comme aucun de nous cinq n'a raconté ce qu'il s'était passé, qui peut en avoir connaissance à part nous ?

    Gzadien retrouva son sourire :

    -Ça, c'est une bonne question.

    Il poussa du pied sur le sol pour retourner à son bureau. Discussion terminée, donc. Elférad soupira et alla à la douche.

    Quand il se réveilla au cours de la nuit, il se découvrit seul dans le lit. L'adolescent se redressa pour s'assurer que Gzadien se trouvait dans l'autre lit, avant de se laisser retomber, de s'emmitoufler dans les couvertures et se rendormir. L'héritier d'argent devait être de mauvaise humeur suite à leur discussion. Il était du genre à montrer son mécontentement par des actes plus que par des paroles. Elférad ne s'en inquiéta pas.c 

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