• Soliflane écoutait les paroles de sa mère avec avidité. A ses côtés, son cousin était tout autant suspendu aux lèvres de la jeune reine. Ils arrivaient à son passage préféré :

    -Les fées annoncèrent que le baiser d’un prince réveillerait la princesse de son sommeil...

    -Mais il faut que la princesse ait dormi cent ans avant.

    Le jeune prince jeta un regard mauvais à son voisin qui venait de gâcher la fin de l’histoire. La reine sourit avec douceur :

    -C’est vrai, c’est ainsi que la fée a modifié la malédiction.

    -Alors comment on saura que ça fait cent ans ?

    -De nombreux princes sont allés à ce château au fil des ans, aucun n'a réussi à briser la malédiction. C’est que le temps n’était pas encore écoulé ou bien que ce n’était pas le bon prince.

    Soliflane observa son cousin pour voir si la réponse le satisfaisait et s’il y avait un espoir d’avoir la suite de l’histoire.

    -Mais, il n’y a pas des épreuves alors ?

    Cette fois, Soliflane gronda :

    -Tu le saurais si tu écoutais la fin de l’histoire.

    Son cousin fit la moue et la reine tapota la tête de son fils en disant :

    -Allons, allons, c’est normal de se poser autant de question.

    Elle tendit la main à son neveu :

    -Viens, je vais te montrer quelque chose.

    Elle le mena à la fenêtre, son fils sur les talons, sachant déjà ce qu’elle voulait lui montrer. Par l’ouverture, on pouvait apercevoir des vallons s’étendrent jusqu’à l’horizon, puis au loin, une forme immense et sombre surgissait. Son cousin fronça les sourcils :

    -Qu’est-ce que c’est ?

    -Le royaume de la belle endormie. Cette masse que tu vois, ce sont les ronces qui recouvrent le château, c’est ce qui empêche les importuns d’entrer. Seul un prince peut traverser. Le jour où la malédiction sera levée, les ronces disparaîtront.

    -Donc, n’importe quel prince peut entrer ?

    -Oui, c’est ce que l’on dit.

    Soliflane écoutait d’une demi-oreille le dialogue à ses côtés. Son regard était fixé sur le château maudit. En fait, il passait des heures à le regarder durant la journée. Il s’imaginait franchir le seuil du château, grimper les escaliers, traverser les salles peuplées de gens endormis jusqu’à la princesse.

    Une main lui caressa les cheveux et il se tourna vers sa mère :

    -Il faut aller se coucher.

    Il lui sourit avant de rejoindre sa nourrice. Puis, quand son cousin fut un peu éloigné, il revint sur ses pas pour embrasser sa mère et murmurer :

    -Tu crois que je pourrais essayer de sauver la princesse quand je serais grand ?

    Elle lui rendit son baiser en riant doucement :

    -Je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas, tu es prince, non ?

    Le garçon retrouva sa nourrice pour aller se coucher. Dans son lit, il se tourna vers la fenêtre. Celle de sa chambre ne donnait pas sur le château de la belle, mais il l’imaginait facilement. Sa mère lui avait toujours raconté cette histoire et depuis toujours, il ne pouvait s’empêcher de penser à la tristesse de la princesse, toute seule à attendre sans rien pouvoir faire.

    -Ne t’inquiètes pas princesse, si tu dors encore quand je serais grand, je viendrais essayer.

    Il ferma les yeux en essayant d'imaginer cent ans de sommeil. Et ce que, comme lui, elle se réveillerait sans se souvenir de ses rêves ? Sans réaliser le temps qui avait passé ?

     

    Soliflane avait grandi sans quitter des yeux le château envahit de ronce et son trésor. Sa mère lui raconta l’histoire jusqu’à sa mort et le prince continua à y repenser, jusqu’à ses dix-sept ans où il décida d’accomplir sa quête. 

    Soliflane regarda la carte avec insistance, leva les yeux vers son père, revint à la carte. Un sourire étira progressivement les lèvres du roi :

    -Tu n’y comprends pas grand-chose, n’est-ce pas ?

    Le jeune homme lâcha un soupir :

    -Une chance que vous n’ayez pas persisté dans la voie de la cartographie. Ça ne veut rien dire, j’ai une rivière, puis deux qui semble se changer en bois…

    -Tu exagères. C’est un ruisseau en fait, qui rejoint une rivière, là tu vois ?

    Le prince fixa son père d’un air perplexe avant de dire :

    -C’est très gentil de vouloir m’aider, mais je pense que je devrais prendre une vraie carte, avec des dimensions correctes, des détails comme ça. Je voudrais au moins arriver jusqu’au château.

    Le roi haussa les épaules :

    -Très bien, je vois bien que je n’ai pas affaire à un connaisseur.

    Ils se sourirent alors que Soliflane repliait la carte, avant d’en chercher une nouvelle, dans la large bibliothèque qui couvrait le mur du bureau de son père. Pendant qu’il fouillait, le roi s’assit dans le large fauteuil en soupirant pour regarder son fils s’agiter :

    -Je suis bien content que tu te lances dans cette aventure, tu sais.

    Le prince déplia une carte, l’observa un instant avant de la ranger et reprendre sa fouille. Les yeux dans le vague, le roi se perdit dans ses souvenirs, comme cela lui arrivait souvent depuis la mort de sa femme :

    -Quand j’ai épousé ta mère, elle me parlait sans cesse de la belle endormie.

    Soliflane sourit :

    -Je sais, père. Elle en parlait à tout le monde.

    Le roi rit :

    -C’est vrai, mais elle a grandi avec ce château à sa fenêtre, comment aurait-elle pu ne pas y penser ? Elle avait tant de peine pour cette princesse, si seule là-bas.

    Le prince trouva une carte satisfaisante, hocha la tête et la coinça dans sa ceinture en répondant :

    -Je suis bien d’accord. C’est pour cela que j’espère pouvoir la libérer.

    Le roi se leva et ouvrit les bras pour une dernière étreinte. Soliflane le serra fortement avant de le relâcher :

    -Ne t’inquiètes pas. J’y vais, je l’embrasse, si ça marche tant mieux, sinon tant pis. Je rentre vite.

    -Tu veux que je te dise quelque chose que tu ignores sur ta mère ?

    -Comment ? Est-ce possible ?

    Le roi rit de nouveau :

    -Moques-toi, grand crétin. Un jour, elle m’a dit qu’elle aurait voulu naître homme, car alors elle aurait pu tenter d’aider la princesse elle-même.

    Soliflane imaginait très bien sa mère dire ce genre de chose.

    -Eh bien, j’accomplirais ce qu’elle rêvait de faire.

    -Evidemment, pourquoi crois-tu qu’elle t’ait autant rabâché les oreilles avec cette histoire ?

    Le prince écarquilla les yeux, en déclarant d’un air hébété :

    -Par tous les lutins de la forêt, j’ai été manipulé par ma propre mère.

    Le roi hocha la tête d’un air faussement grave :

    -Oui, te voilà obligé de faire le bien, c’est scandaleux.

    -On devrait peut-être attendre de voir si je la réveille avant de parler de bien.

    -Tu as probablement raison.

    -Et pour cela, il faudrait déjà que je me mette en route.

    -C’est vrai.

    Le roi accompagna son fils jusque dans la cour, où un jeune garçon tenait un cheval sellé attendant son maître.

    -Tu as tout ce qu’il te faut, tu es sûr ?

    -Certain, père, ne vous inquiétez pas.

    -Très bien.

    Une nouvelle étreinte. Soliflane monta en selle et quitta le château.


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