• Un coeur à cent à l'heure ( Boy's love)

    Un coeur à cent à l'heure ( Boy's love)

  • Son poing était maintenant douloureux, mais tant pis. L'autre l’avait bien cherché. Affalé sur la chaise, les jambes étendues, Nouphilo fixa sa main. Ça finirait bien par passer, cela finissait toujours par passer. On referma la porte de l’infirmerie et il enfonça encore plus sa casquette sur sa tête. Une autre chose qu’il allait sentir passer, mais qui ne partirait pas de sitôt. Nouphilo ramena ses jambes quand son chef de dortoir se mit devant lui. Une main saisit sa visière pour la relever et il porta son regard sur le visage du garçon debout qui le dominait.

    -Pour une fois, par pitié, dis-moi que tu avais une raison valable.

    -C’est lui qui a commencé.

    Il savait bien que ce n’était pas ce que Erlhas entendait par une raison valable, mais c’était la seule qu’il avait. À vrai dire, c’était celle qu’il sortait à chaque fois et il comprenait que l'adolescent soit lassé. D’ailleurs, celui-ci reprit en soupirant :

    -Il m’a dit qu’il t’avait bousculé…

    Sans attendre la suite, Nouphilo se redressa d’un coup, le pointant d’un doigt triomphant :

    -AHA ! Tu vois qu’il a commencé !

    -Sans le faire exprès parce que le couloir était étroit, Nouphilo !

    Il se laissa retomber sur sa chaise :

    -Je te sens un peu tendu.

    -Un peu…

    Erlhas serra les poings, se passa la main sur le visage, se détourna avant de revenir à Nouphilo :

    -Combien de fois tu vas faire le coup ! Ça fait pas un an que tu es dans cette école et tous les mois, je suis convoqué à l’infirmerie !

    Nouphilo grimaça :

    -Ça fait mal aux oreilles quand tu cries.

    -Je sais, c’est pour ça que je crie !

    -Ah, d’accord.

    -Dis-moi, tu comptes continuer à tabasser tous ceux qui t’effleurent ?!

    Nouphilo veilla à préciser :

    -Pas les filles quand même, je ne suis pas une brute.

    -Assez !

    Nouphilo s’empressa de rabaisser sa casquette et de rentrer la tête dans les épaules.

    -J’en ai marre de ton comportement ! Tu te rends compte que je n’ai plus le choix. Cette fois, tu finis chez le directeur !

    Il était temps pour Nouphilo de passer au plan B. Il releva légèrement la tête et fit la moue.

    -Ah non, n’essaie même pas, pas cette fois ! Ça ne peut pas continuer, tu t’en rends compte j’espère !

    Pour toute réponse, Nouphilo le fixa avec des yeux humides de larmes.

    -Ça suffit ! Retourne en cours de suite !

    Nouphilo se leva, se donnant l’air le plus pathétique possible, et commença à s’éloigner. Il avait fait le coup à chaque fois et cela n’avait jamais manqué. Erlhas était un garçon qui criait facilement pourtant il n’avait jamais mis ses menaces à exécution. Car oui, ce n’était pas la première fois qu’il le menaçait de l’envoyer chez le directeur, même d’expulsion une fois. Seulement voilà, Nouphilo était toujours là, car il avait vite compris que son chef était trop gentil. Aussi, il ne fut pas étonné de l'entendre appeler :

    -Nouphilo.

    Il se retourna et attrapa au vol le petit paquet de bonbons que Erlhas avait sorti de sa poche pour lui envoyer.

    -Je dirais rien au directeur, précisa Erlhas d’un air coupable, mais il faut que ça s’arrête. Tu comprends ?

    Nouphilo lui offrit son plus beau sourire avant de partir en courant. On ne savait jamais, des fois qu’il changerait d’avis.

    Il dévala l’escalier allègrement pour se rendre à son cours de math. Une fois devant la porte, l'adolescent s’arrêta et regarda sa montre. Il restait une demi-heure avant la fin du cours, était-ce vraiment nécessaire ? Le jeune homme estima que non. Après tout, il avait des sucreries à déguster. Il tourna les talons, fit quelques pas avant de s’arrêter. Qu’il manque les cours en plus et cela retomberait sur Erlhas. Il fixa les bonbons dans sa main, être gentil une fois de temps en temps, ça ne le tuerait pas. Il fit demi-tour à nouveau et alla frapper à la porte de la salle.

     

    Le cours était long et pourtant Nouphilo en avait loupé la moitié. Avec application il traça son trait, observa sa figure et effaça le tout. Il avait vite compris que le professeur de math était de ceux qui interrogeaient uniquement les élèves qui avaient fini de copier le cours. Autant dire que Nouphilo n’en finissait pas de copier. Non pas qu’il soit nul en math ou dans tout autre matière d’ailleurs, il se cramponnait à son douze de moyenne générale sans trop de difficulté. Il était d’ailleurs toujours perplexe quant à la raison de sa présence dans cette école.

    Lorsqu’il avait reçu sa lettre d’admission il avait éclaté de rire. L’école d’élite était réservée en priorité aux enfants issus de familles influentes, mais ceux de familles moins favorisées pouvaient l’intégrer. Les parents de ces enfants devaient se saigner à blanc pour les faire inscrire et les enfants devaient être des studieux sans histoire. Nouphilo n’était pas particulièrement studieux et certainement pas sans histoire, c’est pourquoi il avait cru à une mauvaise blague. Puis il apprit que sa mère avait postulé pour lui et avait fait tout son possible pour qu’il y aille. L'adolescent n’avait rien trouvé à redire, à part pour les dortoirs. Les riches pouvaient demander une chambre personnelle, alors que les autres étaient deux par chambre et partager sa chambre, ça, c’était hors de question. Il avait donc poussé sa mère à lui obtenir une chambre individuelle malgré son statut et elle s'était empressée de le satisfaire. Elle aurait fait n'importe quoi pour ne plus le voir chez elle.

    A dix-sept ans, Nouphilo s’était retrouvé ici, au milieu de personne qui, pour la plupart, se connaissait depuis la primaire, sans que cela ne le dérange plus que cela. Cela avait été une bonne nouvelle finalement, une fois diplômé de cette école, il n’aurait plus à rentrer chez lui.

    -Nouphilo, on peut savoir ce qui t’amuse ?

    -Non, monsieur.

    Il fit la grimace en réalisant ce qu’il venait de dire.

    -Dans ce cas, tu seras assez aimable pour me donner la réponse.

    -Oui, monsieur, si vous me redonnez la question.

    La moitié de la classe éclata de rire.

     

    Lorsque la sonnerie se décida à retentir, annonçant le déjeuner, Nouphilo laissa les autres sortir de la pièce avant de se lever à son tour. Il s’arrêta à la porte pour voir le monde qui se trouvait dans le couloir. Quand enfin il fut presque vide, le garçon se glissa dehors, passa le réfectoire sans y jeter un regard pour se faufiler directement dans les cuisines :

    -Coucou, Silili.

    La vieille cuisinière lui jeta un regard noir au-dessus de sa marmite :

    -Suffis, jeune homme. J’ai passé l’âge des surnoms.

    Il prit un air innocent en évitant de justesse la jeune fille qui sortait servir les élèves.

    -Oui, Silili. Je peux avoir mon manger s’il te plaît, dit-il en allongeant la dernière syllabe.

    La cuisinière plaça un couvercle sur sa marmite avant de l’observer :

    -À ton âge, tu devrais manger avec les autres, te faire des amis.

    -C’est d’un commun.

    -Pourquoi pas avec le petit Erlhas, poursuivit-elle en sortant une casserole. Il est si gentil. Quand il était en première année, il venait me donner un coup de main en cuisine dès qu’il avait le temps.

    -Dis plutôt qu’il venait te draguer, grande coquine va.

    Il reçut quelques épluchures de pommes de terre en contrepartie.

    -C’est un gentil garçon à qui tu poses bien des problèmes à ce que j’ai entendu dire.

    Là, il ne pouvait pas nier.

    -Cette année, il a de nouvelle responsabilité. Chef de dortoir, c’est important et il est toujours occupé. Tu ne lui facilites pas la tâche, c’est la première fois qu’il est chef de dortoir.

    Nouphilo fourra un bout de salade dans sa bouche :

    -En même temps, il est en deuxième année, c’est normal que ce soit la première fois…

    -Toi, le coupa la cuisinière, tu n’es qu’en première année, tu devrais lui montrer un peu de respect.

    -Mais il en a dans tous les coins du respect. Tout le monde l’aime, il est génial, magnifique….

    -La jalousie ne te mènera nulle part, jeune homme.

    -Je ne suis pas jaloux. J’ai juste quelques difficultés de communication.

    Silili repoussa une mèche grise et le toisa deux minutes, avant de laisser échapper un sourire :

    -Ton déjeuner est dans le frigo.

    -Merci, tu es une déesse.

    Elle eut un petit rire et retourna à ses fourneaux. Nouphilo se dirigea vers le frigo, l’ouvrit et trouva de suite une boîte de plastique avec son nom dessus. Il la passa au micro-ondes posé non loin, en profita pour récupérer des couverts et s’éclipsa par la porte de service.

    La neige avait fondu depuis quelques semaines déjà mais l’air restait froid. Le garçon referma son manteau autour de sa boîte pour la garder au chaud et longea le bâtiment des salles d’art. Au ras du sol de vieilles fenêtres menaient sur différents débarras. Celle qui l’intéressait se trouvait presque au bout du bâtiment. Il l’avait trouvé par hasard en cherchant un endroit où manger alors que l’hiver était encore rude. Cette fenêtre était toujours ouverte. Sans doute était-elle coincée, mais personne n’avait pris la peine de la réparer. Ce qui l’arrangeait bien. Nouphilo posa sa boîte sur le sol et se glissa par l’ouverture, puis il récupéra son déjeuner.

    L'adolescent atterrit alors dans un petit débarras plein de produits ménagers, de serpillières et de seaux. Il s’avança vers la porte, qui n’était pas fermée, pour entrer dans une salle de musique qui n’était plus utilisée depuis des années. De vieux instruments étaient entassés là et il avait profité de ses nombreuses visites pour arranger un peu le désordre. Sa meilleure trouvaille était un vieux piano désaccordé qu’il avait réussi à tirer au milieu de la salle. Il posa sa boîte par terre près du tabouret et se leva en faisant un geste magistral du bras :

    -Bonsoir, aujourd’hui nous allons vous interpréter une œuvre inconnue de Beethoven.

    Il s’installa, ferma les yeux, inspira profondément et se mit à jouer dans un désaccord le plus total. Nouphilo s’acharna sur le piano quelques minutes avant de s’arrêter pour saluer son assemblée invisible :

    -Merci, et maintenant, mangez.

    Nouphilo ouvrit sa boîte et dégusta son déjeuner en réfléchissant au reste de la journée. Il lui faudrait penser à aller chercher ses livres dans sa chambre s’il ne voulait pas avoir une colle.

    Quelques minutes plus tard, l'adolescent ressortait par la fenêtre après avoir veillé à refermer la porte du placard. Il prit son temps pour retourner vers la cantine, histoire de profiter du peu de temps libre qu’il lui restait, puis se glissa directement dans les cuisines.

    -Silili, me revoici.

    La femme qui était en train de nettoyer le plan de travail ne prit pas la peine de lever la tête :

    -Lave la boîte et file.

    Nouphilo obéit docilement avant de repartir par le réfectoire à présent à moitié vide. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il avait encore le temps et, sans se presser, il se dirigea vers les dortoirs. Il monta au second étage et emprunta le couloir qui menait à sa chambre. Il était presque devant la porte lorsqu’un garçon l’approcha :

    -Hé, toi.

    Il se tourna pour répliquer avec un aimable :

    -Quoi ?

    -Pourquoi t’as frappé Fredihl.

    C’est qui çui-là ? Nouphilo dévisagea son interlocuteur en espérant éveiller un quelconque souvenir.

    -Il t’avait rien fait.

    Nouphilo fit un effort et peu à peu une image se dessina. Ce ne serait pas le copain du gars de ce matin ?

    -Tu m’écoutes oui ?!

    Le garçon lui saisit l’épaule et avant même qu’il ne s’en rende compte, Nouphilo avait serré le poing, reculait et détendit le bras. Ce n’est qu’une fois l’autre à terre qu’il réalisa ce qu’il venait de faire. Il fixa son poing encore fermé avant de relâcher.

    -Oh, merde ! Je suis vraiment désolé….

    Par terre, l’autre se frottait la mâchoire en le fusillant du regard :

    -T’es vraiment malade !

    -Oh, un peu. Dis rien s’il te plaît, je te donnerais des bonbons si tu veux. Si tu vas te plaindre, Erlhas va m’engueuler… encore et deux fois dans la journée tu comprends…

    Il continuait d’essayer de le convaincre alors que l'adolescent dévalait déjà les escaliers. Penché par-dessus la rambarde, Nouphilo le regarda descendre sans se faire d’illusion et soupira en pleurnichant :

    -Erlhas va me casser la gueule.

     


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