• -Écoute ça, Erlhas.

    Sebizan lut un passage de son livre à haute voix qui le fit mourir de rire, alors que son frère se contenta d’un pâle sourire. Sa discussion avec le secrétaire le tourmenté, mais il ne voulait pas appeler sa mère maintenant. Il préférait attendre que les cours soient finis afin que leur discussion ne soit pas coupée par une sonnerie. Il n’avait rien dit à Sebizan sachant que ce n'était pas de lui que viendrait la solution.

    La fin de la journée dura une éternité. Quand le dernier cours se termina, il se dirigea à l’écart en se contentant de lancer à Sebizan :

    -Je vais appeler ma mère, j’arrive.

    Une fois au rez-de-chaussée, Erlhas sortit son portable en continuant vers l’extérieur. Au bout de trois sonneries, la mère de Sebizan répondit :

    -Allô ?

    -Jinia ? C’est moi, tu peux me passer ma mère, s'il te plaît ?

    -Bien sûr, mon petit lapin, de suite.

    Erlhas ne pouvait s’empêcher de sourire chaque fois qu’elle lui donnait ce genre de surnom, comme s’il était encore le petit garçon qu’elle avait adopté.

    -Allô ?

    -Maman ?

    -Oui, mon petit chat, qu’est-ce qu’il y a ?

    -Papa a appelé le directeur pour se plaindre.

    -Comment ça ?

    -Bah, la visite tu sais, ça lui a pas du tout plus, du coup, il a appelé pour leur expliquer que c’était honteux, que de son temps blabla.

    -Mais…. il est con ?

    -C’est clair, mais du coup, j’ai été convoqué.

    -Pourquoi ?

    -Il veut me faire changer d’école.

    -Quoi ?

    -Papa veut m’envoyer en pension dans le nord.

    -Mais bien sûr et tu serais où pendant les vacances ?

    Ils arrivaient à la partie qui l’angoissait le plus. Il s’entendit répondre d'une voix étranglée :

    -Chez lui.

    Il avait passé son temps à se répéter qu’il n’était plus un petit garçon, que ça irait. Pourtant à cet instant, il priait juste pour que sa mère ne redevienne pas la créature craintive qu’elle avait été. Dis quelque chose, s’il te plaît, maman, dis quelque chose.

    -Mais….il se prend pour qui ? Je rêve ! C’est n'importe quoi ce gars.

    Le soulagement l’envahit comme une vague chaleureuse.

    -T’occupes pas de ça, va. Je vais l’appeler, on va régler ça, t'inquiètes pas, d'accord ?

    -Oui, OK, merci, maman.

    -Allez, gros bisous et t’inquiètes pas, hein ?

    -Promis, bisous.

    Lorsqu’il raccrocha, toutes ses inquiétudes s’étaient évaporées. Le responsable monta les marches quatre à quatre jusqu’au dortoir, jeta un coup d'œil par réflexe vers la chambre de Nouphilo, avant d'entrer dans la sienne. Sebizan, assit à son bureau, se redressa en le voyant entrer.

    -Alors ?

    -Alors, on dirait presque que tu bosses.

    Sebizan lui fit une grimace avant de reprendre.

    -Non, pourquoi t’as appelé ta mère.

    Erlhas posa son sac, s’assit à son propre bureau et prit son cahier de texte.

    -Comme d’hab.

    -D’habitude, tu l’appelles quand tu as des problèmes. C’est quoi le problème ?

    -Et si j’ai pas envie de te le dire ?

    -Ça me brisera le cœur et je mourrais, là, par terre sur le sol sale à tes pieds qui pus.

    -Je voudrais bien voir ça.

    Sebizan se mit à grimacer en se tenant la poitrine avant de se laisser tomber. Erlhas rit :

    -OK, mon père veut me faire changer d’école.

    Sebizan se releva d’un bond, ne plaisantant plus du tout :

    -Quoi ?

    -Eh oui.

    -Mais il a pas le droit, si ?

    -Je crois que si, mais ma mère m'a dit qu'elle s'en occuperait. Avec la tienne en renfort….

    -Tu es sauvé.

    -Je l’espère.

    -Sinon tu vas où ?

    -Dans le nord.

    -Il fait froid dans le nord.

    -Eh oui.

    -Tu crois qu’il voudra bien me transférer aussi ?

    -Je sais pas. On verra le moment venu, s’il arrive.

    Sebizan fit une moue boudeuse et retourna s’asseoir à son bureau. Il fixa ses devoirs sans passion, puis un sourire vint éclairer son visage :

    -Nouphilo te cherchait tout à l’heure. Je lui ai dit où te trouver.

    -Je sais.

    -Et alors ?

    -Alors quoi ?

    -Il voulait parler…. ?

    Erlhas leva les yeux :

    -Il m’a simplement dit que le secrétaire me cherché.

    -Et ?

    Erlhas soupira avant de faire face à son frère :

    -Tu te souviens de ce que tu me disais avant que je l'invite à sortir ? Qu'avec lui c'était perdu d'avance, eh bien, il s'avère que tu avais raison.

    Il retourna à ses devoirs, mais ses pensées commencèrent à dévier vers Nouphilo. L'adolescent l’avait à peine vu durant ces deux semaines. Loin des yeux, loin du cœur à ce qu'ils disent. Cela ne semblait pas beaucoup marcher pour lui. Lorsqu'il était venu le voir plus tôt, son cœur avait bondit si fort en le voyant qu'il avait craint un instant qu'il ne sorte de sa poitrine. Le jeune homme avait été surpris de son calme et de sa maîtrise qu'il avait déployé pour lui parler le plus naturellement du monde. Plusieurs fois, au cours de ces deux semaines, il avait voulu le voir, lui demander pardon, sachant pourtant qu'il n'avait pas à s'excuser, juste pour le revoir sourire encore une fois. De là, Erlhas se rappela d'un matin en forêt et d'un coup de vent opportun. Un sourire rien que pour moi. Comme sa gorge se serrait, il la racla avant de revenir à ses devoirs, mais Sebizan ne semblait pas de cet avis :

    -C’est avant qu’il dise oui.

    -Quoi ?

    -Je pensais que t’avais aucune chance, mais c’était avant qu’il dise oui.

    Nouveau soupir :

    -Arrête, tu veux, on en a déjà parlé.

    -Oui, mais pas de Kart.

    Erlhas le fixa avec incompréhension et son frère précisa :

    -Kart, le grand frère de Tara.

    -Aaah, mais c’est quoi le rapport.

    -La plus grande peur de Kart.

    Erlhas fouilla dans sa mémoire. Tara avait été une fille de leur classe en primaire avec qui ils s’entendaient bien. Chaque année, elle les avait invité à son anniversaire où son grand frère jouait les DJ. Le temps passant, ils s'étaient éloignés, mais un jour, ils avaient retrouvé Kart par hasard et avaient discuté. Après la remémoration des vieux souvenirs, la discussion avait dérivé. Erlhas ne se souvenait plus du reste, seulement de Kart déclarant du haut de ses dix-huit ans : « Mes parents se disputent souvent. Parfois, j'ai la trouille qu'ils divorcent. »

    Erlhas déclara alors :

    -Il avait peur que ses parents divorcent.

    -A dix-huit ans ! Le gars a dix-huit ans, il a la trouille que ses parents divorcent.

    Erlhas leva les yeux au ciel avec exaspération :

    -Où tu veux en venir ?

    -Tu te souviens comme on s’est regardé et comme s’était difficile de pas rire quand il a sorti ça ?

    -Oui.

    -Pourquoi ?

    -Pourquoi quoi ?

    -Pourquoi on était à deux doigts de rire de la peur d’un autre ?

    -Sebizan.

    -Parce qu'elle n'était rien comparée à nos peurs. Ce gars, c'était comme s’il avait grandi dans un monde rose couvert de barbe à papa, passant son temps à gambader avec les bisounours dans de l'herbe sucrée ! Ce gars, il avait l'air...

    Erlhas acheva en se souvenant de ce qu’il avait ressenti à ce moment-là.

    -Trop pur, intact.

    Le genre de garçon qui aurait pleuré en apprenant son histoire, qui l’aurait pris en pitié, lui aurait fait des excuses sans même comprendre l’énormité de l’impact que son passé avait eu sur sa vie.

    -C’est quoi le rapport avec Nouphilo ?

    -Sa plus grande peur.

    -Être touché, je pense que je ne prends pas de gros risque en le disant.

    -Et ? Tu ne trouves pas ça drôle ?

    -Sebizan.

    -On ne trouve pas ça drôle parce qu’on l’a senti.

    -T’as fini ?

    -Il n’est pas pur, et certainement pas intact.

    Erlhas fronça les sourcils.

    -Je crois que, en quelque sorte, tu la sentis plus que les autres. Il est brisé comme tu l’as été et je suis sûr qu'il est le seul qui pourrait vraiment comprendre, même plus que moi. Parce que bon, on peut pas dire que j'ai été très malheureux au final.

    Erlhas le laissa parler en repensant au moment où il avait raconté son passé à Nouphilo. Il avait écouté avec sérieux, gravité. A aucun moment, il ne s’était senti pris en pitié, le garçon ne s'était pas excusé de ce qui lui était arrivé. Sebizan avait raison. Erlhas s'était senti comprit et heureux. Mais le souvenir de Nouphilo en larme vint supplanter le premier. Il a eu peur de toi. C'est toi qui l'a effrayé. C'est ta faute.

    -Laisse tomber, Sebizan tu veux ?

    Son frère haussa les épaules :

    -Tout ce que je dis, c’est que, de toute façon, tu finiras par retenter le coup.

    -Tout ce discours pour en arriver là ?

    -Moque-toi, je sais que j’ai raison.

    Il se leva, préférant visiblement prendre une douche que de continuer ses devoirs. Erlhas ne put s’empêcher de ricaner.

    -Tu lis l’avenir maintenant ?

    -Exact.

    -Donc je suis maso, je vais retourner le voir un jour et lui redemander de sortir.

    -Exact.

    Il se glissa dans la salle de bains, tandis qu'Erlhas tentait de s’imaginer la scène. Tout se passait à nouveau dans la vieille salle à musique. Alors qu’il essayait de visualiser la réaction de Nouphilo, Sebizan réapparut soudain, les yeux ronds et un sourire qui découvrait toute ses dents :

    -Et devine quoi…. il dira oui.

    Il referma la porte de la salle de bains.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique