• Le dieu oublié (Fantastique)

    Ce n'est pas parce que l'on ne sait pas comment utiliser ses pouvoirs que l'on n'est pas un dieu. Ce n'est pas parce que le temple tombe en ruine et que l'on n'a pas de croyant que l'on n'est pas un dieu. Par contre, quand même les pigeons ne daignent pas rester vous tenir compagnie, on peut penser qu'il finit par y avoir un problème. Lutinor prend une décision drastique. Il est temps de redevenir un vrai dieu. Sans pouvoirs, sans connaissance, les choses ne seront pas facile...

  • Il se tenait devant les portes, hésitant. Il ne pouvait tout de même pas faire demi-tour maintenant. Quoique, à vrai dire, il n'était pas enfermé et personne ne l'avait vu. Il pouvait s'éclipser, l'air de rien et personne ne saurait jamais qu'il était arrivé jusque-là. Il baissa les yeux avec tristesse. Jusque-là... non, il ne pouvait pas renoncer maintenant. Il posa les mains sur les poignées de la porte aux doubles battants, inspira profondément et ouvrit...

     

    Quelques heures plus tôt

     

    Le temple des marais était une ruine. Il fallait dire ce qui était et il n'était pas du genre à mentir, surtout à lui-même. En partie dû au fait qu'il n'avait personne à qui mentir. Pour confirmer cette pensée, il jeta un regard sur les murs défraichis, le toit percé, le sol de bois vermoulu. Ah bah, non, non, je suis toujours tout seul. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs, le côté moisi est plutôt attractif. Il ricana pour lui-même provoquant l'envol d'un oiseau qui s'était perché sur une des vieilles poutres. Il tendit une main désespérée vers l'animal.

    -Ne me quitte pas, qui que tu sois.

    Mais le volatile poursuivi son vol sans un regard en arrière et probablement sans regret.

    -Je devrais peut-être m'inquiéter si même eux quitte le temple.

    Un rat gambada joyeusement devant lui avant d'aller se réfugier derrière une statue décapitée.

    -Je m'inquiéterais quand les rats partiront.

    Fort de cette décision, il s'était levé et avait sauté au bas de l'autel. Le temple était petit, tout petit. En fait, il ne s'agissait que d'une pièce circulaire. Il avait été plus grand à une époque, mais aujourd'hui seul cette petite pièce subsistée.

    Le temple avait été construit à une époque où un peuple s'était vu obligé de vivre dans les marais. La divinité qui était né alors, leur permettait de survivre, veillait à ce qu'ils trouvent de la nourriture, les protéger. Seulement, ce peuple s'éloigna peu à peu vers des terres plus propices, abandonnant le temple et le Dieu qu'ils avaient enfanté. La divinité avait continué de veiller sur les marais et ceux qui s'y égaraient. Puis il s'était trouvé un successeur, lui avait légué ses pouvoirs et avait disparu. De moins en moins de personne vinrent se perdre dans les marais et le temple fut complètement abandonné. La divinité n'avait pas tardé à léguer ses pouvoirs, son successeur avaient fait de même et ainsi de suite jusqu'à lui. Lui que la divinité précédente avait trouvé abandonné dans un ruisseau au cours d'une de ses promenades. Le Dieu avait été attiré par les braillements du bébé transi de froid. Il l'avait emmené au temple, l’avait nourri et protégé.

    Mais lorsque l'enfant eu dix-sept ans, il trouva la divinité assise sur l'autel, fixant la porte du temple. En vérité, la porte n'existait plus depuis longtemps et il ne subsistait qu'une ouverture laissant voir le chemin de pierre moussu à l'extérieur.

    -Maître Ritonym, vous n'avez pas l'air bien dernièrement.

    Il lui avait souri :

    -La mélancolie, Lutinor, la mélancolie.

    -ça à l'air..., après quelques secondes de réflexion sans trouver de mots plus appropriés, il acheva par : pas drôle.

    Cela lui avait arraché un petit rire :

    -En effet. Je suis un Dieu sans croyants et je garde un temple sans raison...

    -Vous allez partir, c'est ça ?

    Lutinor n'était pas surpris. Son maître ne lui avait jamais caché la raison de ces nombreuses divinités qui s'étaient succédées dans ce temple. Cela tenait en un mot : l'ennui. Un Dieu une fois créé ne pouvait pas disparaître ou plutôt son pouvoir. Il pouvait le laisser à qui bon lui semblait digne de prendre la relève. Cela signifiait rester dans le temple assigné et ses alentours la plupart du temps et, dans leur cas, sans voir personne.

    -Tu m'en voudrais ?

    -Pardon ?

    -Si je partais. Si je désirais retrouver ma vie d'autrefois.

    Lutinor y avait déjà réfléchit alors ce fut sans hésiter qu'il avait répondu :

    -Non, pas vraiment. Moi j'ai grandis ici, je ne connais rien d'autre. Ça ne me dérange pas de rester ici... tout seul... pour l'éternité.

    Ritonym l'avait fixé d'un air amusé et Lutinor s'était senti obligé de conclure :

    -Sans vouloir vous faire culpabiliser.

    Finalement, il s'était approché pour poser la main sur sa tête, un geste qu'il faisait régulièrement depuis toujours. C'est que Lutinor n'était pas très grand pour son âge.

    -Tu ne vieilliras plus tant que tu auras ce pouvoir.

    -Je sais, mais il y a pire.

    -Crois-tu ?

    Par la suite, Lutinor s’interrogerait souvent sur le sens de cette dernière phrase. La dernière que lui ai dit son maître. Après, ils étaient allés dormir dans la petite cabane située à l'écart du temple, invisible aux yeux des mortels. Le lendemain, Lutinor vit la marque divine du marais sur sa paume, signe qu'il en était à présent le Dieu et son maître avait disparu.

    Le temps ne s'écoulait pas de la même manière pour les dieux et les humains. Aussi, il aurait été bien en peine de dire combien de temps s'était écoulé depuis ce jour. Il avait passé son temps entre promenade et profonde réflexion. Réflexion sur son rôle de dieu. La seule réponse qui s'imposait était qu'il ne servait, eh bien, sans avoir peur des mots, à rien. A présent, ses réflexions avaient pour but de trouver une réponse plus engageante mais cela n'avait pas été un franc succès.

    Plusieurs fois il avait essayé de remettre à neuf le temple. Pourtant, il se décourageait rapidement en observant les restes qui l'entourait. Après tout il avait grandi dedans sans que cela ne lui pose aucun problème, alors pourquoi se fatiguer maintenant ? Il y avait ses pouvoirs aussi qu'il tentait désespérément d'utiliser. En tant que dieu, il en avait bien sûr. Le problème c'est que le mode d'emploi s'était perdu avec le temps. Sans croyants, ni prière à exaucer, les pouvoirs ne servaient à rien. Et sans personne pour le guider, Lutinor n'arrivait à rien.

    A présent, il se tenait debout devant cet autel qui lui servait plus de siège qu'autre chose, à compter les rats qui traînaient.

    -Comme si un dieu s'occupait de ce genre de chose. Mon pauvre garçon à quoi tu en es réduit ?

    Seulement voilà, son manque de pouvoir, son temple en ruine et sa propension à parler tout seul avait tendance à le pousser à croire qu'il n'était pas un dieu. Une pensée qui le saisissait régulièrement ces derniers temps et qui l'attristé profondément. Les dieux avaient des gardiens pour les soutenir. Des êtres puissants qui leur été fidèle chargé de les guider dans leur tâche, de les accompagner dans l'éternité. Lui, il avait des oiseaux au plafond.

    -Et qui m'abandonne à la première minute, vils couards ! Hurla-t-il au ciel, le poing levé.

    Il rit tout seul et s'arrêta en se rendant compte que cela pouvait être un signe de folie. Non pas que les dieux puissent devenir fous, mais comme dit plus tôt, il ne se sentait pas très divin. Un coup d'œil autour de lui le rassura :

    -Ce n'est pas comme si qui que ce soit pouvait témoigner de ma perte de raison, n'est-ce pas les rats ?

    Il prit le silence pour une réponse affirmative et resta quelques secondes à l'écouter. Pour la première fois, il lui sembla que ce vide lui pesait.

    -Un dieu...

    Il observa ses mains, incapable du moindre miracle et une nouvelle vague de tristesse l'étreignit. Soudain, il serra les poings et se redressa :

    -ça suffit, cria-t-il dans le silence, il faut que ça change !

    Comme rien ne se produisait, ce qui en soit été assez logique, il poursuivit avec moins d'assurance :

    -Maintenant, ce serait bien.

    A nouveau, rien.

    -Alors je ferais ça tout seul, comme d'habitude.

    Il commença à faire les cent pas pour y réfléchir sérieusement. Cela lui revint soudainement. Les divinités se réunissaient au cours de petites fêtes pour se donner les dernières nouvelles, l'occasion pour les délaissés d'avoir un peu de compagnie. Les règlements de compte s'y dérouler aussi et la présence de gardien était plus que conseillé. Cette raison étant la principale pour laquelle le dieu des marais ne s'y rendait plus depuis des siècles. Les invitations arrivaient toujours, mais jamais il n'y répondait. Lutinor se demanda où il avait bien pu mettre la dernière. Il sauta par-dessus l'autel, chercha dessous, souleva des pierres, fouilla dans les petits buissons qui commençaient à se faire leur place le long des murs. Il finit par s'assoir en tailleur pour essayer de se souvenir ce qu'il avait pu en faire. Dans le doute, il décida d'aller voir dans la cabane.

    -Invitation, petite invitation, où es-tu ? Chantonna-t-il durant le court chemin qui l'en séparé. Viens-à moi que je puisse me faire tuer par les méchantes divinité-é-és. Mais comme je ne suis jamais sorti-i-i, j'ai pas d'ennemi-i-i-is, alors je vais pas mourri-i-i-i. Je sais que ça ne se dit pas, mais on s'en fout il n'y a que moi et les RAAAAAAAATS. Tralalala zoinzoin.

    Il venait de fouiller son lit, avait regardait dessous sans succès. La pièce adjacente avait été la chambre de Ritonym. Depuis le temps, il y avait entassé quelque truc, bon, d'accord un tas de trucs.

    -Trop de truc, soupira-t-il.

    Mais il n'allait pas se laisser démonter pour si peu. Il retroussa ses manches et se mit à fouiller dans les vieux papiers et parchemins, les caisses et les chiffons.

    -Victoire !

    Il leva la main tenant le papier d'invitation et s'empressa de lire. Les prochaines retrouvailles auraient lieu pas plus tard que le lendemain soir aux portes de la lune.

    -D'accord.... Très bien... et maintenant ? J'y vais comment ?

    Le silence répondit. Il avait jusqu'au lendemain pour trouver un moyen, sinon tout allait pour le mieux.

    -Mon plan se déroule comme sur des roulettes, dit-il avec fierté.

    Le fait que le plan ne dépasse pas le stade d'aller à la réception ne lui poser aucun problème et il se creusa la tête le restant de la journée pour savoir comment s'y rendre. Il continua durant la nuit et ce n'est qu'au petit matin qu'il trouva une solution. Ritonym lui avait parlé d'un voyageur qu'il pouvait invoquer assez facilement. Comme il n'avait jamais eu l'intention de quitter son marais, il n'y avait jamais eu recours, mais c'était le moment où jamais. Il se redressa dans son lit pour déclarer avec fermeté :

    -Très bien, demain je fais ça. Mais d'abord...

    Il se laissa retomber en arrière et s'endormit dans la seconde.

     

    Après quelques heures de sommeil et une invocation qui se déroula sans problème, Lutinor s'était envolé vers la lune sur le dos d'un crapaud ailé. Quoi de plus normal.

    -Cela aurait pu être un cygne, une libellule, même une chauve-souris ça aurait eu un minimum de prestance mais là...

    -On me le dit souvent, croassa le crapaud de sa voix profonde.

    -Oh, je ne disais pas ça spécialement pour vous... enfin techniquement oui, vu que c'est la première fois que je rencontre un crapaud de votre genre. En plus, je suis plutôt content que vous ayez répondu à mon invocation. C'était la première fois vous savez, je ne m'attendais pas à ce que cela marche. C'est fou comme on se sent puissant, ha, ha.

    -N'importe quel voyageur aurait répondu vous savez. Cette invocation est des plus courantes et même les petits esprits l'utilisent régulièrement.

    Destruction ultime de l'estime du dieu en moi. Il s'affala sur le dos de l'animal, démoralisé.


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