• Nouphilo fixa sa main. Il n’y avait rien. Bien sûr qu’il n’y a rien. Il n'y a jamais rien. C'est dans ta tête qu'il y a quelque chose. Le contact avait été léger. Il n'y avait eu qu'un instant où Erlhas avait serré sa main, mais à aucun moment, Nouphilo ne s'était senti prisonnier. Je peux lâcher quand je veux. Cette pensée l'avait rassuré. Il avait craint de ne pas supporter le contact aussi, mais la main de Erlhas s'était avérée sèche et fine. Mieux vaut ça que moite et dodue. Il rit tout seul avant de revenir à ces cours. Bon, un peu de sérieux là. D'abord, mon livre d'histoire. Il fouilla dans son sac, fronça les sourcils quand ses doigts rencontrèrent un morceau de papier et l'extirpa. Il fixa la lettre avec étonnement, avant de se souvenir qu'il l'avait mis là le matin même. Sans réfléchir, il la jeta. Assez de bêtises, j'ai des choses plus agréables auxquelles penser maintenant.

    -Les devoirs n’en font pas parti, mais bon.

    Il replongea la main dans son sac pour récupérer son livre. Je n’ai pas hésité. Quand il m’a demandé, j'ai pas hésité. Ça veut certainement signifier quelque chose. Il avait pris sa main le plus naturellement du monde, sans même y penser. Il était heureux de savoir que, cela, il pourrait le faire sans problème désormais. Pour ce qui est du baiser. Il grimaça en y repensant. Si j'avais rendu le baiser, cela aurait peut-être été différent, sûrement même. Nouphilo prit la résolution d'essayer la prochaine fois. S’il y a une prochaine fois. Il n'était pas vraiment certain de le vouloir, mais il se secoua. Y a pas de raison que ça tourne mal, il faut bien que t'essaie. Ravie de cette résolution, il retourna à ses devoirs.

     

    Il observa Erlhas et Sebizan qui discutaient au fond du couloir en se disant qu’il aurait préféré que ce soit à lui qu'Erlhas parle. Il était toujours de bonne humeur après avoir discuté avec lui. Ils sont dans la même classe, la même chambre et ils sont frères, alors à moins d’arriver comme un cheveu sur la soupe, tu leur fous la paix. D’un pas résolu, il rejoignit sa classe. Tu le verras à midi de toute façon.

     

    -Tu as un groupe ?

    Nouphilo leva la tête pour apercevoir la fille qui avait déjà travaillé avec lui lors d’un cours précédent. Je connais son nom ou pas ? Cette fois, elle était accompagnée d’une de ses amies. L’enseignante venait de demander de former des groupes de trois et, comme d'habitude, il s'était contenté d'attendre pour voir dans quel groupe il manquerait un membre. Un regard circulaire sur le reste de la salle lui appris que les groupes étaient encore en train de se former. Wouah, c'est la première fois que je m'incrusterais pas dans le dernier groupe. Il se contenta de hocher la tête négativement pour répondre aux filles.

    -On peut venir ici ?

    Il hocha la tête en rangeant ses affaires pour leur faire de la place. Faudrait peut-être que je leur demande leur nom au bout d'un moment. Rien qu'à l'idée de leur poser la question, il sentit son cœur accélérer. En partie parce qu'il ne se souvenait plus si la fille lui avait déjà donné son nom, dans ce cas il aurait l'air ridicule à le lui redemander. Elles revenaient déjà avec leurs affaires. En s'installant, la première le renseigna :

    -Je m’appelle Sheral et voici Henn.

    Merci, mon Dieu. Il leur sourit :

    -Nouphilo.

    Avant de se pencher sur leur exercice, Sheral, avec qui il avait déjà travaillé, lui murmura :

    -Je sais pas si tu sais, il y a un moment déjà, y a un gars qui posait des questions sur toi avec une caméra.

    -Oui, c’était pour le devoir d’art. C’est moi qui lui ai demandé.

    Les filles rirent et Henn demanda :

    -C’est vrai ? Et ça t’as aidé ?

    Il hocha la tête.

    -Ouais, j’ai eu la moyenne.

    Il hésita avant de demander à son tour :

    -Vous aviez fait quoi, vous ?

    La discussion se développa si bien qu’ils faillirent oublier de faire leur travail. Nouphilo découvrit des filles amusantes et fut heureux d’avoir poursuivit la discussion. Quand elles rejoignirent leurs amies en sortant du cours et que Henn lança avec un grand geste :

    -Salut, Nouphilo.

    Sheral répliqua :

    -A tout à l’heure en fait, c’est pas comme si on avait cours ensemble tout à l’heure.

    Ils rirent et se séparèrent.

     

    Lorsqu’il se rendit dans les cuisines pour prendre son repas, Silili l’informa qu'Erlhas et Sebizan n’étaient pas encore passé. L'adolescent sortit, sa boîte de repas sous le bras, pour se rendre dans la vieille salle de musique. Il choisit d’attendre les deux amis avant de manger et s’installa au piano.

    Au bout de plusieurs minutes, il s’arrêta pour guetter la porte. Ils viendront peut-être pas. Si ça se trouve, ils ont mieux à faire. Il se sentit soudain très triste. Arrête, c’est pas grave, c'est pas la première fois non plus. Mange, ça ira mieux. Tout de même déçu, il ouvrit sa boîte et commença à manger. Puis, des éclats de voix lui parvinrent, lui faisant relever la tête. Des bruits se firent entendre derrière la porte du débarras avant que les deux frères ne déboulent dans la pièce. Sebizan laissa échapper en reprenant son souffle :

    -Même pas en retard.

    Ils s’assirent aussitôt, à même le sol, près de Nouphilo et mangèrent ensemble. Entre deux bouchées, Erlhas demanda :

    -Tu fais quoi lundi prochain ?

    Nouphilo jeta un regard à Sebizan avant de comprendre que c’était à lui qu'Erlhas s’adressait.

    -Moi ? Pourquoi ?

    Erlhas eut un petit rire :

    -C’est férié, lundi.

    -Ah bon ?

    Nouphilo réfléchit rapidement, mais il était positivement sûr qu’il n’en avait entendu parlé nulle part. Ce doit être le genre de chose auquel les gens normaux font attention. Il admirait les gens capables de se souvenir de ce genre de chose, pour lui, c’était des jours comme les autres, alors à quoi bon les retenir. Pour répondre à la question d'Erlhas, il haussa les épaules. Il va me proposer un truc ? Il sentit l’impatience accélérer son cœur, quand Erlhas dit :

    -Sebizan rentre et revient dimanche. On peut se voir si tu veux.

    -Ouais, OK.

    Erlhas sourit et Nouphilo espéra qu’il n’avait pas été trop impatient. Sebizan s’exclama :

    -Je vais rapporter plein de nouveaux films.

    Il va pas squatter tout le temps avec nous quand même. Il rit avec eux tout de même, étonné et furieux de lui-même. Doù tu te permets de te plaindre ? Erlhas doit encore préférer traîner avec Sebizan qu’avec toi. Ils parlèrent d'autres choses pour le reste de la pause et retournèrent en classe.

     

    Toute la semaine Nouphilo se demanda s’ils iraient quelque part le week-end, sans oser poser la question à haute voix. Finalement, arriva le samedi et ils se retrouvèrent pour le petit-déjeuner. Tout en discutant, ils allèrent marcher dans le parc, sans sortir de l’enceinte de l'école, mais c'est à peine si Nouphilo s'en rendit compte. La journée passa trop vite à son goût, alors quand arriva le soir et qu'Erlhas lui proposa de reprendre la série qu'ils avaient commencé, il accepta.

    Pendant qu’ils s’installaient, Nouphilo demanda :

    -Tu dois te lever tôt pour le courrier, non ? On va peut-être pas regarder beaucoup d’épisode.

    Erlhas fit la moue :

    -Ça me soûle ce truc, j’te jure. Du coup, en pleine rebellitude, je vais me coucher tard et c’est tout.

    Nouphilo sourit et ils commencèrent à regarder en grignotant des bonbons. A nouveau, Nouphilo s’endormit sans s'en rendre compte. Il rêva de lettres non ouvertes, d'une visite inopportune. Si seulement je l'avais ouverte. Quand tout s'obscurcit soudain, il sentit quelqu'un lui saisir le bras. Tu aurais dû ouvrir les lettres, il est là maintenant, tu sais ce que ça veut dire. Il sentit les larmes poindre derrière ses paupières, alors que l'on continuait à lui secouer le bras. Il émergea brusquement, la gorge nouée, le cœur en panique, faisant un volte-face violent qui fit sursauter Erlhas.

    -Tu faisais un cauchemar.

    Qu’est-ce qu’il a fait ?

    -Ça va ?

    Rien, il a rien fait. Il dévisagea le garçon à l’air inquiet. Je dormais, il aurait pu faire n'importe quoi. Arrête ! Putain, arrête ! C'est Erlhas. C'était qu'un cauchemar.

    -Nouphilo ?

    D’un bond, le garçon se leva, sortit de la chambre et dévala les escaliers. Calme-toi, merde ! Mais rien y fit, son cœur était au bord de l’explosion, la panique commençait à le faire pleurer. Un instant, il releva la tête pour s'apercevoir qu'il était dehors. La fraîcheur le fit frissonner. C'est le matin. Erlhas ne tarda pas à surgir du bâtiment. Il a rien fait de mal, il voulait juste te réveiller.

    -Nouphilo, ça va ?

    Il m'a touché, putain, pendant que je dormais ! Et alors ? C'est censé être ton copain, il a rien fait de mal. Il voulait te réveiller.

    -Je comprends pas !

    Il fut étonné d’entendre sa propre voix. Tais-toi, tu vas dire des conneries. Pourtant, il continua :

    -Je comprends pas comment vous faites. Quels besoins vous avez de vous toucher les uns les autres ! C’est dégueulasse ! J'essaie, mais j'arrive pas. Pourquoi vous ne le voyez pas ?! Vous ne vous rendez pas compte que c'est pas naturel de vouloir s'embrasser et tout le reste ?!

    Il reprit son souffle, essuya ses larmes en essayant de se calmer.

    -Pourquoi c’est moi qui aurait un problème ? Quand c’est vous qui faites des conneries ?!

    -Nouphilo.

    Il releva la tête. Erlhas avait parlé d’une voix basse, un léger sourire triste sur les lèvres :

    -Tu crois que je ne vois pas combien c’est dur pour toi ?

    Si, mais j’ai eu peur. Le jeune homme s’approcha pour lui tendre sa casquette qui était tombé sur le lit.

    -Je crois que quand tu aimes quelqu’un, toutes ces choses qui te dégoûtent viennent en fait naturellement.

    Fixant sa casquette entre ses mains, Nouphilo marmonna :

    -Pas pour moi.

    -C’est vrai.

    Un instant de silence suivit durant lequel Nouphilo s’obstina à admirer sa casquette, n’osant pas affronter le regard d'Erlhas. Celui-ci finit par dire :

    -Tu ne t’es jamais dit que c’était simplement parce que tu ne m’aimais pas ?

    Nouphilo se redressa brusquement. Non, c’est pas ça. Mais il ne dit rien. Erlhas conclut d’une voix douce et douloureuse :

    -C’est fini, pardon si je t’ai fait peur.

    C’est pas ça. Le jeune homme sourit à nouveau avec tristesse avant de lui tourner le dos et s’éloigner. C'est pas ça. Mais Nouphilo resta muet, car le sentiment qui le submergé à présent était le soulagement.


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