• Erlhas était rassuré. Lorsque Nouphilo lui avait dit vouloir être seul, bien qu'il n'en eût rien montré, il avait craint que le garçon ne fasse un retour en arrière. L'ignorant complètement, l'évitant. Pourtant, cela n'avait pas été le cas. Le lendemain de cette conversation, il l'avait aperçu au cours de l'interclasse et s'était avancé pour le saluer avant de se refréner. Puis Nouphilo avait levé les yeux par hasard et croiser son regard. Il avait alors sourit et s'était même arrêté à sa hauteur pour discuter un peu. Sans détour, Erlhas lui avait dit :

    -Je pensais que tu voudrais pas me parler, vu que tu voulais être seul.

    Nouphilo avait parut surpris :

    -Oui, quand je suis en perm ou après les cours, mais après ça ne me pose pas de problème.

    Il avait sourit en ajoutant :

    -On peut même manger ensemble si tu veux.

    Erlhas avait eu un air niais à cette nouvelle. Il en était sûr et d'ailleurs... il s'envoya une baffe en sentant qu'il reprenait le même air en se remémorant la scène. Non, mais oh. Tu es un grand garçon responsable, maintenant. Comporte-toi comme tel. Il goba un bonbon, mais son sourire revint. Il était cro mignon. La porte s'ouvrit.

    -Salut.

    Sebizan posa son sac sur son lit avant de s’y affaler. Erlhas fronça les sourcils et fit pivoter sa chaise pour se tourner vers lui.

    -Ça va pas ?

    -Tu lui en as parlé ?

    L’humeur d'Erlhas s’assombrit d’un coup. Il avait dit le secret de Nouphilo à son frère et s’était promis d'en informer le garçon, mais entre-temps, il n'y avait plus pensé. Cependant, ce n'était pas de cela que Sebizan voulait parler, il en était sûr. C'était de la lettre qu'il avait lu. Jusqu'à ce dimanche, il avait obéi à Nouphilo et jeté les lettres, mais sa curiosité avait prit le dessus. Il avait ouvert la dernière reçue et l'avait lu. C'était une déclaration d'amour enflammée avec un passage dans lequel la mère était mise en cause pour leur séparation. Cela avec un vocabulaire très marquant. Finalement, Erlhas, dégoûté, l'avait déchiré avant d'arriver à la fin. Il en avait parlé à Sebizan, sans entrer dans les détails, puis demander son avis sur la meilleure façon d'agir. Son ami avait été clair, il n'y avait que deux possibilités : faire comme si de rien n'était ou le dire. Il avait choisit la deuxième option, juste au cas où il n'aurait pas su rester naturel après cette lecture. Il s'avérait que ce n'était pas le cas et cela l'avait étonné lui-même.

    -C’est peut-être pas nécessaire en fait.

    Sebizan fit la grimace.

    -Je sais, ça manquerait quelque peu de sincérité…. un truc dans le genre.

    Erlhas haussa les épaules et ils restèrent silencieux. Malgré lui, ses pensées retournèrent à la lettre et la fureur qui l’avait saisi au fur et à mesure de sa lecture.

    -T’as déjà eu envie de fracasser quelqu’un ?

    Sebizan leva les yeux :

    -Ça t’avancerais à quoi ?

    -Ça ferait du bien.

    -Ouais, je suis sûr que ça faisait du bien à notre père aussi.

    Il croisa le regard de son frère pour appuyer ses paroles. Erlhas savait ce qu’il sous-entendait. Tout comme sa mère, il craignait au plus profond de lui, qu'Erlhas dérape un jour. Il ne leur en voulait pas, il en avait peur aussi, chaque fois qu'il se mettait en colère.

    -Je le ferais pas, crétin. De toute façon, je le verrais jamais ce gars.

    -Mais si tu le voyais, sérieusement, tu ferais quoi ?

    Tu t’inquiètes trop. Néanmoins, il réfléchit un moment avant de répondre :

    -Je ferais en sorte qu’il se fasse arrêté.

    -Un coup monté.

    Ils échangèrent des regards mystérieux alors qu’un sourire s’élargissait progressivement sur leur visage.

     

    Le lendemain, il profita du repas pour rejoindre Nouphilo dans la vieille salle de musique. Il sourit en entendant la cacophonie qui en provenait. Il se glissa par l’ouverture et entra dans la pièce, s'approcha doucement du piano, pour glisser à l'oreille de Nouphilo :

    -Salut.

    Le garçon fit un bond sur son siège avant d’éclater de rire :

    -T’es con.

    Erlhas s'assit à côté de lui et le regarda reprendre. Autant le dire de suite, tant que tu y penses. Mais comment allait-il réagir ? S’il était en colère, il pourrait rompre. Il lui fallut encore un moment avant d'oser ouvrir la bouche :

    -Heu…. Nouphilo ?

    -Mmm ?

    -J’ai dit à Sebizan pour ton père.

    Le garçon ne leva même pas les yeux de son clavier.

    -Ça ne te dérange pas ?

    Nouphilo releva la tête pour lui sourire :

    -Non, je m’en fiche que tout le monde le sache.

    -Je n’ai personne d’autre à qui le dire de toute façon.

    Cela le fit sourire.

    -Et il y a autre chose aussi.

    -Mmm ?

    -J’ai lu une lettre de ton père.

    Cette fois, Nouphilo se figea. Ça y est, il est en colère.

    -Écoute, c’est pas….

    -Tu as tout lu ?

    -De quoi ?

    Nouphilo lui fit face :

    -La lettre, tu as tout lu ?

    -Je…. non, j’ai pas pu.

    -Est-ce qu’il écrit quelque chose sur le fait de pas avoir de réponse, s’il compte réagir ?

    Erlhas fouilla dans sa mémoire :

    -Non, je ne me rappelle pas.

    Nouphilo parut hésiter avant de simplement dire :

    -OK.

    -Tu n’es pas en colère ?

    -Pourquoi ?

    -Parce que j’ai lu ta lettre.

    Nouphilo haussa les épaules :

    -J’avais qu’à pas te demander de les jeter. C’était à moi de le faire.

    Il y eut un silence, avant que Erlhas ne tente :

    -Tu veux en parler ?

    -De quoi ?

    -Ce qui est dit dans la lettre.

    -Non, il rabâche à tous les coups. Par contre, j’espère que ça ne t'a pas trop perturber.

    Erlhas n’osa pas répondre ce qu’il pensait vraiment, ce qu’il avait dit à Sebizan. À la place, il demanda :

    -Câlin ?

    Nouphilo haussa les épaules.

    -Je prends ça pour un oui.

    Doucement, il le prit dans ses bras et le vit sourire.

    -Tu vas me faire une grande déclaration d’amour pour me consoler ?

    -C’est possible.

    Nouphilo eut un ricanement :

    -Si tu veux me dire que tu ne me feras jamais de mal, non merci. C’est niais et vide, tu me feras du mal, je t'en ferais, c'est comme ça et c'est normal. Si tu veux me dire que tu vas me protéger, non merci. J'ai vécu des années sans ton aide, je peux me protéger tout seul. Je n'ai pas besoin de toi pour ça.

    Erlhas le fixa en papillonnant des yeux. A peine finit de parler, Nouphilo tapota le clavier du doigt. Il avait tendance à se concentrer sur autre chose lorsque le contact commencé à l’ennuyer. Erlhas ne le lâcha pourtant pas cette fois-ci. A la place, il fit une moue boudeuse :

    -T’es pas très très romantique hein ?

    Le ton utilisait fit éclater de rire le garçon :

    -Non, pas tellement. Désolé.

    -Le sois pas, j’aurais moins d’effort à faire.

    Nouphilo le regarda comme s’il était sur le point de pleurer. Merde, qu’est-ce que j'ai dit ?

    -Ça veut dire que j’aurais pas de fleur à la saint valentin ?

    Il fallut quelques secondes à Erlhas pour réaliser qu’il plaisantait avant de se mettre à rire et de lâcher son étreinte :

    -Si tu savais ce que j’ai failli faire à la dernière saint valentin.

    -Quoi, quoi ?

    Erlhas raconta avec un peu de gêne son projet de déclaration et les efforts de Sebizan pour l’en empêcher. Il crut bien que Nouphilo allait mourir de rire. Erlhas le dévisageait, amusé et finit par avouer :

    -Tu sais, je ne t’imaginais pas comme ça au début.

    -Comment ça ?

    -Bah, t’avais l’air d’un garçon plutôt taciturne, toujours de mauvaise humeur et pas drôle du tout.

    Nouphilo rit encore :

    -Et qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    -Un coup de vent.

    Il eut l’air perplexe, cherchant sans doute dans sa mémoire de quoi il voulait parler.

    -Un coup de vent ?

    -Oui.

    Et un éclat de rire.

    -Je ne t'ai jamais vu en colère en fait et tu prends souvent les choses du bon côté. Tu ne t’apitoie pas sur ton sort, tu préfères trouver des excuses aux autres que de les blâmer. Comme pour la lettre que j'ai lu. Je pensais vraiment que tu serais furax.

    Nouphilo lui donna un coup d’épaule.

    -Il y a plus malheureux que moi sur cette terre, alors de quel droit je m’apitoierais.

    C’est exactement ce dont je parlais. Erlhas haïssait son père, il ne pouvait nier qu’à certains instants, lorsque son père le battait, il avait haï sa mère. Puis, il y avait eu les remords en voyant la porte de la chambre griffée comme si elle avait tenté de creuser le bois pour l'atteindre. Finalement, il avait compris, mais sans Sebizan et sa mère, il aurait déjà suivi les traces de son père. D'une manière ou d'une autre. De ce côté, il trouvait que Nouphilo était plus courageux que lui et il l'admirait pour son optimisme. Une phrase lui revint, sans qu'il ne se rappel où il l'avait entendu, mais elle lui sembla approprié, alors il l'a prononça :

    -Les pires choses n’arrivent qu’une fois dans une vie.

    Nouphilo lui sourit :

    -Exactement.

    Erlhas l’embrassa.

     

    Il sifflotait en rangeant sa chambre, renvoyant les affaires de son frère sur son lit.

    -Erlhas Moylin est convoqué dans le bureau du secrétaire.

    Erlhas se redressa, fronçant les sourcils en entendant l'annonce. Quoi ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Il se leva et sortit. Il chercha la raison de sa convocation en se dirigeant vers le bureau du secrétaire. Ce ne pouvait pas être à cause de Nouphilo. Il n'avait plus créé de problème depuis un sacré bout de temps. En fait, depuis qu'ils traînaient ensemble. C'est mon amour qui le protège finalement. Il rit tout seul. Tu deviens débile, fous-toi des baffes. Il s'envoya une gifle, puis rit à nouveau. Et voilà, au final, tu t'auto-bat. Il rit encore et ne réussit à reprendre son sérieux qu'une fois devant la porte du secrétaire. Il toqua et attendit qu'on l'invite à entrer.

    -Bonjour, vous m’avez convoqué.

    Le secrétaire se détourna de son invité assis en face de lui, pour observer le nouveau venu :

    -Oui, je vous présente Monsieur Trelen.

    L’homme assis dans le fauteuil face au bureau, se leva pour lui faire face en souriant. Ils se saluèrent, pendant que le secrétaire reprenait :

    -C’est le père de Nouphilo Trelen, c’est bien un garçon de votre dortoir, n’est-ce pas ?

    Erlhas se figea un instant avant de réussir à hocher la tête. Le secrétaire se leva à son tour pour expliquer :

    -Monsieur Trelen n’a pas pu venir voir son fils le jour de visite, car il était en voyage à l’étranger. J’ai donc accordé une visite aujourd'hui, en-dehors des cours bien entendu.

    Il était clair que le secrétaire n’était pas enchanté de cette entorse au règlement. Je fais quoi ? Je lui dis pour Nouphilo ? Et après ? Il ne va pas me croire ou même s’il a un doute, il fera venir Nouphilo pour l’interroger et rien ne dis que lui aurait envie d'en parler. Il se força à observer l'homme en face de lui. Ils avaient la même taille. Il se tenait droit dans un costume un peu vieillot mais propre. Il avait plaqué ses courts cheveux noirs en arrière et parlait d'une voix lente. Il était plus normal que Erlhas ne se l'était imaginé. Quand il ouvrit la bouche, se fut pour demander au secrétaire :

    -Pourquoi ne pas avoir convoqué Nouphilo directement ?

    -Monsieur Trelen, ne souhaitait pas déranger son fils pendant ses cours. Je vous charge donc de lui faire visiter l’école en attendant la récréation.

    Et si j’avais été en cours moi ? Non ? On s’en fout ? Bon bah si on s'en fout.

    -Très bien, monsieur.

    Erlhas sortit sans même s’assurer que l’homme suivait. Reste calme, ou c’est toi qui finiras par avoir des problèmes. Il marchait à pas rapide en réfléchissant. Il a dit que je finirais par lui faire du mal, de façon inconsciente, je veux bien. Mais là, c'est apporté le malheur sur un plateau. C'est hors de question ! Mais quoi ? Qu'est-ce que tu veux faire ? L'assommer et le jeter dans l'escalier ? Il s'arrêta.

    -….n'est-ce pas ?

    Erlhas ne s'attarda pas à faire répéter l'homme, il se moquait bien de ce qu'il venait de dire. Il réfléchissait à une solution. Il était hors de question de l'amener à Nouphilo. Un coup monté. C'est sûr, ils en avaient discuté en riant avec Sebizan. Mais si ça marchait, il fait beau aujourd'hui après tout. Il regarda l'escalier de droite qui monté aux dortoirs, celui de gauche qui descendait vers la court intérieure. D'accord, on a prévu un truc, c'était pour rire certes, mais si ça marchait vraiment ? Son cœur s'accéléra progressivement. Devait-il tenter le coup ? Si ça marche pas bonjour les ennuis. Il inspira profondément. Entre ça et ramener son père à Nouphilo, il vaut mieux tenter le coup.

    -Je vais vous montrer le jardin intérieur avant le dortoir si vous voulez bien.

    -Bien sûr, vous allez bien ? Vous m’avez l’air pensif ?

    Sans répondre, il descendit les escaliers.

     

    La cour intérieur était rarement fréquenté par les élèves. De forme rectangulaire, entourait de toute part par les bâtiments de cours, elle tenait plus de la cour de prison que du jardin. C’était une simple pelouse avec une vieille fontaine en son centre. Ni banc, ni marche pour s'asseoir. Mais ce n'était pas le jardin qui intéressait Erlhas, plutôt les fenêtres. Il faisait bon aujourd'hui, il y en avait quelques-unes d'ouvertes, pourtant, moins que ce qu'il avait espéré. Au moins, il y en a quand même d'ouvertes. Il inspira à nouveau pour se calmer et fit face à l'homme.

    -En quel cours est-il en ce moment ?

    Erlhas se demanda depuis combien de temps l’homme parlait tout seul.

    -Je ne sais pas.

    -Ah bon et que faisons-nous ici ?

    Erlhas serra les dents :

    -Je ne pense pas que Nouphilo veuille vous voir. Je pense que vous devriez repartir.

    L’homme ricana :

    -Vous ne savez rien de nous.

    Erlhas dût retenir son souffle pour réussir à lancer :

    -Je sais que vous l’avez violé.

    La colère se peignit d’un coup sur le visage du père :

    -Comment osez-vous salir le souvenir…

    Erlhas fit la grimace :

    -Ce sont les mots utilisés par Nouphilo.

    -Je ne te crois pas, sale gosse attardé…

    Ah, on part déjà dans la grande poésie, soit.

    -Le lien entre un père et son fils est plus fort que tout ce que tu pourrais imaginer. Notre amour a été porté par Dieu lui-même lorsqu’il le fit naître.

    Oh, putain.

    -Dieu t’emmerde.

    Non, reste calme ou tu perdras. Respire et calme-toi. Il enfonça ses mains dans ses poches pour éviter tous gestes malheureux et regarda l’homme virer au rouge.

    -Comment oses-tu…

    Son cœur battait la chamade, son corps brûlait de rage, pourtant, il réussissait encore à parler d’une voix calme :

    -Je suis son petit ami, donc j’ose.

    -Son…

    L’homme laissa échapper un rire mauvais :

    -Il fait cela pour tromper la vigilance de sa mère, malin. Désolé de te décevoir, mais ton rôle est terminé. Maintenant que je l’ai retrouvé, je ne le quitterais plus.

    Sérieusement, sur quelle planète il vit ce taré ? Erlhas mesurait chaque parole, il ne fallait pas se laisser emporter :

    -Nouphilo ne veut pas de vous.

    -Ah ! Alors comment expliques-tu qu’il m'ait dit qu'il m'aimait ?

    Un coup au cœur, un instant le visage de Nouphilo se dessina nettement devant ses yeux. Une chose que tu regrettes d’avoir dite. Les mots qu’il ne me dira jamais. Il sentit sa gorge se serrer :

    -Je suppose que c’est après ça que vous l’avez violé.

    -Il était consentant puisqu’il m’a dit….

    Nauséeux, Erlhas le coupa en grimaçant :

    -Ouais, on a saisit cette partie.

    L’homme eut un sourire en coin :

    -Il ne vous l’a jamais dit, n’est-ce pas ?

    -Non, c’est vrai.

    Erlhas laissa échappé un sourire qui déstabilisa l’homme. Je suis plus précieux que des mots.

    -Si ce n’est pas une preuve.

    -Il m’aime trop pour risquer de me perdre en me disant ça. Comme il a perdu son père, je suppose.

    -Tu…

    Erlhas s’empressa de reprendre la parole. C’était le moment ou jamais :

    -Moi, je peux le prendre dans mes bras sans qu’il me frappe. Il me raconte des histoires et à vous ?

    L’homme était sur le point d’exploser. Sa mâchoire était visiblement serrée et ses poings étaient deux pierres prêtent à frapper. Juste un peu.

    -Je ne voudrais pas insister, mais… c’est quand la dernière fois que vous l’avez entendu rire ?

    L’homme lui fonça dessus et Erlhas ne broncha pas. Il vit le coup arriver, mais le laissa venir en fermant les yeux pour se remémorer un coup de vent et une casquette qui s’envolait.


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