• L’île était bien plus grande qu’ils ne l’avaient cru. Ils s’en étaient rendu compte la veille lorsqu’ils avaient écouté les membres du clan discuter des autres clans habitant là. Cela faisait deux jours et Gialema n’en pouvait plus de rester au campement. Ils n’avaient pas de nouvelles de Seih dont on leur refusait la visite. Ylios et Tremon avaient tenté plusieurs fois, en vain, de repartir. Si bien que le Test devenait soupçonneux de leurs hôtes, comme il l’avait été des nomades.

    Le chemin que la souris parcourait s’éloignait du village et de l’eau pour rentrer dans les terres. L’île était plate, couverte d’herbes rases et de pierres. La route sur laquelle elle marchait était en terre, nettement délimitée, preuve qu’elle était souvent empruntée. Comme pour confirmer sa pensée, Gialema aperçut un groupe de personne qui s’avançait vers elle. La jeune fille continua de marcher sur le bord du chemin, tête basse, pour les laisser passer en espérant qu’ils ne feraient pas attention à elle. Ce fut peine perdue car ils étaient encore à quelques mètres d’elle quand le jeune homme qui marchait en tête l’apostropha :

    -Hé toi ! D’où viens-tu ?

    Il avait la peau écailleuse et des cheveux verts et jaunes. Gialema sentit son cœur bondir comme chaque fois qu’elle croisait un prédateur inconnu. Rentrant la tête dans les épaules, la souris resta muette, alors que le jeune crocodile approchait :

    -T’es muette ?

    Elle chercha sa voix, mais sans succès. Plus il avançait, plus Gialema avait envie de tourner les talons. Ne semblant pas se rendre compte de sa peur, il continuait :

    -T’es timide ?

    Quand il se trouva face à la jeune fille et qu’elle ne répondait toujours pas, il sourit, dévoilant de petits crocs :

    -C’est la première fois que je vois une petite bête comme toi. C’est les grenouilles qui t’ont ramené ?

    Enfin, Gialema réussit à hocher la tête. Le crocodile la dévisagea un instant sans cesser de sourire puis finit par dire :

    -OK.

    Avant de reprendre sa route. Les cinq personnes qui l’accompagnés se remirent en marche, laissant Gialema derrière eux. La jeune fille hésita à continuer. Qu’est-ce que le groupe allait faire chez les grenouilles ? Et puis, il y avait quelque chose chez le jeune homme, outre le fait qu’il soit un crocodile, qui la terrifiait. Préférant prévenir ses amis, elle suivit le groupe de loin pour rentrer au campement.

    Quand l’adolescente arriva, le crocodile discutait avec le chef des grenouilles. Elle avisa Tremon sur la gauche qui se tenait les bras croisés, l’air soupçonneux. Gialema s’avança vers lui et finit par apercevoir Ylios et Miral derrière lui. Gardant un œil sur le groupe et les grenouilles qui s’approchaient, elle demanda dans un murmure :

    -Vous savez ce qu’il se passe ?

    Tremon l’ignora, mais Ylios haussa les épaules en disant :

    -Pas vraiment. L’atmosphère s’est passablement tendu quand ces six-là sont arrivés.

    Miral soupira :

    -Si Seih était là, elle pourrait entendre ce qu’ils se disent.

    A ses mots, le regard de Gialema alla aussitôt vers Tremon avant qu’elle ne le détourne volontairement. Même si elle le soupçonnait de cacher ses capacités véritables, il avait certainement une raison. La jeune fille n’avait pas l’intention de le forcer à se dévoiler s’il n’en avait pas envie. Après tout, il était probablement bien plus déboussolé qu’eux tous à cause de l’animal en lui. En revanche, elle espérait qu’il finirait par lui faire confiance. Gialema ne pouvait s’empêcher de penser que leurs épreuves à venir serait moins lourde pour lui et Ylios s’il commençait à se confier aux autres.

    -On s’en va.

    Ylios sursauta en entendant Tremon :

    -Quoi ? Où ça ?

    Le garçon le dévisagea avec fatigue :

    -Dans notre placard, crétin, où veux-tu qu’on aille ?

    -Je pensais que tu voulais qu’on retente de partir de l'île. C’est de ta faute, si tu ne précises pas aussi.

    Tremon se dirigea vers leur cabane sans prêter attention au lion et Gialema s’empressa de le rejoindre pour lui glisser :

    -Je les ai croisé sur la route. Le crocodile est effrayant. Je veux dire, pas parce que je suis herbivore, il y a quelque chose…

    -De flippant, je sais.

    Il avait parlé en gardant les yeux fixés droit devant lui. La jeune fille jeta un regard par-dessus son épaule pour voir à quelle distance se trouvait Miral et Ylios. Les deux garçons discutaient tranquillement, sans leur prêter la moindre attention. Alors, Gialema tenta :

    -Est-ce que… tu as entendu ce qu’ils se disaient ?

    Il la fixa avec une expression indéchiffrable en gardant le silence. Une fois qu’ils furent tous les quatre assis sur leurs lits de fortune et que la porte fut fermée, Tremon leur dit :

    -Il y a quelque chose de bizarre avec les nouveaux-venus.

    Personne ne fit de réflexion. Gialema se doutait que si elle avait pu sentir l’étrangeté du crocodile, Ylios et Miral devait l’avoir senti aussi.

    -Ce ne sont pas tous des crocodiles.

    Ils se tournèrent vers Miral qui poursuivit sur sa lancée :

    -Je ne sais pas vous, mais quand ils parlaient des clans vivant sur l’île, je m’étais imaginé qu'ils étaient comme eux. Je veux dire un animal par clan. Voilà que parmi les membres du deuxième clan que l’on croise, on trouve un crocodile peu engageant, une tortue, un iguane et je ne sais pas trop pour les autres, mais bon.

    Ylios compléta en fixant le sol :

    -Un caméléon, un crapaud et un anaconda.

    Miral se redressa avec des yeux ronds :

    -Anaconda ? Pourquoi je ne l’ai pas senti ?

    -Il se cache bien.

    Tremon revint dans la conversation :

    -Et si ce n’était pas un clan ?

    Ses trois amis levèrent les yeux vers lui :

    -Comment ça ?

    Il pointa Miral du menton :

    -Je pensais comme toi. Un animal par clan. Alors, si ce n’était pas un clan, mais leurs représentants ?

    Gialema réfléchit à la question alors qu’Ylios reprenait :

    -Donc, six clans qui auraient chacun envoyé un messager à celui-ci ? Ce n’est pas bon signe en général, hein ?

    Comme personne ne trouvait que répondre à cette question, il continua :

    -Je veux dire, quand des clans se réunissent comme ça, pour discuter, c’est qu’il y a un problème grave. Vous croyez que c’est rapport aux Errants ?

    Tremon se redressa soudain, puis sembla se détendre. Quelques secondes plus tard, on frappa à la porte et la voix de Til se fit entendre :

    -Vous êtes là ?

    Ylios lança :

    -Oui, tous les quatre, pourquoi ?

    -Le chef demande à ce que vous ne bougiez pas. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais, des membres des autres clans sont ici.

    Ylios répondit à nouveau :

    -Oui, on a vu. Il y a un problème ?

    Elle garda le silence avant de répondre en baissant la voix :

    -Écoutez, il vaut mieux que vous restiez là. Les clans semblent craindre que votre présence attire les tarés sur l’île. Apparemment, ils étaient bien contents d’avoir autre chose que des grenouilles et ils sont en train de retourner toute la forêt pour vous retrouver. Notre chef pense que les clans veulent vous livrer à eux pour qu’ils arrêtent de nous poursuivre pendant un temps.

    Pendant qu’elle parlait, les quatre amis avaient échangé des regards inquiets. Finalement, ce fut Tremon qui reprit la parole :

    -Et pour Seih ?

    Til répondit :

    -Ne vous inquiétez pas, elle est cachée. Ne bougez pas, c’est compris ? Je viendrais vous apporter à manger.

    Gialema revit le sourire du crocodile et frissonna. Elle n’avait pas vraiment envie de se retrouver à nouveau face à lui. C’est pour cela qu’il me faisait peur. Il ne faisait aucun doute que son instinct l’avait mis en garde contre lui.

    -Vous sentez ?

    Elle leva les yeux vers Tremon qui s’était soudain mit debout. La jeune fille renifla l’air, puis fronça les sourcils :

    -Ça sent…

    Miral termina :

    -La grenouille.

    Il échangea un regard interrogateur à Gialema qui ne put que hausser les épaules pour montrer son ignorance. Ylios interrogea Tremon :

    -Qu’est-ce qu’il y a d’anormal ?

    Tremon passait son regard d’un mur à l’autre. Puis il vint s’accroupir au milieu d’eux et parla si bas qu’ils durent se rapprocher pour entendre :

    -Je crois qu’il y a un problème. Il y a des gens qui rôdent autour de la cabane.

    Miral répliqua avec une pointe d’agacement :

    -Bah, oui, elle vient de nous le dire et s’ils rôdent, c’est sans doute pour notre protection.

    Tremon allait lancer une réplique cinglante, mais il croisa le regard de Ylios et se reprit :

    -Mais bien avant déjà.

    Gialema fronça les sourcils :

    -Qu’est-ce que tu veux dire ?

    Il se tourna vers elle :

    -Où est Seih ?

    Miral leva les yeux au ciel :

    -Ce n’est pas vrai, il recommence. Il l’a soigne bon sang. Est-ce que tu sais combien de temps ça prend de se remettre d’un éventre… ment ?

    Il se pencha vers Ylios :

    -Ça se dit ça ?

    Le lion fit la grimace :

    -Pas sûr. Éventration peut-être ?

    Gialema y réfléchit à son tour, mais Tremon attira à nouveau leur attention en retenant son énervement :

    -On s’en fout de ça. Je sais qu’ils la soignent, mais où ?

    Il y eut un silence, les trois autres ne comprenant toujours pas où il voulait en venir.

    -Est-ce que l’un de vous les a vu l’emmener ? A quel endroit ? Dans quelle cabane ? Qu’ils refusent de nous laisser la voir pour qu’elle se repose, soit, mais ils pourraient au moins nous dire où elle est.

    Ylios para :

    -Et parce qu’ils ont oublié de nous informer de ce détail, tu en déduis qu’il y a un problème ? Est-ce que l’un de vous à seulement penser à poser la question ? Moi, pas.

    Tremon planta son regard dans le sien :

    -Moi, si. Ils se sont contentés de me dire que ça allait, qu’elle se réveillerait bientôt.

    Le garçon tenta encore :

    -Oui, mais peut-être que ce n’est pas important. Quand elle se réveillera…

    -Et si elle était déjà réveillée ?

    Cette fois, ils le dévisagèrent, interloqués. Gialema allait repousser l’idée quand elle se souvint de ses propres réflexions sur les capacités cachées de Tremon. Et s’il avait perçu quelque chose ? Mais pourquoi ne pas leur en parler, alors ? Elle hésita à poser la question devant Ylios et Miral, mais elle ne pouvait pas non plus laisser passer ça. Elle demanda de façon détournée :

    -Tu as trouvé quelque chose ?

    Tremon secoua la tête :

    -Non, mais il n’y a pas que ça. Comment cela se fait que les Errants n’aient jamais trouvé l’île ?

    Miral intervint :

    -Bah, tu as bien vu, il faut naviguer et la brume la cache.

    Tremon ne céda pas :

    -Et quand la brume se lève ? Va pas me faire croire qu’elle reste tous les jours et toutes les nuits depuis des années. En plus, vu la grandeur de cette île, elle doit être visible de la forêt d’une manière ou d’une autre.

    Miral soupira, fatigué :

    -Et bah, c’est que les Errants sont stupides, qu’est-ce que tu veux que je te dise.

    -Rien, je veux que tu écoutes.

    Gialema vit Miral rougir, vexé, mais Tremon l’ignora pour revenir à Ylios :

    -Crois-moi, d’accord ? Il faut qu’on parte.

    Le garçon jeta un regard à ses deux amis avant de dire d’un ton incertain :

    -Mais Seih...

    Tremon hocha la tête :

    -Je la trouverais, on l’emmènera.

    Miral glissa :

    -Et s’il s’avère qu’elle est encore en convalescence, comme ils le disaient ?

    Tremon jeta vers lui un regard glacial :

    -Alors, c’est que j’avais tort et on reviendra sagement ici.

    Ylios ajouta :

    -Mais si on se fait prendre par un des gars des autres clans en cours de route ? On a promis de pas bouger. Si on ne fait pas confiance aux grenouilles, pourquoi nous feraient-ils confiance ?

    Tremon ouvrit la bouche pour répliquer, la ferma, dévisagea Ylios avec une expression blessée avant de finalement se rejeter en arrière pour s’appuyer contre le mur. Il croisa les bras et fixa la porte comme si une réponse pouvait en jaillir. Gialema resta silencieuse, peinée que Tremon prenne les choses si mal. Elle partageait l’avis de Ylios. Sortir, même pour trouver Seih, était risqué. En même temps, elle avait du mal à l’idée de rester ici après les doutes que Tremon avait partagé avec eux. Quelque part, la souris sentait qu’il n’avait pas tout à fait tort.

    Comme un silence gêné perdurait, Ylios finit par se lever. Il tendit la main à Tremon en soupirant :

    -Allez, bouge. J’ai une idée.


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