• Ylios écouta avec attention le rapport de Miral, mais quand il eut fini, il eut du mal à y croire :

    -Tu es sûr que c’est ce qu’elle a dit ?

    Le garçon hocha la tête :

    -Oui, elle demandait de l’aide. Mais, peut-être qu’elle n’a pas réalisé où elle était, tout simplement.

    Tremon n’allait pas laissé les choses se conclurent ainsi et c’est sans surprise qu’il déclara :

    -Non, je vous dit que ces grenouilles nous cachent quelque chose.

    Gialema intervint à son tour :

    -Mais quoi ?

    Tremon les observa tour à tour :

    -A votre avis ? Je suis sûr que Seih est guérie. Ils doivent la droguer ou quelque chose du genre pour qu’elle ne se réveille pas.

    Miral leva les yeux au ciel :

    -Et pourquoi, ils feraient ça ?

    -Pour nous garder ici.

    Ylios se redressa en fronçant les sourcils :

    -Pourquoi ne voudraient-ils pas nous laisser partir ?

    Tremon croisa les bras en jetant un regard à la porte fermé à clé :

    -Et s’ils voulaient nous livrer aux Errants ?

    Miral ricana :

    -Je ne suis pas sûr que tu es tout suivi. C’est les autres qui veulent nous livrer…

    Tremon le coupa sans ménagement :

    -Ça, c’est ce qu’ils nous ont dit. Peut-être que les autres veulent aussi nous avoir, peut-être que les Errants foutront la paix aux premiers qui les fournira, toujours est-il qu’on récupère Seih et…

    Ylios se leva d’un bond coupant Tremon dans son élan. Aucun doute qu’il l’avait senti aussi. En les voyant tous deux silencieux, tournés vers le mur où se trouvait le trou, Miral et Gialema se mirent sur leur garde. La jeune fille demanda à voix basse :

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    Ylios répondit sur le même ton :

    -Ils approchent.

    -Qui ?

    Il n’eut pas le temps de répondre. Un choc fit tomber les pots qui se trouvaient devant l’ouverture et un crapaud entra. Les quatre amis reculèrent quand il se laissa tomber au sol pour devenir un homme d’âge mur à la peau pustuleuse. Il leur dit d’une voix traînante :

    -Je vous salue.

    Tremon vint se placer devant Ylios le forçant à reculer avec Miral et Gialema :

    -Qu’est-ce que vous voulez ?

    L’homme posa sur lui un regard absent.

    -Vous emmenez.

    -Où ça ?

    Il tourna la tête vers la porte :

    -Loin. En sécurité.

    Miral tenta de s’avancer, mais il fut bloqué par Tremon qui lui commanda de se taire d’un regard. Le jeune homme n’insista pas. De son côté, Ylios cherchait déjà un moyen de fuir. Cependant, il était clair que le seul moyen était de passer l’ouverture devant laquelle le nouveau venu se trouvait.

    -Les grenouilles nous ont dit que vous vouliez nous livrer aux Errants.

    La voix de Tremon ne trahissait aucun sentiment de crainte, seulement de la méfiance. L’homme revint aux jeunes gens :

    -Je ne suis pas un menteur.

    A cet instant, une voix leur parvint derrière lui :

    -Je vous avais dis qu’on aurait dû en envoyer un autre.

    -Et qui ? T’as vu ce trou ?

    Ylios et Miral échangèrent un regard tandis que Tremon lançait d’une voix forte :

    -Et si vous nous expliquiez ce qu’il se passe ?

    On lui répondit :

    -On est venu au nom de nos clans pour parler avec le chef.

    Ylios sentit Gialema lui saisir le bras en soufflant :

    -C’est le crocodile.

    Tremon relançait :

    -Qu’est-ce que l’on a à voir là-dedans ?

    Il y eut un ricanement et le crocodile reprit :

    -Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi les tarés n’ont pas rappliqué sur l’île ? C’est parce que ce clan fait des sacrifices. Ils appellent ça comme ça. Ils tirent au sort des gens qu’ils envoient dans la forêt pour avoir la paix.

    Ylios devança Tremon en demandant :

    -Et pas vous ?

    -Non, nous, on les mange.

    Miral grimaça, Gialema et Ylios frissonnèrent. Tremon ne réagit pas et se contenta de dire :

    -C’est plus dur pour des grenouilles.

    Il jeta un regard à l’homme qui leur faisait face. Celui-ci semblait complètement absent.

    -Et pour des crapauds aussi, je suppose.

    Le crocodile répliqua :

    -Bien sûr, on les protège. Les grenouilles n’ont pas accepté notre aide en revanche et préfère céder. Seulement, voilà, c’est votre tour aujourd’hui. Une chance que vous traîniez dans le coin.

    Ylios ne put s’empêcher de croire aux paroles du crocodile. Cependant, il savait qu’il était du genre à voir le bien partout et à être convaincu facilement. Sur ce coup-là, on va suivre Tremon. Celui-ci sembla hésiter un instant avant de dire :

    -On a une amie…

    -On sait, elle est avec nous.

    Cette fois, Tremon ne put s’empêcher de jeter un regard à Ylios par-dessus son épaule. Le garçon sentit son cœur battre la chamade alors que Miral lançait :

    -Qu’est-ce que vous allez lui faire ?

    Le crocodile parut sincèrement surpris de la question :

    -Bah rien, pourquoi ?

    Une autre voix intervint :

    -Ce n’est pas une menace si c'est ce à quoi vous pensez. On va l’emmener en sécurité et vous aussi, si vous daignez sortir.

    Miral informa ses amis :

    -C’est l’anaconda.

    Tremon reprit :

    -Comment comptez-vous nous faire sortir ? On a un lion dans le tas.

    Ylios lui envoya un coup de coude :

    -C’est vexant dit comme ça.

    Il y eut un bruit sourd, un craquement et la porte commença à bouger. Tremon intervint :

    -On nous surveille vous savez ?

    Le crocodile se mit à rire :

    -Ah oui, oui. Plus maintenant.

    Ylios n’était pas sûr de vouloir savoir ce que cela sous entendait. Le crapaud observa la porte qui s’effondrait de plus en plus comme si cela était tout à fait normal. Au final, la porte se retrouva au sol, écrasée par ce qui devait être une partie de tronc d’arbre. Le crocodile entra :

    -Bon, y en a marre de la parlotte, en route. Si vous ne voulez pas, tant pis pour vous.

    Il saisit le crapaud par le col pour le tirer dehors. Tremon prit Ylios par le bras et s’élança à sa suite. Il fallut quelques secondes à Miral et Gialema pour réaliser ce qu’il se passait et s’élancer à leur tour.

    Les six couraient à toute jambe à travers le village. Ylios se rendit compte, seulement une fois dehors, que la nuit venait de tomber. Tremon ne l’avait pas lâché et il avait du mal à suivre son rythme. L’adolescent aperçut Seih, attachée au dos d’une des femmes, ce qui l’encouragea à ne pas se laisser distancer. Ils continuèrent à courir une fois hors du village, jusqu’à ce que Miral crit  :

    -Stop ! Gialema a besoin d’une pause.

    Ylios tenta de s’arrêter mais Tremon continua de courir. Il allait protester quand il vit le crocodile revenir vers eux, les dépasser, saisir Gialema par la taille et repartir comme si de rien n’était. Ylios haussa les sourcils :

    -Woh.

    Tremon lâcha entre deux inspirations :

    -Garde ton souffle.

    Miral ne tarda pas à les rejoindre. Combien de temps ils coururent ? Ylio n’aurait su le dire. Tout ce qu’il savait c’est que lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin, il s’écroula avec la ferme intention de ne plus jamais se relever de sa vie. Haletants, en sueur, les trois garçons s’étaient allongés par terre pour récupérer des forces. Gialema les rejoignit, l’air inquiet :

    -Ça va ? Vous allez bien ?

    Miral lâcha avec effort :

    -Et toi ? Pas trop fatiguant ?

    Elle s’accroupit et se pencha vers eux pour murmurer :

    -Franchement, ça foutez la trouille.

    Ylios rit, les yeux fermés, prêt à s’endormir sur place.

    -Eh, petite, aide-moi.

    Le garçon ouvrit les yeux pour voir ce qu’il se passait. Gialema aida la femme à se libérer de Seih et l’allongea près d’eux. Ylios sentit l’anaconda, malgré les efforts qu’elle faisait pour le cacher. Comme Miral, il réunit ses forces pour se redresser et s’approcher de Seih. Gialema posa la tête de la jeune fille sur ses genoux :

    -Elle dort encore, c’est fou.

    La voix de Tremon leur parvint dans leur dos :

    -Droguée, je vous dit.

    Ylios reconnut que c’était la seule explication possible et saisit la main de son amie dans les siennes. Ils firent cercle autour d’elle comme s’ils s’attendaient à ce qu’elle se réveille d’un moment à l’autre.

    -Écoutez, dès que l’on aura récupéré, il faut que l’on s’éclipse.

    C’était bien sûr Tremon qui avait parlé d’un air de conspirateur, gardant un œil sur les autres. Avant que quiconque puisse répliquer, il continua :

    -On ne peut pas faire plus confiance à ceux-là qu’aux grenouilles. Le mieux, c’est qu’on les laisse et…

    -D’accord, mais qui va la porter ?

    Il y eut un silence. Cette voix n’appartenait à personne de leur groupe. Ylios tourna la tête sur sa droite et tomba nez à nez avec le crocodile. Tous s’écartèrent dans un même élan alors que lui restait accroupi, plongeait dans ses réflexions. Tremon fut le seul qui ne bougea pas, le fixant en plissant les yeux. Ylios ne comprenait pas comment il avait pu s’approcher sans qu’il ne le remarque, encore pire, sans que Tremon ne le remarque. Finalement, le crocodile soupira :

    -On pourrait faire une civière.

    Miral tenta :

    -Écoutez, pour ce qu’on disait…

    -Chut !

    Le crocodile le fit taire d’un geste du bras avant de jeter un regard vers ses compagnons :

    -Ils vont nous entendre.

    Tremon ne se laissa pas démonter par ces étranges paroles :

    -Qu’est-ce que vous voulez, exactement ?

    Le jeune homme lui fit face, l’air déçu :

    -Exactement ? On vous l’a déjà dit, on vous aide à fuir les grenouilles.

    Tremon garda le silence. Il fit passer son regard de Seih à ses autres compagnons avant de revenir vers le crocodile. Là, il sourit en disant :

    -D’accord, alors vous nous expliquez ce qu’on fait ensuite ?

    Son sourire glaça le sang de Ylios. Il le connaissait trop bien pour savoir que cela ne présageait rien de bon. Cependant, le crocodile répondit tranquillement :

    -Nous avons des barques, on va vous emmener sur le continent et voilà. D’ici là, votre amie sera réveillée. C’est simple, non ?

    Tremon hocha la tête :

    -Très simple.

    Le crocodile alla rejoindre ses amis qui préparaient un campement de fortune. Dès qu’il se fut détourné, Tremon cessa de sourire et revint à ses compagnons :

    -Changement de plan. On les suit, mais on reste sur nos gardes.

    Gialema approuva d’un signe de tête tandis que Miral haussait les épaules d’un geste désintéressé. Quant à Ylios, il s’approcha de Tremon pour lui murmurer à l’oreille :

    -Est-ce que tu ne devrais pas leur demander ?

    -Demander quoi ?

    -Si ils sont avec le roi. Si ça se trouve, ils nous emmènent tout droit chez lui.

    Tremon jeta un regard par-dessus son épaule. Les six envoyés venaient d’allumer un feu, deux manqués, sans doute à la chasse. Il murmura :

    -Tu sais, je ne pense pas qu’ils nous diront gentiment oui si c’est le cas. Ils doivent bien se douter qu’on est pas là en vacances et que l’on fuit quelque chose. Qui cela pourrait être sinon le roi et ses gardes ?

    Ylios insista :

    -Ils ne sont peut-être pas au courant de ce qu’il se passe dehors. Ils ne savent peut-être pas que je suis un Futur…

    Tremon le coupa :

    -Pourquoi tu m’emmerdes avec toutes ces suppositions ? On sait qu’ils sont potentiellement dangereux et c’est tout. Qu’ils soient avec le roi ou pas ne change rien à l’histoire.

    Ylios se leva l’air boudeur :

    -Je me demandais juste.

    Tremon le tira par le bras alors qu’ils se rapprochaient du campement de fortune :

    -On a assez de problème comme ça. Concentre-toi sur ceux que l’on a actuellement tu veux ?

    Le lion hocha la tête en grommelant.


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