• -Je vois pas…

    Erlhas s’arrêta à l’entrée de sa chambre en entendant une porte claquée. Combien de fois je dois leur dire de pas courir, ni de claquer les portes. Il soupira avant de reprendre sa discussion avec Sebizan :

    -Je vois pas pourquoi ça ne marcherait pas.

    Il s’engagea dans l’escalier en laissant son ami fermait la porte. Celui-ci lança en le rattrapant :

    -Personne ne te parlera franchement à toi.

    -Pourquoi ?

    -Parce que si le sujet c’est Nouphilo, ils n’auront pas beaucoup de gentilles choses à dire et c’est certainement pas au responsable de dortoir qu’ils se confieront.

    -Qu’est-ce que tu conseilles alors ?

    -Je fais les vidéos à ta place.

    -En échange de quoi ?

    -Si je ne m’abuse tu as une réunion des responsables maintenant.

    -Oui et la première chose que je vais faire c’est gueuler un bon coup pour ne pas en avoir été informé avant.

    -Tu peux glisser un mot aux responsables des dortoirs des filles ?

    Erlhas s’arrêta à un palier pour lui faire face.

    -Qu’est-ce qu’il se passe ?

    Sebizan fit la grimace :

    -Bah, y a cette fille. Je sais pas comment elle a eu mon numéro, mais elle arrête pas de m’envoyer des messages. Ça devient soûlant.

    Un coureur de jupon, c’est ce que les gens pensaient de Sebizan. Erlhas le connaissait depuis trop longtemps pour écouter les rumeurs. Son ami préférait ses bouquins aux filles, il n’était même jamais sortit avec aucune, mais allez savoir pourquoi, pour les gens, les personnes possédant un charme ne peuvent être seul. Alors les rumeurs se propageaient sans se soucier de qui Sebizan était vraiment. Erlhas s’en était attristé autrefois, mais il était clair que son ami s’en moquait royalement, alors…

    -Comment tu sais que c’est une pensionnaire ?

    -Elle m’a donné rendez-vous un soir au réfectoire. Y a que les pensionnaires qui dînent ici jusqu’à preuve du contraire.

    -Exact.

    -J’ai arrêté de lui répondre parce que même si c’était pour refuser, j’avais l’impression de l’encourager.

    -Et elle continue.

    -Exact.

    Erlhas sourit :

    -Tu sais que je m’occuperais de ça même si tu ne fais pas la vidéo.

    -Je sais, mais j’ai moins l’impression de te faire marcher à la baguette si je te donne quelque chose en échange.

    Erlhas se remit en marche en riant :

    -Toi ? Tu me fais marcher à la baguette. J’aimerais voir ça.

    -Mais tous les jours, mon grand. Tu es ma marionnette, je suis le grand sorcier vaudou….

    -Tu dérapes encore.

    Erlhas entra dans la salle de réunion et entendit Sebizan feindre un hurlement de plainte alors qu’il fermait la porte :

    -Non, ne ferme pas, je t’aime, mon copain.

    Les cinq têtes des responsables se tournèrent vers lui et ils le saluèrent d’un sourire gêné. Ça va pas m’empêcher de gueuler. Il s’installa à la seule place libre et commença, avant qu’un autre n’est le temps d’ouvrir la bouche :

    -Alors, quelqu’un peut me dire pourquoi je n’ai pas été prévenu de cette réunion plus tôt ? Pourquoi on ne m’a pas demandé mon avis ? Si ce n’était pour Diaralie qui vient de me prévenir, vous seriez toujours en train de m’attendre.

    Les yeux se baissèrent et Diaralie prit la parole pour lui répondre. Il aimait bien cette fille. Elle était responsable du second dortoir des filles et la seule qui le fixait dans les yeux pour lui parler.

    -En vérité, dit-elle, ils ont tergiversé des jours pour savoir lequel allait te prévenir et j’étais persuadée qu’ils l’avaient fait, jusqu’à ce qu’on se retrouve comme des abrutis à t’attendre.

    Elle appuya sa remarque en fusillant l’assemblée de ses yeux noirs. Le responsable du premier dortoir se racla la gorge :

    -Oui, bon, en fait on voulait discuter de…

    -Une dernière chose.

    Erlhas profita des quatre visages inquiets qui se tournèrent à nouveau vers lui. Il fallait bien l’avouer, il adorait le fait qu’ils aient la trouille.

    -Pour ses dames.

    Seule Diaralie resta de marbre lorsqu’il se tourna vers les trois filles.

    -Une des filles harcèle un de mes amis et j’aimerais que ça s’arrête.

    Diaralie fronça les sourcils alors que ses collègues échangeaient un regard surpris.

    -Tu connais son nom ou dans quel dortoir elle se trouve ?

    Erlhas se leva :

    -Juste une minute.

    Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit pour se retrouver face à Sebizan qui sourit :

    -Ah bah, quand même. Elle s’appelle Joina, second dortoir. T'as pas idée de tout ce qu'elle raconte dans ses SMS, une fois elle….

    -Merci.

    Erlhas referma la porte en interrogeant Diaralie du regard qui confirma :

    -J’ai entendu, je m’en occupe.

    -Très bien, commençons.

    Erlhas retourna s’asseoir.

     

    Lorsqu’il sortit après une heure de réunion, il était furieux :

    -Qui a osé donner naissance à des cons pareils !

    Sebizan était resté sagement assis par terre, le nez dans un bouquin. Il se leva précipitamment pour rattraper Erlhas qui marchait à grands pas, sans but précis.

    -Alors ? Pour la psychopathe ?

    -Quoi ?

    -La fille ? Qu’est-ce qu’ils vont faire ?

    Erlhas s’arrêta pour reprendre son souffle et se calmer :

    -Tu as de la chance que ce soit Diaralie, elle fera quelque chose. Les deux autres potiches, c’était moins garantie.

    -Tu n’es pas très aimable pour tes collègues.

    -Je ne suis jamais aimable.

    -Oh non, ai un peu confiance en toi mon grand, allons.

    Il lui tapota l’épaule d’un air condescendant. Erlhas plissa les yeux :

    -T’es cinglé, non ?

    Sebizan continua de lui tapoter l’épaule en faisant mine d’y réfléchir. D’un air sournois, Erlhas demanda :

    -Tu as fini tes devoirs ?

    -Pourquoi faut-il toujours que tu sois si cruel, répliqua-t-il en geignant.

    Erlhas lui offrit un sourire mauvais et s’apprêter à reprendre son chemin lorsque Sebizan lui attrapa le bras :

    -Dis, tu commences à huit heures demain, non ? Tu vas encore devoir te lever tôt, heureusement que tu es du matin.

    -Je te hais tellement.

    -C’est faux et tu le sais.

    -Je vais quand même t’en mettre une pour faire bonne mesure.

    -On doit pas avoir le même système de mesure.

    Il s’enfuit en courant avant que Erlhas ne le pourchasse. Donne l’exemple, ne cours pas dans les couloirs. La pensée passa comme un coup de vent alors qu’il accélérait pour rattraper son ami.

     

    Le lundi passa comme dans un brouillard. À vrai dire, Erlhas resta à la limite du sommeil toute la journée, ne songeant qu’à son lit. Lorsqu’enfin le dernier cours se termina, il monta directement au dortoir avec la ferme intention de commencer sa nuit sans manger. En chemin, il tomba sur Diaralie qui l’arrêta :

    -J’ai vu la fille.

    -Oh, génial, c’est réglé alors ?

    -Elle prétend qu’ils sortent ensemble.

    -C’est faux.

    -Comment tu peux en être aussi sûr.

    -Mon ami n’est pas un menteur. Il ne sait même pas comment elle a eu son numéro.

    -On ne peut pas dire que Sebizan soit très fiable.

    Erlhas haussa un sourcil. Elle répliqua sans hésitation :

    -Oh, je t’en prie, tout le monde sait que c’est ton seul ami.

    Bam, prend ça dans la gueule. Erlhas retint un rire avant de continuer :

    -Il ne m’a jamais menti.

    -Comme c’est mignon.

    -Trouve un moyen de l’arrêter ou je m’en charge et si tout le monde sait que je n’ai qu’un ami, tout le monde sait aussi que le calme et la maîtrise de soi ne sont pas mon fort.

    Elle plissa les yeux comme si elle jaugeait le sérieux de sa déclaration, puis son regard dévia lorsqu’elle se mit à penser soudain à autre chose. Finalement, son visage s’éclaira et elle adressa un sourire mystérieux à Erlhas :

    -J’ai une idée.

    -Tu me crois ?

    -Si mon idée fonctionne, peu importe qui ment ou pas.

    -C’est quoi l’idée ?

    -Il ne vaut mieux pas que tu le saches.

    Elle partit à pas rapide vers son dortoir. Erlhas resta un instant à se demander ce qui avait pu lui traverser l’esprit, puis un bâillement lui rappela son lit et il s’y rendit sans plus attendre.

     

    Le lendemain, il se réveilla en sursaut lorsque son réveil sonna. Il regarda l’heure et dans le brouillard du sommeil, chercha à se rappeler son emploi du temps. Y a un truc qui n’est pas normal. Il se rendit compte de quoi il s’agissait en tombant sur le visage radieux de Sebizan qui finissait de faire son lit en lui disant :

    -J’y crois pas. Le seul matin de la semaine où tu peux dormir, t’oublie de régler ton réveil.

    Il poursuivit avec un éclat de rire alors que Erlhas hurlait dans son oreiller. Alors que son ami prenait son sac, il se redressa brusquement :

    -Hé, tu penses au devoir de Nouphilo ?

    Sebizan lança en sortant :

    -Dans mon sac.

    Lorsque la porte se referma, il se laissa retomber sur son oreiller pour tenter de se rendormir.

     

    Les jours se suivirent sans incident ce qui le surprit un peu. L'adolescent commençait à avoir l’habitude d’être convoqué au moins une fois par semaine à l’infirmerie. Mais Nouphilo semblait se tenir à carreaux. Comme quoi, quand il veut. Erlhas se balança sur sa chaise de bureau pour fixer le plafond. Le week-end était de retour et il fallait bien l’avouer, il s’était ennuyé. Sebizan finit par rentré, balança son sac et dit :

    -Ne me dis pas que tu fais tes devoirs de la semaine prochaine.

    -Ne me dis pas que la caméra était dans ton sac.

    -J’ai l’air si crétin ?

    -Ne pose pas de question dont la réponse pourrait te blesser.

    Sebizan lui envoya un coup de poings au ralenti que Erlhas évita à son tour sur la même cadence. Une fois au sol, il demanda :

    -Au fait, tu as fini avec la caméra ?

    Sebizan qui s’était lancé dans un coup de pied d’une lenteur exceptionnelle, s’arrêta dans un équilibre précaire pour tendre l’appareil qu’il avait encore en main. Erlhas se releva et s’en saisit :

    -Cool, merci.

    -Ouais, heu…

    Il se gratta la nuque d’un geste embarrassé qui inquiéta Erlhas :

    -Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

    -Bah, disons que, certaines choses qui sont dites sont un peu… mauvaises.

    -Comment ça ?

    -Je pense que tu devrais regarder avant de lui donner, voir s’il y en a qu’il vaudrait mieux effacer.

    Ce serait de la triche. Mais Erlhas sentit une pointe se glisser près de son cœur en repensant au Nouphilo immobile sur son banc, la casquette profondément enfonçait sur le crâne. À vrai dire, il avait du mal à imaginer comment on pouvait vouloir dire du mal de lui. Bon, d’accord, on ne pouvait pas dire qu’il était particulièrement aimable ni sociable, mais il ne faisait de mal à personne. Il faut juste lui foutre la paix, c’est pas compliqué. Erlhas prit le caméscope et alla s’asseoir à son bureau.

    -Bon, je vais jouer aux cartes avec les gars du troisième dortoir.

    -Ok.

    Sebizan sortit en fermant doucement la porte et Erlhas lança la première vidéo. Son ami n’avait pas chômé. Les personnes interrogeaient été nombreuses et variées. Un bon nombre ne savait pas de qui il parlait, d’autres riaient aux éclats, se moquaient. Apparemment, Nouphilo passait du psychopathe au sataniste. Il était tour à tour débile, drogué, voyeur. Erlhas sentait la colère montait à chaque regard de travers, chaque raillerie. Puis une fille apparut à l’écran, avoua être dans la même classe de Nouphilo et sourit doucement à la question de Sebizan :

    -J’ai dû travailler avec lui pendant un cours, y a pas longtemps. En fait, il est pas si bizarre que ça, non, il est bizarre mais pas dans le genre méchant. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire.

    Erlhas sourit. Je vois complètement ce que tu veux dire. D’autres critiques, d’autres moqueries, puis deux garçons que Erlhas reconnu comme étant les voisins de chambre de Nouphilo. À la question de son ami, l’un répondit par un haussement d’épaule :

    -J’ai pas d’avis. Il m’a jamais rien fais alors.

    Sebizan insista :

    -Et pour la blague que les autres ont fait la nuit dernière, vous en avez pensez quoi ?

    C’est l’autre qui répondit :

    -Ça, c’était débile.

    -Mais il avait cogné leur ami.

    -Ouais, bah, je suis sûr qu’il avait une raison.

    Son ami surenchérit :

    -Franchement, je le vois pas se jeter sur les passants, avec sa maladie là. Ils pourraient pas lui foutre la paix ?

    D’autres prirent la parole, mais les avis négatifs restaient plus importants que les positifs et en général ce n’est que de ceux-là qu’on se souvient. Erlhas fit glisser son doigt sur l’icône permettant de supprimer des vidéos et arrêta son geste. Nouphilo n’était pas idiot, il devait se douter que les témoignages ne seraient pas flatteurs. Il se laissa aller contre le dossier pour réfléchir. Il ne pouvait pas supprimer de vidéo pour alléger le coup, mais il pouvait en ajouter une.


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