• Sois sage, sois sage, sois sage, sois sage. La vache, il en a de bonne lui, je fais comment dans tout ce merdier ?

    La fin des cours avait enfin sonné et, allait savoir pourquoi, ce jour-là, les élèves semblaient traînés dans les couloirs plus que d’habitude.

    -Nouphilo ? Je vais fermer la salle, tu veux bien sortir ?

    Il hocha la tête en réponse à son professeur d’histoire et jeta un nouveau regard angoissé vers le couloir. Il lui était arrivé de se lancer dans la foule sans se poser de question, mais à présent, c’était différent. Les choses étaient devenues sérieuses et Erlhas avait déjà suffisamment subi par sa faute.

    -Nouphilo ?

    L'adolescent se tourna vers son professeur qui tenait déjà sa sacoche d’une main et les clés de l’autre :

    -Oui ?

    -Ça va aller ?

    -Oui, bien sûr. J’y vais.

    Et advienne que pourra. Il s’élança, fixant ses chaussures et s’imposant pour seule règle de ne s’arrêter sous aucun prétexte, frôlement ou pas frôlement. Sois sage, sois sage, pour pas apporter d’autres emmerdes à Erlhas, allez, courage. Un coup d’œil en relevant la tête lui montra qu’il avait presque rejoint l’escalier. Allez, tu montes, tu passes le couloir et tu arrives au bâtiment dortoir. C’est facile. Il se colla au mur pour monter l'escalier et atteindre l'étage. Ce couloir-ci semblait un peu plus vide déjà, mais pour éviter tout incident, il resta près du mur. Nouphilo accéléra le pas au fur et à mesure qu'il s'approchait des portes vertes en fin de couloir qui indiqué le début des dortoirs. Avec le beau temps de retour, les pensionnaires ne rentreraient pas de sitôt. Rapidement, il se glissa jusqu'à sa chambre, ferma la porte et tourna la clé avant de respirer profondément :

    -Un retour sans K.O. Mesdames et messieurs, c’est une victoire.

    Il balança son sac, retira ses chaussures avant de s’affaler sur son lit. Quelques minutes de pause et au boulot. Le garçon ferma les yeux et s’endormit.

     

    Nouphilo se réveilla en sursaut, le cœur bondissant dans sa poitrine sans se souvenir de ce dont il avait rêvé. Il attendit quelques secondes que son cœur se calme, fit lentement le tour de sa chambre du regard. Quand tout lui sembla revenu à la normale, il se leva pour s’installer à son bureau et se mettre à ses devoirs.

    Une demi-heure plus tard, l'adolescent entamait son dernier exercice. Des questions sur un texte de géographie et il bloquait. La première avait été facile, une simple date à trouver, mais là, il fallait relever des causes. Ce n’est pas qu’il ne les trouvait pas, c’était plutôt le fait qu’il en avait trop. Sous la question, deux lignes étaient tracées. Cela voulait-il dire que la réponse devait tenir dessus ? Si c’était le cas, devait-il ne relever que les causes principales ? Ou bien ces deux lignes n’étaient que des indications et le garçon était censé tout mettre dessus ? Nouphilo en était là de ses réflexions, car il était du genre soigneux. Il soulignait ce qui devait l’être, changé de couleur en prenant ses notes et écrivait le moins possible en abrégé. À l'idée d'agglutiner ses réponses sur deux lignes ridicules, il bloquait complètement.

    -Bon, tu vas pas rester là trois heures non plus.

    Le jeune homme se décida à prendre une feuille simple, nota la date, la matière et la page avant de répondre. Une fois la question terminait, il passa à la suivante qui, elle, tenait sur ces fichues lignes. C’est à cet instant que la sonnerie du dîner sonna. La voix de Erlhas résonna dans le couloir pour que tous sortent et un tumulte se fit entendre. Nouphilo jeta un regard vers l'entrée avant de revenir à sa feuille. Il observa rapidement le reste des questions et jugea qu’il n’en aurait que pour quelques minutes. Un coup léger fut donné à sa porte et Erlhas l’appela :

    -Nouphilo, tu peux sortir.

    -J’arrive.

    Il se leva et s’approcha, mais resta un instant à écouter pour s’assurer que le couloir s’était bien vidé. Non pas qu’il ne faisait pas confiance à Erlhas, mais on était jamais trop prudent. Comme seul le son des pas de son chef qui retournait vers sa chambre lui parvenait, l'adolescent ouvrit la porte pour sortir dans le couloir vide. En chantonnant, il descendit l’escalier et alors qu’il atteignait le premier étage, des voix de filles se firent entendre. Sans doute des retardataires. Il s’arrêta à temps sur la dernière marche, tandis que le groupe de filles lui passait devant sans le voir. Très près de lui cependant, et il retint son souffle, sentant déjà son cœur s’affoler.

    -Nouphilo ?

    Il regarda par-dessus son épaule pour apercevoir Erlhas qui se tenait en haut des marches.

    -Ça va ?

    L'interpellé hocha la tête et aperçut plus haut, Sebizan. Nouphilo avait entendu dire que ces deux-là se connaissaient depuis longtemps, depuis le primaire en fait. Ils étaient toujours ensemble, bien qu’il est du mal à comprendre pourquoi. Erlhas était aussi sérieux que Sebizan était indiscipliné. Si l’un était l’élève modèle, l’autre était l’élément perturbateur par excellence. D’un point de vue physique, si Erlhas n’était pas laid, il était du genre banal alors que Sebizan était de ceux que l’on remarque. Il avait un certain succès auprès des filles et des garçons, ce qui lui conférait une popularité dont ne bénéficiait pas son ami.

    À dire vrai, Nouphilo ne l’aimait pas trop et ne comprenait pas comment Erlhas pouvait le supporter. À la question que son chef venait de lui poser, il répondit :

    -Oui, ça va. Pourquoi ?

    Erlhas haussa les épaules :

    -Pour rien, mais va pas stresser pour ce qu’a dit le secrétaire.

    -Je stresse pas.

    -OK. Continue d’être sage surtout.

    Nouphilo lui sourit et comme le responsable semblait ne rien vouloir ajouter, il finit par reprendre son chemin jusqu’au réfectoire.

     

    Il était plus vide que le midi mais cela restait difficile de trouver une place isolée. De plus, contrairement au déjeuner, le garçon n’avait pas le droit de sortir du bâtiment. Il devait donc se débrouiller chaque soir, pour trouver une place qui lui convienne. Nouphilo prit son plateau, une assiette et se rendit au premier bout de table libre qu’il aperçut. En le voyant approcher, les quelques occupants s’écartèrent. Bah, voilà, ça c’est des gars qui ont compris l’idée. Soulagé de ne pas avoir à tourner dans le réfectoire pendant une heure pour une place, il s’installa et commença à manger.

    Des éclats de rire lui firent lever la tête. À la table des chefs de dortoir, Sebizan faisait l’idiot. Normalement, mis à part les trois filles et les trois garçons responsables, personne ne pouvait s’asseoir à cette table, pourtant, il y trouvait toujours sa place. Nouphilo soupçonnait Erlhas d’y être pour quelque chose. Comme les autres, celui-ci était plié de rire et il se demanda ce qui avait pu être si drôle. Puis il haussa les épaules et retourna à son assiette, ses pensées de nouveau tournées vers ses devoirs. Le repas engloutit, il rangea couverts et plateau, prit un verre d’eau qu’il but d’une traite et retourna dans sa chambre.

     

    Nouphilo ferma son cahier et se laissa retomber dans sa chaise une fois qu’il eut terminé. Il s’étira et regarda l’heure sur son réveil. L'adolescent avait le temps d’une douche et même de lire avant d’aller dormir. C’est la fête ce soir. Un autre point positif de la chambre individuelle était qu’elle comportait une salle de bain. Pour ceux qui partageaient une chambre, la salle de bain était commune aux deux occupants. Nouphilo se déshabilla en se disant, qu’en cet instant, la vie était drôlement belle. Si sa mère n’avait pas insisté pour qu’il ait sa chambre, il se serait probablement retrouvé à partager celle de Sebizan puisque Erlhas aurait eu celle-ci. Il frissonna d'horreur. Je suppose que c'est ce qui s'appelle échapper au pire. Une fois lavé et en pyjama, le garçon se glissa sous les couvertures pour lire. Lorsque les mots commencèrent à se mélanger sous ses yeux, il comprit qu'il était temps d'éteindre et s'endormit.

     

    Un coup violent le réveilla en sursaut. Nouphilo se redressa, paniqué, le cœur au bord de l’explosion sans vraiment réaliser ce qui l’effrayé tant. Un autre coup sur la porte lui arracha un cri. Terrifié, il imagina les hommes fous qui cherchaient à pénétrer dans sa chambre. Ils vont défoncer la porte, ils vont me tuer. Il en était persuadé, ces personnes lui voulaient du mal. Dans sa mémoire embrouillée, il chercha à se souvenir s’il avait fermé à clé. L’obscurité environnante semblait l’écraser et un nouveau coup le fit sursauter. Lève-toi allez, avant qu’ils n’aient l’idée de tourner la poignée. Il se leva en tremblant, la poitrine oppressait par l'angoisse. Son imagination lui montra les êtres derrière la porte devenus des ombres désincarnées venues le dévorer. Le garçon se mit face à l'entrée et s'arrêta. Et s’ils arrivaient à défoncer la porte au moment où il tournait la clé ? Ils pourraient l'attraper sans problème. Son esprit embrouillait par la terreur lui fit voir ces ombres monstrueuses, sans visage, se déversant dans la pièce. Nouphilo recula sans quitter la porte des yeux alors qu'un nouveau coup y était donné. Pourquoi ils font ça ? Il me faut une arme. Au bord des larmes, il se réfugia derrière son bureau s'emparant de ses ciseaux au passage. Les coups redoublèrent. Il ne pouvait plus respirer. Accroupi dans le noir, les ciseaux fermement serrait contre lui, il attendit l'arrivée de la foule enragée venue pour le massacrer.

    -C’EST QUOI CE BORDEL ?!

    La voix furieuse et puissante de Erlhas résonna dans tout le dortoir. Les coups à la porte cessèrent et Nouphilo releva la tête.

    -VOUS FOUTEZ QUOI, VOUS ?!

    L'adolescent allait se redresser lorsque l’on toqua doucement. Il hésita et resta sans bouger.

    -Nouphilo ? C’est Sebizan.

    Le jeune homme se rendit doucement à la porte, le corps tremblant, s’apercevant au passage qu’il l’avait bel et bien fermé à clé. Il l’ouvrit à peine pour être sûr que le danger était écarté. Il vit le garçon qui sourit en l’apercevant :

    -Hey, salut, lui dit-il doucement.

    Le cœur de Nouphilo se calmait peu à peu et son esprit redevint rationnel, mais il n’osa pas ouvrir la porte d’avantage. Il finit par répondre :

    -Salut.

    -Ça va ?

    Nouphilo osa s’avancer suffisamment pour pouvoir jeter un coup d’œil dans le couloir. Erlhas était en train de faire la morale à quatre garçons, parmi lesquels il reconnut les deux garçons qu’il avait frappé le jour même. Ce n’était que ça. Des élèves faisant une mauvaise blague, rien de plus.

    -Il a le sommeil profond.

    -Quoi ?

    -Erlhas, j’ai mis un temps fou à le réveiller. Il serait intervenu plus tôt sinon, mais il est pire qu’une bûche.

    Nouphilo hocha la tête pour montrer qu’il avait compris. Cependant, Erlhas criait de plus belle :

    -Et vous ! Qu’est-ce que vous regardez ?! Retournez dormir !!

    Les pensionnaires curieux qui se tenaient à l’entrée de leurs chambres ne bougèrent pas d’un pouce. Comme Erlhas venait vers son ami, il leur fit face pour hurler :

    -TOUT DE SUITE !

    Les portes claquèrent dans la seconde tandis que Nouphilo retournait se réfugier derrière la sienne.

    -Tu… tu vas pas m’engueuler hein ? J’ai rien fait, je te jure. Tu veux que je te rende tes bonbons ?

    -Mes… non, non ça va aller. Toi, ça va ?

    Il hocha timidement la tête.

    -Je vais les envoyer chez le secrétaire général demain. Eux qui avaient tant hâte de l’impliquer dans cette histoire, ils vont être servis.

    -Je vais être renvoyé ?

    Erlhas parut un instant surpris :

    -Non, pourquoi ?

    Nouphilo haussa les épaules et son chef soupira :

    -Va te coucher, ok ? Demain, tu n’auras pas d’ennui, je te promets.

    Il fit signe à Sebizan de repartir et Nouphilo allait refermer la porte, lorsque Erlhas la retint, le faisant sursauter.

    -Quand je dis que tu n’auras pas d’ennui, cela implique bien sûr que tu ne cognes personne. Si ça arrive, alors je récupérerai mes bonbons, est-ce que c’est clair ?

    Nouphilo eut la force de sourire et referma la porte à clé. Une fois seul, il s’aperçut qu’il avait encore ses ciseaux en main, puis vit le bureau derrière lequel il avait cherché protection. Le calme revenu, il réalisait toute l’absurdité de sa conduite. Tu fais pitié, mon pauvre gars. Furieux contre lui-même, il balança ses ciseaux sur son bureau et retourna sous ses couvertures.


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