• Chapitre 18

    Ils leur avaient fallu à peine une heure pour tout décaler. Quand ils eurent terminé, Miral observa l’espace libéré d’un air content :

    -Et voilà.

    Gialema finit de déposer les derniers pots et boîtes sur les étagères déplacées et se retourna. Ylios pencha la tête :

    -On va être serré, mais au moins on aura chaud.

    Miral se mit à rire tandis que son regard tombait sur le haut déchiré de son ami. Son rire s’éteignit. Il avait vu la cicatrice, dans le même genre que celle qu’il avait à la jambe, mais n’avait pas trouvé le temps de lui demander comment cela lui était arrivé.

    -Il faut que vous dise. Il s’est passé un truc bizarre.

    Miral sursauta, persuadait un instant que Gialema avait lu dans ses pensées. Se ressaisissant, il demanda :

    -Quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    Elle sembla hésiter avant de continuer alors Ylios l’encouragea :

    -Vas-y, dis-nous. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    Gialema arrêta de se triturer les mains pour raconter d’un souffle ce qui lui était arrivé dans la forêt alors qu’elle cherchait Ylios. Elle conclut en se tournant vers celui-ci :

    -Après, je t’ai trouvé et tu avais cette cicatrice.

    Puis, elle s’adressa à Miral :

    -Je ne sais pas, mais je trouve que la tienne y ressemble. Comme si cela avait guéri grâce au même… truc.

    Miral comprit ce qu’il était censé dire ensuite et il se tourna vers Ylios :

    -Tu te souviens de comment c’est arrivé ?

    Son ami prit le temps de la réflexion avant de froncer les sourcils :

    -En fait, je me souviens d’avoir senti le couteau qui me déchirait, je suis tombé. Il me semble que j’avais repris forme humaine à ce moment-là. Après c’est assez flou. Je crois que j’ai perdu connaissance à un moment, mais je sais plus trop.

    Miral se remémora sa propre expérience :

    -J’ai entendu des pas, moi. Mais je n’ai rien senti, j’ai perdu connaissance et je me suis réveillé hors de la boîte avec Tremon à côté.

    Il surprit le regard échangé entre Gialema et Ylios et devina leur pensée :

    -Vous croyez qu’il a quelque chose à voir avec ça ?

    Ylios hésita à partager ce que Tremon lui avait dit en privé, mais cela ne dura qu’un instant et il finit par hausser les épaules :

    -Pas sûr, je ne me souviens pas l’avoir vu avant de m’évanouir.

    Gialema ajouta :

    -Il n’était pas là quand je suis arrivée non plus.

    Miral soupira :

    -Il doit y avoir autre chose. Peut-être que ce sont les Errants qui nous ont fait quelque chose.

    Ylios fronça les sourcils, pas convaincu :

    -Ils nous auraient soigné ? Après avoir essayé de nous tuer ?

    Gialema approuva la remarque du lion :

    -C’est vrai. Pourquoi ils n’ont pas soigné Seih alors ?

    Miral répliqua sans hésiter :

    -Parce que Tremon et moi, on leur est tombé dessus. Ils n’ont peut-être pas eu le temps.

    -Sans doute pour torturer sur le long terme.

    Ils sursautèrent tous les trois en se tournant vers la porte. Tremon s’y tenait, les bras croisés. Derrière lui, Til, les bras chargés de couverture, attendait patiemment qu’il veuille bien lui laisser le passage. Miral finit par lancer au garçon :

    -Bon, tu ne veux pas te pousser qu’elle puisse passer ?

    Tremon lui jeta un regard noir avant de faire un pas sur le côté. Til lui sourit et déposa sa charge sur le sol :

    -Voilà, j’espère que ça suffira. Je vous apporterai à manger ce soir. Mon père est le meilleur cuisinier du village.

    Elle ne cacha pas sa fierté en prononçant ses dernières paroles. Les trois amis se contentèrent de sourire tandis que Tremon gardait son air renfrogné. Til se releva et leur lança en sortant :

    -Si vous voulez plus de couverture, n’hésitez pas à venir demander.

    Elle s’éclipsa en fermant la porte derrière elle. Miral se tourna vers Tremon :

    -Je te préférais quand tu paniquais dans la cabane.

    Ni l’un ni l’autre n’avait expliqué à Gialema et Ylios ce qui était vraiment arrivé à Seih. Se contentant de dire qu’elle était blessée. Il n’avait pas l’impression que cela le rapprochait plus du garçon, mais au moins, il avait vu une facette de lui qu’il ne lui connaissait pas. Quelque part, cela l’avait rendu plus humain à ses yeux, un peu plus normal. Mais là, il recommence à mes les briser quand même. Tremon ne répliqua pas à sa remarque et se contenta de fixer Ylios en demandant avec une certaine ironie :

    -Est-ce que l’on va vraiment rester ici jusqu’à la fin des temps ?

    Ylios ne se laissa pas impressionner :

    -On ira nulle part sans Seih. Tu ne veux quand même pas qu’on la laisse là, au milieu d’étrangers ? T’imagines la trouille quand elle s'en rendra compte ?

    Le regard de Tremon s’égara comme chaque fois que son esprit décroché de la situation. Miral se crispa. Il n’aimait pas cette tendance qu’avait le Test de se couper de la situation quand cela l’arrangé. Je sais pas comment Ylios fait pour ne pas lui avoir déjà cassé les dents, mais s’il continue à agir comme si il n’y avait que lui et Ylios qui décident, c’est moi qui vais lui en mettre une. Soudain, le visage soulageait de Tremon en découvrant que Ylios était vivant lui revint en mémoire. Il se souvenait aussi clairement de la façon dont il avait essuyé les larmes de Seih et des paroles de réconfort qu’il avait eu. Et maintenant…

    Ylios continuait de lui parler avec douceur comme s’il craignait de l’énerver :

    -Les gardes ne nous trouverons pas ici. Autant en profiter.

    Les mâchoires de Tremon se crispèrent montrant qu’il avait clairement entendu ce qu’il lui avait dit. Miral était d’accord avec Ylios et ajouta en espérant aider à convaincre Tremon qui semblait décidé à repartir, bien qu’il ne comprenne pas pourquoi :

    -Où veux-tu qu’on aille ? Notre seul plan, c’était les nomades.

    Tremon s’avança si soudainement vers lui que Miral se demanda avec inquiétude si finalement, ce n’était pas lui qui finirait avec un poing dans la figure. Il sentit tout son corps se crisper en attente, sachant que son temps de réaction serait trop lent pour l’éviter. Pourtant, Tremon s’arrêta net à quelque centimètre de lui :

    -Les parents n’ont rien dit d’autre ? Un plan de secours ?

    Miral secoua la tête tout en essayant de rassembler ses souvenirs :

    -Non, non, je ne crois pas.

    -Réfléchis bien.

    Il n’était pas sûr, mais le python crut bien discerner une menace dans le ton de Tremon :

    -T’es un peu trop près pour que j’arrive à réfléchir.

    Miral vit la surprise et la confusion se peindre sur le visage de l’adolescent qui recula. Il n’a pas réalisé qu’il s’était approché ? Gialema profita du silence pour glisser :

    -Non. Ils ne s’attendaient sûrement pas à ce que les nomades se joignent aux gardes.

    Tremon commença à s’agiter. Il ne tenait pas en place, faisant deux pas à gauche, revenant, trois à droite, se retournant, leur faisant face. Un son rageur grondait dans sa gorge, un cri qu’il ne laissa pas sortir. Merde, il est furax ? Il serrait les poings convulsivement, passa ses mains dans ses cheveux noirs, recommença à marcher. Miral commença à se dire qu’il y avait quelque chose d’anormal dans ce comportement. Est-e ce que c’est comme ça que les crises commencent ? Il surprit un mouvement du côté de Ylios. Son ami avait pris le bâton qui était toujours coincé dans sa ceinture. A pas prudents, il commença à s’approcher de Tremon et lui dit d’une voix basse, presque un murmure :

    -Tremon ?

    Miral fut surpris de voir que le garçon s’arrêtait soudain en entendant son nom et qu’il réussit à fixer son regard sur Ylios. Celui-ci continua sur le même ton :

    -Il faut que tu te calmes. Tu vas faire une crise. Il faut que tu te calmes.

    Un instant, le python crut bien que Tremon s’était calmé, que Ylios avait réussi, mais le garçon se mit soudain à crier, en pointant un doigt menaçant sur son ami :

    -Il faut qu’on parte ! Demain ! J’ai décidé, tu viens ! Pourquoi tu ne comprends pas ! C’est simple ! Tu peux pas être aussi con !

    Miral sentit la colère lui monter d’un coup et il s’apprêtait à répliquer quand Gialema intervint, à sa grande surprise :

    -Fais gaffe à ce que tu dis, Tremon !

    Loin de calmer le garçon, celui-ci se tourna vers elle et se mit à hurler. Un cri long et déchirant qui saisit Miral à la gorge. Puis il réalisa soudain que des larmes commençaient à perler aux coins de ses yeux. Ylios s’était empressé de reprendre la parole, continuant sur le même ton bas, calme.

    Miral commençait à se demander quel était vraiment le problème. Était-ce vraiment ainsi que commençait les crises ? Etait-ce normal ? C’est tout ce qui s’est passé dans la forêt qui le fait craqué maintenant ? Le python se rappela de la façon dont le Test avait géré la situation dans la cabane. Même s’il s’était arrangé pour que ce soit lui qui la recouse au début, il avait pris la relève quand Miral s‘était senti mal. Il avait été cherché le produit, fait la piqûre. Lui au moins, il a réussi à garder son calme pour savoir ce qu’il fallait faire ensuite. Il avait sauvé Ylios aussi. Miral sentit la culpabilité lui pincer le cœur. Tremon n’était sûrement pas le plus aimable, ni le plus compatissant, mais il avait pu compter sur lui dans un moment aussi terrible. Je serais probablement encore dans la cabane à me lamenter s’il n’avait pas été là.

    Tremon continuait de hurler comme un dément. A présent, les larmes étaient bien visibles sur ses joues. Au final, sa réaction n’avait rien de surprenant. Miral avait pu pleurer tout son soûl, il s’était laissé porter. Tremon avait dû prendre les décisions et il s’était efforcé à garder son sang-froid pour tout le monde. Merde, il a quand même dû recoudre une fille éventrée, même s’il ne la connaît pas bien, c’est quand même traumatisant. Non, ce n’était pas étonnant, vraiment.

    Ylios avait tenté de saisir Tremon à l’épaule mais il se dégagea, les yeux au sol. Au moins, il ne criait plus. Miral s’avança à son tour. Le lion fit un geste pour l’empêcher, mais il n’en tint pas compte :

    -Je suis désolé.

    Tremon s’essuya les yeux avec ses manches d’un geste rageur avant de relever la tête pour dévisager Miral.

    -Je pensais pas que ce pouvait être aussi dur pour toi que pour nous.

    Tremon prit une grande inspiration, visiblement en train de reprendre le contrôle. Miral en profita pour ajouter :

    -Je n’ai pas été d’une grande aide, je suis désolé.

    Tremon le dévisagea un instant avant de tourner les talons et de sortir en claquant la porte.

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