• XXIV - Citseko

    Citseko Fraam

    Rang : Argent

    Héritier de la famille Fraam au service du clan Evarla

     

    Sa question ne lui venait pas de nulle part. L'ancien héritier d'or avait les épaules voûtées, le regard fuyant. Sa voix avait perdu sa fermeté naturelle pour devenir un souffle morne. L'arc qu'il avait en main était tenu sans force. Un corps qui tenait debout sans que l'on sache pourquoi. Il semblait à deux doigts de s'effondrer à chaque instant. En posant sa question, Citseko s'était attendu à retrouver le vrai Xutik. Il lui rirait au nez, se moquerait de sa condescendance et partirait. Mais l'adolescent resta sur place, fixant le sol en soupirant avant de dire :

    -Je ne sais pas.

    Citseko ne savait pas quoi ajouter, mais à sa grande surprise, Xutik commença à parler :

    -Tout à l'heure, j'ai raconté quelque chose à Hiloy et aux autres... Normalement, j'aurais réfléchi... j'aurais probablement rien dit... là, j'ai juste tout sorti sans en avoir rien à foutre des conséquences... j'y ai même pas pensé...

    L'héritier d'argent se sentit obligé de lui rappeler :

    -Mais c'est ton supérieur, tu dois lui dire les choses importantes. Surtout si cela lae concerne. C'est bien ce que tu as fait.

    Il le regarda en face :

    -Mais ce n'est pas pour ça que je l'ai fait.

    Citseko haussa les épaules :

    -Mais tu l'as fait. C'est tout ce qui compte.

    Xutik ne sembla pas être remonté par ses paroles.

    -Citseko ! Ramène-toi.

    A l'appel de Meb, l'héritier d'argent commença à s'éloigner, mais il prit le temps d'ajouter :

    -Reste avec eux. Peu importe où ils sont, où ils vont, ce qu'ils font. Parle-leur à eux. Fais partie du groupe. Je suis sûr que cela te fera du bien.

    Xutik se contenta de le regarder partir, si bien que Citseko se demanda s'il l'avait seulement écouté.

    -Qu'est-ce qu'il te voulait ?

    L’adolescent encore préoccupé par Xutik ne réalisa pas de suite que Meb lui posait une question :

    -Pardon ?

    -Xutik, qu'est-ce qu'il te voulait ?

    Citseko se contenta de répondre :

    -Il a des problèmes à se faire à son titre d'héritier d'argent.

    Gondémàr en profita pour demander :

    -C'est vrai qu'il est devenu l'héritier d'argent de lae Cinquième ?

    Dsouphan et Chalien se rapprochèrent suspendu aux lèvres de l'héritier d'or :

    -Apparemment. Il serait aussi dans l'union des Cinq maintenant.

    Les trois autres posèrent un regard nouveau sur Xutik :

    -Cela veut dire...

    Meb les arrêta :

    -Non, non, on ne peut pas espérer quoique ce soit de lui. Si on essaie de l'utiliser et qu'il rapporte quoique ce soit à Hiloy, c'est les Cinq qui risquent de nous tomber dessus.

    Gondémàr eut un rictus :

    -Tu leur prêtes pas un peu trop de pouvoir ? On les voit jamais les quatre autres et lae Cinquième n'a pas l'air très dégourdi.

    Dsouphan eut un petit rire :

    -C'est clair. Iel a une bonne tête, mais sinon...

    Meb le coupa :

    -Oh, non, tu l'as pas vu se battre. On a fait des duels la dernière fois. Tu ne pourrais pas la suivre. Et c'est la dernière… ou dernier des Cinq.

    Gondémàr fit remarquer :

    -Cela ne veut pas dire que c'est la moins forte.

    Meb fut vexé qu'il puisse s'imaginer qu'il n'y ait pas pensé :

    -Je sais bien, mais je prendrais pas le risque.

    Dsouphan fut déçu :

    -On ne fait rien, alors ? On laisse passer l'opportunité, alors qu'il parle déjà à ton héritier d'argent.

    Meb acquiesça :

    -On lui fout la paix.

    Citseko fut soulagé d'entendre la décision de son héritier d'or. Il n'avait aucune envie d'ajouter des difficultés à Xutik. Meb se tourna vers lui :

    -Au fait, ce soir, je serais en retard pour le dîner. Ne m'attends pas.

    Ce n'était pas la première fois que Meb disparaissait sans lui en dire la raison. Citseko se demandait si c'était lié à sa copine. Il ne l'avait pas revu depuis que l'héritier d'or lui avait présenté, mais il ne voyait pas d'autres raisons pour que Meb s'éclipse sans rien lui dire. Peut-être qu'il a encore peur que je sois jaloux. Citseko ne posa pas de question. Ce n'était pas sa place.

     

    Une fois l'activité terminée, il se rendit directement dans le réfectoire en espérant ne pas croiser Alio qui continuait à lui courir sur les nerfs. Sitôt qu'il se trouva une place, une voix l'empêcha d'entamer son repas :

    -Tu te souviens de moi ?

    Citseko leva les yeux pour découvrir un visage qui lui semblait, en effet, familier, mais sans qu'il puisse se rappeler où il l'avait vu. Il dit doucement :

    -Désolé, je ne sais plus d'où...

    -L'hôpital. Tu cherchais les pyjamas.

    L'héritier d'argent ouvrit des yeux ronds :

    -Ah oui, ça fait longtemps.

    Le garçon qui l'avait aidé ce soir là... c'était déjà si loin, comment pouvait-il se souvenir de lui ? Citseko le regarda s'accroupir sur le siège en face de lui. La couleur irrégulière de ses pupilles lui semblaient être des flammes cernant le gouffre de l'iris. L'héritier d'argent se demandait encore comment ce garçon pouvait se souvenir de lui quand celui-ci demanda :

    -Je peux prendre ça ?

    Citseko baissa les yeux sur la part de gâteau qu'il montrait du doigt. L'adolescent en avait pris deux. C'était rare d'avoir du gâteau en dessert et Citseko voulait s'assurer que Meb aurait une part. Il fut déçu que son interlocuteur le veuille, mais il ne put s'empêcher de dire :

    -Si tu veux.

    Comme il se penchait par-dessus la table pour s'en emparer, Citseko dût se résoudre à lui demander :

    -Excuse-moi, je ne me rappelle pas ton nom.

    -Lorti G'as.

    L'héritier d'argent allait lui redonner son nom, mais le garçon continuait :

    -Je me souviens, Citseko.

    Le garçon en resta sans voix. Comment c'est possible. En deux bouchées, le gâteau fut englouti, pendant que Citseko cherchait un blason, mais Lorti Ga's était en pull ne lui permettant même pas de savoir s'il était d'or ou d'argent. L'héritier d'argent se souvint que déjà à l'hôpital, il n'avait pas pu voir son blason car il était déjà changé.

    -Tu connais Alio, n'est-ce pas ?

    Citseko s'étonna encore :

    -Tu le connais ?

    Lorti Ga's se contenta de dire levant les yeux au plafond :

    -De façon neutre. Ce n'est pas un ami, ce n'est pas un ennemi non plus.

    -Pourquoi ça t'intéresse alors ?

    Il planta son regard de flamme dans les yeux de Citseko qui éprouva le besoin de se reculer :

    -C'est pour ton bien.

    L'héritier d'argent se méfia aussitôt. Est-ce qu'Alio ne l'avait pas mêlé à un problème de clan en lui collant aux basques ? Si c'est ça, Meb va être furax.

    -Je ne veux pas d'ennuis. S'il pause problème à ton clan, je n'ai rien à voir avec ça.

    Lorti Ga's éclata d'un rire chaud et sincère :

    -Non, non. Ce n'est pas ça. Mais la prochaine fois que tu le verras dis-lui qu'il sait ce que j'en pense.

    Citseko eut beau tourner la phrase dans tous les sens, il n'y trouva aucun sens. Pour être sûr, qu'il avait bien entendu, l’adolescent répéta :

    -Je dois lui dire qu'il sait ce que tu en penses ?

    -Tu peux citer mon nom. Dis : Alio, Lorti Ga's m'a dit de te dire que tu sais ce qu'il en pense.

    Citseko se répéta la phrase avant de hocher la phrase :

    -D'accord, je lui dirais.

    Comme il commençait à manger, Lorti Ga's l'observa en silence avant de demander :

    -Tu ne me demandes pas pourquoi ?

    L'héritier d'argent secoua la tête :

    -Non. Ça ne me regarde pas. Si ?

    L'adolescent se contenta de sourire, puis finit par ajouter en se levant :

    -Une chose dont tu peux être sûr, c'est qu'après ça, tu ne le reverras plus.

    Maintenant, Citseko aurait bien demandé en quoi cela était lié, mais le temps de relever la tête de son assiette, le garçon avait disparu. Il le chercha un instant du regard, mais son attention fut vite détournée par Meb qui venait d'entrer. L'héritier d'or et ses amis le rejoignirent.

    -T'as eu du gâteau ?

    Citseko posa aussitôt la part restante sur le plateau de Meb. Ses trois amis soupirèrent :

    -La chance.

    Ils enchaînèrent sur des discussions qui ne l’intéressèrent que très peu et ne l'incluait pas de toute façon. Citseko avait soudain hâte de tomber sur Alio, juste pour savoir si Lorti Ga's ne lui avait pas menti. Sitôt qu'il eut fini son assiette, l’adolescent quitta le réfectoire sans s'attendre à ce qu'on le retienne. Son premier mouvement fut de chercher Alio mais il se retint. Si Lorti Ga's m'a menti, Alio va croire que je l'encourage. Citseko choisit d'attendre que l'adolescent le trouve comme il ne cessait de le faire depuis un bon moment. Comment il fait d'ailleurs ? Pour toujours savoir où je suis ? Cette question lui était venu à l'esprit soudainement et refusait d'en sortir. Je lui ai clairement fait comprendre que je n'étais pas intéressé, pourquoi continuer de me suivre ? Il voulait bien croire que certaines personnes s'accrochent, mais au bout d'un moment, tout le monde lâche. Cela fait trop longtemps... sauf s'il veut autre chose. Citseko se tenait encore à la porte du réfectoire et pu jeter un regard dans la salle pour apercevoir son héritier d'or. Je lui ai proposé de parler à Meb pour son clan, pourquoi refuser ? Que veut-il d'autre ? Pour ce soir, il se décida à retrouver sa chambre directement. Cependant, il découvrit Alio qui l'attendait à la porte de sa chambre :

    -Alors ? Comment était le tir à l'arc ?

    Citseko s'arrêta, réfléchissant s'il devait lui parler directement ou attendre d'avoir plus réfléchit aux questions qu'il se posait. Il ne lui fallut pas longtemps alors qu'Alio s'avançait avec son sourire exaspérant pour qu'il dise :

    -J'ai vu Lorti Ga's. Il m'a dit de te dire que tu savais ce qu'il en pense.

    Alio se changea en statue, pour autant que Citseko put en juger, il avait même arrêté de respirer pendant quelques secondes. Alors qu'il semblait prêt à se remettre en mouvement, Citseko s'empressa de demander :

    -Tu n'es pas vraiment intéressé par moi, n'est-ce pas ?

    Le passage dans le couloir sembla déranger Alio qui s'approcha pour demander :

    -On peut parler en privé ?

    Citseko hésita. Les salles communes étaient toujours peuplées. Il refusait de le faire entrer dans sa chambre, Meb pouvait revenir n'importe quand.

    -On peut aller au dernier étage.

    Alio sourit :

    -Tu connais le grenier ?

    L'héritier d'argent haussa les épaules. Peu importe comment il l'appelait. L’adolescent se dirigea vers l'escalier avec Alio. Citseko passa la vielle porte et monta les marches de bois jusqu'à atteindre le palier obscur. Il n'alla pas plus loin :

    -Je t'écoute.

    Alio dit :

    -Tu dois d'abord jurer que tu ne révéleras à personne ce dont je vais te parler. Du moins que tu ne me mentionneras pas.

    Une nouvelle lumière se fit dans l'esprit de l’adolescent :

    -Tu es un espion ?

    Alio sourit :

    -Si ça venait à se savoir, tu risquerais de te retrouver avec un crâne fracassé que tu ne verras pas venir.

    Citseko ne se sentit pas menacé et continua :

    -Je n'ai pas l'intention d'en parler à qui que ce soit. Mais pourquoi tu me suis alors ? C'est Lorti Ga's qui te l'a demandé ? C'est ton héritier d'or ?

    Alio éclata de rire :

    -Roi merci, non. Je ne sais pas qui il est...

    Citseko le coupa :

    -Tu ne sais pas qui c'est ? Pourquoi il te fait peur, alors ?

    -On raconte des choses, disons.

    -Quelles choses ?

    Alio secoua la tête :

    -Des choses effrayantes.

    L'héritier d'argent fut curieux d'en savoir plus, mais il se rappela sa priorité :

    -Qui t'as demandé de me suivre ? C'est à propos de Meb ?

    Alio fronça le nez :

    -Tu ne pourras pas dire à Meb que c'est moi qui t'en ai parlé non plus.

    Citseko hocha la tête, attendant la suite.

    -J'avais pour mission de te garder à l’œil.

    -Moi ? Pourquoi?

    De toute évidence, Alio répugnait à continuer, mais finit par reprendre :

    -Il semblerait que tu ais des sentiments pour ton héritier d'or. Or, Meb a une petite amie avec laquelle cela semble plutôt sérieux.

    Citseko le coupa, choqué :

    -C'est Meb qui a enclenché la mission ?

    Alio voulut l'apaiser d'un geste de la main :

    -Non, je crois que ce sont ses parents qui ont pris la décision.

    Il pouvait dire ce qu'il voulait, Citseko connaissait son héritier d'or par cœur. Si un espion avait été demandé, Meb devait s'être sacrément inquiété. Inquiété pour quoi ? La réponse lui vint alors qu'Alio reprenait la parole :

    -Je devais te garder à l’œil au cas où tu aurais voulu te venger, t'en prendre à la fille.

    Ce fut comme un coup de massue. Citseko n'eut soudain plus d'air. Bouche bée, il fixait Alio en se demandant s'il avait bien entendu. Le garçon continuait :

    -Personnellement, j'estime la mission terminée depuis un bon moment. Il est clair que tu n'es pas du genre à fomenter un assassinat...

    Citseko n'écoutait plus. Toutes ces années et il ne me fait pas confiance ? Était-ce à cause du fait qu'il s'était impliqué dans les histoires d'Elférad et Hiloy ? Mais, Alio était déjà là, non ? Combien même ce n'était pas le cas, cela n'enlevait rien au fait qu'il avait l'impression qu'on lui avait planté un poignard dans le dos. L’héritier passa Alio pour regagner sa chambre. En fait, il se souvint à peine du trajet. Il se trouva assis sur son lit sans vraiment savoir comment. Il n'a pas confiance. Après tout ce temps. C'était la seule chose à laquelle l’adolescent pouvait penser. Meb s'était attendu à ce qu'il s'en prenne à la fille. Citseko n'aurait jamais imaginé cela possible. Comment il a pu penser ça ? Il n'avait pas le souvenir de s'être déjà montré violent avec qui que ce soit, même en parole. Le pire était que Meb ait pu s'imaginer qu'il pourrait lui nuire d'une quelconque façon. L'héritier d'argent ne bougea pas en entendant la porte s'ouvrir. Il se contenta de suivre Meb du regard, alors qu'il s'installait à son bureau. L'héritier d'or chantonnait sans lui prêter attention. C'est probablement, ce qui permit à Citseko d'avoir le courage de dire :

    -Tu m'as fait suivre.

    Meb se retourna sur sa chaise :

    -Pardon ?

    -Je sais que tu m'as fait suivre.

    Au lieu d'essayer de nier, le plus simplement du monde, le garçon demanda :

    -Comment tu sais ?

    Le fait qu'il ne s'inquiète même pas d'être découvert eut le don d'énerver Citseko :

    -Pourquoi tu m'as fait suivre ? Comment tu peux ne pas me faire confiance après tout ce temps ? Est-ce que j'ai fait une fois, une chose qui peux te donner le droit d'avoir recours à ce genre d'extrémité ?

    Avant qu'il ne puisse continuer, Meb l'arrêta :

    -Ne le prends pas comme ça. Ce n'est pas si dramatique.

    Il ne saisit pas le problème.

    -Mais Meb, tu m'as entendu ? Tu ne me fait vraiment pas confiance ?

    Son héritier d'or soupira en levant les yeux au ciel :

    -Mais si, ça n'a rien à voir. Est-ce que tu sais pourquoi j'ai dû avoir recours à un espion ?

    -T'as eu peur que je m'en prenne à ta copine.

    Meb lui jeta un regard comme si cette réponse semblait suffisante pour excuser ses actions. Citseko maîtrisa son énervement :

    -Comment tu peux t'imaginer que je lui ferais quoique ce soit ?

    L'adolescent eut un petit sourire amusé :

    -Enfin, Citseko, avoue que tu es un peu trop sentimental.

    Moi ? Sentimental ?

    -Comment je suis supposé savoir comment tu réagirais en cas de déception amoureuse ? J'ai préféré prendre des précautions. Au cas où tu te lancerais dans une guérilla de roman pour annuler la compétition.

    Un mince filet de voix passa les lèvres de l'héritier d'argent, alors qu'il regardait horrifié, Meb faire des mimiques ridicules en parlant :

    -Comment tu peux penser ça ?

    Meb ne prenait clairement pas la situation au sérieux :

    -Oh, allez, tu sais que j'ai raison. En plus, tu sais comment tu es. En général, tu es un peu...

    Il le pointa de la main des pieds à la tête, mais Citseko le poussa à avouer à haute voix :

    -Un peu quoi ?

    -Un peu faiblard.

    Cela lui rappela une anecdote amusante qu'il s'empressa de raconter :

    -La dernière fois, avec les gars, on s'est amusé à imaginer ce qui arriverait si l'école était prise d'assaut par une alliance de clans ennemis. On était tous d'accord pour dire que tu serais le premier à tout balancer.

    Il rit à ce souvenir alors que Citseko sombrait. Remarquant sa sombre expression, Meb reprit son sérieux :

    -Ne le prends pas mal. C'est juste que tu es plus du genre à recevoir de la protection qu'à en donner. Il y a vraiment rien de mal à ça, mais j'avoue qu'en cas de bagarre généralisée, ce n'est pas vers toi que je me tournerais pour du soutien... même si tu te débrouilles en duel.

    Il avait ajouté cette dernière information comme si cela pouvait le consoler du reste. De son côté, Citseko était au fond du trou. Il ne me fait pas confiance et il ne me connaît même pas. Cela le frappa soudain. Ils n'avaient pas grandi ensemble. Ils avaient grandi l'un à côté de l'autre et voilà qu'il le réalisait à peine. Il n'a jamais fait attention à moi. En fait, en écoutant Meb qui continuait de parler, plaisantant à moitié, il eut le sentiment que le garçon lui avait fait une faveur en faisant de lui son héritier d'argent. La voix de Meb qu'il aimait tant commença à s'évanouir dans un bourdonnement désagréable. Citseko n'écoutait qu'à peine l'adolescent lui expliquer que ce n'était pas ses capacités qui l'avaient conduit à porter cette veste. Deux héritiers du même clan valaient mieux qu'un dans cette école. C'était plus intimidant. Citseko fixait le pied du bureau, tout sentiment l'avait quitté. Le garçon avait l'impression de ne plus rien ressentir. Finalement, il inspira profondément, se leva et sortit sa valise de sous son lit. Meb le regarda faire, s'arrêtant dans son discours :

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    Citseko commença à plier ses vêtements :

    -Je change de chambre. Si tu veux bien demander la permission au directeur.

    Meb éclata de rire :

    -Tu vois ? Ce que je te disais. T'es trop dramatique. Il n'y a pas de quoi faire toute une histoire.

    Citseko continua de faire sa valise pendant qu'il continuait :

    -Tu vas encore me foutre dans la merde. Si tu veux changer de chambre, quelqu'un va devoir venir ici...

    L'héritier d'argent le coupa :

    -Nsoah est seul dans sa chambre. Je vais squatter là-bas.

    -Comment tu sais ça ?

    -J'ai vu le gars qui partageait sa chambre déménager il y a quelques temps.

    En tant qu'héritier d'argent, il s'était toujours dit qu'il était de son devoir de faire attention aux détails qu'ils aient l'air important ou non. On ne savait jamais ce que l'on pourrait utiliser plus tard. Je n'ai certainement jamais pensé que cette information me serait utile un jour. Meb continuait de se demander si ce n'était pas une plaisanterie :

    -Tu crois vraiment que Tahiya va accepter un héritier d'un autre clan dans la chambre de son cousin ?

    Citseko continuait de rassembler ses affaires en répondant :

    -C'est à Nsoah que je vais demander.

    Meb ricana :

    -Parfois, je me demande si tu réalises comment le monde marche. Tu comprends ce que je veux dire quand je dis que je ne peux pas compter sur toi ? Là, je vais devoir parler à Tahiya, puis au directeur pour qu'ils acceptent que tu changes de chambre. Ce n'est pas aux héritiers d'argent de décider.

    Si je ne savais pas comment le monde marche, je n'aurais pas choisi une chambre avec un lit disponible, je ne t'aurais pas demandé d'aller voir le directeur. Puis, remontant à plus loin, il repensa comment il avait attiré la colère de Xutik pour que Meb ne se retrouve pas impliqué dans une lutte sans importance. Ce n'était qu'un exemple parmi tout ce qu'il avait fait pour lui au cours des années. Ce fut donc, sans répondre, qu'il termina son sac et se prépara à sortir. Meb bondit de sa chaise :

    -Non, mais, t'es sérieux, là ?

    Citseko sortit sans se retourner tandis que, réalisant que ce n’était pas une plaisanterie, Meb lui cria :

    -T'es vraiment qu'un foutu égoïste, tu le sais ça ?

    L'héritier d'argent parcourut la distance qui le séparait de la chambre de Nsoah. Lorsqu'il toqua à la porte, il était réaliste, bien sûr, sur le fait qu'on pourrait lui refuser la place. J'irais squatter l'hôpital. La porte s'ouvrit sur Nsoah qui l'observa de la tête au pied avant d'annoncer, évitant néanmoins de croiser son regard :

    -C'est ma chambre.

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Je sais. J'ai vu que le gars avec qui tu partageais ta chambre était parti alors je me demandais si je pouvais venir partager ta chambre.

    Nsoah ouvrit la bouche pour répondre, mais la voix de Tahiya venant de la pièce, lui demanda :

    -Comment tu sais qu'il est seul ici ?

    Citseko chercha à apercevoir la jeune fille derrière la haute silhouette du garçon :

    -Je l'ai vu partir avec ses bagages.

    Tahiya abandonna son livre sur le lit de son cousin pour le rejoindre à la porte :

    -Pourquoi tu veux venir ici, pourquoi pas l'hôpital ?

    -Je pense quitter ma chambre définitivement. On ne peut pas rester indéfiniment à l'hôpital.

    Elle jeta un regard à ses sacs, considérant cela comme une preuve suffisante de ce qu'il avançait.

    -Entre, mais il faut que tu nous racontes tout avant qu'on accepte.

    Citseko se plia à la demande sans entrer dans les détails :

    -Je viens de réaliser que Meb ne me considérait pas comme un héritier d'argent valable. Il a vidé son sac, si vous voulez et je n'ai pas envie de rester dans la même chambre que lui.

    Tahiya était assises bras et jambes croisées :

    -Qu'est-ce qui nous prouve que ce n'est pas un plan contre nous ?

    Citseko répliqua :

    -Quel intérêt on aurait de s'en prendre à vous ? En plus, vous devez savoir que Meb n'aime pas tellement se mêler des histoires des autres ou d'en créer.

    La jeune fille pencha la tête en haussant les sourcils :

    -C'est vrai.

    Avant qu'elle ne puisse poser d'autres questions, Nsoah déclara :

    -Tu peux rester dans ma chambre, mais il ne faut pas que tu passes la limite.

    Citseko avait remarqué la ligne de peinture au sol qui coupait la chambre en deux. Tahiya lui expliqua :

    -C'est un peu ce qui a fait craquer son précédent colocataire.

    Citseko avait remarqué que Nsoah pouvait parfois être maniaque vis à vis d'une certaine propreté. Le fait qu'il nettoie toujours sa table avant de s'installer en classe n'avait échapper à personne. Cependant, Citseko se savait patient et ne craignait pas les habitudes de l'adolescent. L’héritière d'or se levait quand on frappa à la porte. Ils s'entre-regardèrent, Nsoah continuant de fixer le sol. Ce fut lui qui finit par se lever pour ouvrir. La voix de Meb leur parvint :

    -Faut que je parle à Citseko.

    -C'est ma chambre.

    Tahiya jeta un regard à l'héritier d'argent :

    -Je vais lui dire de le laisser entrer.

    C'était une affirmation, mais l'attitude hésitante montra à Citseko qu'elle attendait un accord ou une contradiction avant d'agir. L'adolescent ne craignait pas de le voir car il était sûr qu'il ne changerait pas d'avis, quoiqu'il puisse dire. Si ça se trouve, il n'est même pas venu pour essayer de me faire revenir, mais pour dire bon débarras. Lorsque Meb apparut, il était clair qu'il avait réalisé à quel point Citseko était sérieux :

    -C'est bon ? T'as fini de bouder?

    L'héritier d'argent secoua la tête :

    -Je reste.

    Meb lui jeta un regard qui exprimait combien il le trouvait immature. Cependant, Citseko ne lui laissa pas le temps de faire le moindre commentaire :

    -Même si c'est décidé sur un coup de tête, je suis sûr que c'est la meilleure décision pour le moment.

    L'héritier d'or croisa les bras :

    -Mais de quoi tu parles encore ? Tu fais n'importe quoi.

    Citseko haussa les épaules :

    -Tu seras plus tranquille si tu ne m'as pas sur le dos tout le temps. Si tu ne me fais pas confiance...

    Meb leva les yeux au ciel :

    -Citseko, il n'a jamais été question de ça. Arrête de faire le gamin, maintenant.

    -Alors, disons que j'ai besoin de temps pour me calmer.

    L’héritier d’or fit une grimace et Nsoah intervint :

    -Il peut rester dans ma chambre.

    Tahiya fit également remarquer :

    -C'est bon. Je suis d'accord pour qu'il reste ici. On n'a qu'à aller voir le directeur ensemble.

    Meb tourna sèchement la tête vers elle :

    -Je ne t'ai rien demandé. Je parle à mon héritier d'argent, là.

    La jeune fille se ferma aussitôt :

    -Ne me parle pas comme ça. Tu n'es pas chez toi et tu ne voudrais pas laisser la moitié de tes dents ici avant de partir.

    Meb leva les mains dans un geste apaisant :

    -Je suis désolé, mais c'est lui qui est déraisonnable.

    Citseko ne se sentit pas le droit d'intervenir dans une discussion entre deux héritiers d'or, mais il espérait fortement que Tahiya encouragerait Meb à partir avant que ça ne tourne mal. La jeune fille fronça les sourcils :

    -S'il te gave, raison de plus pour qu'il reste là. Qu'est-ce que tu veux qu'il fasse ? Des mauvaises blagues avec l'autre abruti ?

    Nsoah sourit à la fenêtre. Meb posa un regard scrutateur sur Citseko qui se contenta de le fixer tristement. Au final, l'héritier d'or se détourna pour se diriger vers la porte :

    -Comme tu veux.

    Tahiya le suivit à grands pas :

    -Tu crois que le directeur travaille encore à cette heure-là ?

    Une fois la porte claquée, Nsoah alla tourner la clé. Quand il revint, il précisa :

    -La salle de bain est de mon côté.

    Citseko avait bien remarqué la présence de la porte près du lit du garçon et il s'était demandé si son ancien colocataire avait été un héritier d'or. Si cela avait été le cas, c'est Nsoah qui aurait dû quitter la chambre.

    -C'est ta famille qui s'est arrangé pour que tu ais une chambre d'héritier d'or ?

    -Mon oncle.

    Citseko s'assit sur le lit inoccupé pendant que Nsoah précisait :

    -Tu peux utiliser la salle de bain si tu nettoies.

    -Merci.

    Nsoah sourit en ajoutant :

    -Mon oncle, c'est le père de Tahiya.

    Citseko lui rendit son sourire :

    -Je m'en doutais.

    Il commença à s'installer tranquillement.

    -Je vais te montrer où se trouve les produits de nettoyage.

    Citseko laissa là ses affaires pour le suivre dans la salle de bain. Un petit coffre était rangé dans un coin, empli de produits dont Nsoah lui expliqua l'emploi pendant quelques minutes. L'héritier d’argent l'écouta avec la plus grande attention, bien qu'il savait très bien qu'il lui faudrait un moment pour avoir le réflexe de faire le ménage après chaque utilisation de la salle de bain. Tant qu'il ne me met pas dehors.

    -Vous êtes où ?

    A peine avait-elle posé la question que Tahiya entra dans la petite pièce :

    -Ah. Il est trop tard pour aller voir le directeur ce soir. On y va demain.

    Citseko hocha la tête :

    -Merci.

    Elle ignora le remerciement pour dire à son cousin :

    -J'y vais l'abruti, le décompte va commencer.

    Nsoah la salua de la main en souriant au sol. Quand il entendit la porte se refermer, Citseko demanda doucement :

    -Ça ne te dérange pas quand elle t'appelle comme ça ?

    Nsoah rangea la boîte avec soin :

    -Comment ?

    Citseko hésita à répondre, ne voulant pas le blesser plus qu'il pouvait l'être :

    -Quand elle t'appelle idiot, des trucs comme ça.

    -C'est pour que les autres le croient.

    L'adolescent fronça les sourcils en suivant Nsoah dans la chambre :

    -Qu'ils croient que tu es idiot ?

    Le grand garçon s'installa à son bureau, tout sourire :

    -Oui. Parce que je ne le suis pas.

    Citseko eut un demi-sourire avant de retourner à ses affaires. Quand les portes se fermèrent et qu'ils furent au lit, Citseko resta éveillé à réfléchir à tout ce qui était arrivé dans la soirée. J'ai pris la bonne décision. Tu n'as pas à rester avec lui s'il en a rien à foutre. Il a quasiment dit que tu étais un poids plus qu'autre chose. C'est bien pour tous les deux. Cependant, le sentiment qu'une époque se terminait lui piquait le cœur et la tristesse l'étouffait.

     

    C'est le son de la douche qui le réveilla. Citseko ouvrit les yeux difficilement pour jeter un œil au réveil. Beaucoup trop tôt. Il referma les yeux et se rendormit. Il n'y avait pas de cours ce jour-là et ne se sentit pas d'humeur à sortir de sa chambre de la journée. Ensuite, l’adolescent entendit vaguement Nsoah s'agiter alors qu'il nettoyait la salle de bain.

    -Pourquoi tu es parti ?

    Citseko fit un effort pour se tirer du sommeil. C'est à moi qu'il parle ?

    -Il n'était pas gentil ?

    Le garçon entraperçut la silhouette de l’héritier assis à son bureau :

    -Quoi ?

    Nsoah alluma la lampe sur la table et ses yeux bleus ressortirent d'autant plus dans son visage sombre. Citseko le dévisagea un petit instant. Même si son regard n'était pas posé sur lui, mais probablement sur le sommier du lit, Citseko avoua d'une voix ensommeillée :

    -Tu fais peur là.

    Le grand garçon sourit :

    -Je veux juste m'assurer que tu n'es pas dangereux.

    En tout autre circonstance, cela aurait probablement réveillé Citseko d'un coup. Il se serait redressé, près à se défendre, cherchant la moindre arme à portée de main. Cependant, son instinct lui disait qu'il n'avait rien à craindre. Rien ne lui faisait pressentir le moindre danger. L'héritier d'argent bâilla en se frottant les yeux :

    -Pourquoi tu te poses la question maintenant ?

    Nsoah répondit :

    -Parce que là, tu n'es pas vraiment prêt à te défendre.

    Citseko ne pouvait pas le nier. Le réveil était un bon moment pour passer les défenses de quelqu'un.

    -Tu es armé ?

    Citseko referma les yeux en marmonnant :

    -Les armes sont interdites.

    Nsoah répliqua :

    -Cela n'empêche pas que certains arrivent à glisser une arme dans l'enceinte de l'école.

    -C'est vrai. Tu peux fouiller mes affaires si tu veux ?

    Le grand adolescent se leva :

    -Vraiment ?

    Citseko hocha la tête et se rendormit. Il l'entendit vaguement s'agiter autour de son sac. Cela ne le dérangeait pas tellement, car Meb passait son temps à fouiller dans ses affaires pour lui emprunter des choses. Cependant, lorsqu'il se réveilla enfin complètement, Citseko découvrit que non seulement son sac était vide, mais que ses affaires avaient été soigneusement rangées. Je suppose qu'il n'a rien trouvé d'inquiétant. L'héritier d'argent prit de quoi s'habiller avant d'aller à la douche. En sortant, il prit le temps de nettoyer comme Nsoah le lui avait expliqué. Ensuite, il se dépêcha d'aller prendre son petit-déjeuner pour rejoindre Meb au plus vite. Il le trouva sans problème, jouant avec ses amis. Gondémàr s'arrêta en le voyant approcher :

    -Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'étais pas occupé à bouder ?

    Citseko ne fut pas étonné que Meb les ait tenu au courant de ce qu'il s'était passé, aussi ne fut-il ni surpris, ni blessé de ces paroles. Au lieu de répondre, il attendit que Meb le rejoigne.

    -Qu'est-ce que tu veux ?

    En revanche, cette question l'étonna :

    -Rien en particulier.

    Je fais comme d'habitude.

    -Je n'ai pas besoin de toi.

    Dsouphan demanda :

    -Tu ne voulais pas rester tout seul ?

    Citseko fronça les sourcils et c'est en fixant son héritier d'or qu'il répondit :

    -Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je voulais juste changer de chambre. Je reste à ta disposition le reste du temps... comme d'habitude.

    Meb croisa les bras et haussa les épaules :

    -Oui, mais je n'ai pas besoin de toi, alors va faire tes trucs, tout seul. Je n'ai pas besoin d'un héritier d'argent qui est incapable de m'obéir.

    Citseko aurait voulu répliquer, mais il refusait de se donner en spectacle devant les trois autres. Il s'inclina, puis tourna les talons sans rien dire. La veille, le garçon avait agit spontanément, sur un coup de tête. Cela ne lui ressemblait pas, mais il n'avait jamais été aussi sûr de sa décision depuis longtemps. Les conséquences. Tu n'as pas vraiment réfléchi aux conséquences. Meb pouvait demander à ce qu'on lui retire l'argent, bien que Citseko ne pensait pas qu'il en vienne à de telles extrémités. Il n'aurait pas dû s'imaginer que rien ne changerait vraiment après qu'il ait choisi de changer de chambre. Citseko marchait sans but. L'adolescent avait toujours suivi Meb et il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était supposé faire, maintenant que son héritier d'or l'avait, pour ainsi dire, congédié. Pour empirer la situation, l’adolescent n'avait envie de rien faire. Il songea à ses devoirs, à lire, à traîner dans la salle commune, mais rien ne le tentait. Le garçon se contenta donc de marcher. Ses pensées le portèrent aux événements de la veille, puis plus loin encore. Il se perdit dans ses souvenirs, revint à la discussion de tout à l'heure. Le temps de passer au coin du bâtiment, il pensait à ses devoirs et aux cours. Se demanda s'il y aurait un autre Grand Jeu avant la fin de l'année, revint à ses souvenirs. Finalement, ses pas le ramenèrent au terrain où Meb se tenait avec les trois autres héritiers d'or. Citseko s'assit sur un banc à distance, gardant un œil sur l'adolescent.

    -Ça ne c'est pas super bien passé, hein ?

    L'héritier d'argent ne fut pas vraiment surpris de voir Alio s'asseoir. La façon dont il l'avait planté la veille le poussait forcément à relancer la discussion où il l'avait laissé. Citseko répondit :

    -Tu es déjà au courant ?

    Alio haussa les épaules :

    -Ce ne sera pas un secret très longtemps. Je ne pense pas que cela en soit encore un d'ailleurs. Un héritier d'argent qui se sépare si ouvertement de son héritier d'or...

    Il laissa la phrase en suspens en sachant qu'il n'avait pas besoin de la finir pour se faire comprendre. Je n'ai pas réfléchi aux conséquences. Citseko n'agissait jamais sans réfléchir. La seule fois où cela lui était arrivé, il avait fait sa déclaration à Meb sur le chemin du retour de l'école. Cela avait été spontané, sans s'attendre à la moindre réponse. Il ne s'était jamais imaginé que Meb partagerait ses sentiments, mais cela l'avait mené à porter l'argent au final. Là, je vais juste potentiellement finir dehors. Cela ne serait pas dramatique. Sa famille n'était pas des plus ambitieuse et lui-même n'avait jamais vraiment eu l'intention de créer son propre clan en sortant de l'école. Citseko s'était vu au service de Meb pour encore bien des années. Donc, un renvoi, au fond, ne ferait que le ramener à sa place d'avant. Mais c'était comment avant ?

    -Qu'est-ce que tu vas faire ?

    Citseko resta dans ses pensées réalisant qu'il ne voulait pas partir. Il y aurait d'autres Grands Jeux, il devait rester près de Meb. Même si c'était de loin. S'assurer qu'il en sorte en vie au moins. Pour cela, il fallait que Meb lui pardonne. Mais sans que je retourne dans notre chambre... et il sera mécontent tant que je ne le ferais pas. C'était la deuxième fois dans l'année qu'il lui désobéissait ouvertement. La première fois, il avait dû se prosterner devant Xutik. Cette fois, que devait-il faire ? Il ne faut pas que l'on pense qu'il n'a plus de contrôle. La réponse lui vint dans la lancée.

    -Alio ? Je peux te demander un service ?

    L'espion se crispa en grimaçant :

    -Gratuit ?

    Citseko planta ses yeux d'aurores boréales dans ceux de l'adolescent :

    -Pour t'être foutu de ma gueule pendant un sacré moment.

    Alio sembla presque gêné :

    -Pour excuse, je dirais que je n'ai pas totalement menti. C'est vrai que je trouve que tu es un gars sympa.

    L'héritier d'argent se contenta d'attendre la réponse à sa requête sans ciller. L'espion finit par soupirer en moulinant la main pour l'encourager à formuler sa demande.

    -Tu pourrais glisser, l’air de rien, si jamais tu entends des gens parler de la situation entre Meb et moi, que Meb est celui qui a décidé de m'envoyer dans une autre chambre.

    Alio haussa les sourcils :

    -Faire croire qu'il contrôle ?

    Citseko affirma :

    -Il a le contrôle.

    -Si tu veux. Je dis quoi exactement ? Qu'il a décidé de te mettre dehors ?

    L'adolescent hocha la tête :

    -Dis ce que tu veux. L'important, c'est qu'on pense que c'était son initiative.

    Alio se leva :

    -Compte sur moi. Je ne pense pas qu'on se reverra de sitôt, alors, bonne chance.

    Citseko le salua d'un signe de tête.

     

    La journée s'était étirée si lentement qu'il fut soulagé de se rendre à son autre activité. Il n'avait pas suivi Meb une fois qu'il avait quitté le terrain de jeux et ignorait où il se trouvait actuellement. Même si cela l'avait angoissé au début, Citseko s'était retenu de partir à sa recherche. Rien de tel qu'un petit combat au couteau pour se changer les idées. Qegh ne tarda pas à le rejoindre dans le coin de la salle où il s'était assis :

    -Ça va ?

    L'héritier d'argent croisa son regard inquiet derrière ses mèches fauves aux pointes marrons.

    -Oui. Pourquoi ?

    -Il paraît que tu as changé de chambre. Il s'est passé quelque chose avec Meb ?

    Citseko prit soin de corriger :

    -C'est lui qui a décidé que je devais dormir dans une autre chambre.

    Qegh sembla attendre une suite, mais Citseko avait vu Elférad entrer dans la salle. L'héritier d'or parcourut la pièce du regard avant de s'arrêter sur lui. Comme il semblait hésiter à s'avancer, Citseko inclina légèrement la tête pour l'encourager à s'approcher. S'il voulait que sa nouvelle version de l'histoire se propage, il devait en parler à un maximum de gens. Elférad jeta son sac sur le tas qui se formait progressivement et s'élança à genoux sur le parquet pour glisser jusqu'à Citseko et Qegh :

    -C'est vrai ce qu'on raconte ?

    L'héritier d'argent haussa un sourcil :

    -Qu'est-ce qu'on raconte ?

    -T'as lâché Meb ?

    Citseko se tourna tour-à-tour vers Qegh et Elférad :

    -Qui vous a raconté ça, en fait ? Ce n'est arrivé qu'hier soir.

    Les deux autres échangèrent un regard, puis Elférad eut un peu honte d'avouer :

    -Matior a entendu Tahiya et Meb discuter dans le couloir. Il nous a raconté. Tu sais comment il est, c'est un bavard.

    -Tu l'as engueulé ?

    Elférad haussa les sourcils de surprise :

    -Engueulé qui ?

    -Matior. Ce n'est pas la première fois qu'il parle à tort et à travers.

    L'héritier d'or était amusé à la perspective de crier sur Matior à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, mais la mine sérieuse de Citseko le prévint de rire.

    -Non, il est comme ça.

    Meb m'aurait hurlé dessus. Il rappela :

    -En fait, ce n'est pas moi qui suis parti, c'est Meb qui m'a mis dehors.

    Elférad se redressa, les mains sur les genoux :

    -Pourquoi ?

    Ils prirent son instant de réflexion pour une gêne et dirent en choeur :

    -Si tu ne veux pas en parler...

    -T'es pas obligé de répondre, si tu ne veux pas...

    Citseko les rassura en répondant :

    -C'est à cause de ce que j'ai fait la dernière fois. Je l'ai impliqué dans des histoires dont il ne voulait pas se mêler.

    Elférad posa la question que Citseko avait espéré éviter :

    -Pourquoi maintenant ?

    L'héritier d'argent dut se contenter d'un haussement d'épaule :

    -Je ne sais pas exactement.

    Il ajouta en espérant amenuiser leur curiosité :

    -C'est peut-être ce qui est arrivé à Xutik qui l'a secoué.

    Comment il va d'ailleurs ? Qegh tenta :

    -Il a peur que tu te rebelle contre lui au final ?

    Elférad ajouta :

    -Il veut mater la rébellion avant qu'elle n'arrive ?

    Citseko eut un mouvement de recul sous l'assaut de question :

    -Non, non, j'en sais rien. Je ne fais que supposer. N'allez pas raconter ça n'importe où, OK ?

    Elférad et Qegh secouèrent la tête :

    -Non, t'inquiètes.

    Citseko ajouta cependant :

    -Mais si vous entendez dire que c'est moi qui suis parti, dites bien que c'était la décision de Meb.

    Ils échangèrent un nouveau regard, avant que Qegh ne fasse un signe imperceptible de la tête à l'héritier d'or qui se leva en disant :

    -OK. Je vais saluer Floï, je vous laisse.

    Citseko s'inclina et le regarda rejoindre un garçon frêle qu'il ne connaissait pas.

    -C'est toi qui est parti, hein ?

    Il sursauta :

    -Quoi ?

    Qegh sourit :

    -Comment ?

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Comment ?

    -Je demandais si c'était vraiment Meb qui avait décidé.

    Le garçon répondit :

    -Bien sûr.

    Les deuxièmes années en charge d’activité les invitèrent à se rassembler pour qu'ils puissent expliquer ce qu'ils feraient. Citseko garda les yeux sur Qegh, mal-à-l'aise. Si elle doutait, la jeune fille pouvait partager ses doutes avec d'autres. Avec Elférad, même.

    -On fait équipe ?

    Il hocha la tête à sa proposition en se demandant pourquoi elle lui posait la question soudainement. Ils avaient toujours été ensemble depuis qu'ils avaient commencé l'activité, à tel point qu'ils se mettaient en duo naturellement maintenant. Clairement, elle a quelque chose en tête.

    -Pourquoi tu poses la question ? On est toujours ensemble.

    Qegh acquiesça :

    -Oui... mais si tu ne veux pas parler... ce n'est pas obligé.

    Citseko joua l'ignorant :

    -De quoi tu veux parler ?

    Elle se contenta de sourire :

    -De rien.

    Ils se mirent en position et Qegh conclut :

    -Mais si tu as besoin de parler, tu sais que je suis là, n'est-ce pas ?

    Citseko se contenta de hocher la tête, sachant qu'il ne se risquerait jamais à se confier à la jeune fille. Celle-ci pouvait très bien en parler à Lyert ou Elférad et de là, tout pouvait s'étendre. L'adolescent préféra se concentrer sur l'entraînement.

     

    Nsoah lui sauta presque dessus après lui avoir ouvert la porte :

    -J'ai la clé. La tienne.

    Citseko, qui avait à peine eu le temps de toquer, fit un bond en arrière. Il fixa le visage joyeux de Nsoah avec de grands yeux :

    -Pardon ?

    Le grand adolescent lui tendit une clé :

    -C'est ta clé de la chambre. C'est Tahiya qui l'a demandé. C'était celle de mon ancien colocataire. Il est parti parce qu'il aimait pas nettoyé.

    Citseko ne pouvait s'empêcher d'être amusé de le voir si bavard. Il ne se souvenait pas de l'avoir vu autant ouvrir la bouche depuis le début d'année. C'est le fait d'être dans sa chambre qui doit le rassurer.

    -Tu n'as rien trouvé d'inquiétant dans mes affaires, je suppose.

    Nsoah eut un large sourire :

    -Non, mais je le savais. Tahiya avait besoin d'être rassurée.

    Citseko n'était pas sûr que ce soit l'entière vérité, mais il ne fit aucun commentaire. Il glissa la carte dans une poche de son sac, retirant celle de son ancienne chambre. Je devrais la rendre à Meb. Il hésita à le faire de suite pendant une minute avant de décider d'attendre le lendemain. L'adolescent n'était pas tellement pressé d'imposer sa présence à l'héritier d'or. Nsoah fredonnait en rangeant son bureau. Citseko se posa sur son lit en le regardant faire rêveusement. Il n'aurait jamais pensé en début d'année, que les choses tourneraient ainsi. Le garçon s'était imaginé que le plus grand danger dans cette école, serait les Grands Jeux.

    -Dis, Nsoah...

    -Hmmm ?

    L'adolescent ne s'arrêta pas pour lui répondre.

    -Est-ce que tu as eu des gros ennuis depuis que l'année a commencé ?

    Nsoah s'était mis à frotter son bureau :

    -Non.

    Citseko continuait de le regarder faire et finit par demander :

    -Est-ce que tu as conscience de ce qu'il s'est passé dans la classe ?

    Ce n'était pas une critique, simplement une curiosité. Nsoah semblait toujours ailleurs. Cependant, le grand héritier d'argent se mit à énumérer en nettoyant les bords de fenêtre :

    -Hiloy est entré dans l'union du droit de vie avec les autres des Cinq. Falibi cherche une copine. Elle était avec Theaon, mais Theaon n'est pas digne de confiance.

    Citseko ne s'était jamais vraiment intéressé à l'héritière d'or, mais ce commentaire le poussa à demander :

    -Pourquoi tu dis ça ?

    Nsoah s'assit sur une chaise, les yeux dans le vague et, pendant un instant, Citseko fut certain qu'il avait oublié sa présence. L’héritier parla tout de même :

    -Le clan de Theaon est faible. Elle voudrait s'élever quoiqu'il en coûte. Mais elle n'est pas une tueuse et manque de volonté. Dans les duels, elle hésite trop pour gagner.

    Citseko se redressa :

    -Il y a d'autres choses que tu as remarqué comme ça ?

    Nsoah eut un sourire :

    -Tu veux savoir ce que je pense ?

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Bien sûr. C'est pour cela que je pose la question.

    Son interlocuteur eut un mouvement de regard rapide vers la porte :

    -Tu crois que je suis stupide au point de tout dire comme ça.

    L'héritier d'argent ne se vexa pas de la remarque, après tout, qui ne penserait pas comme lui :

    -D'accord. Que penses-tu de moi alors ? Tu crois que je suis dramatique ? Sentimental ? Prêt à trahir par jalousie ?

    Il parlait d'un ton détendu, avec une pointe d'humour, mais en vérité, Citseko était angoissé de connaître son avis. Nsoah commença par éclater de rire, ce qui n'était pas forcément un bon début :

    -Non, pas du tout.

    Citseko laissa échapper un souffle soulagé :

    -Vraiment ?

    -Je te parle parce que je sais que je peux te faire confiance. D'autres le pensent aussi. Je ne crois pas que tu trahirais qui que ce soit, mais ton clan passe avant. C'est pour cela qu'il n'y a aucune raison que tu le trahisses quel qu’en soit le motif... je ne pense pas non plus que tu laisserais tes sentiments diriger tes actions.

    Citseko fut un peu amer en disant :

    -Meb n'est clairement pas de cet avis.

    Nsoah rebondit :

    -Meb a un égo qui le trompe. Pas autant que Xutik, mais il s'aveugle sur ses propres actes. Il est gentil, mais craintif. Très craintif.

    Il pencha la tête sur le côté :

    -En fait, c'est comme s'il s'imaginait que son clan s'effondrerait au moindre faux pas.

    Sur ce point, on ne peut pas tellement lui en vouloir. C'est pas la situation de Xutik qui va le rassurer. Comment il va d'ailleurs ? Ses réflexions le menèrent à une nouvelle question :

    -Tu l'aurais deviné, toi ?

    Nsoah fixa l'armoire :

    -Quoi donc ?

    -Que Gec-Nüj haïssait Xutik ?

    L'héritier d'argent répondit :

    -Il ne le hait pas. Il ne la jamais considéré comme quelqu'un de valeur.

    Nsoah ajouta en fronçant les sourcils :

    -Je suis surpris que Xutik ne s'en soit jamais rendu compte, d'ailleurs.

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Ça te paraissait évident à ce point ?

    -Pas à toi ?

    Pas vraiment. En même temps, je n'ai pas trop fait attention.

    -C'est comme pour Elférad.

    Citseko fixa intensément le grand garçon :

    -Quoi Elférad ? Il a des problèmes avec ses héritiers d'argent ?

    Nsoah chassa une poussière invisible sur son pantalon et dit sans vraiment répondre à la question :

    -Bah, ça change de son côté aussi et il ne semble pas s'en rendre compte.

    Citseko se pencha vers lui comme si cela pouvait l'aider à parler :

    -Qu'est-ce qui change ?

    Nsoah secoua la tête :

    -Si tu ne t'en rends pas compte non plus, c'est que je ne dois pas le dire. Tu pourrais tout raconter à Meb.

    Citseko remarqua que Nsoah semblait se refermer doucement. Il tenta avant que le garçon ne se décide à se taire pour de bon :

    -N'as-tu pas dis que j'étais digne de confiance ? Tu peux me raconter. Qu'est-ce qui ne vas pas du côté de Elférad ?

    -J'ai dit aussi que ton clan passait avant tout. Tu raconteras tout à Meb.

    Sa joyeuse humeur s'était éteinte et il semblait presque boudeur à présent. Citseko suggéra :

    -Tu n'es pas obligé de me parler. En revanche, tu devrais peut-être parler à Elférad. L'avertir.

    -L'avertir de quoi ? Que j'ai des impressions bizarres ? Je peux me tromper.

    L'adolescent ouvert et sûr de lui avait disparu. Citseko retrouva le Nsoah qu'il voyait en classe. C'est vrai, il peut très bien se tromper. Devait-il en parler à Elférad néanmoins ? Il risque de ne pas me prendre au sérieux ou de s'angoisser pour rien. Et si Meb apprend que je me mêle encore de ce qui ne me regarde pas...

    -Je vais me doucher.

    Citseko acquiesça sans lever les yeux. Que dois-je faire ?

    -Nsoah ?

    Le grand garçon s'arrêta.

    -Est-ce que c'est dangereux ? Ce qui arrive du côté d'Elférad ?

    -Si je pensais sa vie en danger, je lui aurais parlé.

    -OK.

    Citseko n'était pas plus rassuré. Après tout, il peut se tromper. L'héritier d'argent décida d'être plus attentif. Si Nsoah pouvait remarquer des choses, il n'y avait pas de raison que lui non plus. Le lendemain, il y réfléchissait encore. Tu as cru ce qu'il disait parce que ce qu'il a raconté sur toi t'as fait plaisir. Il peut se tromper... il n'a pas totalement faux concernant Meb, non plus.... roh je sais pas. Il leva les yeux en entrant dans la salle de classe, jetant un regard vers sa place en se demandant si son héritier d'or le laisserait s'y asseoir. Lorsqu'il approcha, Meb retira son sac du siège comme s'il lui faisait une immense faveur. Citseko s'assit sur le bord de la chaise comme si sa présence était indigne de Meb. Je peux pas parler à Elférad. Meb serait furieux et Nsoah va prendre ça pour une trahison. Enfin décidé, il ne put s'empêcher de jeter un œil vers le quatuor de l'allée d'à côté. Ils lui semblèrent plus silencieux qu'en début d'année, c'était vrai, mais de là à dire qu'il y avait un problème... Ils se concentrent sur le cours...

    -T'écoutes ce que je dis ?

    -Comment ?

    Citseko revint à Meb qui leva les yeux au ciel, agacé :

    -Je disais que tu as de la chance que les gens croient que tu as changé de chambre sur mon ordre, sinon, tu peux me croire, je ne t'aurais pas laissé si facilement.

    Pour qu'il soit déjà au courant, Alio a dû sacrément parler... ou alors, il s'est arrangé pour que Meb soit l'un des premiers à entendre cette version. Il se contenta de remercier Meb de sa bonté d'un signe de tête avant de se concentrer sur son cahier. L’adolescent réalisait à quel point les choses pouvaient aller vite dans cette école. Il suffisait du bon mot, glissé à la bonne personne. Je peux peut-être dire quelque chose à Elférad sans entrer dans les détails. Ce serait peut-être suffisant. Citseko se résolut à cette solution. Après tout l'héritier d'or avait déjà tenté de l'aider, il devait au moins l'avertir même si ce n'était qu'un simple pressentiment.

    Dès que la première sonnerie se fit entendre, Meb s'éclipsa sans l'attendre, sans doute pour rejoindre ses amis. Il n'y avait aucun doute aux yeux de Citseko que le garçon était encore en colère contre lui. Cependant, à cet instant, cela l'arrangeait car il pouvait aller parler à Elférad sans que son héritier d'or ne le sache. C'est bien la première fois que j'aurais un secret. Il se leva, mais resta près de sa table car le petit groupe était en pleine discussion. Neghttris le vit qui se tenait sagement à l'écart, comme attendant son tour pour leur parler :

    -Citseko ? Tu veux quelque chose ?

    L'adolescent se racla la gorge, intimidé par les quatre paires d'yeux qui se tournaient soudain vers lui. Il s'inclina :

    -Je voulais juste parler à Elférad.

    L'héritier d'or se leva sans hésiter alors que ses trois héritiers d'argent échangeaient des regards plein de curiosité. Citseko se dirigea vers un coin de la pièce.

    -C'est à propos de Meb ?

    Citseko secoua la tête :

    -Non, en fait...

    N'ayant pas réfléchi à ce qu'il dirait, l'héritier d'argent tenta :

    -Je voulais savoir si ça allait de ton côté.

    Elférad fut étonné :

    -Moi ?

    Il eut un sourire amusé :

    -Oui, pourquoi ?

    Pour pouvoir avancer, Citseko s'appropria les paroles de Nsoah :

    -Je trouvais juste que vous sembliez un peu plus... un peu moins... plus sages qu'au début. Tous les quatre.

    Elférad fronça le sourcils comme s'il réfléchissait à ce dont il faisait allusion :

    -Pas vraiment non. On a eu des soucis, mais j'ai pas l'impression que ça ait changé grand chose.

    Citseko s'inclina :

    -C'était juste une impression. Je suis désolé de t'avoir dérangé.

    Elférad le regarda s'éloigner réfléchissant à nouveau à ce qu'on venait de lui dire. Citseko marqua un arrêt quand il vit que Nsoah se tenait dans le couloir.

    -Tu lui as parlé.

    L'adolescent ne chercha pas à se dérober, bien qu'il fut gêné d'avouer :

    -Je n'ai rien dit de précis. C'était juste pour...

    Nsoah compléta avant lui :

    -Lui mettre la puce à l'oreille.

    Tahiya apparut aux côtés de son cousin :

    -L'oreille de qui ?

    Citseko s'inclina en gardant un œil sur Nsoah. Il ne voulait pas répondre au risque de lui attirer des ennuis. L'héritier d'argent tourna sa haute silhouette vers la fenêtre en répondant :

    -On a parlé hier.

    Tahiya dévisagea son cousin avant de demander à Citseko :

    -Vous parlez ?

    Nsoah baissa les yeux :

    -De mes impressions. Il a raconté à Elférad.

    Citseko s'empressa de se défendre en voyant les flammes de colère qui étaient apparues dans les yeux verts de Tahiya :

    -Non, non, je n'ai pas dit que c'était Nsoah, ni même rien de précis....

    L'héritière d'or le coupa :

    -Tu te rends compte que ce ne sont que des impressions. Il parle à personne, comment il peut savoir quoique ce soit sur qui que ce soit ?

    Citseko répondit :

    -Il a raison concernant Meb, je trouve et en ce qui me concerne... j'espère au moins...

    Tahiya reprit :

    -Ce n'est pas parce que ça t'as fait plaisir que c'est vrai.

    -C'est quoi le rapport avec nous ?

    Citseko crut bien que son cœur remontait dans sa gorge en entendant Matior derrière lui. Il se tourna lentement comme si cela pouvait retarder l'évidence. Le quatuor du clan Juéllit se tenait dans l’entrebâillement de la porte. Tahiya pesta :

    -Pourquoi j'ai jamais de pot ? C'est de ta faute, toi aussi, à parler dans le couloir.

    Elle envoya une tape dans le dos de Nsoah qui ne broncha pas. Citseko eut une légère grimace, bien conscient que c'était également de sa faute d'être resté dans le couloir pour lui répondre. Elférad vint se mettre aux côtés de Citseko et le dévisagea intensément en répétant :

    -C'est quoi le rapport avec nous ?

    Tahiya se reprit en disant :

    -Qu'est-ce qui vous fait penser qu'on parle de vous ?

    Matior répondit :

    -On a tout entendu.

    Neghttris ajouta :

    -Mais on ne saisit pas bien le problème.

    Elférad n'avait pas lâché Citseko des yeux et celui-ci n'osait pas vraiment croiser son regard :

    -C'est pour ça que tu m'as demandé si j'allais bien ?

    Tahiya se permit de reprendre :

    -N'en faites pas toute une histoire. Nsoah a eu l'impression qu'il y avait des tensions entre vous.

    Elférad lâcha enfin Citseko pour se tourner vers la jeune fille :

    -Des tensions ?

    Citseko se risqua à jeter un coup d’œil vers l'héritière d'or, ne se souvenant pas si c'était exactement ce que Nsoah lui avait dit. Je suppose que ça se résumait à ça de toute façon. Neghttris fit un pas en avant :

    -Pourquoi tu dis ça ?

    Tahiya pointa son cousin du menton :

    -C'est lui qui dit de la merde, c'est pas moi. Venez pas me chercher.

    Les quatre garçons se tournèrent comme un seul homme vers Nsoah. Le garçon continua de fixer le paysage sans même se rendre compte que l'on attendait quelque chose de lui. Matior allait se lancer, quand Lyert le devança :

    -Nsoah ? Qu'est-ce qui t'a fait penser que quelque chose n'allait pas entre nous ?

    L'héritier d'argent sembla soudain s'attrister :

    -Xutik ne s'était pas rendu compte que Gec-Nüj n'était pas son ami.

    Matior cria à moitié :

    -Tu es en train de dire qu'on est pas ami ?

    Elférad plaça un bras devant comme une barrière, bien que Citseko ne s'imaginait pas que l'adolescent ait eu l'intention d'attaquer Nsoah. L'héritier d'or posait un regard acéré sur celui-ci :

    -Tu veux dire quoi ?

    Nsoah glissa son regard sur les chaussures des personnes debout dans le couloir :

    -Vous, c'est différent.

    Neghttris reprit part à la discussion :

    -Quoi alors ?

    L'héritier d'argent répondit sans se faire prier :

    -Elférad n'est pas sincère. Il cache des choses.

    Ce fut au tour de l'héritier d'or d'être dévisagé. Cependant, le garçon n'était pas le moins du monde déstabilisé. Au lieu de cela, il se mordilla la lèvre inférieure marquant qu'il réfléchissait, puis demanda calmement :

    -Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

    Nsoah répondit :

    -Tu es triste, très triste.

    C'était comme si ils se rappelaient comment respirer. Citseko, lui, se demandait si c'était vraiment tout. Matior fronçait les sourcils :

    -C'est tout ? C'est parce que Gzadien t'a largué ?

    Lyert lui envoya un coup de pied dans le tibia. Pendant que Matior frottait en grimaçant la zone douloureuse, Neghttris passa un bras autour des épaules de son héritier d'or :

    -Si tu ne vas pas bien, tu devrais nous en parler. On va se faire une petite réunion secrète ce soir, si tu veux.

    Le professeur revint alors que la sonnerie se faisait entendre :

    -On va reprendre. Entrez s'il vous plaît.

    Ils retournèrent s'installer, les quatre amis semblant avoir un regain de bonne humeur, tandis que Citseko gardait la tête basse, honteux de la situation dans laquelle il avait mit Nsoah. Avant que celui-ci n'aille s'asseoir, il lui glissa :

    -Je suis désolé. Je ne voulais pas t'apporter d'ennui.

    Nsoah eut un sourire en hochant légèrement la tête.

    -Pourquoi tu t'excuses ?

    Non, mais c'est pas vrai. Citseko se retourna, tombant sur Meb qui rejoignait sa place :

    -Qu'est-ce que tu as encore fait ?

    Il n'y avait ni étonnement, ni reproche dans sa voix. C'était comme s'il énonçait une simple évidence. Citseko vint s'asseoir sans répondre et Meb n'insista pas. L'héritier d'or ne s'attarda pas non plus lorsque les cours furent fini. Déjà au déjeuner, Citseko s'était résolu à manger seul sans trop de surprise. L'adolescent rentra donc dans sa chambre directement. Nsoah ne lui parla pas une seule fois et Citseko ne chercha pas à enclencher la discussion. Il s'en voulait d'avoir parler à Elférad dans le dos de Nsoah, même si cela lui avait paru la meilleure idée à ce moment-là. La honte finit par le pousser à ressortir. Nsoah préfère sans doute être seul pour l'instant de toute façon.

    L'héritier d'argent choisit d'aller prendre un bol d'air dans le parc plutôt que de s'enfermer dans la salle commune. La première chose qu'il remarqua une fois dehors, fut un petit rassemblement au milieu de la pelouse. A bien y regarder, il lui sembla qu'il s'agissait de gens de sa classe. Qu'est-ce qu'ils fabriquent ? Une petite voix en lui prit aussitôt le dessus en lui rappelant qu'il ne valait mieux pas qu'il se mêle des affaires des autres. Vu les dégâts que t'aurais pu causer en l'ouvrant plus tôt, en te basant sur rien du tout, franchement. Il allait se remettre en marche pour trouver un coin tranquille quand la voix de Falibi lui fit lever la tête :

    -Citseko !

    Le garçon s'arrêta en voyant le groupe approcher. Qu'est-ce qu'il se passe ? Quelque chose de grave ? L'héritière d'argent lança avant même de l'avoir rejoint :

    -Tu joues avec nous ?

    Quoi ? Son regard dévia vers les quatre du clan Juéllit. N'étaient-ils pas en colère pour ce qu'il s'était passé dans la matinée ? Matior ajouta des explications :

    -Il nous faut des duos et on manque de gens.

    Citseko détailla le groupe devinant sans peine les duos qui sortiraient. Falibi et Hiloy, Laxo et Bélera, Elférad et Neghttris, Lyert et Matior.... reste Qegh, Rafirin, Xutik et le fiancé de Laxo. Malgré ses efforts, il n'arriva pas à se souvenir du nom du second année. Après décompte, il fit remarquer :

    -Vous avez le nombre pourtant.

    Falibi sourit :

    -J'ai invité Theaon. Elle a dit qu'elle viendrait.

    Citseko remarqua :

    -Il y aura Ora alors...

    Neghttris prit la parole :

    -Non, elle ne veut pas jouer.

    Citseko hésitait comme si le fait de jouer avec les autres pouvaient lui apporter de nouveaux ennuis.

    -Tu veux jouer aussi, Nsoah ?

    Citseko s'étonna de découvrir l'héritier d'argent derrière lui. Laxo gronda doucement Falibi :

    -Si tu continues à inviter tout le monde, on aura jamais le compte.

    L'héritière d'argent prit un air malheureux :

    -Mais ce serait bien qu'on se détende tous ensemble, après tout ce qui est arrivé.

    Citseko se demanda si elle faisait particulièrement référence à Xutik. Celui-ci se tenait au milieu du groupe, telle une ombre immobile et silencieuse. Au moins, il est là. L'héritier d'argent eut un demi-sourire, soulagé de voir qu'il essayait de se mêler aux autres. Cependant, cela lui faisait encore bizarre de le voir en argent, sans Gec-Nüj à ses côtés. Le nouvel héritier d'or n'était pas bien vu dans la classe. Si certain l'admirait à l'extérieur pour avoir osé l'impensable. Détruire un clan et en isoler l'héritier d'or, ses camarades l'évitaient tant que possible. S'il avait un jour gagné la confiance de quelqu'un dans la classe, elle était maintenant perdue.

    -Je veux jouer avec Citseko.

    Nsoah avait parlé timidement et ce fut une nouvelle surprise pour l'héritier d'argent qui s'attendait encore à une personne en colère contre lui. Matior soupira :

    -Il nous manque encore une personne alors ?

    Lorsque Tahiya surgit du bâtiment, tous les regards se tournèrent vers elle. Celle-ci ne sembla pas se rendre compte de leur présence tellement elle était concentrée sur son cousin :

    -Je rêve ou tu m'ignores maintenant ?! Je t'ai dit qu'on se retrouvait en bas, qu'est-ce que tu fous là ?!

    Falibi ouvrit les bras :

    -Tahiya !

    L'héritière d'or sursauta avec un mouvement de recul :

    -Qu'est-ce qu'il lui prend à celle-là ?

    Elférad expliqua :

    -On veut faire un jeu, mais il nous manque une personne.

    -Un jeu ?

    Tahiya les dévisagea successivement avant d'ajouter :

    -Vous n'avez rien d'autre à foutre ?

    Neghttris se contenta de lui dire :

    -Nsoah va jouer.

    La jeune fille envoya un coup de pied au derrière de son cousin :

    -T'es sérieux ? Je peux pas te laisser cinq minutes, c'est ça ?

    Nsoah fit doucement remarquer :

    -C'est juste un jeu.

    Neghttris et Elférad appuyèrent en chœur :

    -Il a raison.

    Hiloy se lança en ajoutant :

    -Tu ne risques rien à t'amuser pour un soir.

    Le quatuor Juéllit asséna en chœur :

    -Iel a raison.

    Tahiya croisa les bras :

    -J'en suis, mais je fais équipe avec lui.

    Nsoah fit la moue :

    -Je voulais être avec Citseko.

    Mechem s'en mêla en disant à Tahiya :

    -Tu pourras faire équipe avec Theaon. Elle doit nous rejoindre.

    Tahiya haussa un sourcil :

    -T'es qui toi ?

    Le seconde année se tourna vers Laxo avec un air amusé, mais l'héritière d'or l'empêcha de faire le moindre commentaire :

    -Fais pas attention. Ils sont lents.

    En trois pas, Tahiya se trouva si près de Laxo que la jeune fille se pencha en arrière pour garder une légère liberté de mouvement.

    -Tu dis que je suis lente.

    Bélera agrippa le bras de Laxo pour la reculer légèrement :

    -Si on jouait ? Je pense qu'on a tous eu notre dose de duel dernièrement.

    Nsoah répéta :

    -Je veux jouer avec Citseko.

    Matior reprit la parole :

    -En fait, les duos vont tourner. Tu vas pouvoir commencer avec Citseko, mais ça va changer durant la partie.

    Tahiya le fixa intriguée :

    -C'est quoi ce jeu ?

    -On va se disperser sur le terrain. Bras dessus-dessous avec ton petit camarade.

    Pour illustrer ses propos, il saisit le bras de Lyert.

    -Il va y avoir un loup et un qui court.

    Elférad et Neghttris s'écartèrent se présentant comme l'un et l'autre des rôles.

    -Si le loup touche celui qui court, les rôles s'inversent. Si celui qui court veut prendre une pause, il peut s'accrocher à un duo.

    Neghttris saisit le bras de Lyert et Matior se détacha :

    -Lorsqu'il se tient à un duo, celui en bout de ligne se met à courir. Les duos n'ont pas le droit de se déplacer. Compris ?

    Ils hochèrent la tête. Elférad écarta les mains :

    -Reste à trouver qui veut faire le loup.

    Tahiya leva la main ce qui provoqua une surprise générale. Même son cousin se retrouva à murmurer :

    -Tu veux faire le loup volontairement ?

    L'héritière d'or ricana et répondant avec un sourire mauvais :

    -Je vais vous faire courir.

    Un « aaaah » général marqua la compréhension dans le groupe. Neghttris fit face au groupe :

    -Qui veut faire face aux instincts de tueuse de Tahiya ?

    Qegh proposa :

    -Peut-être pierre-feuille-ciseaux ?

    Il y eut un accord général, mais avant qu'ils puissent commencer, Falibi rappela :

    -Il faut attendre Theaon.

    La jeune fille les rejoignit une minute plus tard. On lui rappela le jeu, puis ils tirèrent au sort le premier à courir. Qegh fut désignée. Lyert se mit à rire :

    -J'espère que tu as travaillé ton endurance depuis l'école.

    L'héritière d'argent lui sourit :

    -Ne l'ouvre pas trop, je te battais déjà à l'époque.

    Matior demanda :

    -Vous me dites si vous voulez faire équipe, hein ? Je me mettrais avec Theaon. Elle a l'air tout à fait aimable.

    Theaon éclata de rire alors que Lyert rejoignait son ami et qu'ils commençaient à s'éloigner. Rafirin pointa du doigt un point au loin :

    -Xutik, on va se mettre là-bas. Ils nous ficheront la paix.

    Le nouvel héritier d'argent observa l'endroit d'un air critique :

    -Ouais, mais ça veut dire que s'il y en a un qui est motivé à aller jusque là-bas, on va devoir courir deux fois plus longtemps pour trouver un refuge.

    Rafirin commençait déjà à marcher :

    -Mais non, tu vas voir. Falibi, tu ne t'éloignes pas, hein ?

    L'héritière d'argent saisit le bras d'Hiloy pour l’entraîner dans la direction opposée des deux garçons :

    -Oui, bien sûr.

    Citseko regarda Xutik et Rafirin s'éloigner avec un demi-sourire. La situation semblait meilleure que ce qu'il s'était imaginé.

    -On va par là ?

    Nsoah désignait encore une autre direction. Citseko hocha la tête. Après tout, on ne leur avait pas donné de limite de distance. Tandis qu'ils se dirigeaient vers le point choisi, l'héritier d'argent demanda :

    -Tu n'es pas fâché ? Que j'ai parlé à Elférad ?

    Nsoah secoua la tête :

    -Si je ne voulais pas que cela se répète, j'aurais dû me taire.

    Il l’a fait exprès. Cette pensée le frappa soudain. Ce pouvait-il que Nsoah l'ai piégé pour une raison ou une autre ? Je ne l'imagine pas capable de ça. Pourquoi ? Parce qu'il semblait si innocent ? La vision de Nsoah assit à son bureau alors qu'il se réveillait lui revint. Une réalité dont il ne douta plus s'imposa. Il en serait capable... mais pourquoi ?

    -Il va falloir que je cours ?

    Citseko cherchait encore dans son expression une lueur différente, un indice qui le présenterait comme un manipulateur, mais il avait toujours un air innocent.

    -Si celui qui court s'accroche à moi, oui, il faudra que tu coures.

    Nsoah fixa un point au loin en souriant. Après quelques mouvements au niveau des autres duos, Hiloy poursuivit par Tahiya se rapprocha d'eux. Nsoah commença à trépigner :

    -Je vais courir, je vais courir.

    Citseko ne put s'empêcher d'être amusé de son contentement :

    -Si iel s'accroche à toi, c'est moi qui court.

    Voyant que Nsoah baissait soudain les yeux, visiblement déçu, Citseko tendit son bras libre vers Hiloy qui se rapprochait en espérant l'encourager à se tenir à lui. Lae Cinquième, épuisé.e, s’agrippa à l'aide si gentiment proposée alors que Nsoah s'élançait dans un éclat de rire. Tahiya le regarda courir en le fusillant du regard. Après une minute à reprendre son souffle, iel cria à plein poumons :

    -Nsoah ! Viens ici !

    Riant toujours, l'adolescent continua à courir. L'héritière d'or finit par accepter qu'elle ne réussirait pas à l'attraper de cette façon et se lança à sa poursuite. Dès qu'elle put respirer à peu près normalement, Hiloy lâcha :

    -Il a l'air content.

    Citseko hocha la tête. Ils restèrent un moment silencieux à observer l'évolution de la partie, puis l'héritier d'argent osa poser une question qui lui trottait en tête :

    -Comment va Xutik ?

    Dans le même temps, il se rappela qu'il n'était peut-être pas approprié d'interroger lae Cinquième vu son rang, mais cellui-ci répondit sans problème :

    -Je ne sais pas trop.

    Devait-il lui parler de la discussion qu''il avait eu avec l'ancien héritier d'or concernant sa place d'héritier d'argent ? Non, c'est pas tes affaires. Arrête de te mêler de tout et n'importe quoi. Un nouveau silence suivit.

    « Chapitre 28Et moi... je suis le démon »

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