• XVIII - Elférad

    Elférad Juéllit

    Rang : Or

    Héritier de la grande famille Juéllit

     

    Elférad écouta avec attention tous les sons qui lui parvenaient. Des pas dans le couloir, une porte qui claque, le vent qui fait bouger le rideau, le tic-tac de la pendule. Il leva les yeux vers elle, mais il la vit floue. Il se concentra alors sur le crissement du crayon sur le papier.

    -C'est une chance que vous vous en soyez rendu compte. C'est tellement rare que l'on ne pense à faire ce genre d'examen qu’en dernier recours.

    La voix du médecin lui sembla déformée.

    -Comment avez-vous pensé à ce poison ?

    Elférad réfléchit une seconde avant de répondre :

    -C'est une amie qui m'en a parlé.

    Après ça, il pouvait bien considérer lae Cinquième en amie.

    -Eh ben, c'est une chance. Je vais faire passer le mot, au cas où vous ne seriez pas le seul cas. Bien que cela m'étonnerait que nous en trouvions d'autre, c'est extrêmement cher. Je serais vous, je ferais une enquête approfondie sur ceux qui peuvent m'en vouloir.

    Sans rire.

    -Voulez-vous que je fasse transmettre à vos parents ? Que vous puissiez engager un espion pour vous protéger ou enquêter ?

    Elférad secoua la tête ce qui fut suffisant pour réveiller sa migraine. Il retint une grimace pour répondre :

    -Non merci. On n'a pas l'argent de toute façon.

    Le médecin re-pencha le nez sur sa feuille. L'adolescent savait que ses héritiers d'argent se précipiteraient pour lui prêter l'argent nécessaire, mais il ne tenait pas à dépendre autant d'eux. Par leurs actions récentes, ils avaient donné l'image de posséder leur propre clan. L'héritier d'or n'étant là que pour donner le change. Qu'on apprenne qu'il dépendait financièrement de ses amis et il était foutu.

    -Il faudra du temps pour que le poison s'évacue. Durant cette période, les symptômes risquent de perdurer. Migraine, trouble de la vue, hallucination auditive, perte de l'équilibre, incapacité à fermer les yeux trop longtemps...

    Il leva la tête :

    -Mais je pense que vous savez tout cela mieux que moi.

    Il fait de l'humour, là ? Elférad ne répondit rien, serrant les poings discrètement. La perte de patience faisait également parti des symptômes. Il écrit un roman ou quoi ? Enfin, le médecin referma son dossier, sans doute un rapport à transmettre au principal, puis il prit une nouvelle feuille et recommença à écrire :

    -Je vous fais un mot pour votre enseignant. Je tiens à ce que vous restiez dans votre chambre tant que tout n'est pas revenu à la normale.

    (Je sais qui tu es.) Elférad ne tourna pas la tête vers la voix. Il le faisait au début, par réflexe. Maintenant, il savait reconnaître les hallucinations.

    -Vous êtes allé en cours jusqu'à présent ?

    Hochement de tête.

    -Étonnant. Vous n'avez pas dû suivre grand chose.

    C'est peu dire. Ces cahiers ne ressemblaient plus à rien. Neghttris s'était très vite aperçu de son état et il lui avait demandé de garder le secret. Elférad n'avait aucun doute qu'il l'avait fait. L'héritier d'or avait réussi à s'arranger pour qu'aucun des ses symptômes n'apparaissent en public. S'il commençait à tanguer, Neghttris le retenait discrètement. L’adolescent avait appris à ignorer ses hallucinations auditives, à faire sans sa vue. Il avait parfois des pertes de mémoire que Neghttris comblait l'air de rien. La chose la plus visible était son manque de sommeil. Mais si ce n'était que cela, l’héritier d’or ne paraissait pas encore complètement faiblard aux yeux des autres. Ce qui l'avait inquiété le plus récemment, c'est que tout cela lui arrivait de plus en plus fréquemment. L’adolescent sentait qu'il arrivait au point où il ne pourrait plus cacher son état. En tout cas, maintenant que je sais d'où ça vient. Tout va revenir à la normale. Il faudra que je remercie Hiloy... je l'ai fait ou pas ? Il décida que de toute façon, ce genre d'aide ne se rendait pas avec un simple merci. Le médecin lui tendit le mot :

    -Et voilà, jeune homme. Allez vous coucher maintenant.

    Le garçon glissa le mot dans sa poche, salua et sortit. Dans le couloir, Neghttris, Matior et Lyert se levèrent de leurs chaises d'un bond en le voyant sortir :

    -Alors ?

    Elférad répliqua :

    -Alors, qu'est-ce que vous faites là ?

    Matior répondit sans-gêne :

    -Neghttris t'a vu t'éclipser ce matin, on t'a suivi.

    Et j'ai rien vu venir ? Faut vraiment que je dorme. L’adolescent entendit un enfant rire et l'ignora. Ses hallucinations ne venaient pas de nulle part. Il avait mis le temps, mais Elférad avait fini par reconnaître les voix. C'était des bribes de passé. Parfois c'était ses amis, parfois Gzadien. Son cœur se gonfla en pensant à lui et il se secoua. Tu vas pas encore te mettre à chialer, c'est pas vrai à la fin. Cela aussi était pénible. La fatigue lui donnait des envies de fondre en larmes pour tout et n'importe quoi. Heureusement, il arrivait la plupart du temps à se contrôler. Sauf devant Hiloy... la honte. Neghttris lui toucha doucement le bras, Elférad se rendit alors compte qu'il était resté immobile pendant un moment.

    -Alors ? Il t'a donné quelque chose ?

    -Non, c'est autre chose.

    Matior et Lyert s'approchèrent à leur tour, l'air soucieux :

    -Comment autre chose ?

    Il leur fit signe de le suivre :

    -Vaut mieux en parler ailleurs.

    (Et si je compte jusqu'à trois?) Elférad essayait parfois de resituer ses phrases dans le temps, mais il y arrivait rarement. Il eut un vertige en arrivant aux escaliers. Aussitôt, Neghttris glissa son bras sous le sien :

    -Ça va ?

    Elférad attendit que tout redevienne net et stable avant de répondre :

    -C'est bon.

    Ils regagnèrent leurs chambres. A peine entré, l'héritier d'or se laissa tomber sur son lit et tenta de fermer les yeux. Le grattement sous ses paupières s'accentua jusqu'à la brûlure, le forçant à les rouvrir. Assis sur son lit, tourné vers lui, l'entourant, ses trois amis le dévisageaient, attendant patiemment qu'il leur donne des explications. Elférad raconta tout ce que Hiloy lui avait appris, ce que le médecin lui avait dit et qu'il pensait que le poison était sur les notes que Gzadien et lui avait reçu. Neghttris fut celui qui mit en parole la pensée de tous :

    -Donc, les notes n'ont pas à avoir de sens. C'était juste pour vous empoisonner.

    Lyert avait pâli en entendant toute l'histoire :

    -Mais, il y a juste à attendre ? Il t'a pas donné d'antidote ?

    Elférad secoua négativement la tête et le plafond sembla prit de tremblements. Il s'immobilisa :

    -Non. C'est comme Hiloy a dit. Attendre.

    Matior soupira :

    -C'est une chance qu'elle ait remarqué.

    -Je te le fais pas dire.

    (T'es un menteur.... mais c'est pas grave). La migraine revint à la charge. L’adolescent se massa les tempes en grimaçant.

    -Ça va ?

    -Mal de crâne.

    Lyert en profita pour demander :

    -Il t'arrive quoi exactement ? Comme symptômes ?

    Il leur fit une liste non exhaustive.

    -T'entends des trucs ? Comme quoi ?

    -C’est comme des souvenirs, mais juste l'audio.

    Matior ouvrit de grands yeux :

    -Tu voyages dans le temps dans ta tête.

    Neghttris lui décocha :

    -T'es con.

    Elférad se redressa au prix d'un grand effort. Il attendit que les veines cessent de tambouriner à ses tempes, puis sortit le mot de sa poche :

    -Vous pourrez donner ça au prof ? Je dois rester ici.

    Neghttris s'en empara :

    -Bien sûr.

    L'héritier d'or les dévisagea un instant :

    -Demain, Indilk et Qegh reviennent...

    Neghttris le coupa :

    -On se tiendra, parole.

    Les deux autres répétèrent en chœur :

    -Parole.

    L'héritier d'or dû se concentrer un instant pour ne pas pleurer :

    -Je sais qu'on est tous à cran avec toutes ces histoires, mais on va s'en dépêtrer d'une manière ou d'une autre.

    Lyert acquiesça :

    -Je vais parler à Qegh. Seul à seul, elle acceptera peut-être de m'écouter.

    Elférad approuva :

    -Si tu as besoin que j'aille parler à l'héritier d'or...

    Il secoua la tête :

    -Non, non. Je crois que je réussirais à lui parler.

    Neghttris posa une main réconfortante sur le bras de son ami :

    -Ne t'inquiètes pas. On sait qu'on a déconné. On ne recommencera pas. Tu peux dormir tranquille.

    Si seulement.

    -Combien de temps ça prendra ? Tu le sais ?

    L’héritier d’or haussa les épaules pour répondre aux questions de Matior. Celui-ci insista :

    -Même pas une petite idée.

    Elférad soupira. Il était fatigué et rêvait de silence :

    -Ils disent que cela mettra du temps.

    Lyert allait reprendre la parole, Neghttris l'arrêta :

    -On va te laisser te reposer. Tu voudras qu'on t'amène à manger ?

    L'héritier d'or fut incapable de réfléchir aussi loin :

    -Je ne sais pas. J'ai pas faim.

    -OK, OK. On te laisse.

    Ils étaient en train de sortir quand Elférad lança :

    -Vous faites pas les cons, hein ?

    Matior se pencha dans la pièce pour répondre :

    -Tu vas être fier de nous.

    Son ami rit, puis il entendit la porte claquer. L'adolescent se glissa sous les draps sans prendre la peine de se déshabiller. A défaut de pouvoir dormir, il rêvait les yeux ouverts. (Il est nouveau). Elférad sourit en entendant la voix. Je sais où la situer celle-là.

    Il devait avoir huit ans. Le garçon se souvenait du ciel et du soleil. Neghttris avait dit une chose du genre :

    -Ce sont des rossignols ?

    Elférad avait écouté. Aujourd'hui encore, il se souvenait des oiseaux. Ce n'était pas des rossignols, cependant. Quand la maîtresse avait fait entrer un nouvel élève :

    -Voici Gzadien Thoum. Il est nouveau.

    Elférad ne se souvenait pas de ce qu'elle avait dit après cela car sa capacité de réflexion s'était glacée en entendant le nom du garçon. Il avait entendu parler de la monstrueuse famille qui avait tué son frère. Le garçon n'avait pas vraiment de souvenir de celui-ci, mais ses parents ne cessaient de lui en parler. Pendant que les autres lui racontaient comment il était mort, son père et sa mère avaient veillé à lui rappeler sa vie. Cela n'avait pas empêché Elférad de faire des cauchemars dans lesquels des monstres venaient le tuer. Et voilà que l'un d'eux était là. Il avait caché son blason aussitôt, avant de tenter un regard vers la créature. Gzadien avait les yeux fixés sur le bout de ses chaussures, se triturant les mains. Elférad avait été surpris. Ce n'était pas vraiment comme cela qu'il s'était imaginé l'enfant de la famille de monstres qui avait tué son frère. Neghttris lui avait glissé :

    -Il va falloir le dire aux parents. Il vient peut-être te tuer.

    Elférad avait dévisagé le garçon aux cheveux orange sans rien lui trouver d'inquiétant.

    -C'est peut-être juste un enfant.

    Matior avait secoué la tête :

    -C'est un piège. C'est sûr.

    Elférad s'était ressaisi. Après tout, ils avaient sans doute raison. Lyert s'était angoissé :

    -On fait quoi ? Il ne peut pas rester là.

    Pendant leur messe basse, la maîtresse avait demandé à Gzadien d'aller s'asseoir et le garçon avait longé les tables à la recherche d'une place vide. Les quatre garçons ne l'avaient pas quitté des yeux, puis Neghttris avait murmuré :

    -Il faut lui dire, que tu lui montres que tu n'as pas peur. On va le voir et tu vas lui dire qu'il doit partir.

    Elférad avait hoché la tête. Lors de la récréation, ils avaient trouvé Gzadien debout dans un coin. Ils l'avaient entouré. Elférad avait préparé son discours, mais cela ne l'empêcha pas de trembler en disant :

    -Je suis l'héritier du clan Juéllit et je pense qu'il serait mieux que tu ne restes pas dans cette école.

    Il avait jeté un œil vers ses amis pour savoir s'il avait dit ce qu'il fallait. Gzadien n'avait rien dit, si bien que Neghttris avait fini par dire :

    -Tu sais qui est le clan Juéllit, non ?

    Les yeux argentés de Gzadien étaient restés sur Elférad et il avait fait une chose à laquelle aucun des quatre garçons ne s'étaient attendu. Il avait fondu en larme :

    -Mais... je veux pas... encore... changer... d'école...

    Ses sanglots avaient rempli l'air, si bien que Lyert s'était inquiété de ce que la maîtresse pouvait entendre. Elférad avait alors ordonné :

    -On ne dit rien, mais tu restes dans le coin. Là.

    Il avait pointé le coin de mur derrière Gzadien et celui-ci l'avait pointé à son tour :

    -Juste là ?

    -Oui. Tu ne bouges pas. Tu vas toujours ici.

    Le garçon s'était sagement mit au coin, reniflant tant qu'il pouvait. Neghttris avait alors dit :

    -Je ne crois pas qu'il soit une menace en fait.

    Elférad avait été d'accord.

     

    Il tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir. Neghttris arriva avec un plateau :

    -Je t'apporte quand même quelques trucs. Tu mangeras quand tu voudras. C'est toujours mieux que des biscuits.

    Elférad eut un faible sourire :

    -Comment tu as su ?

    Son ami ricana :

    -Tu n'es pas sérieusement en train de poser cette question.

    (Arrête). Sa vision devint flou au point qu'il ne put plus distinguer le visage de Neghttris.

    -Tu ne t'ennuies pas ? Tu veux que je te ramène des livres de la bibli ?

    Elférad y réfléchit un instant :

    -Je m'occupe. J'ai des souvenirs qui remontent.

    Neghttris fut curieux :

    -C'est vrai ? Comme quoi ?

    -La première fois qu'on a vu Gzadien.

    Il n'eut pas besoin de voir Neghttris pour sentir sa crispation.

    -Maintenant que je suis aux portes de la mort, tu vas peut-être me dire la vérité.

    -Tu n'es pas aux portes de la mort.

    Elférad leva le bras pour voir s'il réussissait à distinguer sa main :

    -J'y étais presque.

    Neghttris soupira :

    -Pourquoi tu lui fais plus confiance qu'à moi ? Vous n'êtes même plus ensemble.

    Elférad se dit que c'était une discussion à avoir en face à face. Il rassembla ses forces pour s'asseoir :

    -Écoute, c'est la seule explication logique. Qui peut savoir le numéro de la chambre... ?

    Son ami éleva le ton :

    -Tu te rends compte que tu sous-entends que je t'empoisonne ?

    Elférad grimaça quand sa migraine revint :

    -Non. Je ne pense pas que tu ais été au courant...

    Neghttris vint s'asseoir sur son lit :

    -Je te le redis, pour la dernière fois. Je n'ai rien à voir avec ces notes et je te rappelle que Gzadien savait aussi dans quelle chambre il était. En fait, c'est peut-être son plan de me faire accuser.

    Il avait l'air très satisfait de lui-même. Elférad faisait son possible pour rester concentré, mais la discussion tournait en rond comme elle l'avait fait de nombreuses fois depuis qu'il était venu s'installer ici. Neghttris se calma :

    -Tu ne veux pas me dire pourquoi vous avez rompu ?

    Elférad n'eut aucun mal à faire venir les larmes, dans l'espoir que son ami se sentirait suffisamment coupable pour ne pas deviner qu'il mentait.

    -Pour la même chose.

    Neghttris détourna le regard :

    -C'est à dire.

    -Je lui ai demandé s'il n'aurait pas fait ça lui-même.

    L'héritier d'argent se pencha pour capter son regard :

    -Elférad. Tu oublies un point important. Pourquoi il aurait fait ça ? Pourquoi j'aurais fait ça ?

    Son ami s'essuya les yeux avec sa manche :

    -Je ne sais pas. Je voudrais juste dormir.

    Neghttris hocha la tête :

    -Je suis désolé. Je te laisse.

    Il sortit et Elférad préféra se replonger vers des jours plus heureux.

     

    Gzadien avait obéit. A chaque pause, il s'était tenu dans son coin. Elférad n'avait pu s'empêcher de l'observer pour s'assurer qu'il ne bougeait pas, mais il avait aussi eu de la peine pour le garçon. Celui-ci avait toujours semblé apeuré et avait passé son temps à regarder autour de lui comme s'il s'était attendu a se faire attaquer à chaque seconde. Un jour vint, cela avait été deux ou trois jours après son arrivée, où une balle vint se perdre à ses pieds. Elférad l'avait vu hésiter avant qu'il ne se décide à avancer pour renvoyer la balle. Gzadien était retourné à sa place, mais avait alors aperçu le garçon qui marchait vers lui. Aussitôt, il s'était aplati dans son coin, les bras croisés sur la poitrine comme un bouclier et avait répété à l'intention d'Elférad qu'il supposait furieux :

    -Je suis dans le coin, je suis dans le coin.

    Le futur héritier d'or lui avait pris le bras :

    -Viens jouer.

    Il l'avait traîné jusqu'à son groupe, ce qui n'avait pas été au goût de celui-ci. Il avait fallu du temps à ses trois amis pour faire confiance à Gzadien.

     

    Et maintenant, tout est à recommencer. Elférad se redressa lentement en espérant éviter de réveiller sa migraine, pour ramener le plateau vers lui. Il se força à finir le repas froid, se rappelant que cela ne pourrait que l'aider à aller mieux. Cependant, l’adolescent eut à peine fini qu'il dû courir hors de la chambre, atteindre la salle de bain commune et vomir. Après avoir recraché une part de son déjeuner, le jeune homme ricana, assis sur le carrelage, appuyé contre le mur des toilettes, en songeant que cela aurait dû être à Gzadien de déménager de leur chambre. Un héritier d'argent qui profite d'une salle de bain privée, j'en connais qui seraient outrés. Il eut une pensée pour Xutik quand il se sentit sombrer. Le sommeil le prenait toujours en traître quand il venait, hors, il ne valait mieux pas qu'on le retrouve endormi dans les toilettes. Ça va faire jaser. L’héritier d’or se sourit à lui-même en se relevant. Le monde sembla tourner, sa vue se brouilla. Elférad rassembla ses forces pour tenir debout. Juste quelques pas et tu pourras t'écrouler dans ta chambre. Sur le sol, si tu veux, mais dans ta chambre. Il ouvrit la porte des toilettes en réussissant à se tenir à peu près droit, mais dut s'appuyer au mur du couloir une fois sorti. L’adolescent sentait ses yeux se fermer tout seul. Tiens le coup, allez, encore quelques pas. Il tomba et eut juste le temps de sentir des mains le rattraper avant de s'endormir.

    -Elf ? Réveille-toi.

    Il lui semblait qu'il venait à peine de fermer les yeux. C'est probablement le cas vu ta situation actuelle. Cependant, l’héritier d’or n'obéit pas à la voix. Il voulait d'abord se souvenir comment il avait pu retourner dans son lit.

    -Il faut que je te parle. C'est urgent.

    Elférad se souvenait qu'il avait marché dans le couloir. Mais je suis tombé dans le couloir.

    -Elf ?

    Il répondit par une question :

    -C'est toi qui m'a mis dans mon lit ?

    -Pas exactement.

    Ah bon. L’adolescent essaya de se rendormir, mais il sentait déjà la brûlure venir sous ses paupières. La main fraîche de Gzadien passa dans ses cheveux châtains :

    -Tu t'es rendormi ?

    L'héritier d'or ne répondit pas.

    -Elf ?

    -Je suis réveillé.

    -Et tu ne veux pas me regarder ?

    Elférad résistait à la douleur de ses yeux :

    -Parce que c'est peut-être une hallucination. Tu n'es peut-être pas vraiment là.

    -Ah... mais c'est dommage, parce que je suis vraiment là.

    Elférad s'étira en gardant les yeux fermés :

    -Prouve-le.

    Il sentit le matelas s'enfoncer sous le poids de Gzadien. La seconde suivante, des chatouilles au niveau des côtes le poussèrent à rire et à repousser le garçon. La douleur revint lui tirant une grimace. L'héritier d'or ouvrit les yeux pour découvrir Gzadien allongé à côté de lui :

    -Tu vois que je suis là.

    Elférad était radieux et alla se blottir contre l'adolescent :

    -Comment t'as fait pour venir ?

    Gzadien enroula bras et jambes autour de l'héritier d'or :

    -J'ai eu de l'aide et un plan d'enfer.

    Elférad leva la tête pour capter son regard :

    -De l'aide ? T'as parlé à quelqu'un ?

    -Disons qu'ils me sont tombés dessus. Mais j'ai des choses importantes à te dire et je voulais te voir aussi.

    L'héritier d'or insista :

    -Tu as dis quoi à qui ?

    Gzadien se crispa :

    -J'ai lu le dernier mot que tu m'as laissé. Il n'est nulle part fait mention du poison.

    Elférad se dégagea de son étreinte. (On verra plus tard). Il voulut se redresser, mais la tête lui tourna.

    -Enerve-toi doucement. T'auras moins mal.

    -Me fais pas rire quand je veux m'énerver.

    Gzadien s'appuya contre le mur :

    -J'ai pas beaucoup de temps. Je suis venu te parler d'Indilk. Il pense apparemment que ton frère a tué le sien. Il aurait une preuve comme quoi c'était un espion.

    Elférad aurait rit s'il avait été en meilleure forme :

    -Quoi ? D'où il sort ça ?

    L'héritier d'argent haussa les épaules :

    -On en sait rien encore. Enfin, je ne vais pas m'impliquer plus avant, mais...

    Elférad le dévisageait avec insistance :

    -En temps normal, j'éviterais de te questionner. On n'est pas en temps normal, alors n'agit pas normalement et répond à mes questions.

    Sa vue se brouilla un instant et il s'appuya contre Gzadien le temps que cela revienne à la normale. Elférad réalisa alors, où il se trouvait :

    -C'est pas ma chambre.

    Gzadien concéda :

    -Plus pour l'instant, non.

    L’adolescent tenta de comprendre ce qu'il se passait, mais l'héritier d'argent venait déjà à son secours en expliquant :

    -Je t'ai rattrapé dans le couloir. On a hésité un instant à utiliser ta clé pour aller dans ta chambre, mais la mienne était plus proche.

    -Qui ça « on » ?

    -Hiloy, Rafirin, Falibi et moi.

    Comment ils ont fini ensemble ceux-là ? Il se retourna pour lui jeter un regard interrogateur. Gzadien le ramena contre lui :

    -Je te le fais dans l'ordre. Hiloy est venue me voir parce qu'elle avait découvert ce que je t'ai raconté sur Indilk. Du coup, elle voulait ma version des faits. La discussion avance, je me trouve obligé de tout raconter sur notre passé mouvementé. En échange, elle m'aide à te voir parce que je m'inquiétais. C'est elle qui m'a dit pour le poison.

    Elférad essayait de suivre, mais son esprit était de plus en plus réticent à tout effort.

    -Elle t'aide comment ?

    -Elle a embarqué tes héritiers d'argent pour leur parler d'Indilk. Falibi fait le gué en haut des escaliers et quand ils reviennent, elle va se diriger vers sa chambre. Ce que, la voyant faire, Rafirin va comprendre que c'est un signal et toquer à ma porte pour te dire de sortir.

    -Soit. Tu peux me réexpliquer le coup de l'espion ?

    Gzadien s'exécuta. Il dût répéter certains détails avant qu'Elférad ne réussisse à resituer les choses dans l'ordre :

    -Donc, quelqu'un a réussi à contrefaire le sceau de mon clan.

    L'héritier d'argent acquiesça et le serra un peu plus en demandant l'air de rien :

    -Une idée de qui aurait pu faire ça ?

    Elférad avait parfaitement saisi le sous-entendu :

    -Pourquoi Neghttris aurait fait un truc comme ça ? Il est de mon clan. Cela fait du tort à sa famille autant qu'à la mienne.

    Gzadien observa le profil de l'héritier d'or un instant avec une expression douloureuse qu'il chassa vite :

    -Je sais, mais tu lui as parlé ?

    -Évidemment.

    -Alors ?

    -Alors il dit que c'est toi qui a fait les notes.

    Gzadien se mit à rire, mais Elférad lui lança un regard sévère :

    -Content que ça te fasse marrer. Je ne suis pas sûr que tu réalises dans quelle situation tu me mets. Ça me gonfle sérieusement.

    La migraine revenait au grand galop. L'héritier d'argent se reprit :

    -Non, désolé. Mais, j'y ai réfléchi. Je ne crois pas qu'il sache exactement où la personne qui a fomenté tout ça veut en venir. Pourtant, il y a une chose qui peut forcer Neghttris à agir de la sorte.

    Elférad conclut :

    -Si ses frères et sœurs sont menacés.

    Il y avait déjà songé. Neghttris avait trois petits frères, deux petites sœurs et c'était tout son univers. Elférad ne doutait pas que si son ami refusait de lui parler de son problème, c'était que ceux-ci étaient en danger. Mais quel danger ? Il s'écarta de Gzadien pour s'agenouiller devant lui et planter ses yeux dans les pupilles d'argent :

    -Et toi ?

    Gzadien s'étonna :

    -Moi ?

    -Tu pourrais aussi agir pour un tiers dont tu ignores le but parce que ta famille est en danger.

    Le visage de l'héritier d'argent se rembrunit, mais Elférad continua :

    -Les chances pour que la famille de Neghttris soit en danger sont moindres par rapport à la tienne. S'il y avait un problème au sein de mon clan, mes parents auraient trouvé un moyen de m'en informer. Alors que toi, je ne sais même pas comment tu as pu entrer dans cette école.

    Le choc durcit les traits de Gzadien, alors que l'héritier d'or n'avait toujours pas fini :

    -Ce serait même assez logique. On te fait héritier d'argent, en échange tu fais ce qu'on te dit et tu livres des notes. On se débarrasse de l'héritier du clan Juéllit l'air de rien et toi, tu pourras avouer sans mentir que tu ne savais pas qui avait eu l'idée. C'est la solution miracle pour ta famille qui se fait jeter de partout. Tu sors de cette école et tu créés ton propre clan.

    L'expression de Gzadien s'était radoucie et il se pencha pour essuyer les joues d'Elférad avec ses pouces :

    -Ne pleure pas.

    -Je suis fatigué.

    Gzadien parlait toujours doucement :

    -Je sais. Je suis désolé.

    Elférad ferma les yeux, sentit la brûlure, les rouvrit :

    -Vous me fatiguez tous les deux.

    L'héritier d'argent ignora la remarque pour demander :

    -Pourquoi tu dis que ces notes sont un moyen de se débarrasser de toi ?

    -Hiloy ne t'a pas dit comment se prenait le poison ?

    Gzadien secoua la tête.

    -C'est les notes. Il est dans l'encre ou le papier, je sais pas. J'ai pas arrêté de les lire pour chercher des indices et à chaque fois, je prenais une dose, apparemment.

    L'héritier d'argent retira vivement les mains de ses joues :

    -C'est par la peau alors ?

    Elférad le rassura :

    -Je ne pense pas que tu en ais encore. Elle a dit que ça partait avec le temps et tu n'as pas l'air d'avoir le moindre symptôme.

    Gzadien le dévisageait, toujours anxieux :

    -Je ne crois pas que ce soit Neghttris.

    Elférad en sursauta de surprise :

    -Pardon ?

    -Réfléchis...

    -C'est un peu dur ces derniers temps.

    Gzadien sourit en continuant :

    -Neghttris ne t'aurait jamais empoisonné, même pour sa famille. Il aurait cherché un moyen de t'avertir.

    -Il n'était peut-être pas au courant pour le poison.

    L'héritier d'argent haussa un sourcil :

    -Vraiment ?

    -Il était sacrément choqué quand je lui en ai parlé.

    Gzadien rebondit sur ces mots :

    -Oui, parce qu'il n'a pas livré les notes, non plus. C'est un malin. Il se serait forcément demandé pourquoi des lettres ? En quoi elles peuvent faire le moindre mal ? Quand on les lui a montré, il a pu voir que les messages n'avaient rien de particulièrement compromettant. Du coup, il se serait forcément demandé pourquoi ? Le poison lui serait forcément venu à l'esprit au bout d'un moment.

    Elférad plissa les yeux :

    -On n'y a pas pensé, nous. Tu sous-entend qu'on est complètement cons ?

    Gzadien admit en riant à demi :

    -Il y a peut-être un peu de ça. Toujours est-il qu'il t'aurait averti. Donc, il ne devait rien savoir du tout.

    -Voilà. Tu l'innocentes et c'est moi qui trouve ça bancal. Il peut avoir livré les notes, sans savoir pour le poison et ne pas s'en être rendu compte, tout comme nous. Je refuse de croire que je sois complètement con.

    L'héritier d'argent soupira en se laissant retomber contre le mur :

    -Oui, je sais.

    Elférad ajouta :

    -D'autant que cela peut s'appliquer à toi aussi. Tu ne t'innocentes pas beaucoup dans tout ça.

    -Je suis adorable, voilà la preuve de mon innocence.

    L'héritier d'or grimaça :

    -Pas convaincu.

    Gzadien rit un instant avant de dire :

    -Est-ce que l'on n’est pas retourné au point de départ ?

    (Tu peux m'embrasser si tu veux). La phrase fit rire Elférad.

    -Qu'est-ce que j'ai dit de si drôle ?

    L'héritier d'or secoua la main :

    -Non, c'est moi. Il y a cinq ans.

    Gzadien fronça les sourcils :

    -C'est précis. Pourquoi tu penses à il y a cinq ans ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, il y a cinq ans qui soit lié à notre situation actuelle ?

    Elférad répondit :

    -J'ai des hallucinations auditives. J'entends parfois des trucs d'avant.

    Gzadien se pencha de nouveau, intéressé :

    -C'est vrai ? Comme quoi ?

    -Tu peux m'embrasser si tu veux.

    -Je voudrais toujours.

    Ils s'embrassèrent, rejouant leur premier baiser.

     

    Elférad ouvrit la porte quand Rafirin toqua. En l'apercevant, il dit d'un ton solennel :

    -Rafirin.

    Celui-ci sembla surpris, se demandant pourquoi il l'appelait de cette façon, mais Gzadien éluda la question en disant :

    -Il est fatigué.

    Elférad se dirigeait déjà vers sa chambre et s'y glissa avant que ses amis ne gagnent le haut de l'escalier. Gzadien et lui n'avait pas beaucoup parlé durant la dernière minute et maintenant qu'il se trouvait allongé sur son lit, des questions venaient l'assaillir. Devait-il continuer à essayez de faire parler Neghttris ? Etait-ce encore utile de jouer la rupture ? Si Neghttris n'a rien à voir avec tout ça, pas tellement. A moins que Gzadien n'ait découvert un danger venant de son côté dont il ne m'a pas parlé. Qui avait pu contrefaire le sceau de son clan ? Malgré ce qu'avait dit Gzadien, il doutait que Neghttris en ait les capacités. Et puis, il y avait aussi Indilk. Trop de trucs. Faut que je dorme. Ses amis entrèrent dans la chambre.

    -Comment tu vas ?

    -Tu vois ce moment de soulagement quand t'as mal depuis un bout de temps et qu'enfin tu as une pause dans la douleur avant qu'elle ne reprenne ?

    Neghttris sourit :

    -J'imagine, oui.

    -Et ben je l'attends toujours.

    Lyert vint s'asseoir :

    -On est désolé de te déranger encore, mais on vient d'apprendre un truc et il vaut mieux que tu sois au courant de suite.

    Elférad ne fit pas l'effort d'essayer de se redresser :

    -C'est quoi ?

    Matior répondit :

    -Indilk. Apparemment, il croit que ton frère a tué le sien.

    L'héritier d'or joua la surprise et la perplexité :

    -De quoi ?

    Ils lui répétèrent ce que Gzadien lui avait déjà dit.

    -Comment vous savez ça ?

    Neghttris entra dans la discussion :

    -C'est Hiloy qui nous en a parlé.

    Cette fois, Elférad dit avec sincérité :

    -Iel commence à se mêler de beaucoup de choses, non ?

    (Non, trois chiens). Matior lui demanda :

    -Tu veux qu'on lui dise d'arrêter ?

    L'héritier d'or secoua la tête :

    -Non, tant qu'iel est de notre côté.

    Il se tourna vers Neghttris, un peu perdu :

    -Iel est de notre côté, hein ?

    Son ami réfléchit à la question avant de répondre :

    -Je ne suis pas sûr.

    Lyert défendit :

    -Iel a aidé Elférad avec le poison.

    -Oui, mais iel ne fait que recueillir différents témoignages pour savoir ce qu'il se passe. On ignore ce qu'iel en fera ensuite.

    Elférad demanda alors :

    -D'ailleurs, vous lui avez raconté quoi pour mon frère ?

    Ils baissèrent les yeux et ce fut Neghttris qui continua :

    -La vérité.

    Lyert s'empressa de le soutenir :

    -C'est lae Cinquième quand même, on ne pouvait pas trop mentir.

    Matior renchérit :

    -C'est vrai. Si iel avait fini par savoir la vérité, iel aurait pu nous prendre en grippe. On s’est dit que tu n'avais pas vraiment besoin de ça en ce moment.

    L'héritier d'or approuva :

    -Bonne initiative, mais il faut qu'on sache ce qu'iel apprend. On ne peut pas lae laisser prendre l'avantage sur nous.

    Neghttris ajouta :

    -De plus que cela signifie que Falibi et Rafirin sont au courant.

    -Exact.

    Lyert demanda donc :

    -On fait quoi ?

    -Vous lui collez aux basques.

    Sa vue se troubla de nouveau. Il reprit :

    -Vous lui collez aux basques et vous l'aidez. Continuez à vous faire bien voir. Si on peut s'attacher lae Cinquième, on aura une protection.

    Ils acquiescèrent et la discussion dériva jusqu'à ce que Matior et Lyert se lèvent en décrétant :

    -Il faut qu'on finisse nos devoirs. On va en cours, nous, demain.

    Elférad leur sourit :

    -On échange ?

    Matior soupira :

    -Non, tant pis, on fera sans.

    Lyert ajouta :

    -C'est bien parce que l'on est courageux, nous.

    Ils sortirent laissant Elférad et Neghttris en tête à tête. L'héritier d'argent se rendit à son bureau et son ami l'observa un temps avant de se lancer :

    -Je veux que tu enquêtes sur les notes.

    Neghttris fit volte-face :

    -Moi ?

    -Oui. Gzadien ne m'en parle plus vu notre situation, mais il n'empêche qu'il y a toujours un doute concernant la personne qui les envoie. En plus, vu qu'elles sont empoisonnées, on peut parler de tentative d'assassinat. Par conséquent, je veux que tu trouves qui a fait tout ça.

    L'héritier d'argent le fixa et dit avec une pointe d'amertume dans la voix :

    -Je croyais que c'était moi, qui te les avait envoyé.

    Elférad resta calme :

    -Justement. Prouve-moi le contraire ou prouve-moi que c'est Gzadien ou quelqu'un d'autre. Il y a un réel danger, ici, Neghttris. Si on a voulu me tuer et qu'ils se rendent compte que cela n'a pas marché, ils vont recommencer. Peut-être avec des moyens plus radicaux.

    Son ami fit rouler sa chaise de bureau jusqu'au chevet du lit :

    -Tu oublies un détail.

    -Lequel ?

    -Ces lettres n'étaient pas pour toi.

    L'esprit endormi d'Elférad eu un sursaut de lucidité. Les notes avaient été adressées à Gzadien. Comment j'ai pu oublier ? C'est Gzadien que l'on veut tuer. Son cœur se mit à tambouriner, sa gorge se serra, la peur lui traversa le corps. Cependant, Neghttris ne sembla pas remarquer sa pâleur nouvelle et continua :

    -C'est moins étonnant que l'on s'en prenne à lui qu'à toi si on part du principe que c'est une tentative d'assassinat. Allez savoir combien de clan sa famille a offensé en se baladant comme ils le font. Ils ont peut-être même essayé de tuer un autre héritier de grande famille, en cour de route.

    Elférad déglutit avec difficulté en demandant :

    -On devrait l'avertir, non ?

    Neghttris le dévisagea :

    -Tu veux ?

    -On s'est disputé bêtement, ça ne veut pas dire que je veux sa mort.

    L'héritier d'argent sourit :

    -J'irais lui parler.

    -Maintenant, si tu veux bien.

    Son ami se leva :

    -OK. Je te ramène le dîner en même temps.

    Il sortit et, chose incroyable s'il en est, Elférad sombra en quelques minutes. Il se réveilla moins d'une heure plus tard, tout surpris de s'être endormi. L’adolescent espéra quelques instants que cela reviendrait, mais renonça vite. Au lieu de ça, il alla prendre une douche, lu, travailla, retourna s'allonger, se releva. Le garçon faisait le tour de la chambre à la recherche de quelque chose à faire quand Neghttris revint avec le dîner. Bon, on va essayer de ne rien vomir cette fois. Il le remercia en s'asseyant à son bureau :

    -Gzadien a dit quelque chose ?

    -Il a dit merci.

    Je suppose que c'est déjà pas mal. Il commença à manger lentement en espérant que cela aiderait son estomac à tout garder.

    -Il m'a dit qu'il ne pensait plus que j'étais celui qui avait donné les notes.

    Elférad se redressa :

    -C'est vrai ?

    Neghttris se tenait debout, près de son bureau et, allait savoir pourquoi, l'héritier d'or ressenti une certaine pression. Son ami le fixait avec un air soupçonneux :

    -Il m'a dit qu'il savait que je ne t'empoisonnerais pas. Que même si j'ignorais ce que contenait les notes, je t'aurais averti du poison dès que j'aurais deviné qu'il y en avait. Il m'a dit que tu n'y croyais pas.

    A quoi tu penses, Gzadien ?

    -J'ai juste dit que tu pouvais très bien, tout comme nous, ne pas avoir deviné qu'il y avait du poison.

    (Il court vite). L'adolescent continuait de le fixer avec le plus grand sérieux :

    -Soit. Mais, ce n'est pas le problème. Moi, la question que je me pose, c'est à quel moment vous en avez discuté ?

    J'ai mal au crâne.

    -Ce doit être assez récent, vu que l'on vient de découvrir pour le poison. Hors, pour quelle raison serait-il venu te voir si vous avez rompu ? Surtout après la dispute que vous avez eu.

    Elférad faisait de son mieux pour suivre ce qui était en train de se passer, mais sa vue était de nouveau floue et un garçon pleurait à son oreille. Ce doit être Matior. C'était un vrai pleurnicheur étant petit. C'est difficile de l'imaginer maintenant, mais...

    -Elférad ?

    -Oui ?

    -Tu m'écoutes ?

    Le jeune homme se concentra tant qu'il put :

    -Tu peux me dire exactement, mot pour mot, ce que Gzadien a dit ?

    Il ignorait où l'adolescent avait voulu en venir en révélant tout cela. Il devait savoir que Neghttris comprendrait qu'ils s'étaient parlés récemment. Ou bien, peut-être n'avait-il pas fait attention. Dans tout les cas, Elférad devait savoir s'ils stoppaient leur comédie. Neghttris fronça les sourcils, perplexe devant cette requête, mais s'exécuta sans trop d'efforts :

    -Je ne crois pas que tu ais quelque chose à voir avec les notes, finalement. Même si tu avais agi en entente avec quelqu'un d'autre, tu n'aurais pas accepté d'empoisonner ton héritier d'or. Par contre, je suis désolé d'avoir rompu votre entente avec Elférad au point qu'il ait des doutes sur ton innocence. Alors, que je lui ai dit que je ne pensais pas que tu l'avais empoisonné. Je te jure. Tu peux lui dire ce que je viens de te dire, tu verras que je dis la vérité et qu'il ne te croira pas.

    Elférad récupéra les éléments du code :

    -Et ça, c'est après que tu lui ais dit qu'on tentait de le tuer.

    -Ouais. Il n'avait pas l'air franchement surpris.

    L'héritier d'or se glaça. Ils s'étaient séparés pour que Gzadien puisse enquêter sans apporter de tort à Elférad et son clan. Cela permettait aussi à celui-ci, de lever les soupçons sur Neghttris. Hors, maintenant qu'il y avait une réelle menace pour l'héritier d'argent, Elférad réalisait qu'il était déjà au courant. Il ne m'a rien dit, évidemment et je n'ai rien vu. Il se demanda depuis quand Gzadien avait senti sa vie réellement menacée. Il sentit les larmes lui monter aux yeux et cria de colère :

    -Ah, ça suffit hein !

    Neghttris sursauta :

    -Ça va ?

    Elférad se tourna vers la fenêtre :

    -Il est venu me voir tout à l'heure... ou, c'était hier, je sais plus. Je suis sorti de la chambre pour aller vomir et il m'est tombé dessus dans le couloir.

    Il revint à Neghttris :

    -Je t'avoue que je n'ai pas tout suivi de ce qu'il m'a dit, mais je sais que j'ai répondu, à un moment, que tu pouvais bien ne pas avoir deviné que l'on m'empoisonnait.

    Son ami réfléchit avant de demander :

    -Pourquoi m'avoir raconté tout ça, à ton avis ? Il aurait pu se contenter de me dire qu'il ne me soupçonnait plus.

    Elférad inspira :

    -Parce que c'est un connard et qu'il espère sans doute augmenter la discorde entre nous tout en disant s'excuser de l'avoir provoquée.

    Neghttris était choqué. Les gros mots n'étaient pas courant dans le langage de son ami, surtout pas pour parler d'une personne directement. Elférad continua :

    -Tu sais, j'ai sérieusement repensé à ce que tu as dit et je crois que Gzadien est plus à même d'avoir fait les notes.

    Son héritier d'argent s'assit et fit rouler sa chaise jusqu'à lui :

    -Je ne crois pas qu'il ait voulu t'empoisonner non plus, tu sais.

    (Pourquoi c'est bleu?)

    -Oui, mais réfléchi. Comment il a pu devenir héritier d'argent ? C'est sans doute une récompense pour un service à rendre. De plus, tu l'as fait remarquer toi-même, il n'avait aucune raison de te dire que j'avais des doutes sur ton innocence. Il cherche à foutre la merde. M'isoler pour mieux frapper, sans doute.

    Neghttris n'en croyait pas ses oreilles :

    -T'es sérieusement en train de supposer que Gzadien essaie de t'assassiner ?

    Elférad ouvrit les mains en signe d'impuissance :

    -Je n'en sais fichtrement rien, figure-toi.

    L'héritier d'argent posa une main sur son front :

    -T'as de la fièvre.

    Elférad eut l'air blasé :

    -Sérieusement ? C'est pas parce que j'ai du poison en moi que je délire tout le temps.

    -Non, sérieusement, t'es en sueur et t'as de la fièvre.

    -Ah.

    Il ne se sentait pourtant pas plus mal que d'habitude. Sa migraine ne s'était pas dissipée, certes, mais au point où il en était, cela ne faisait pas une grosse différence.

    -Vas au lit, je vais à l'hôpital, demander s'ils peuvent te donner quelque chose.

    Ce n'est qu'en se levant qu'Elférad sentit la faiblesse dans ses jambes. Il alla se jeter sur son lit, sans se plaindre. Une fois seul, il repassa le code caché dans les paroles de Gzadien en espérant ne pas s'être trompé. Faut dire que je ne suis pas vraiment en état de jouer à ça. D'après ce qu'avait dit Neghttris, Gzadien avait répété deux fois le mot « entente » faisant référence à leur comédie. Seulement, il l'avait appelé Elférad au lieu d'Elf, par conséquent, ils continuaient à jouer la rupture. Le reste de son discours avait été clair. En faisant semblant de s'excuser tout en insistant sur le fait qu'il ne le croirait pas, il voulait prendre le blâme et écarter définitivement la menace d'Elférad et ses héritiers d'argent. Parce que mon empoisonnement lui a confirmé qu'on voulait s'attaquer à lui. Elférad ferait donc en sorte que ses amis ne veuillent plus s'approcher de Gzadien.

    L’adolescent sursauta, les yeux fixant le plafond. Il s'est passé quoi là ? J'ai dormi ? Il regarda autour de lui, mais le temps ne semblait pas s'être particulièrement écoulé. Le jeune homme avait chaud. Il se redressa lentement pour retirer ses habits imbibés de sueur et se recoucha en caleçon. Là, je vais pas bien. Il voulut se rendre aux toilettes, mais se rappela avant de quitter le lit qu'il n'avait plus de salle de bain privée et qu'il devait sortir. Elférad s'invectiva d'avoir encore oublié ce détail, en jetant un regard à ses habits en tas par terre. Ça me saoule, je vais pas me rhabiller. Si ? L'héritier d'or se leva avec difficulté, s'accrocha à la penderie pour ne pas tomber avant de se tourner vers le lit de Neghttris. Il n'était pas là, il y a deux secondes ? Il essaya de se rappeler si son ami lui avait dit qu'il sortait, mais sans succès. Le garçon préféra plutôt chercher tee-shirt et pantalon pour sortir.

    Elférad réussit à atteindre et revenir des toilettes en ayant l'air à peu près normal. Du moins, il lui sembla. Il s'écroula sur son lit alors que sa respiration devenait difficile. Je vais vraiment pas bien là. L’héritier d’or se mit sur le dos en espérant que cela irait mieux. Lorsque Neghttris rentra et le trouva ainsi, la respiration sifflante, son air furieux fut effacé par l'inquiétude. Il se précipita vers le lit :

    -Elférad ? Qu'est-ce qui va pas ?

    L’adolescent réussit à ricaner. Je commence par quoi ? Il réussit juste à articuler :

    -Chaud.

    Neghttris l'aida à se relever :

    -Je vais te retirer tes vêtements.

    Quelle bonne idée. Mais je ne l'avais pas déjà fait ? Elférad s'étonna de voir qu'il était effectivement vêtu. Quand il fut de nouveau en caleçon et que Neghttris le glissa sous les draps, il réussit à demander :

    -T'étais où ? Tu me l'as dit ?

    Son ami retrouva sa mine frustrée :

    -J'étais à l'hôpital, mais ils disent que comme c'est un poison qu'ils ne connaissent pas bien, ils préfèrent ne rien donner. On doit juste attendre.

    Une fois recouché, Elférad sentit de nouveau sa respiration se compliquer. Il n'arrivait plus à aspirer de l'air à plein poumon et ne pouvait qu'inspirer par à-coup. Neghttris se crispa :

    -Non, mais ils vont pas me dire que c'est normal, ça.

    Elférad voyait flou. Il lui sembla que l'héritier d'argent avait parlé, mais il n'avait pas saisi le sens de la phrase. Je crois que ça va mieux quand je me redresse. Elférad saisit l'oreiller, mais s'aperçut qu'il n'avait plus de force. Neghttris le vit faire et l'aida à se repositionner. Dès lors, l'adolescent respira plus facilement. On toqua à la porte et Neghttris alla ouvrir. Matior et Lyert entrèrent.

    -Comment il va ?

    Une grimace de Neghttris leur répondit. Lyert demanda :

    -Il vaut peut-être mieux que l'on revienne plus tard, non ?

    Elférad articula avec effort :

    -J'irais pas mieux plus tard. Vous êtes là pour quoi ?

    Les garçons entourèrent le lit et Lyert prit la parole :

    -J'ai parlé à Qegh et on s'est dit que le mieux c'était que tu rencontres son héritière d'or pour éclaircir les choses.

    Elférad hocha la tête :

    -OK. C'était quoi le problème du coup ?

    -Apparemment, on leur a dit que le clan Juéllit allait rompre son alliance avec le leur.

    Matior ajouta :

    -En plus, Qegh a cru qu'il était fiancé à quelqu'un d'autre.

    Lyert corrigea :

    -Je ne suis pas fiancé à Qegh non plus, je te signale.

    Son ami eut un sourire moqueur :

    -Mais non, mais non.

    Lyert allait répliquer, mais Neghttris l'interrompit :

    -Elle vient quand ?

    Le jeune homme se tourna vers lui :

    -Je n'ai pas fixé de date. Je voulais avoir l'avis d'Elférad d'abord.

    Ils se tournèrent vers l’héritier d’or qui leur jeta un regard fiévreux :

    -Vous vous attendez à ce que je prenne une décision là, maintenant ?

    Ils haussèrent les épaules avant que Neghttris ne leur dise :

    -On va peut-être voir comment il va demain.

    Les deux autres acquiescèrent avant de quitter la chambre :

    -Courage Elférad. On se voit demain.

    Celui-ci sombra soudain. Quand il se réveilla, il faisait nuit et la douleur sur ses yeux lui arracha un cri. Cela en réveilla une autre qui traversa sa colonne vertébrale. Un nouveau cri. Neghttris apparut à son côté, paniqué :

    -Qu'est-ce qu'il se passe ? Merde, qu'est-ce qu'il se passe ?

    Elférad voulait répondre, mais il dut serrer les dents quand une nouvelle vague de douleur le traversa. Des larmes lui montèrent aux yeux. Son corps se cambra, se crispa, trembla sans qu'il ne puisse contrôler quoique ce soit. Agité dans tous les sens, il garda le regard fixé sur le plafond en priant pour que cela se termine bientôt. Complètement désemparé, Neghttris ne cessait de demander ce qu'il devait faire, sans oser toucher son ami. La crise dura deux bonnes minutes avant que l'héritier d'or ne s'écroule, inconscient. Les yeux plein de larmes d'angoisse, Neghttris le redressa un peu sur son oreiller pour faciliter sa respiration qui redevenait saccadée. Il resta près de lui un bon moment, à attendre de voir si cela allait recommencer avant de retourner se coucher.

    Le lendemain, Elférad sentit une main fraîche sur son front et ouvrit les yeux. Il fut étonné de voir Hiloy assise près de son lit. Neghttris s'approcha dès qu'il vit son ami se réveiller :

    -Elférad ? Ça va ?

    Le garçon eut un sourire :

    -J'ai dormi, je crois.

    L'héritier d'argent hocha la tête, visiblement soulagé :

    -Oui, c'est vrai.

    Elférad posa le regard sur Hiloy :

    -Pourquoi tu es là ?

    Neghttris intervint avant que la Cinquième n'ouvre la bouche :

    -Je lui ai demandé de venir. Juste pour voir s'il n'y avait rien qui cloche.

    Matior apparut dans son champ de vision :

    -Tu as eu une crise cette nuit, apparemment. Neghttris a eu la trouille.

    Elférad essaya de s'en souvenir, mais il se rappelait même pas que Matior et Lyert aient quitté la chambre. Comme pour s'excuser, Neghttris ajouta :

    -J'ai demandé à Hiloy de venir, au cas où. Je me suis dit qu'elle s'y connaissait un peu mieux...

    Ils tournèrent des regards curieux et inquiets dans sa direction. La jeune fille tint à prévenir :

    -Je veux d'abord dire que je ne sais que ce que l'on m'a enseigné, des choses qui viennent de témoignage. Je n'ai jamais vu les étapes d'une guérison...

    Elférad la coupa :

    -J'ai beaucoup dormi.

    Il interrogea Neghttris du regard, soudain incertain de ce qu'il disait. Son ami acquiesça :

    -Oui, mis à part la crise, il a dormi toute la nuit. Ça, c'est une bonne nouvelle, non ?

    Hiloy hocha la tête :

    -Oui et la crise, comme tu dis, est normale aussi.

    L'héritier d'or demanda :

    -Je dois m'attendre à quoi exactement ? Mis à part ce que m'a dit le médecin ?

    Lae Cinquième énuméra en comptant sur ses doigts :

    -Hallucinations auditives, trouble de la vision, perte de mémoire...

    L'adolescent étendit le bras pour poser la main sur celle de Hiloy :

    -Ça, je sais. Quoi d'autre ?

    Lae Cinqième reprit :

    -Encore, d'après les témoignages recueillis, ça peut être totalement différent pour toi.

    -OK, OK. La suite.

    -Pour certains, le sommeil met plus de temps à revenir. Tu pourrais avoir des douleurs dans les os. Des crispations subites et incontrôlables des muscles. Des difficultés à respirer, à parler. Des pertes de force ou des phases d'activité intense. Des tremblements, des crises de larme...

    Matior se racla la gorge :

    -Désolé, mais, il y a une fin ?

    L’adolescent.e grimaça un sourire :

    -Et je ne vous dis que ce dont je me souviens.

    Elférad eut un rire brisé :

    -La bonne nouvelle, c'est que je pourrais écrire un témoignage dont on pourra être sûrs.

    Neghttris poursuivit :

    -C'est sûr. Je devrais me mettre à prendre des notes.

    Lyert s'inquiéta :

    -Je ne veux pas paraître pessimiste, mais ça a l'air douloureux. Il n'y a pas quelque chose pour que ça se passe plus doucement ?

    Lae Cinquième secoua la tête :

    -Non. C'est risqué. En fait, il semblerait que chaque fois que l'on a tenté de donner un médicament pour aider à la guérison, cela n'a fait qu'aggraver la situation.

    Elférad soupira tandis que la migraine revenait au grand galop :

    -Et la fièvre ?

    Il avait une vision encore assez claire pour voir la jeune fille froncer le nez :

    -Si tu as de la chance, ça s'arrête là. Sinon, elle peut revenir et tu risques d'avoir aussi des hallucinations visuelles.

    Il y eut un silence qu'Hiloy finit par rompre :

    -Je suis désolé.e de n'avoir rien de mieux à annoncer.

    Elférad voulut dire quelque chose, mais sa gorge se serra et il y renonça. Quand il rouvrit les yeux, la pièce était vide. Je me suis endormi ? Il soupira encore. S'endormir comme cela, d'une certaine manière, était plus fatiguant que de ne pas dormir du tout. L’adolescent n'arrivait pas à savoir si Hiloy était venu.e la veille ou le jour-même. A cet instant, il réalisa qu'il se sentait mieux. Elférad se leva donc, tout joyeux. A peine debout, les os de ses pieds semblèrent imploser. Le garçon grimaça en chutant en arrière, son crâne frappant violemment contre le mur. Les mains pressées contre sa tête, il se recroquevilla sur le lit en geignant :

    -J'en ai marre. J'en ai marre. J'en ai marre...

    -Elférad ? Qu'est-ce qu'il y a ?

    Il se tourna pour apercevoir Neghttris :

    -Ramène Redi.

    Son ami dû prendre une seconde pour comprendre ce qu'on lui disait :

    -L'héritière d'or de Qegh ?

    Elférad se rassit :

    -Oui ! Maintenant ! Tant que j'arrive à me souvenir que deux et deux font cinq.

    -Quatre.

    -Prouve-le.

    Neghttris le fixait sans savoir s'il plaisantait ou s'il avait perdu l'esprit :

    -Deux et deux font quatre. C'est comme ça.

    Elférad secoua la tête :

    -Qui l'a décidé ?

    -Je sais pas. C'est comme ça.

    L'héritier d'or fronça les sourcils :

    -C'est quoi le rapport avec Redi ?

    Neghttris tentait de suivre :

    -Aucun, je pense. C'est toi qui a dit deux et deux font cinq.

    -Non, ça fait quatre.

    L'héritier d'argent considéra son ami avant de répondre avec précaution :

    -En effet.

    Elférad se leva, ouvrit son armoire, balançant ses vêtements les uns après les autres. Neghttris commença à s'inquiéter de nouveau :

    -T'es sûr que ça va ?

    L'adolescent s'arrêta soudainement pour lui faire face :

    -Je crois que j'ai eu mal aux pieds... il n'y a pas longtemps.

    Neghttris hocha doucement la tête :

    -D'ac...cord.

    Elférad sourit puis retourna à ses vêtements. L'héritier d'argent tenta :

    -Je crois que l'on devrait attendre que tu sois complètement remis avant d'aller parler à Redi.

    -Je suis remis. Je pensais que ça prendrait plus de temps.

    Il extirpa un pantalon et une chemise. Neghttris lui fit doucement remarquer :

    -Tu ne voudrais pas prendre une douche d'abord ?

    Elférad se dirigea vers le mur avant de s'arrêter :

    -Pas de douche ici, pas de douche ici.

    Il alla vers la porte et Neghttris l'arrêta de nouveau :

    -Tu vas sortir en caleçon ?

    Sans répondre, l'héritier d'or ouvrait déjà la porte, mais son ami la referma d'autorité :

    -Je pense que tu devrais te recoucher.

    Elférad le dévisagea :

    -Tu es allé chercher Redi ? On est quel jour ?

    Neghttris parla doucement :

    -Je crois que tu as une autre crise.

    -J'ai pas mal.

    -Pas le même genre, mais quand même.

    Elférad ne comprenait pas le problème. Il ne s'était jamais senti aussi bien.

    -Fais venir Redi. Il faut que l'on règle ce problème de suite. Je vais m'habiller pour être présentable.

    Neghttris n'était pas rassuré :

    -On devrait...

    -Non. Maintenant. On ne peut pas laisser traîner.

    L'héritier d'argent rechignait, mais Elférad ajouta :

    -Sinon, je peux allez la voir, moi. Je t'assomme et je passe.

    Neghttris le connaissait assez pour savoir qu'il en était capable. Il se souvenait qu'il avait mis Matior KO à l'école parce qu'il avait refusé de prêter un livre à Gzadien. Ne voyant pas d'autre moyen de se sortir de cette situation, l’héritier d’argent dit :

    -D'accord. Tu restes là, je vais la chercher.

    Elférad retourna sagement au centre de la chambre, le laissant sortir tranquillement. A peine la porte fermée, il s'habilla, secoua la tête, se déshabilla, fit trois pas, changea de tenue, repartit, rangea les vêtements en vrac dans l'armoire, avant de choisir d'autres habits. Bon, à bien y réfléchir... je suis peut-être un peu agité.

    Il alla s'asseoir sur son lit, se rongeant les ongles et se balançant pour se retenir de se balader dans la chambre. Le jeune homme finit par craquer. C'est pas bon. Si je me disperse comme ça, Redi va dire que je suis taré. Il se figea. Est-ce que Hiloy va dire que je suis taré ? Neghttris revint :

    -C'est bon. Elle arrive.

    Elférad fit volte-face :

    -Qui ?

    Son ami pâlit :

    -Je peux encore lui dire de repartir, ce serait...

    L'héritier d'or s'exclama :

    -Hiloy ! Non, Redi ! Ça va aller.

    -Pas sûr. Au moins, t'es habillé.

    Elférad s'assit à son bureau.

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    -Je note ce que je dois dire, au cas où je me disperse.

    Neghttris approuva :

    -C'est une bonne idée, mais elle arrive.

    On toqua. Elférad resta concentré sur sa feuille. L'héritier d'argent soupira en ouvrant la porte. Matior et Lyert précédèrent Redi et Qegh.

    -Elférad ? Neghttris me dit que tu voulais que l'on parle.

    L'héritier d'or fit tourner sa chaise, ouvrit la bouche, la referma. Non, il faut que tu te calmes. Si tu dis n'importe quoi, c'est foutu.

    -On a entendu que vous aviez eu une preuve de rupture entre nos clans.

    Doucement, c'est bien. C'est elle qui avait une histoire de rupture entre nos deux clans ? Redi le dévisagea :

    -Il y a ton blason sur la feuille que l'on nous a montré.

    Elférad se retint de parler de suite, essayant d'abord de se rappeler de quelle feuille elle parlait. Il jeta un regard suppliant à Neghttris qui intervint :

    -Nous pensons que c'est un faux. Vous n'êtes pas les seules à avoir eu une preuve du genre.

    Redi s'étonna que l'héritier d'or laisse ainsi celui d'argent reprendre la discussion. Elle ne fit aucun commentaire et se tourna vers Neghttris :

    -Avez-vous une preuve de ce que vous dites ?

    Matior répliqua :

    -Et vous ?

    Elférad s'était détourné pour jeter un coup d’œil à sa feuille. Les phrases qu'il y avait écrite lui parurent être un charabia incompréhensible. Un mot lui sauta aux yeux et lui rappela quelque chose, aussi, il s'exclama soudain :

    -Mariage !

    Il fit pivoter son siège vers le groupe avec une certaine fierté. Tous le dévisageait avec incompréhension et inquiétude. Elférad se rendit compte de ce qu'il venait de faire et ajouta lentement :

    -Pas... de mariage.

    Un regard vers Neghttris pour qu'il prenne la relève :

    -Oui, je ne sais pas où vous avez entendu ça, mais Lyert n'est fiancé à personne.

    Tandis qu'il écoutait son ami qui tentait de convaincre la jeune fille, l'héritier d'or se sentit saisi d'une immense fatigue. Pourquoi Neghttris les a-t-il fait venir ? Il sait bien que ce n'est pas prudent vu mon état. Il grimaça en se disant qu'il oubliait quelque chose, quelque chose, justement, lié à son ami. Quand l’adolescent fit mine de vouloir se lever, Lyert se précipita. Elférad s'appuya sur son épaule en lui murmurant à l'oreille :

    -Fais les partir.

    L'héritier d'agent hocha la tête :

    -Je suis désolé, mais je pense que l'on devra remettre cette discussion à plus tard, finalement.

    Redi était vraiment étonnée du comportement des garçons. Cependant, alors qu'elle croisait de nouveau le regard d'Elférad, elle devina :

    -Il n'a pas l'air bien. Il est malade ?

    Neghttris en profita :

    -Oui, je suis désolé. Il voulait régler vos différents au plus vite, mais je crois que cela lui a fait plus de mal que de bien.

    Le jeune homme pria pour qu'elle ne se sente pas offensée d'être ainsi appelée, puis jetée, mais l'adolescente se dirigea vers la sortie :

    -Dites-moi quand il ira mieux que l'on finisse cette discussion. Si cela peut vous consoler, sachez que je suspends le changement de classe de Qegh. De toute évidence, Lyert l'a déjà convaincu, elle.

    Redi embrassa une dernière fois la pièce du regard avant de refermer la porte. Elférad se souvint alors que Neghttris avait insisté pour qu'il ne reçoive pas les filles maintenant. Il grogna de frustration :

    -C'était ça !

    Ses trois amis l'interrogèrent du regard, mais il répondit en secouant la tête :

    -Faut que je dorme. J'ai un énorme coup de barre d'un coup.

    Lyert l'aida à aller se coucher. L'héritier d'or fut soulagé de voir que même à plat sur son lit, il pouvait respirer normalement. Il se mit sur le dos pour demander :

    -Est-ce que j'ai mangé ?

    Neghttris retrouva le sourire :

    -Je vais te chercher un truc.

    Il sortit, le laissant avec Lyert et Matior.

    -Comment se passent vos entraînements pour le tournoi des foulards ? Il n'est pas passé, si ?

    Matior sauta sur le lit :

    -Pas encore. Mais j'ai une question.

    Lyert lâcha avec fermeté :

    -Matior, non.

    Celui-ci l'ignora, les yeux fixés sur son héritier d'or :

    -Comment ça se fait que tu sois dans la même équipe que Neghttris ? Il y a un problème que l'on ignore ?

    Elférad était de nouveau lucide et ne voyait pas pourquoi cacher les événements aux deux garçons. La seule raison pour laquelle ils n'étaient pas encore au courant, c'était parce qu'il n'avait pas eu le temps de leur expliquer, d'abord, puis, les choses s'étant bousculées, il avait fini par oublier. Lyert jeta un regard de reproche à Matior :

    -Tu pourras nous parler plus tard, si t'es trop fatigué pour l'instant.

    L'héritier d'or s'appuya sur un coude :

    -Non, c'est bon.

    Il raconta comment, à cause de Gzadien, il avait soupçonné que Neghttris avait été menacé pour livrer les notes. Matior l'interrompit pour s'exclamer :

    -Tu crois que c'est lui qui a fait ça ?

    -Alors, non, maintenant, ça a évolué.

    Lyert interrogea :

    -Dans quel sens ?

    Elférad raconta comment Neghttris avait renvoyé les accusations contre Gzadien et comment celui-ci, après avoir eu connaissance du poison, avait retiré les siennes. Matior était perdu :

    -Je ne suis plus là. C'est qui qu'on accuse, alors ?

    L'héritier d'or répondit :

    -Quelqu'un qui veut assassiner Gzadien. Donc, ça ne nous regarde plus.

    Lyert s'étonna :

    -Ah bon ?

    -Les lettres lui étaient adressées après tout. Je ne vois pas pourquoi on continuerait à s'en mêler, surtout qu'on a assez de problème en ce moment.

    Matior devint soupçonneux :

    -Tu ne vas pas aider Gzadien ?

    Elférad le fixa avec le regard le plus courroucé qu'il put :

    -Il m'a largué, je te signale. Je ne vois pas en quoi ses affaires me regarde.

    Lyert dit doucement :

    -Ouais, mais quand même, de là à le laisser crever.

    L'héritier d'or se laissa retomber sur son oreiller :

    -Il sait que sa vie est en danger. A partir de là, on ne peut pas faire grand chose de plus.

    Lyert répéta :

    -Ouais, mais quand même...

    Elférad ferma les yeux pour leur faire comprendre que la discussion était terminée :

    -Oh, t'as qu'à faire ce que tu veux. Moi, je m'en fous.

    Il rouvrit les yeux en les entendant sortir. Son corps commença à trembler et il serra les dents pour ne pas finir par se mordre la langue.

     

    Un bruit le réveilla, mais sa vision resta floue malgré ses efforts. De toute façon, c'était peut-être encore une hallucination. Son cœur s'arrêta une seconde quand il crut discerner une silhouette à la fenêtre. Il fixa son regard dessus, en espérant que sa vue revienne à la normale. C'est peut-être un arbre. Elférad était incapable de se rappeler s'il y avait déjà eu effectivement un arbre à cet endroit, mais il était certain que la forme qu'il distinguait là n'avait pas à y être. Enfin, sa vision commença à retrouver sa netteté. Ce n'était pas un arbre.

    -Neghttris ?

    La silhouette se figea avant de disparaître par la fenêtre. C'était pas Neghttris. Elférad se redressa pour appeler :

    -Neghttris ! Il y a quelqu'un. Neghttris !

    La voix ensommeillée de son ami lui parvint :

    -Quoi ?

    -A la fenêtre ! Il y a quelqu'un à la fenêtre !

    Il entendit l'héritier d'argent bondir de son lit. Elférad arrivait à peine à bouger. Tout son corps semblait peser des tonnes. Neghttris fut bientôt près de lui :

    -Il n'y a personne.

    L'adolescent gardait le regard sur les rectangles de nuit qui se découpaient dans l'obscurité :

    -Non, non. Il y avait quelqu'un.

    Son ami énonça patiemment :

    -L'alarme se serait déclenchée si quelqu'un avait voulu entrer. En plus, on ne peut s'accrocher à rien pour monter jusqu'ici. Tu ne crois pas plutôt que le poison t'a fait voir des choses ?

    Elférad maudit son corps paralysé. S'il avait pu bouger, il l'aurait attrapé :

    -Tu as été trop lent, c'est tout.

    Neghttris retourna dans son lit :

    -Si tu le dis. Dors, maintenant.

    L'héritier d'or continuait de fixer la fenêtre. Il sentait au fond de lui que Neghttris avait probablement raison et pourtant...

    Le lendemain, il dormit peu. Les douleurs s'étaient réveillées, sans lui laisser la moindre minute de répit. L’adolescent lui sembla sentir successivement, l'odeur de la nourriture, Neghttris se tenant là à un moment, Matior et Lyert lui parlant, mais tout se mêlait dans un flou de souffrance.

    L’héritier d’or avait les yeux fermés quand il réalisa que tout s'était arrêté. J'ai dû m'endormir ou m'évanouir à un moment. Il resta les yeux clos pour goûter à la paix qu'il ressentait enfin. Le son d'une respiration lui parvint. Neghttris a dû paniquer encore. Elférad n'avait pas la force de prononcer des mots de réconfort à son ami. Il voulait rester encore ainsi, se rendormir, si c'était possible. On bougea doucement. L'héritier d'or s'amusa à imaginer les déplacements de Neghttris. Il le visualisait sans peine, marchant sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller. Sans doute allait-il à son bureau. Mais... son bureau est de l'autre côté. Le frôlement d'un tissu près de son armoire. L'adolescent songea à la boîte contenant les lettres empoisonnées qui se trouvaient au fond. Il veut jeter un œil aux notes ? Peut-être qu'il veut les détruire. Ce ne serait pas plus mal. Je ne pense pas qu'elles puissent nous être plus utiles maintenant. Mais Elférad n'entendit pas les portes s'ouvrir, l'héritier d'argent continuait donc. Il veut sans doute voir comment je vais. Le jeune homme s'évertua à prendre l'apparence du sommeil. Il était reconnaissant à son ami de prendre soin de lui, mais à cet instant, il voulait vraiment rester seul. Elférad se tourna l'air de rien du côté du mur. Il sentait la présence dans son dos, tout près de son lit, à présent. Puis, une pensée lui vint à l'esprit. Pourquoi a-t-il marché si lentement ? Franchement, la distance n'est pas si grande de... Elférad sentit son cœur lui remonter dans la gorge. Tout son corps se contracta sous l'effet d'une terreur soudaine. A la respiration qu'il avait entendu, la présence venait de faire une ligne droite entre son lit et la fenêtre. Ce n'est sans doute pas réel, pas de quoi paniquer. Sa respiration s'accéléra. Des doigts glacés passèrent sur son front. Elférad ouvrit les yeux brusquement, lançant son poing à l'endroit où se trouvait l'intrus. Il n'y avait personne. L'adolescent se figea. Tu vois ? Neghttris a raison. Tu imagines des trucs. Cependant, une autre voix lui demanda alors : Si c'est irréel, alors qui a ouvert la fenêtre ?

    Quand Neghttris rentra des cours, il trouva Elférad assis sur le bord du lit, les yeux perdus dans la contemplation de la fenêtre ouverte. L'héritier d'argent s'empressa d'aller la fermer :

    -Il commence à faire froid. Tu ne devrais pas la laisser ouverte, commença-t-il.

    -Je ne l'ai pas ouverte.

    Neghttris fit face à son ami :

    -Pardon ?

    Elférad se doutait que l'héritier d'argent émettrait des doutes, mais il répéta tout de même :

    -Je ne l'ai pas ouverte.

    -Qui alors ?

    L'héritier d'or prit une profonde inspiration :

    -Quelqu'un est venu.

    Son ami émit aussitôt des réserves :

    -Par la fenêtre ?

    -Oui.

    Neghttris expliqua calmement :

    -Personne ne peut entrer par les fenêtres. Il y a des alarmes à toutes les fenêtres.

    Elférad avait le regard éteint. Sa journée l'avait épuisé :

    -Je n'ai pas d'explication. La fenêtre était ouverte, pas par moi. Il y avait quelqu'un dans la chambre, ce n'était pas toi.

    Neghttris l'observa un temps :

    -Tu devrais te recoucher. Je pense que tu as besoin de sommeil.

    -Comment la fenêtre a-t-elle était ouverte...

    L'héritier d'argent éleva soudain la voix :

    -J'en sais rien, d'accord !

    De toute évidence, la journée n'a pas été reposante pour lui non plus. Elférad lui lança un regard désolé avant de se glisser sous les couvertures. Neghttris reprit plus calmement :

    -Peut-être que c'est toi qui l'a ouverte sans t'en rendre compte. Tu sais, t'étais plutôt agité aujourd'hui.

    Pour le tranquilliser, Elférad lui dit :

    -Tu as sans doute raison.

    Le garçon avait hâte que tout cela se termine. Il voulait redevenir normal. Mais il y avait quelqu'un dans la chambre. Cependant, le temps qu'il avait passé à réfléchir sur son lit, une objection de taille s'était présentée. Il ne s'était écoulé que quelques secondes entre le moment où on lui avait touché le front et le moment où il s'était retourné pour frapper. Personne n'aurait pu retourner à la fenêtre et sortir sans qu'il ne le voit. Cela voulait-il dire que ses sens le trompaient encore ? Que rien de tout cela n'avait été réel ? L'adolescent passa ses mains dans ses cheveux châtains et se frictionna la tête de frustration.

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