• Quatorzième battement

    Erlhas avait vaguement conscience que le jour était levé, mais il était bien décidé à rester au lit. Un rire léger lui parvint qui lui fit ouvrir les yeux. Il mit un peu de temps à reconnaître la cabane, puis finit par se souvenir de l’endroit où il se trouvait. Au-dessus de lui, le rire reprit, un rire que l’on voulait camoufler. Erlhas se sentit sourire en demandant :

    -Nouphilo, qu’est-ce qui te fais marrer ?

    Il y eut un silence durant lequel il se demanda si le garçon allait répondre ou l’ignorer. Nouphilo se pencha soudain hors de sa couchette pour dire :

    -Je repensais à hier soir. La tête que t’as fais quand tu t’es retrouvé à l’eau.

    -Et ça te fait rire.

    Rapidement, Erlhas ramassa la torche posait près de son lit et lui envoya la lumière dans les yeux. En poussant un cri surpris, Nouphilo se rejeta en arrière. Quelques secondes plus tard, Erlhas se prenait un oreiller sur la tête. Plutôt que de le renvoyer, il l’ajouta au sien :

    -Bon, je me rendors puisque c’est comme ça.

    Nouphilo prit une petite voix plaintive :

    -Oh non, n’oreiller.

    Tu es bien bavard ce matin.

    -Tu me le rends ? Je veux dormir aussi.

    Erlhas ouvrit un œil et le vit pendu au-dessus de son lit, tendant les bras vers lui qu’il finit par laisser retomber.

    -Pourquoi tu me regardes comme ça ?

    Parce que t’es mignon.

    -Comme quoi ?

    -Sans rien dire.

    -Je viens de dire un truc.

    -Après que j’ai dit un truc.

    Erlhas plissa les yeux. Qu’est-ce que je vais faire le jour où il s’en rendra compte ? Il lui parlerait probablement plus jamais. L'adolescent se sentit soudain profondément déprimé.

    -Ça va ?

    -Pourquoi ?

    -Tu dis plus rien.

    -T’as pas mal au crâne à force d’avoir la tête en bas.

    Nouphilo resta suspendu les bras ballants, réfléchissant sérieusement à ce qu’il venait de dire.

    -Non, ça va. Et toi ?

    -C’est moi ou tu es plus courtois.

    -Je suis toujours courtois, c’est les autres qui ont du mal.

    -Un coup de poing est toujours douloureux.

    -Grand rigolo va.

    Erlhas rit et ferma les yeux. Au moins dans ses rêves, il pouvait le toucher.

     

    -Espèce de gros dégueulasse.

    Il fut réveillé en sursaut par la voix de Sebizan. Erlhas se contenta de grommeler :

    -C’est pas vrai, qu’est-ce que tu fiches ?

    -Mange, la pomme empoisonnée, Blanche-neige.

    -Je crois qu’il y a erreur sur la personne.

    Un rire lui fit relever la tête. Nouphilo se tenait derrière Sebizan, les observant sans rien dire. Il remarqua le sandwich que lui tendait son ami et s’en saisit.

    -Combien de temps j’ai dormi ?

    -Cent ans, mais t’inquiète, on a tous été cryogénisé en attendant ton retour.

    Erlhas se redressa pour commencer à manger :

    -Je me disais aussi que t’étais bien conservé.

    -C’est un don naturel, tu sais.

    -Il est quelle heure, sérieusement ?

    À sa surprise, ce fut Nouphilo qui répondit avec un demi-sourire :

    -Il s’est déroulé deux heures depuis que mon oreiller a été porté disparu.

    Sebizan hocha la tête :

    -Le mystère du camp. On ignore encore où il se trouve, ni même si…. il est encore en vie.

    Il prit un ton geignard et fit mine de se retenir de pleurer. Erlhas les regarda avant de lâcher :

    -Vous êtes nuls.

    -On t’aime quand même.

    Pendant une seconde, il lui sembla que Nouphilo eut l’air gêné. Il leur dit qu’il retournait dehors et les laissa. Erlhas se leva afin de s’habiller et partagea ses observations :

    -Tu trouves pas qu’il est plus ouvert depuis hier.

    -Il doit commencer à s’habituer à communiquer avec l’espèce humaine.

    Erlhas lui envoya son pull à la figure, ce qui eut pour seul résulta de le faire rire. Son ami continua :

    -Non, mais c’est vrai, y a qu’à voir comment il a réagi lorsque tu lui as attrapé le bras hier.

    -J’ai pas fait ça.

    -Si, au lac, quand t’as failli tombé. Tu lui as attrapé le bras.

    Erlhas ouvrit la bouche pour protester, mais s’arrêta. En fait, il ne se souvenait pas exactement de cet instant. Si Sebizan disait vrai, il ne s’en était pas rendu compte.

    -Bon, au moins il ne m’a pas frappé.

    -Plutôt encourageant.

    -C’est clair. On sera peut-être ami un jour.

    -Oh, sois pas si déprimé. Allez, on va faire un tour.

    Ils étaient à peine sortis que Diaralie se jeta sur eux :

    -Ah, bah quand même, faut pas être pressé avec toi.

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    Elle haussa les sourcils se demandant clairement s’il se moquait d’elle :

    -C’est les vacances, le courrier.

    Erlhas bloqua quelques secondes avant de fermer les yeux en soupirant :

    -Oh putain.

    Sebizan entoura ses épaules d’un geste réconfortant :

    -T’aurais préféré rester au lit, hein ?

    Sans répondre, Erlhas suivit la jeune fille qui continuait:

    -Comme tu ne semblais pas pressé, on est allé chercher les lettres. Mais on t’a attendu pour le tri, rêve pas.

    -Flûte, à une heure près j’y échappais.

    -À une heure près, c’est tous les internes qui te tombaient dessus pour avoir leur courrier.

    Erlhas haussa les épaules et rejoignit les autres responsables autour des boîtes.

    -Et c’est reparti.

    Il prit une pile de lettres et fit un tas de celle qui était destiné à son dortoir, avant de passer à une autre pile. Son geste s’arrêta soudain devant une enveloppe destinée à Nouphilo. C’était forcément le même auteur que la dernière, à moins que des tas de gens ne se mettent soudain à lui écrire. C’est nul, alors qu’il allait mieux. Il revit Nouphilo fondant en larme au milieu du réfectoire à cause de cette lettre. Ok, tu as promis de lui donner, mais en même temps, il n’en saurait rien si la lettre disparaissait. Il soupira en sachant très bien qu’il ne ferait rien dans ce sens. Il glissa la lettre dans sa poche pour que personne ne la voit.

     

    Tout le monde fut réuni autour des tables lors de la distribution. Contrairement à l’habitude, les élèves s’approchèrent de leur responsable de dortoir et furent appelés un par un. Tout en appelant les noms, Erlhas guetta l’arrivée de Nouphilo. Il finit par l’apercevoir, se tenant à l’écart, se rongeant l'ongle du pouce. Quand tous eurent leur lettre et furent dispersés, Erlhas s'approcha du garçon sortant discrètement la lettre de sa poche. Il put voir l'anxiété se peindre peu à peu sur le visage de Nouphilo et sentit son cœur se serrer, en se maudissant de ne rien pouvoir faire d'autre que de tendre l'enveloppe en silence. La casquette baissait sur les yeux, il la prit et s'éloigna. Erlhas le regarda en se demandant ce qu'il devait faire. Il hésita à le suivre, juste au cas où il s'effondrerait à nouveau, mais se retint. Le garçon voulait certainement être seul pour lire sa lettre et il était peut-être temps qu'il lui lâche un peu les baskets. Fier de sa résolution, il partit en sens inverse pour retrouver Sebizan.

    Ce fut quelques minutes plus tard qu’un Nouphilo tremblant et pâle revint le voir. Les deux amis, qui profitaient d’un rayon de soleil pour faire des ricochets sur le lac, s’arrêtèrent en attendant qu’il parle. Bien qu’inquiet, Erlhas ne put s’empêcher de sentir sa poitrine gonflée de joie à l’idée qu'il vienne le voir pour un quelconque secours. Ce fut d'une petite voix qu'il demanda :

    -Erlhas, je peux t’emprunter ton portable ? Il faut que j’appelle ma mère.

    Sa mère, évidemment, crétin. Qui t’appellerais, toi, si t’avais des problèmes ? Il tendit son téléphone :

    -Ça va aller ?

    Un hochement de tête fut sa seule réponse. Nouphilo prit le portable et s’éloigna vers les arbres. Sebizan poussa Erlhas du coude :

    -Tu vas le suivre, hein ?

    -Je voudrais pas qu’il me pique mon portable.

    -C’est cela oui.

    Erlhas attendit que Nouphilo se soit glissé sous les arbres avant de se mettre en marche. Il prit garde de ne pas faire de bruit et resta à couvert, alors que Nouphilo s'arrêtait un peu plus loin. D'où il était, il ne pouvait entendre ce que le garçon disait, mais lorsqu'il commença à pleurer, il se sentit gêné. Oui, bon, lui il t'a aussi vu pleurer au téléphone avec ta mère, donc on est quitte maintenant. Pourtant, il sentait que c'était différent. Lui, avait pleuré de soulagement, mais là…. Les larmes de Nouphilo n'étaient que désespoir. Une colère sourde le gagna. Erlhas fit appelle à toute sa volonté pour ne pas intervenir, se demandant ce que sa mère pouvait bien raconter. Il vit Nouphilo se frotter les yeux entre deux sanglots, jeter des regards perdus autour de lui, avant de finalement se laisser tomber au sol. Enfin, il fixa le téléphone avec une profonde tristesse. Elle a raccroché. Erlhas prit cela pour un signal et s'avança d'un pas résolu pour s'accroupir près de lui. Remarquant sa présence, Nouphilo baissa sa visière.

    -Dans ma famille, on console à grand renfort de câlin. Étant donné ta situation, je ne tenterais pas l’expérience.

    Il perçut un ricanement de sous la casquette l’encourageant à poursuivre :

    -Je vais donc te prêter une épaule pour pleurer, dans le sens propre du terme, si tu veux.

    Il s’assit en lui tournant le dos et attendit. Il l’entendit bouger, puis sentit sa tête se poser sur son épaule. Nouphilo se remit à pleurer.

     

    Combien de temps s’était écoulé, il n’aurait su le dire, mais E se rendit compte soudain du silence qui l’entourait.

    -Nouphilo ? Tu dors ?

    -Mmm.

    Il sourit doucement et replongea dans ses rêveries.

    -Qu’est-ce qu’il se passe ?! Qu’est-ce qu’il se passe ?!

    Erlhas réprima un sursaut :

    -Putain, Sebizan, tu m’as foutu les jetons. T’es con.

    Le garçon bondit vers eux :

    -Je suis une libellule !

    Avec regret, Erlhas sentit disparaître le poids de Nouphilo alors qu’il se redressait. Sebizan se pencha sur le garçon :

    -Un gros chagrin ? Chez nous, on fait des câlins, mais vu tes réactions, je ne vais pas tenter l’expérience.

    Nouphilo répliqua d’une voix éraillée par les sanglots :

    -C’est ce que m’a dit Erlhas.

    -Ne t’en fais pas petit homme, tu auras ton câlin. Un câlin par procuration !

    Il se jeta au cou de Erlhas qu’il serra fortement.

    -Abruti, tu m’étrangles.

    -C’est pour la bonne cause, mon vieux.

    -Je vais te foutre mon poing dans la figure, ce sera pour la bonne cause aussi crois-moi.

    Sebizan le relâcha pour le fixer d’un air malheureux.

    -Bouh, tant de violence dans ce petit corps. Ne t’inquiète pas, t’as le droit à un câlin.

    Il l’étrangla de nouveau et Erlhas sentit l’énervement monter :

    -Mais c’est pas vrai, hein !

    Pourtant, il ne fit rien pour se dégager. À côté de lui, Nouphilo riait aux éclats.

     

    « Chapitre 15Conte : La parure »

    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :