• Le coup de feu résonna dans le silence pesant de la nuit. L'homme s'écroula, la main scellait à l'arme. Un cri, une femme qui court appeler une ambulance. Mais c'est trop tard, fatigué de vivre, écœuré du temps, l'homme s'est tué pour y échapper. Sa dernière question fut : "Que trouverais-je de l'autre côté ?" Il lui sembla entendre une voix douce et suave lui murmurait, alors que la balle lui traversait le cerveau : "Le suicide est un pêché". Ainsi, son jugement était fait.

    La mince fumée de son âme, qui échappait de son corps, fut emprisonné dans le pendentif du jeune homme. Il ne l'avait pas vu avant. Impuissant, enfermé dans ce médaillon, il vit les flammes l'emmener.

    Caïn posa le pendentif sur le socle et l'ouvrit. L'âme s'en échappa et fut aspiré par la roche de la pièce. Il reprit le collier et alla le rendre à son maître.

    -Lucifer, ça y est, il est enfermé.

    Le jeune homme leva sa tête brune de ses papiers et fixa Caïn de ses yeux noirs :

    -Quelle familiarité.

    -Je sais, oui.

    Lucifer sourit doucement et se leva d'un bond léger. D'un pas svelte, il s'approcha de son bras-droit qui lui tendit le pendentif. Le seigneur le remit à son cou :

    -Bien, nous repartons en chasse. Qu'en dis-tu ?

    -C'est amusant.

    -Tu es trop triste comme garçon. Souris ! La mort est belle.

    Le rire cristallin de Lucifer résonna dans tous les tunnels de l'enfer, faisant frissonner les âmes fossilisées dans un sommeil sans rêve, mais réchauffant le cœur de Caïn qui sourit. Il prit la canne et le haut de forme de son maître, tandis que celui-ci revêtait son long manteau noir. Puis, ils se placèrent au centre de la pièce.

    -Et n'oublie pas mon ami. Charme et politesse.

    Caïn acquiesça en souriant toujours. Ils disparurent dans un flot de flamme.

     

    Abel finissait de ranger les livres, lorsque son maître arriva en courant, avant de trébucher et de s'étaler de tout son long, à ses pieds. Dieu se releva maladroitement, rejetant ses longs cheveux blancs en arrière, découvrant un visage de jeune homme aux yeux gris :

    -Hum... Abel ?

    -Oui, Monsieur ?

    -Ils en ont encore eu un.

    -Oh.

    Abel descendit doucement de son escabeau et fit face à Dieu. Celui-ci lui sourit et dit :

    -Il faut que l'on sauve quelques âmes, alors en route, mauvaise troupe.

    Il éclata d'un rire chaud et tonitruant, faisant trembler Abel, mais réchauffant un temps les âmes qui voletaient libre avec les regrets de leurs vies passées. Le jeune homme revêtit son maître de son manteau :

    -Bien. N'oublie pas. Sourire et compassion.

    Abel acquiesça, forçant un sourire.

     

    Caïn sentait les regards curieux posaient sur son maître. Celui-ci marchait tête haute, le sourire aux lèvres, saluant les hommes, complimentant les femmes :

    -Vois, Caïn, aucun Homme ne résiste à un sourire ou une délicatesse.

    -Sauf ceux qui nous intéresse.

    Lucifer le regarda de ses yeux rieurs :

    -Voui, tu as raison, mon grand ami. Des hommes sans savoir vivre gâche la beauté de ce monde, aussi devons-nous les éradiquer.

    Caïn sourit, heureux d'être considéré comme son ami et il était vrai qu'il faisait une tête de plus. Ce qui lui valait ce genre de surnom. Caïn sortit de sa songerie en voyant son maître debout sur un capot de voiture :

    -Oyez, oyez ! Messieurs et gentes Dames. N'ayez crainte, le Diable veille sur vous et mon gigantesque camarade m'est témoin. Dieu n'aura pas vos âmes...

    Sans attendre la suite, Caïn l'empoigna par le bras et l'entraîna de force dans une ruelle.

    -Pour la énième fois, les Hommes ne nous voient pas du bon côté. Pour eux, nous sommes les méchants, Dieu est leur sauveur.

    Une légère tristesse passa dans les yeux du Diable, ce qui resserra le cœur de son serviteur. Mais il reprit le dessus et souriant, à nouveau :

    -Soit ! Puisque c'est comme ça, nous les sauverons malgré eux.

    Il s'éloigna dans la ruelle en esquissant quelques pas de danse et chantonnant :

    -Mal-aimé, je suis le mal-aimé...

    Caïn le suivit en soupirant.

     

    Abel suivait son maître respectueusement d'un pas en arrière. Le regard fixe, Dieu marchait tout droit, en silence :

    -Abel, approche un peu.

    Sursautant à son nom, il accéléra pour arriver à la hauteur de son seigneur.

    -Oui, maître ?

    -Sais-tu pourquoi nous sommes ici ?

    -Pour sauver les âmes.

    -Tout à fait, et pour cela nous devons trouver Lucifer et ton frère. Alors, ouvre l’œil.

    Abel hocha la tête, puis s'arrêta. Dieu se retourna et le fixa de son regard sévère insoutenable.

    -Cette ruelle, j'ai l'impression qu'ils y sont allés.

    -Mmmh... Tu as raison. Allons-y.

     

    Caïn avait abandonné l'idée d'empêcher son maître d'escalader le mur. C'était un cul-de-sac, mais Lucifer s'obstiner à vouloir passer l'obstacle plutôt que de faire demi-tour. Stoïque, son bras-droit le regardait se débattre au-dessus du mur, cherchant un moyen d'aller de l'autre côté.

    -A moi !! Mon noble cornichon géant !

    Caïn sourit et s'approcha.

    -Lucifer à cheval sur un mur, quelle situation critique.

    Le bras-droit se précipita, voyant son maître chutait par la surprise et le rattrapa. Lucifer se releva, s'épousseta, replaça son haut-de-forme et fit face à Dieu :

    -Hugh à toi, mauvaise personne.

    Le seigneur des cieux éclata de rire, mettant Caïn mal-à-l'aise. Il tendit tous ses muscles, prêt, au moindre signe à protéger Lucifer. Abel se contentait d'observer la scène en retrait. Dieu reprit :

    -C'est toi, le mauvais dans leurs histoires, mais c'est vrai que tu ne t'en souviens jamais. Tu as la mémoire courte.

    Caïn se crispa un peu plus lorsque son maître se retourna vers lui, pâle, les lèvres tremblantes, une larme noire coulant sur sa joue :

    -Caïn... Il est... méchant avec moi.

    Se relâchant un peu, il tapota la tête de Lucifer en murmurant :

    -Je sais, je sais.

    Dieu continua :

    -Aaaah, Caïn, je vois à ton regard que tu me trouves cruel, mais pour diriger les Hommes, je dois me montrer strict.

    Caïn, prit de colère, ne put s'empêcher de dire :

    -Dis celui qui n'accepte pas que ses serviteurs face le moindre faux-pas, tout en prônant le pardon.

    -Espèce de...

    Dieu leva la main et Caïn sentit Lucifer se dégager de son étreinte. Un éclair rouge et le seigneur du ciel dût reculer d'un pas. Celui des enfers se dressa de toute sa hauteur, les yeux flamboyants et dit d'une voix d'outre-tombe :

    -D'où tu touches à Caïn ?! Dictateur !

    Dieu sourit en se redressant :

    -Abel, allons chercher ailleurs.

    Il fit demi-tour, son serviteur le suivi. Avant de rejoindre la rue, Abel se retourna. Lucifer s'attaquait de nouveau au mur. Caïn l'observait, désespéré, mais un sourire en coin. Avec un dernier regard d'envie, Abel regagna le ciel.

    FIN

     


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