• Le prince parcourut plaines et forêts avec patience. Il était pressé d’arriver, mais son père lui avait appris que la précipitation n’apportait rien de bon. Il prenait le temps de repérer les chemins sûrs, de se reposer quand il le fallait et de suivre la carte avec précaution.

    Finalement, le jeune homme était arrivé. Des ronces énormes et gigantesques protégeaient l’entrée, mais quand il avança, elles s’écartèrent pour le laisser passer. Intimidé, il resta un instant pour s’assurer qu’elles ne s’abattraient pas sur lui soudainement. Comme tout restait immobile, il pénétra dans le tunnel formé par les ronces. Aucun rayon de soleil ne passait entre les épines de la taille d’un homme et l’air se refroidit grandement quand le prince se retrouva dans leurs ombres. Au bout du passage, les portes du château s’ouvrirent pour qu'il puisse entrer. Soliflane pénétra dans la cour et resta émerveillé du spectacle des hommes, femmes, enfants et animaux figeaient dans leur dernier geste. Il attacha son cheval dans les écuries, avant de se lancer dans l’exploration des bâtiments. Il passa dans diverses pièces, des cuisines à la salle du trône, de la salle d’arme aux chambres avant de trouver la bonne.

    Soliflane n’aurait pu dire s’il était au bon endroit avant d’y être entré. La chambre était la plus belle et la plus confortable qu’il est vu. Cependant, son émerveillement s’éteignit en apercevant la jeune fille. Elle ne reposait pas paisiblement, couverte d’un drap léger comme si elle était plongée dans un sommeil paisible. Un de ses bras tombé du lit, ses cheveux étaient en désordre, le drap la recouvrait à peine et du sang séché apparaissait entre ses jambes écartées. Tout d’abord, Soliflane ne comprit pas ce qu’il voyait, puis, les paroles de sa mère lui revinrent en mémoire. De nombreux princes avaient tenté l’aventure sans succès. Alors combien, frustré, n’avait pu se contenter d’un froid baiser. Le regard du jeune homme retomba sur le sang qui tâchait les draps et la chemise de nuit remontait sur les jambes. Les larmes lui piquèrent les yeux. Il se sentit étouffé et sortit avant de s’effondrer. Ce n’était pas ce qu’il avait imaginé, ce n’était pas ainsi que l’histoire était racontée. Il respira profondément pour se calmer, essuya une larme sur sa joue et tenta de se clarifier les idées. Bien sûr, tous les princes n’étaient pas de charmants jeunes hommes au cœur pur. Certains n'étaient certainement venu que pour la gloire ou espéraient prendre possession du royaume en épousant la belle, mais c’était trouvé perdant au final. Le choc fit place à la colère. Soliflane respira encore une fois profondément en serrant les dents, avant de retourner dans la chambre. Il s’empressa de remettre la couverture en place et se trouva hésitant sur la marche à suivre.

    -Je ne pense pas que tu es encore envie que l’on t’embrasse.

    Il s’assit sur le bord du lit, redressa la tête de la jeune fille avec douceur et l’observa un instant. Ses longs cheveux noirs faisaient une large auréole sombre autour du visage pâle et il devait admettre qu’elle était plutôt jolie. Dans l’histoire, sa mère disait que la fée avait fait en sorte que le sommeil de la princesse soit peuplé de doux rêves. Soliflane pria pour que ce soit vrai, qu’elle n’ait jamais conscience de ce qui lui était arrivé. Malgré lui, il ne put s’empêcher de penser que peut-être, il pourrait mettre fin à ce mauvais sort. En murmurant des excuses, il posa les lèvres sur celle de la princesse, se redressa et attendit. Au bout de plusieurs minutes, Soliflane dut admettre qu’il n’était pas celui qui brisera le sort. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à partir. Combien d’autre viendraient tenter leur chance, combien d’autre risquaient de la violer avant que son prince n’arrive enfin ? Une résolution commença à prendre forme dans son esprit. Il n’était peut-être pas le prince qui mettrait fin à l’histoire, mais il protégerait la jeune fille jusqu’à ce qu’il arrive. C’était le moins qu’il puisse faire, après tout, sa mère aurait probablement fait la même chose, mais il ne pouvait laisser son père sans nouvelle. Ragaillardi, le jeune homme se leva et reprit la route du retour en faisant une liste mentale de ce qu’il devait faire.

     

    Le roi accourut dès qu’on lui annonça le retour de son fils, mais c’est à peine si le garçon le regarda lorsqu’ils se croisèrent dans les escaliers. Il lui courut après, alors que Soliflane se dirigeait vers les appartements des serviteurs :

    -Alors ? Comment ça s’est passé ?

    Le prince stoppa sa course pour lui faire face :

    -Pas vraiment comme je l’avais imaginé. Sais-tu comment on fait le ménage ?

    -Comment… ? Pourquoi ?

    Soliflane courut vers une servante qui apparaissait au détour du couloir. Le roi, hébété, le regarda questionner la jeune fille sur la façon dont on effectuait les diverses tâches de nettoyage. Lorsqu’il sembla en avoir fini et qu’il se dirigeait vers sa chambre, le roi revint à la charge :

    -Veux-tu bien m’expliquer ce qu’il t’arrive ?

    Tout en fourrant des affaires dans un sac, Soliflane répondit :

    -Ce qu’il m’arrive ? Eh bien, je suis allé au château, j’ai trouvé une très jolie jeune fille, je l’ai embrassé et maintenant…

    Il referma le sac :

    -J’y retourne.

    Il repartait vers la sortie, son père sur les talons :

    -Mais… pourquoi ? Tu l’as réveillé ?

    -Non. Je vais veiller sur elle, jusqu’à ce qu’elle le soit.

    -Ah… c’est gentil ça.

    Ils étaient de nouveau dehors quand Soliflane s’arrêta :

    -Tu sais, j’ai réfléchi pendant le chemin du retour.

    -A quoi donc ?

    Il observa son père un instant avant de dire :

    -Ça ne peut pas marcher. Le prince qui vient embrasser la belle pour la réveiller et ils se marient et tout le reste.

    -Pourquoi cela ?

    -Je suis allé dans la chambre, je l’ai vu et elle était belle, mais…

    Il sembla se perdre un instant dans le vague avant de continuer :

    -Je savais que ça ne marcherait pas, j’ai essayé quand même, pourtant…

    Le roi posa une main sur l’épaule de son fils :

    -Qu’essais-tu de dire ?

    -Elle est belle, mais je ne l’aime pas. Comment cela aurait-il pu marcher alors ?

    Son père hocha la tête :

    -Je vois ce que tu veux dire.

    -Donc, je vais la protéger jusqu’au moment où le vrai héros entrera en scène.

    -Ta mère serait si fière de toi.

    -Je sais, je suis merveilleux.

    Ils rirent et s’enlacèrent avant que Soliflane ne reprenne la route.

     

    Le prince retrouva sans peine son chemin, retraversa ronces et château, mais ne monta pas de suite dans la chambre. Il fouilla diverses pièces à la recherche du matériel dont la servante lui avait parlé. Il finit par trouver seau, chiffon et serpillière et monta le tout dans la pièce où la belle dormait. Puis il trouva des draps soigneusement rangés et propres, qu’il rapporta également. A nouveau, Soliflane repartit. Dans les bois alentours, il ramassa du bois qu’il casa dans une brouette trouvée dans la cour et alla allumer un feu dans la cheminée de la chambre.

    -Voilà. Déjà, ça nous fera du bien, vous ne croyez pas ?

    Il se tourna vers la jeune fille et lâcha un soupir :

    -Bon, j’y retourne.

    Il s’empara du seau et descendit au puits au milieu de la cour pour le remplir d’eau et monta à nouveau. Il posa le seau près du lit, avant de jeter un regard alentour.

    -Ah, j’ai oublié un petit détail.

    Le jeune homme ressortit, chercha une bassine qu’il posa sur le feu et versa l’eau dedans. Il fit plusieurs aller-retours au puits pour la remplir, puis il explora d’autres pièces en attendant que l’eau chauffe. Soliflane finit par trouver un grand baquet recouvert de drap blanc qui devait sans doute servir de baignoire. Il songea aux nombreux escaliers à monter, soupira avant de saisir le bord du baquet :

    -Allez, c’est parti.

    Il tira de toutes ses forces en serrant les dents.

    La montée de l’escalier fut laborieuse. Les muscles douloureux, en sueur, il s’accorda plusieurs pauses lors de l’ascension. Quand enfin, le prince arriva à destination, il ferma la porte et annonça en reprenant son souffle :

    -Voilà, maintenant, un peu de repos. Si vous le voulez bien.

    Il s’étala sur le sol et s’endormit avant même de s’en rendre compte. 


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique