• Deuxième battement

    C’est une blague ! Une foutue de putain de blague !

    Erlhas marchait rapidement. L’après-midi avait à peine commencée qu’un élève venait l’informer que le secrétaire général le convoquait. Il aura au moins attendu la récréation. Il fulminait, ce qui n’avait rien d’inhabituel lorsqu’il s’agissait de Nouphilo et il n’avait aucun doute que ce fut le cas. Pour quelle autre raison l'aurait-on convoqué ? Il n'avait rien à se reprocher et les autres garçons de son dortoir n'avaient jamais causé de problème.

    Arrivé devant la porte, l'adolescent s’arrêta un instant pour respirer. Il devait bien admettre que quelque chose l’inquiétait. C’était toujours à l’infirmerie qu’il était envoyé pour parler aux garçons que Nouphilo avait frappé, jamais il n’avait dû se rendre directement chez le secrétaire général. Ce n’était pas le directeur, mais c’était déjà plus sérieux. Erlhas se racla la gorge, vérifia sa tenue et toqua à la porte.

    -Entrez.

    Il obéit et se retrouva face à un homme dégarni assis derrière un large bureau qui prenait presque toute la pièce.

    -Asseyez-vous, lui dit le secrétaire en lui présentant un des sièges devant lui.

    Erlhas obtempéra et aperçut le jeune homme dans le siège à sa gauche, ainsi que le bleu qui se formait au bas de sa mâchoire. Nouphilo, petit con. Sa colère remontait déjà quand le secrétaire s’adressa à lui :

    -Oronn, ici présent m’a été envoyé par l’infirmière. Savez-vous pourquoi ?

    Erlhas calcula rapidement. S’il répondait non, cela aurait été se foutre de la gueule du monde, mais dire oui revenait à faire penser qu’il avait laissé Nouphilo agir en connaissant ses réactions. Malheureusement pour lui, il était trop honnête pour mentir et en se maudissant pour cela, il déclara :

    -Je pense savoir oui.

    Sans le quitter du regard, le secrétaire se pencha sur son bureau et dit :

    -Alors dans ce cas, peut-être, pouvez-vous me dire pourquoi je ne suis informé de ces agissements que maintenant ? Oronn prétend que le garçon qui l’a frappé a déjà frappé d’autres élèves et qu’il le fait sans raison. De plus, non-content de ne le faire savoir à personne, vous semblez ne rien faire pour qu’il ne s’arrête.

    C’est la meilleure celle-là. Erlhas jeta un regard en biais à celui qui se nommait Oronn. Tête baissée, il semblait bien déterminé à ne pas la relever, aussi Erlhas n’eut aucun scrupule à dire :

    -Vous a-t-on donné le nom du garçon en question ?

    Le secrétaire plissa les yeux comme méfiant, avant d’avouer :

    -Non, je pensais le demander en votre présence pour que vous soyez témoin de tout ce qui se dira désormais.

    Erlhas retint un ricanement. Sans rire ? Voyons ce que tu vas penser de ça alors.

    -Il s’agit de Nouphilo Trelen.

    Le secrétaire ne sembla pas comprendre.

    -La réunion à la rentrée, vous vous rappelez ? Une mère a appelé le directeur pour….

    Le secrétaire se remit au fond de son siège en levant les yeux au ciel :

    -Ah oui, c’est vrai.

    Il se passa une main sur le visage :

    -J’avais complètement oublié.

    Il y eut un instant de silence, puis il se redressa son regard revenant sur Erlhas, toujours aussi sévère :

    -Si je me souviens bien, nous avions convenu qu’il valait mieux, au vu de sa maladie, mettre tous les élèves au courant de ce qu’il en était. Le directeur les a lui-même informé à la rentrée qu’il ne fallait pas toucher le garçon, mais nous avions demandé aux représentants des dortoirs de le rappeler régulièrement. Peut-être que cela n’a pas été fait comme il se devait ?

    Erlhas serra les poings pour ne pas cogner Oronn à son tour. Et toi ? Tu vas continuer à fermer ta gueule ? Le garçon ne semblait pas pressé de prendre la défense de son responsable de dortoir.

    -Cette affaire, bien qu’étrange, est du plus grand sérieux. Si on ne peut pas compter sur vous pour rappeler cette simple règle à ceux qui le côtoient le plus, comment espérez-vous qu’ils la respectent ?

    Désolé, je pensais qu’ils n’étaient pas débiles. Ce fut avec un certain sadisme qu’Erlhas dit :

    -Oronn, qu’avons-nous fait le premier soir dans les dortoirs et que faisons-nous tous les lundis soir ?

    Il fixa ostensiblement le garçon à ses côtés cette fois. Vas-y, essais de mentir pour voir.

    -Oronn, j’apprécierais que vous répondiez à la question, appuya le secrétaire.

    Se ranimant soudain, le garçon cessa de fixer ses chaussures pour lui faire face :

    -Il avait frappé mon ami.

    -Parce qu’il l’avait frôlé dans un couloir, rappela Erlhas en essayant de ne pas s’emporter, la raison n’est pas valable, d’accord, mais dans l’esprit de Nouphilo, c’était une réponse logique.

    -C’est un malade, monsieur, continua Oronn en ignorant l’intervention de son représentant. Il m’a frappé parce que je lui ai tenu l’épaule.

    -Tous les lundis, on vous le répète, « ne pas toucher Nouphilo » qu’est-ce que cela a de compliqué ?

    -Messieurs s’il vous plaît !

    Les deux se turent et attendirent la réaction du secrétaire.

    -Si j’ai bien compris, les trois dortoirs, tous les lundis se font rappeler la règle ?

    Il fixa Oronn qui se trouva contraint d’avouer :

    -Oui, monsieur.

    Le sentiment de victoire de Erlhas fut bref, car aussitôt, le secrétaire revint à lui pour dire :

    -La faute, cependant, ne doit pas totalement incomber aux élèves. Nouphilo a-t-il vraiment frappé un camarade parce qu’il l’avait frôlé ?

    Aïe.

    -Oui, c’est vrai, mais…

    -Maladie ou pas cela me paraît un peu… exagéré comme réaction.

    -Je pense que s’il pouvait réagir autrement, il le ferait.

    Erlhas se mordit la langue pour avoir parlé trop vite et espéra que le secrétaire ne prendrait pas sa réponse pour de l’insolence. L’homme le fixa un instant en silence avant de demander calmement :

    -Que pensent ses amis de ce comportement ?

    -Je ne crois pas qu’il en ait, en fait. Je ne l’ai jamais vu avec qui que ce soit. Il mange seul en dehors du réfectoire et sitôt les cours finis, il monte s’enfermer dans sa chambre.

    -J’en conclus que vous êtes le seul à parler avec lui ?

    Erlhas dut admettre qu’il n’avait jamais vu les choses sous cet angle :

    -Eh bien, je pense oui.

    -Dans ce cas, pouvez-vous me dire ce que vous en pensez ?

    Le jeune homme se redressa en s’éclaircissant la gorge :

    -Je crois… hum, en fait, je pense qu’il ne contrôle pas sa réaction. Je veux dire, vraiment pas, même rien du tout. Nouphilo ne cogne pas pour le plaisir si c’est ce à quoi cela vous fait penser. C’est un garçon qui ne pose aucun problème le reste du temps, vous savez. Il n’est ni insolent, ni désobéissant, il ne s’acharne pas sur ses victimes. Je ne sais pas en quoi consiste sa maladie, simplement quand on le touche, eh bien, il a peur et écarte le danger comme il peut.

    -Le danger ?

    Le secrétaire eut l’air perplexe.

    -Oui, je crois sincèrement que c’est ce que cela représente pour lui. Mais lui-même n’est pas dangereux ou quoique ce soit.

    Erlhas ne savait plus quoi ajouter et le secrétaire finit par retourner au fond de son siège :

    -Vous êtes le responsable du dortoir et par conséquent, il est sous votre responsabilité. Cependant, je ne tolérerai plus d’écart si important. Qu’il soit malade peut-être, mais cela ne doit pas être une excuse à la violence….

    Si ces bandes de boulets pouvaient lui foutre la paix aussi. Il lança un regard noir à Oronn pour appuyer ses pensées. Le secrétaire continuait :

    -Je veux désormais être informé du moindre écart de conduite afin d’appliquer des sanctions et si cela ne suffit pas, il faudra envisager l’expulsion. Suis-je bien clair ?

    Erlhas hocha la tête.

    -Quant à vous Oronn, je pense que vous devriez revoir votre vocabulaire. « Ne touchez pas Nouphilo » me semble une consigne simple et claire.

    -Oui, monsieur.

    -Vous pouvez y aller.

    Erlhas se leva et sortit le premier, il ne lui restait que quelques minutes de récréation pour trouver Nouphilo.

     

    Dans le parc qui entourait les bâtiments, des élèves jouaient au foot alors que d’autres faisait le tour en discutant. Çà et là, des petits groupes étaient agglutinés. Il ne sera certainement pas là. Erlhas partit vers une autre sortie du bâtiment et le trouva assis sur l’un des murets de l’entrée. Il resta à l’observer un temps.

    Nouphilo était penché sur un livre, la casquette profondément enfoncée sur son crâne. La première fois qu’il l’avait vu, c’était dans le couloir de l’infirmerie comme le matin même. Solitaire et caché derrière sa casquette. Petit, sa mère lui avait un jour lu « Le petit prince ». Erlhas n’avait pas beaucoup aimé, en particulier parce que le personnage principal lui avait semblé triste et seul. Voilà ce qu’il voyait chaque fois que son regard se posé sur le garçon. Un petit prince perdu.

    Il s’approcha et son mouvement attira l’attention de Nouphilo qui releva la tête. En l’apercevant, le garçon retourna rapidement à son bouquin en rabaissant la visière de sa casquette. Erlhas eut un sourire mauvais en imaginant ce qu’il se passait dans sa tête. Il devait souhaiter de toutes ses forces que Erlhas passe, qu’il ne soit pas là pour lui parler. Dommage, il ne fallait pas faire de connerie. Une fois à sa hauteur, il releva la casquette pour le fixer dans les yeux. Nouphilo l’observa par en dessous, la mine inquiète :

    -Je suis viré ?

    Erlhas soupira. Il n’avait plus envie de lui crier dessus aujourd’hui, surtout qu’il semblait sincèrement inquiet. Il s’assit en face de lui :

    -Non, tu n’es pas viré, mais le secrétaire général tient à être informé sitôt que tu lèveras la main sur un de tes petits camarades. Il te donnera des sanctions et cela se terminera par une expulsion.

    -Je ne veux pas les frapper, tu sais, dit Nouphilo d’une petite voix.

    Erlhas sourit avec indulgence et tapota la visière de la casquette :

    -Je sais va.

    -Tu vas avoir des ennuis ?

    -Disons que je ne pense pas que cela apparaîtra dans mon dossier, mais bon, je me fais remarquer pour ma première année en responsable de dortoir.

    -Désolé.

    Nouphilo ne quittait pas son livre des yeux.

    -Oh, tu sais, ça commençait mal. Je suis le seul responsable à ne pas avoir de chambre individuelle.

    Là, Nouphilo releva la tête :

    -Ah bon ? Pourquoi ça ?

    Erlhas lui jeta un regard en biais :

    -Parce que j’ai quelque chose que les autres n’ont pas.

    -Oh, quoi donc ?

    C’est qu’il a sincèrement l’air de ne pas comprendre. Cela l’amusa et il saisit la casquette pour l’enfoncer jusqu’au nez :

    -Toi, sombre crétin.

    Nouphilo grogna en remontant sa coiffe :

    -Moi ? Je n’ai rien fait.

    -Non, mais ta mère a expressément demandé à ce que tu ais une chambre individuelle et plutôt que de laisser un de nos camarades privilégiés partager sa chambre, je me suis dévoué.

    -Si tu t’es dévoué, tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même.

    Il est gonflé çui-là. Mais il devait admettre qu’il n’avait pas tort et cela était passablement énervant. Il rebaissa la casquette jusqu’au nez. Nouphilo râla :

    -Arrête ça fait mal.

    -Tu as raison, la prochaine fois, je te l’enlève.

    -Essaie voir.

    Le regard noir, Nouphilo le défia, le poing serré. Erlhas éclata de rire tant l’image lui sembla comique.

    -Tout petit comme tu es ? C’est adorable.

    La sonnerie se fit entendre.

    -Allez, on y retourne.

    Il se leva suivit de son camarade qui rangea rapidement son livre dans son sac. Ils rentrèrent dans le bâtiment en silence, puis Erlhas s’arrêta devant sa salle de cours tandis que Nouphilo continuait. Il hésita avant de lancer :

    -Nouphilo ?

    Le garçon se retourna et leva un peu la tête pour dégager la casquette de son champ de vision.

    -Sois sage, okay ? Je me doute que ça doit être dur pour toi, mais il faut vraiment que tu essaies de te contrôler.

    Erlhas avait remarqué que, parfois, Nouphilo posait sur les gens un regard sévère. Comme s’il réfléchissait sur la façon dont il devait les juger. C’est ce regard, qui le vieillissait étrangement, qu’il lui jeta. Pendant quelques secondes, il ne fit rien puis un petit sourire se dessina et il finit par dire :

    -T’es un gars bien, tu sais ?

    Erlhas ne s’y attendait pas, surtout venant de lui alors qu’il l’engueulait quasiment à chacune de leur rencontre. Il n’eut pas le temps de répondre, car Nouphilo était reparti d’un pas pressé pour rejoindre sa salle de classe. Étrange petit prince. Les voix de ses camarades de classe lui parvinrent et il tourna ses pensées vers le cours à venir.

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