• Chapitre 3

    Contrôlée par la peur, Noré s'élança vers l'eau sans hésiter, mais un des pirates la rattrapa et la souleva de terre. Elle hurla de rage, envoyant son coude sur le crâne de l'homme. Il grogna sans la lâcher. Un autre pirate vint lui prêter main forte et saisit les jambes de la jeune fille. L'adolescente tenta de repousser les deux hommes, de dégager ses bras, mais rien y fit. Les pirates la firent monter sur le pont et la posèrent devant le capitaine. L'un deux continua de lui tenir les poignets, mais, essoufflée, elle avait cessez de se débattre. Noré espérait qu'en restant sage quelques instants, il relâcherait sa vigilance. En attendant, elle récupérait son souffle et cherchait un nouveau moyen de s'échapper. Ce qui se réduisit à sauter par-dessus bord. Aussitôt, le souvenir de sa rencontre avec Titian vint l'assaillir et elle le repoussa car ce n'était pas le moment de démolir un morale déjà bien bas. Le capitaine souriait toujours.

    -Je suis heureux de vous revoir à bord. J'espère que vous daignerez rester plus longtemps.

    Le pirate qui tenait Noré, demanda :

    -Vous êtes sur que c'est elle ? Elle a pas de bracelet.

    En une fraction de seconde, l'air condescendant du capitaine devint fureur. Il dégaina son épée et, d'un geste adroit, coupa l'avant-bras du pirate. Celui-ci hurla de douleur, se laissa tomber au sol et se mit à gesticuler dans tous les sens. Alors que Noré se disait que c'était le bon moment pour tenter une fuite, le capitaine se glissa vers elle et la saisit au col :

    -Quant à toi, je t'ai préparé tout un programme.

    Il se tourna vers un autre de ses hommes :

    -Descend-là dans la cale et attache-là.

    -Oui, capitaine.

    Il sembla hésiter un peu avant de demander :

    -Et pour les autres, on fait quoi ?

    -Cramez-les tous.

    Les pirates encore à bord descendirent rapidement à terre, refusant de perdre une seconde d'amusement. Sur le quai, les personnes encore présentes tentèrent de fuir en hurlant, mais ils en retinrent la plupart. Sans lâcher sa proie, le capitaine arrêta deux de ses hommes qui le regardèrent avec inquiétude. Il désigna l'homme restait sur le pont, fixant son bras manquant :

    -Jetez-le par-dessus bord. Ça lui apprendra à ne pas savoir qu'un bracelet, ça s'enlève.

    -Bien, capitaine.

    Le pirate renforça sa prise sur la jeune fille et l'entraîna à l'intérieur du navire, devancé par son capitaine. Elle ne sut pas se qui se déroula sur les quais, mais espéra que les pirates n'iraient pas jusqu'à s'aventurer sur le chemin au risque de trouver ses amis. Si c'était le cas, Soria saurait se défendre et avec un peu de chance, ils les verraient venir et se réfugieraient chez Frent. Cependant, la nuit allait tomber et même si la pleine lune les éclairait grandement, la visibilité ne serait pas parfaite. Il y avait peu de chance pour que la Saldrian les voit à temps et puis, pour quelle raison s'occuperait-elle du chemin ? Elle devait déjà dormir.

    A ce moment, ils atteignirent la cale et Noré reconnut avec appréhension la cage où elle avait été enfermé lors de son dernier séjour à bord. Mais le capitaine se dirigea vers un tas informe au milieu de la pièce. Il retira corde et filet pour découvrir un fauteuil fixait au sol. Pendant ce temps, le pirate qui la tenait lui retirait besace et manteau et les jeter dans un coin. Le capitaine la fit asseoir, lui attacha les jambes aux pieds de bois et les bras aux accoudoirs. Quand il eut fini, il recula d'un pas pour se délecter du spectacle, puis se pencha vers la jeune fille :

    -Tu as de la chance que l'on te veuille vivante, sans quoi, crois-moi tu ne sortirais pas d'ici.

    Le capitaine se redressa et se mit à lui tourner autour en parlant :

    -Que penses-tu de mon nouveau navire ? Ressemblant, non ? Si tu savais tout ce que j'ai dû faire pour l'avoir. Bien sûr, j'ai ajouté quelques touches personnelles pour qu'on se sente chez soi.

    Il ricana, puis marqua un silence. Le capitaine était de nouveau face à elle et son expression se durcit :

    -On m'a dit vivante, mais pas précisé que tu devais être en bonne état.

    Noré reçut son poing sous le menton. Sa mâchoire claqua violemment et lui fit se mordre la langue. Le goût du sang vint dans sa bouche et sa tête bourdonna d'une douleur sourde. Le pirate lui agrippa les cheveux, si fort que sa nuque frappa durement le dossier du siège pour lui cracher au visage :

    -Nous arriverons à destination, mais cela risque de prendre du temps.

    Il éclata de rire et la frappa à nouveau. Le temps s'écoula dans une explosion de souffrance.

    Lorsqu'il sortit, la jeune fille resta inerte. Elle fixait ses jambes, n'avait pas la force de se redresser. Sa tête n'était qu'une masse douloureuse, le sang et les larmes lui bouchaient la vue. Elle avait mal, c'était tout ce à quoi l'adolescente pouvait penser. Elle avait perdu le fil du temps, ignorant combien de temps il l'avait tabassé. Noré savait seulement qu'ils avaient repris la mer grâce au léger tangage du navire. Le froid avait commencé à s'installer. La nuit devait être bien avancée maintenant et elle ne pouvait pas s'échapper, de toute façon, elle n'en aurait pas eu la force.

    Soudain, Noré sentit un couteau se glisser dans la manche de sa chemise. Le capitaine était revenu et elle ne l'avait même pas entendu venir. Il lui semblait pourtant qu'il n'était parti que quelques instants plus tôt. L'adolescente avait du perdre connaissance à un moment donné. Il entreprit d'ouvrir la chemise jusqu'au col et fit de même de l'autre côté. Les deux pans chutèrent sur ses hanches, dévoilant les bandages qui serraient sa poitrine. Le pirate n'y prêta aucune attention. Faisant un effort considérable, Noré leva légèrement la tête. Le capitaine était toujours accompagné d'un de ses hommes. Celui-ci tenait une large bassine en main dont elle ne pouvait voir le contenu. Ils ne dormaient donc jamais ? Le capitaine s'empara de la bassine et en vida le contenu sur la tête de la jeune fille. Elle cria sous le choc de l'eau glacée. Le capitaine rit, tourna le dos et sortit en lançant :

    -C'est tout pour l'instant. N'attrape pas froid.

    Il rit de nouveau. L'homme sortit à sa suite et ferma la porte. Le corps de Noré était secoué de frissons incontrôlables, seule dans le noir, à demi-nue, elle pleura de rage. L’adolescente ne pouvait s'endormir et son esprit se rebellait à toute forme de réflexion, concentré qu'il était sur la douleur et le froid.

    Dans l'obscurité qui l'entourait, un son léger lui parvint soudain. Noré s'efforça de contenir ses sanglots et d'écouter. Cela se produisit à nouveau, le coup léger de griffes sur le sol. Elle n'eut pas de mal à reconnaître les déplacements rapides d'un rongeur et épia les ombres en quête du moindre mouvements. Peu à peu son imagination exacerbée par le noir et le souvenir du rat dans le puits, alors qu'elle s'échappait des mines, lui fit voir des rats énormes se jetant sur elle pour la dévorer vivante. L'adolescente essaya de rationaliser et bien qu'ils reprirent une taille normal, il n'en restait pas moins qu'ils la dévoreraient vivante. Elle tenta de se défaire de ses liens. Les cordes lui rentrèrent dans la chaire, mais ne se desserrèrent pas. Cependant, les rongeurs semblaient rester à bonne distance, ce qui n'empêcha pas Noré de se décider à rester éveiller. Malgré elle, le sommeil prit le pas sur le froid, la faim et la douleur et elle se réveilla en sursaut, plusieurs fois, persuadée que les rats s'approchaient.

    Les heures défilèrent et le jour apparut entre les planches de la coque dans son dos. Ce n'était que de fins rayons, mais ce fut suffisant pour la réconforter. La douleur l'avait quitté, elle s'était habituée au froid et, une fois l'obscurité légèrement dissipée, Noré se sentit un peu rassuré. Des courbatures se firent ressentir dans son dos et son cou, mais c'était peu de chose comparait à ce qu'elle avait subi, et ce qu'elle subirait encore si elle ne sortait pas d'ici. Pourtant, personne ne vint durant cette journée et même si cela lui parut étrange, la jeune fille en profita pour chercher un moyen de s'échapper. Elle secoua le siège, se tordant bras et jambes pour tenter de les dégager des liens. Elle tenta de se pencher pour essayer de les défaire avec ses dents, mais ne réussit pas à les atteindre. L'adolescente chercha du regard un objet pouvant l'aider et ne vit rien à sa portée.

    Découragée, elle se cala contre le dossier et fixa le plafond, réfléchissant à ce qui pourrait arriver ensuite. À défaut de pouvoir s'échapper, au moins pouvait-elle essayé de deviner où ils l'emmenaient. Il la voulait vivante, cela n'était pas une surprise. Noré le savait depuis la nuit où ils s'étaient enfuis de l'auberge. Cependant, de ce que lui avait dit le capitaine, ce n'était pas lui qui la voulait vivante. Cela signifiait-il qu'il n'était qu'un livreur ? Elle se concentra d'autant plus. Qui pouvait la rechercher si ce n'était pas lui et pourquoi ? C'était étrange, car cela signifiait que ce n'était pas le capitaine le véritable ennemi. Il y avait quelqu'un au-dessus de lui, quelqu'un qui lui donnait des ordres. A cet instant, la jeune fille entendit la porte s'ouvrir. Le capitaine entra, l'observa et dit :

    -Tu n'as pas l'air malade.

    Intérieurement, Noré remercia Azaque pour lui avoir fait manger sa chair et son sang, lui permettant d'être immunisée contre les maladies et les infections. Le pirate ne s'attarda pas sur le sujet, s'avança, s'accroupit à côté d'elle et commença à gratter son avant-bras avec force, tout en lui parlant de divers massacre. Elle n'écoutait pas, fixant un point droit devant elle, concentrée sur le grattement désagréable sur sa chair, attendant la douleur. Le capitaine n'était pas pressé et le temps passa sans qu'il ne soit à court d'histoire sordide. Finalement, le grattement devint brûlure et l'adolescente jeta un regard vers les doigts qui creusaient son bras. Ce n'était toujours pas très douloureux, mais il ne s'arrêtait pas. Il parlait toujours pendant qu'elle s'imaginait la main atteignant les muscles, coupant les veines, touchant l'os. L'adolescente la fixait dans un état secondaire, se résonnant. Il stopperait avant, forcément, cela prendrait trop de temps. Et comme pour répondre à sa réflexion, l'homme ferma brusquement le poing et l’abattit violemment sur le bras en hurlant de déception :

    -Pourquoi n'es-tu pas malade ?  

    Noré sursauta en criant, puis, le fixa, se demandant si elle avait bien entendu. Le capitaine sortit sans rien ajouter, la laissant perplexe. Elle fixa son bras meurtri, la blessure brûlait toujours, mais rien d'insupportable. Avec crainte, elle vit le pirate revenir avec deux hommes et tout son corps se contracta en voyant la bassine de la veille entre les mains de l'un d'eux. Le capitaine sortit un couteau, saisit la main de Noré et posa la lame sur son index :

    -Un faux mouvement et chac.

    Tout d'abord, l'adolescente ne comprit pas, puis elle vit que les deux autres lui détachaient les jambes pour ôter ses bottes. Ensuite, ils avancèrent la bassine remplit d'une poudre blanche et elle en resta subjugué. Où avaient-ils trouvé de la neige ?Noré voulut reculer lorsqu'ils enfoncèrent ses pieds dedans, mais la vue du couteau sur son doigt retint son mouvement. Elle serra les dents en grimaçant. Au fur et à mesure que la neige les recouvrait, elle avait l'impression que les os de ses pieds allaient imploser de froid. La jeune fille contracta les orteils, tendit les muscles de ses jambes, se donnant l'illusion d'avoir moins froid. Lorsqu'ils eurent finit de les recouvrir, les hommes reculèrent la bassine pour pouvoir lui rattacher les jambes. Noré faisait un énorme effort de concentration pour ne pas se mettre à ruer en espérant se dégager de la bassine. Le froid les rendait douloureux et elle soufflait fortement comme si cela pouvait l'aider à le supporter. Au dernier moment, le capitaine trancha net le doigt de la jeune fille qui hurla. Riant, l'homme se dirigea vers la sortit.

    La porte se ferma sur les pirates. Quand les pas se furent éloignés et que la douleur à son doigt s'apaisa un minimum, Noré tenta en vain de dégager ses pieds de l'emprise de glace. Aucune de ses tentatives ne connu le succès, alors, finalement, elle s'affala, les yeux au plafond, tremblante, pleurant. La nuit était tombée, ce qui pouvait vouloir dire que le capitaine ne venait la voir que le soir. La jeune fille soupira, elle ne sentait plus ses pieds. Laissant retomber sa tête sur sa poitrine, elle aperçut le collier. Noré regrettait de ne pas avoir fait appel à Xilanos quand elle le pouvait encore.

    Puis, Noré se ressaisit soudain. Rien était perdu. Tout ce qu'il lui fallait, c'était de l'eau. Elle regarda la bassine. La neige finirait bien par fondre et si les pirates s'en rendaient compte, ce ne serait rien d'autres pour eux qu'une pierre. Sans attendre, la jeune fille chercha un moyen de faire tomber le pendentif dans la bassine. Elle se pencha en avant, la pierre se balança. Se penchant, vers sa main gauche, l'adolescente réussit à l'attraper sans difficulté. Cependant, ne pouvant tirer avec sa main, elle recula la tête. La ficelle passa par-dessus son oreille gauche, mais eut beau bouger et tirer, les cheveux sur sa nuque l'empêchaient de dégager son oreille droite. Une douleur brûlante s'était propagée dans son dos et il lui était de plus en plus insupportable de rester dans cette position. Malgré tout, elle ne voulait pas se redresser de peur que le collier ne retombe. Noré réfléchit quelques instants, puis, elle se souvint soudain qu'elle avait une main droite. Veillant à rester bien penché, elle se tourna vers son autre main, s'insultant intérieurement de ne pas y avoir songé plus tôt. La jeune fille réussit à passer le collier par-dessus son autre oreille, puis, pressait de soulager la douleur de son dos et sa nuque, elle recula la tête brutalement. Après une légère résistance, l'adolescente put se redresser, le collier dans la main. Fermant les yeux, elle profita un temps de la disparition de la douleur. Puis elle balança doucement le pendentif et le fit tomber dans la bassine. Heureusement, celle-ci était suffisamment large et Noré n'eut pas à craindre de viser à côté. Elle reprit espoir, bien qu'elle ignora comment les Auriens feraient pour la retrouver en pleine mer. Mais elle se sentait tout de même rassérénée, même si dans l'obscurité qui l'entourait à nouveau, les rats se remirent en activité.

    Lorsque le jour commença à poindre, Noré put voir que la neige avait un peu fondu, assez pour que la pierre soit légèrement recouverte. Elle se pencha, espérant que cela marcherait même avec si peu d'eau :

    -Je demande de l'aide au chef Aurien.

    Une petite fée jaillit de la pierre et Noré crut bien qu'elle allait crier de joie. Elle se contint, de peur d'être entendu, et poursuivit :

    -Je suis prisonnière du pirate aux cheveux océans. J'ignore où nous sommes et où nous allons, mais nous sommes toujours en mer. Le navire est totalement rouge et couvert de squelette, c'est tout ce que je peux dire.

    La fée se contenta de retourner dans la pierre en silence. Ce n'est que lorsqu'elle disparut que l'adolescente prit vraiment conscience qu'ils pourraient ne jamais la retrouver. Elle se recala contre le dossier, refusant de se laisser abattre. La jeune fille attendrait le temps qu'il faudrait, bien qu'elle ignorait ce qu'elle ferait s'ils arrivaient à destination. Au moins cela lui permettrait de connaître le fin mot de l'histoire, de connaître la personne qui la poursuivait depuis tout ce temps.

    Le jour s'écoula avec lenteur et son estomac semblait rétrécir, se tordre à cause de la faim et la faisait souffrir. Noré avait tenté de profiter du jour pour dormir un peu, sans vraiment y parvenir. Finalement, le soir et le capitaine arrivèrent. Cette fois, il fit poser une table et une chaise et deux plateaux recouverts de cloche. L'odeur de viande grillée fit gronder le ventre de la jeune fille. Le capitaine souleva le premier couvercle et s'appliqua à manger lentement les morceaux de viande qui se trouvaient dans l'assiette. Elle le regarda faire sans rien dire.

    -Ne t'inquiètes pas, tu mangeras aussi. N'oublie pas qu'il te veux vivante. Si c'est pas de la chance ça.

    Le capitaine s'essuya la bouche avec sa manche et souleva l'autre cloche. Dessous était posée la tête tranchée d'un jeune homme, les yeux révulsés, bouche ouverte, langue pendante. Noré eut un haut le cœur. Le pirate saisit la tête, mordit la peau sur une des pommettes et tira, arrachant un bout de la joue. Il mastiqua avec contentement. Elle ferma les yeux ne voulant pas savoir ce qu'il s'était trouvé dans l'autre assiette. Elle attendit la fin des mastications, regrettant de ne pouvoir se boucher les oreilles. Au bout d'un moment, il y eut un silence puis la voix du capitaine tout près :

    -Si tu veux manger, tu n'auras que ça.

    Presque malgré elle, l'adolescente ouvrit les yeux. Sur l'assiette qu'il lui tendait se trouvaient les yeux, la langue et les oreilles. La jeune fille eut le temps de se pencher sur le côté pour vomir. Son estomac déjà vide, régurgita un liquide brûlant. Elle sentit qu'elle allait pleurer mais refusa de se laisser aller et se contint. Noré pensa au collier dans la bassine, promesse d'une libération prochaine et à Titian qui ne se serait certainement pas laissé aller. Elle se redressa et fixa le capitaine qui la dévisageait, souhaitant sa mort sans pouvoir la lui donner. Brusquement, tout lui parut irréel, l'adolescente ne comprenait plus comment elle en était arrivé là. Elle, la petite fille sage, vivant avec sa chère maman, dans une maison paisible de Sinia, se retrouvait attaché à un siège sur un bateau pirate, réduite à manger des cadavres. C'était grotesque. Si on le lui avait dit à l'époque... Elle éclata de rire, un rire nerveux et désespéré.

    -Qu'est ce qui t'amuses ? Tu veux que je t'aide à manger ?

    Noré se contrôla un temps et le pirate avec son sourire et ses cheveux, lui parut soudain ridicule. Après tout, en restant sa prisonnière, elle finirait par mourir,. Rien ne lui disait que ce n'était pas le sort qui lui était réservé une fois à destination. En allant au siège elle mourrait, sacrifiée pour la paix. Son corps fut secoué d'un nouvel éclat de rire, des larmes amers finirent par couler. Le capitaine jeta l'assiette et se mit bien en face d'elle :

    -D'accord. J'ai une autre question. Pourquoi n'es-tu pas malade ?

    La jeune fille répondit sans réfléchir :

    -J'ai une fourrure interne.

    Elle rit de nouveau, renifla et frotta sa joue sur son épaule pour en essuyer les pleurs. Le pirate la saisit à la gorge :

    -Tu devrais être malade. Les humains n'aiment pas le froid car ça les rend malade.

    Noré cessa de rire. Le capitaine lui faisait penser à un gamin qui ne comprend pas un problème et demande la réponse à sa mère. Cette vision relança son rire et le pirate serra plus fort, le visage furieux :

    -Répond, putain de gosse !

    Elle se maîtrisa, le fixa et soupira :

    -Va te faire foutre, putain de bâtard.

    Sa tête fut projetée en arrière par un coup de poing prodigieux. Elle rencontra douloureusement le haut du dossier. Noré se redressa, étourdie, et le crâne douloureux. Il lui avait semblé entendre des os craquer et elle sentit du sang couler sur ses lèvres et son menton. Quand la porte claqua, lorsque le pirate quitta la pièce Noré pencha la tête et, fixant le plafond qui avait de plus en plus des airs de vieux camarade, soupira de fatigue en murmurant :

    -J'ai une vie de merde.

    L'adolescente n'avait pas eut peur, ça c'était une bonne nouvelle. Elle était si désespérée face à son avenir qu'elle n'avait même plus peur de la plus grande terreur des mers. Décidément, les choses allaient en s'arrangeant. Son rire explosa et sembla se répercuter dans tous les recoins de la pièce pour finalement mourir dans des sanglots. La nuit était là, encore, à croire que le temps n'était fait que de nuit. A nouveau, elle ne dormit pas, la faim et les rats le lui interdisaient.

    La nuit s'écoula, puis le jour et vint la soirée et son pirate. Cette fois, il lui fit boire de l'eau tout ce qu'il y a de plus normal, puis passa le reste du temps à lui taillader le torse, la nuque et le haut du dos. Il s'attarda particulièrement sur les bras. Noré grimaçait à chaque nouvelles entailles, mais ne dis rien. Elle imaginait les Auriens en action, passant au crible chaque parcelle d'océan, se rapprochant inexorablement. Cela lui donnait du courage pour supporter les plaisirs du capitaine. Au fond d'elle subsistait malgré tout, le doute qu'on la retrouve un jour.

    Titian l'avait toujours trouvé, lui, il fallait qu'elle soit vraiment importante pour lui, car il n'était pas du genre à se donner autant de mal pour quelqu'un qui ne comptait pas. Elle ferma fortement les yeux et s'obligea à reformuler sa pensée. Il fallait qu'elle fut importante, car il n'avait pas été du genre. Pourtant, au début, pourquoi l'avait-il recherché dans les mines ? Noré se souvint des soupçons qu'elle avait nourrit contre lui à une époque. Sans doute n'avait-il voulu que le bracelet pour un but quelconque. La jeune fille se rendit compte qu'elle se moquait bien de ce qu'avait vraiment voulu Titian, restant focalisée sur une chose, il l'avait aidé et pas qu'un peu. Tant pis s'il avait fait cela dans le seul but d'avoir ce fichu bracelet et s'il avait été là aujourd'hui, c'est de bonne grâce qu'elle le lui aurait donné. Noré sourit à cette pensée.

    Le capitaine s'était mis à siffloter et nettoyait consciencieusement son couteau. Il le rangea et sortit, sans une parole, sans commentaire. Noré observa ses blessures, cherchant à savoir si elle pouvait en mourir, mais elles n'avaient pas l'air profonde. L'adolescente dressa l'oreille au son des rats dans le noir, à force elle s'était habituée, mais, là, quelque chose avait changé. L'adolescente tressaillit quand sa pensée se confirma, les rats se rapprochaient.

    Les jours s'écoulèrent et elle en perdit le compte. Faible, fatiguée, affamée, couverte de sang, résonnante de douleur, Noré espérait toujours le secours des Auriens. Le pirate en resta au tabassage et au tailladage, sitôt qu'une plaie se refermait, il la rouvrait. Il lui donnait à boire mais ne lui proposait que des cadavres en nourriture et elle refusait obstinément. Une nuit vint où, à moitié somnolente, la jeune fille sentit un poids sur son bras.

    Aussitôt, elle fut complètement réveillée et bougea son bras en espérant faire tomber ce qui s'y trouvé. Des griffes se plantèrent dans sa chair et l'adolescente hurla sous la morsure du rat. Certainement, il mordait pour se défendre et non pour manger, mais sur le navire de ce capitaine, on pouvait s'attendre aux pires choses. Son état actuel et les ténèbres qui l'entourées eurent raison de toute forme de raisonnement. Elle devait se débarrasser de l'animal avant qu'il ne la dévore vivante. Guidée par l'instinct, Noré se pencha, réussit à saisir le dos du rat entre ses dents, serra de toutes ses forces, l'arracha à sa prise et le lança. Puis, elle poussa des hurlements en espérant faire fuir ses congénères. Le reste de la nuit, elle resta éveillée guettant le moindre son, le moindre couinement.

    Le jour revint? effaçant les frayeurs de la nuit, au point qu'elle se trouva ridicule. Décidément, il lui fallait une bonne nuit de sommeil et un bon repas. Cela lui fit repenser à Soria, laissée sur l'île au bon soin de Téline. A moins que les pirates n'aient trouvé la petite maison. La jeune fille secoua la tête refusant d'envisager cette possibilité. Elle chercha autre chose à laquelle penser et son regard tomba sur le bandage qui serrait son corps. A présent, il avait une teinte rouge rosâtre et la jeune fille se demanda dans quel état pouvait être son visage après tout ce temps. Où pouvaient-ils bien l'emmener pour que cela prenne autant de temps ? Le soir s'approcha inexorablement et, avec lui, son lot de crainte lorsque la porte s'ouvrit. Le capitaine était, à nouveau, accompagné de deux hommes. Avant qu'elle ne comprenne, l'un d'eux lui pencha la tête en arrière et l'autre lui mit un court tube de fer dans la bouche. Noré entendit la voix sinistre du capitaine chantonner :

    -Puisque tu ne veux pas manger, je vais t'aider.

    Souriant, il lui présenta un rat bien vivant, s'avança et mit le rongeur dans le tube. Horrifiée, Noré tentait de fermer la bouche sans y parvenir. L'animal récalcitrant s'agrippait au bord du tube. Elle sentait la queue du rongeur dans sa gorge et ses pattes arrière griffant furieusement sa langue et ses joues en voulant remonter. La jeune fille tentait de le faire tomber du tube en penchant la tête, mais on lui maintenait fermement le crâne. Le sang lui inonda la bouche, alors que la puanteur du rat lui assaillait les narines. Ses couinements résonnaient à ses oreilles, comme autant de plaintes qu'elle-même ne pouvait formuler. Le capitaine s'empara de son poignard pour que le rongeur lâche prise.

     

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