• Chapitre 30

    Ils arrivaient à une vitesse vraiment impressionnante. Noré n'avait pas eu l'impression d'aller aussi vite sur leur propre navire. Les flots se fendaient devant eux, propageant des vagues gigantesques alentours.

    -J'espère qu'ils vont s'arrêter à temps.

    Les embarcations freinèrent progressivement en approchant du rivage, puis les passerelles apparurent. Noré ne s'aperçut qu'alors qu'il manquait un navire. Elle vit les silhouettes des différents occupants attendre sans traverser. Seulement quelques uns se détachèrent et passèrent car ils seraient obligés de reprendre les bateaux, il n'était donc pas nécessaire qu'ils descendent tous. Pakt fut le premier arrivé, il grimpait encore les rochers lorsqu'il lança :

    -Alors ? Que fait-on ?

    Lyan répondit :

    -On attend les sorcières.

    -Vous savez combien de temps cela va prendre ?

    -Non, mais les Alianis ne sont toujours pas arrivé de toute façon.

    Pour ne pas rester enfermer, les gens allèrent s'asseoir sur les larges passerelles. Ils observaient les environs avec intérêt et méfiance. Noré admira les armures bleutées des chevaliers, en revanche, les Vemepyre restèrent à l'intérieur. Du navire des Tiark, une sorcière s'envola et vint se poser près d'eux.

    -Vino m'a fait savoir qu'elle devrait nous rejoindre demain.

    Pakt fut surpris :

    -Demain ? Comment elle vous a fait passer le message ?

    -Dans le vent.

    -Bien sûr. 

    Noré les laissa là et partit à la recherche de Soria. Elle descendit les rochers avec précaution, craignant de se blesser avant que la bataille est commencée. Tandis qu'elle approchait des passerelles, un concert de sifflement lui fit relever la tête. Les Saldrian et les Rhosay sortaient prendre l'air et les chevaliers s'amassaient pour voir le spectacle. Elle admira le mélange que les deux peuples offraient, la beauté mystique des Saldrian mêlaient à l'étrangeté des Rhosay. Elle vit les femmes rirent et plaisantaient devant le comportement des chevaliers.

    -Noré !

    L'adolescent baissa son regard pour apercevoir Soria qui s'apprêtait à descendre de la passerelle. Deux chevaliers qui étaient arrivés à terre se précipitèrent pour l'aider. Lorsqu'elle fut au sol, ils la retinrent et Noré décida de les rejoindre. Lorsqu'elle les atteint, la jeune fille entendit la fin d'une réponse de Soria :

    -… déjà enceinte.

    Les chevaliers montrèrent les autres femmes :

    -Elles ne le sont pas toutes quand même.

    -Non, mais il faut déjà passer les hommes.

    -On va y réfléchir.

    Ils retournèrent à leur navire en discutant. Soria rejoignit Noré :

    -Où es Titian ?

    -Parti chercher de quoi manger. Vous avez fais très vite, dis donc.

    -Nous non, mais ce navire est incroyable.

    Elles s'assirent sur les rochers à l'ombre des arbres.

    -Tu sais ce que l'on fait maintenant ?

    -On attend.

    Un cri aigu leur parvint du navire des Tiark et, durant une seconde, Noré crut qu'ils avaient attaqué les sorcières. Seulement, le soleil brillait encore et en se levant, elle put voir la passerelle. Les Tiark étaient alignés dessus, riant et se jetant à l'eau en criant. Apparemment, les sorcières avaient renoncé à les entraver, mais elles restaient à voler au-dessus d'eux comme des oiseaux de proie, prêt à fondre au moindre danger. L'eau devait être glaciale et Noré frissonna à l'idée même de la toucher. Elle repassa au soleil et ressentit de suite la chaleur de ses rayons. L'adolescente regarda derrière pour observer la bouche béante de la caverne avec peu de hâte d'y entrer. Un nouveau plongeon attira son attention. Luse avait retiré son armure, mais gardant tout de même sa tunique, s'était jeté à l'eau. Elle vit Jdosté qui quitté la passerelle, feignant de ne pas le connaître, bien que le jeune homme l'appelait à plein poumon en riant. Souriant, Noré lui dit :

    -Tu ne vas pas te baigner ?

    -On part en guerre, je ne pense pas que ce soit le bon moment pour une baignade.

    -Tout le monde ne semble pas d'accord.

    D'autres chevaliers avaient suivi l'exemple de Luse et rejoignait les Tiark à l'eau, puis se fut les Saldrian et les Rhosay qui se lancèrent. Visiblement, tous trouvait que c'était le moment où jamais pour une baignade. Lorsque les Auriens revinrent, ils ne se firent pas prier pour les rejoindre à l'eau. Même Eliana fut tentée, mais en tant que chef, elle devait bien s'occuper des armes. Elle prit son couteau et commença à tailler les branches, s'efforçant d'ignorer les cris et les rires près d'elle. Xilanos la fixait en souriant, attendant l'instant où elle craquerait. Noré grimpa à leur niveau et s'assit pour les regarder travailler. Finalement, le garçon dit :

    -Vas-y, Eliana, vas t'amuser.

    Elle lui jeta un regard curieux, cherchant sans doute à savoir si c'était un test, puis abandonna couteau et branches pour descendre à l'eau.

    -Je ne pensais pas voir cela un jour, un chef Aurien qui s'amuse comme un enfant.

    -Je sais m'amuser moi aussi.

    -J'ai beau chercher, je ne vois pas quand tu l'as fait. Ah si! Quand tu cognes Titian.

    -Exactement.

    Elle le regarda travailler un instant avant de demander :

    -Je croyais que tu n'avais plus d'influence sur les Auriens, maintenant que tu n'en fais plus parti.

    -N'oublie pas que je suis encore un peu le chef pendant un an.

    -Oh, et pourquoi tu les laisses s'amuser ? Je sais que tu n'aimes pas que l'on se concentre sur autre chose que l'entraînement avant une bataille.

    Il eut un sourire ironique :

    -C'est vrai, mais tu l'a dit, on risque de tous y rester. Autant qu'ils s'amusent une dernière fois.

    Noré se rengorgea :

    -J'ai de l'influence sur le chef Aurien, voyez-vous cela.

    -Ne t'en vante pas trop.

    -J'essaierais. Allez, montre-moi comment on fait.

    Elle prit son autre poignard, une branche et s'appliqua à faire ce que lui montré l'Aurien. Puis, les chasseurs revinrent et en voyant ceux qui se séchaient au soleil allongés sur les passerelles et ceux qui se baignaient encore, Titian s'écria :

    -Ah non, c'est pas possible. On aura jamais assez pour tout le monde.

    Pakt lui lança :

    -Ne t'inquiète pas, je vais retourner faire un tour. Jdosté viens avec moi.

    Le chevalier obéit et ils s'éloignèrent tous les deux, alors que Titian critiquait :

    -A deux, vraiment ?

    Nanz et Touja échangèrent un regard, puis l'ancien Aurien dit :

    -On y retourne.

    Le pirate se révolta :

    -Ah non, pas moi !

    Nanz lui lança sans se retourner :

    -On sait.

    -Bien.

    Lulienne dégagea un creux entre des rochers et Qoerus y déposa le faible fruit de leur chasse.

    -Je doute que tout le monde mange à sa faim.

    Sa soeur le consola :

    -C'est mieux que rien.

    Titian s'approcha de Noré :

    -Qu'est-ce que vous faites ?

    -Des flèches.

    Se moquant éperdument de la réponse, il enchaîna :

    -Vous n'avez pas vu Soria ?

    -La dernière fois que je l'ai vu, elle était près des passerelles.

    Il s'éloigna et au même moment Luse apparut. Il était sec, mais n'avez pas remis son armure.

    -Il fait froid ici, vous faites quoi ?

    Xilanos répondit :

    -Des flèches.

    Le chevalier s'assit en face d'eux :

    -Pourquoi ?

    -Pour les Auriens.

    -Les Auriens ? Vous les avez pas vu ? Ils ont des arcs, des flèches, des couteaux, des dagues. Pourquoi un surplus de flèche ?

    Noré savait que Luse avait raison, mais elle ne s'était jamais posé la question. Déjà lorsque les pirates les avaient attaqué dans les forêts du nord, les Auriens avaient refait des flèches.

    -C'est plus histoire de se vider l'esprit avant la bataille. 

    -Tu te vides la tête en faisant des flèches ?

    -Oui.

    Luse fixa le garçon en essayant de deviner s'il plaisantait, puis il se leva et repartit. Quelques minutes plus tard, il revint avec son propre couteau :

    -On va voir cela.

    Ils travaillaient tous les trois depuis un moment quand deux autres chevaliers approchèrent et lancèrent à leur camarade :

    -Qu'est-ce que tu fabriques encore ?

    -Je me vide la tête en faisant des flèches.

    Ils éclatèrent de rire :

    -Qu'est-ce qu'il y a vider, cela fait un moment qu'il n'y a plus rien.

    Luse répliqua sur un ton faussement hautain :

    -Chers amis, vos badauderies ne cessent de me divertir. Je me gausse.

    Les rires repartirent de plus belle et ils vinrent s'asseoir. Luse leur dit :

    -Je pensais que vous tentiez de séduire des Saldrian.

    -C'est vrai, mais il faut combattre un garçon de sa famille pour approcher une fille.

    -Et ? Vous renoncez ?

    -Tu n'as pas vu le Rhosay balançait du feu. Il m'a presque cramé les cheveux.

    Luse s'adressa au second chevalier :

    -Et toi, Rejed ?

    -Bah, je me suis dit à quoi bon.

    -Toujours aussi aventurier.

    Le dénommé Rejed sourit avec fierté. Par la suite, trois Auriens revinrent mettre leur main à la pâte et la discussion dévia d'un sujet à l'autre sans qu'aucun ne puisse dire comment ils en étaient arrivés là. Quand les quatre chasseurs revinrent, Jdosté s'approcha du groupe :

    -Qu'est-ce que vous faites ?

    Luse répondit :

    -On se vide la tête.

    Noré rattrapa :

    -Des flèches.

    Le chevalier hocha la tête puis dit :

    -Xilanos ?

    -Oui ?

    -J'ai vu que tu n'avais rien pris en partant du campement. Tu n'as pas d'arme ?

    -Je vais essayer de trouver de quoi faire un arc tout à l'heure.

    -J'ai pris des armes en supplément en passant prendre les hommes, si tu veux en prendre une.

    Xilanos se redressa :

    -Des arcs ?

    -Il doit y en avoir au moins un, suis-moi.

    Le garçon ne se fit pas prier, il se leva et suivit Jdosté jusqu'au navire des chevaliers. Eliana revint et Luse demanda :

    -Quelles nouvelles du bord de mer ?

    Elle répondit en joignant le cercle :

    -Les Tiark sont rentrés, les Vemepyre commencent à sortir, les Rhosay prépare du feu, on peut en déduire que la nuit tombe.

    Noré observa les alentours et s'aperçut que le ciel c'était en effet assombri. Une voix se fit entendre, celle du mari de Lulienne lui sembla-t-il :

    -Venez manger !

    Ils se levèrent en chœur et descendirent en plaisantant. Un feu de petite taille avait été fait sur l'une des passerelles, sans doute pour éviter qu'ils ne soient repérés trop facilement. Les maigres provisions avaient été étalé et chacun se servait, veillant à ne prendre que de petites portions. Noré ne prit qu'un fruit renonçant à sa part de gibier, estimant que d'autres avaient plus besoin de force qu'elle. Puis, se détournant de la faible chaleur du feu, elle rentra dans le navire avec lequel elle était arrivée et alla se caler dans un coin en espérant que le froid ne l'empêcherait pas de dormir. Mais ce ne fut pas cela qui la tint en éveil. En fait, une pensée c'était soudain imposée clairement dans son esprit. L'idée que le lendemain tout serait fini. La bataille aurait lieu et qu'ils soient vainqueurs ou perdants, ce serait terminé. La jeune fille aurait aimé sauté dans la mare des sorcières pour savoir si, cette fois-ci, ils remporteraient le combat.

    Noré ignorait depuis combien de temps elle était restée à fixer l'obscurité, quand Xilanos se glissa près d'elle :

    -Tu ne dors pas ?

    -Si, mais j'ai une crise de somnambulisme.

    Il lui tira une mèche de cheveux et elle le repoussa en riant, puis l'adolescente prit sa main et posa sa tête sur son épaule.

    -Il n'y a pas d'arbre à fée sur lequel nous réfugier cette fois.

    -Non, c'est vrai.

    Etranglée d'angoisse, imaginant le nombre de ceux qu'elle risquait de perdre dans la bataille, elle se laissa allé à pleurer. Noré rouvrit les yeux dans l'obscurité, le corps ankylosé et écouta les calmes respirations qui emplissaient l'air. Elle hésita à claquer des doigts pour voir s'il faisait jour dehors et prit le partie de rester tranquille. Elle avait faim et froid, ce qui lui laissait pressentir une très mauvaise journée en perspective. L'adolescente ressassait ses sombres pensées quand la lumière perça soudain l'obscurité. Elle se protégea les yeux de la main et tenta de distinguer la silhouette qui entrait dans le navire. La voix forte de Pakt se fit entendre :

    -Debout tout le monde ! Pas de temps à perdre !

    Ils y eut des grognements de protestation venant d'un peu partout, mais, soulagée de pouvoir bouger, elle se leva et sortit avec précaution. Enjambé les corps endormis fut une épreuve qui lui fit oublier ses soucis un petit moment. Dehors, l'adolescente vit que le dernier navire était arrivé et les Alianis discutaient avec les autres représentants au bas de leur passerelle. En la voyant sortir, Pakt lui demanda :

    -Lyan et Eliana se lèvent-ils ?

    -Je ne sais pas, je n'ai pas regardé.

    -Très bien.

    Il retourna à l'intérieur pour pousser un autre appel tonitruant et des protestations plus véhémentes lui répondirent. Il suffit d'un regard à Noré pour voir qu'il n'y avait plus rien à manger et s'en trouva un peu plus désespérée. Xilanos apparut soudain à ses côtés, la faisant sursauter :

    -Prête ?

    -Non.

    -On ne l'ai jamais.

    -Pourquoi poser la question alors ?

    -Pour passer le temps, je suppose.

    Ils échangèrent de pâle sourire, alors que Lyan arrivait, baillant et s'étirant dans une imitation parfaite de son fils :

    -Bon, c'est parti. Réglons les derniers détails.

    Il rejoignit le petit groupe accompagné de Pakt.

    -Je crois que je devrais me joindre à eux.

    Noré acquiesça, traversa la passerelle et alla s'asseoir sur les rochers. Elle suivit du regard les représentants de chaque groupe qui se réunissait. Peut-être aurait-elle dût aller avec eux ? Mais la jeune fille savait que si elle le faisait, cela rendrait le prochain combat plus réel et elle voulait encore un peu profiter de la paix. Se détournant d'eux, Noré se perdit dans la contemplation de la mer. Nanz sortit bientôt pour rejoindre le groupe en courant.

    Progressivement, on se leva et on râla du manque de nourriture. Certains tentèrent d'aller chercher de quoi grignoter, mais ce fut insuffisant et elle se demanda comment on pouvait gagner une guerre avec des soldats affamés ? Soudain, les sorcières affluèrent de toutes parts et au sol, on cessa de bouger, de parler. Le vent les fouettait violemment, faisant tanguer quiconque se tenait debout. Un Aurien sur la passerelle, tomba à l'eau. Les arbres se penchèrent comme s'ils allaient chuter. Noré dût fermer les yeux pour éviter la poussière. Le vent soufflait si fort que des vagues se fracassèrent contre les rochers. Des gouttes l'atteignirent au visage, quant ses jambes se retrouvèrent trempées. Vino se posa près de Lyan et le vent se tut lorsque toutes les sorcières eurent posées le pied au sol. Léchant l'eau salée qui s'était perdue sur ses lèvres, Noré s'empressa de les rejoindre pour savoir ce qu'elle dirait. L'adolescente ne fut pas la seule, bientôt ce fut un véritable attroupement qui entoura la jeune femme. Lyan demanda :

    -Alors ? Quand pensez-vous détourner l'attention des gardes du siège ?

    -C'est déjà fait.

    Il y eut un silence interloqué, puis il reprit :

    -Mais... le temps que l'on arrive, ils vont revenir.

    Elle eut un rire mesquin :

    -Non, je ne crois pas. En revanche, pas mal de chevalier ont été rappelé dans le siège. Aucun doute que l'empereur sait que vous arrivez.

    -Qu'avez-vous fait pour chasser les autres ?

    La sorcière eut un regard mystérieux et traversa la foule sans rien expliquer de plus. Lyan lança donc :

    -Bon, sur ces mots, je crois qu'il est temps d'y aller, a moins que les représentants aient des questions ?

    Comme personne ne répondait, il conclut :

    -En route, alors.

    Dans le tumulte qui s'ensuivit, alors que chacun regagnait son navire, Noré rattrapa Vino :

    -Pourquoi votre attitude a-t-elle changé ?

    -Que veux-tu dire ?

    -Quand je suis venu demander votre aide, vous n'étiez absolument pas d'accord pour intervenir. Et voilà que vous faites diversion, que vous nous aiderez à ramener les blessés, qu'est-ce que cela veut dire ?

    Elle lui fit face pour lui répondre :

    -J'ai réfléchis à ce que tu m'as dit et je pense que tu as raison. Nous devons nous racheter pour notre négligence sur les effets de nos inventions sur ce monde.

    -Alors qu'est-ce que vous faisiez dans la forêt ?

    La sorcière plissa les yeux marquant son déplaisir à entendre cette question. Néanmoins, elle répondit :

    -Cela n'a rien à voir avec vous.

    Mais tandis que la sorcière prononçait ces mots, son regard dériva vers le bateau contenant les Tiark. Elle reprit son envol et une fois assurée qu'elle fut suffisamment loin, Noré s'approcha du navire des Tiark. Ceux-ci n'étaient pas sortis et la passerelle restait fermée. Elle resta longuement à attendre de les voir sortir, sans succès. Finalement, elle se résolut à rejoindre ses compagnons ne cessant de se demander ce que les sorcières pouvaient vouloir au Tiark.

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