• CHAPITRE 3

    Noré se réveilla en sursaut. Elle se redressa, resta un temps sans bouger, essayant de remettre de l'ordre dans ses pensées. La jeune fille fixa, sans les voir, les draps qui lui couvraient les jambes. Elle fronça les sourcils et regarda autour d'elle. L'adolescente s'aperçut qu'elle était dans une maison. La pièce où elle se trouvait été de taille moyenne. Les murs étaient nus, amalgame étrange de pierres grises. Sur sa gauche, contre le mur opposé, Titian ronflait doucement, installé sur un matelas de paille. Une table de bois les séparait. Dans le fond de la pièce, se trouvait une cheminée dans laquelle pendait un chaudron. Un petit meuble était installé dans le coin. Face à Noré, une porte qui menait à l'extérieur et à gauche, une fenêtre. Celle-ci était le seul éclairage de la pièce. La jeune fille entendait la mer. Elle chercha à se rappeler comment elle était arrivée là, mais ne put que se souvenir de la reine claquant des doigts et d'une étrange substance, d'un bleu épais, l'entourant.

    Un bébé se mit à pleurer, faisant sursauter Noré. Elle se retourna. Une entrée sans porte, à côté de la cheminée, menait à une autre pièce. C'est de là que provenait les pleurs du nourrisson. Elle se leva, hésitante. A pas lents, la jeune fille s'approcha de l'entrée de la seconde pièce. Lorsqu'elle fut dans l'embrasure, elle aperçut un berceau. Une femme se tenait devant, l'enfant dans ses bras. Noré sourit et lui fit un geste de la main, gênée. La femme se retourna et l'aperçut, lui rendant son sourire. Noré se demanda ce qu'elle devait faire. Elle jeta un regard à Titian qui dormait comme un bienheureux. Aucune aide de ce côté-là. Elle retourna vers la femme, soupira, opta pour une attente silencieuse. Elle patienta, la regardant s'occuper du bébé. D'un geste de la main, la femme l’invita à entrer. La pièce était de petite taille et, comme la première, ne disposait que d'une fenêtre. Celle-ci était ouverte, laissant entrer l'odeur salée de la mer. Le berceau était au centre de la pièce, sur le mut de droite étaient entassés des sacs vides et des cordes, comme une réserve qui aurait été formée au cour des années. Noré hésita un moment avant de s'approcher de la fenêtre. Comme la femme ne lui fit aucune remarque, elle en profita pour se pencher. 

    La maison était au bord d'une falaise. Tomber était la mort assurée. Prise de vertige, elle recula et reporta son attention sur la femme et l'enfant. Celle-ci recoucha le bébé. Quand ce fut fait, elle passa son bras autour des épaules de Noré et l'entraîna dans la pièce où Titian dormait. Celui-ci s'étira. La femme s'arrêta, semblant s'attendre à ce qu'il se réveille. Mais le pirate se gratta la tête, bailla et ne bougea plus. Noré entendit la femme rire doucement, puis elle emmena l'adolescente à l'extérieur.

    Devant la maison, il y avait un chemin étroit et terreux qui descendait en pente douce, entourait d'herbe tendre. Une petite barrière de bois en demi-cercle délimitait la propriété, bien qu'il ne semblait n'y avoir personne d'autre à proximité. La barrière s'étirait jusqu'au bord de la falaise, puis revenait, en la longeant, jusqu'aux murs de la maison. Une entrée, fermée par une porte en planches, se trouvait au bout du chemin. Noré aperçut deux lanternes de chaque côté du portail. La femme s'était approché de deux poteaux de bois plantés, un fil les reliant l'un à l'autre. Au pied d'un des poteaux, un panier de linge était posé. Elle se pencha, prit un vêtement dans le panier et le posa sur le fil. Tandis qu'elle s'activait à étendre le linge, elle dit :

    -Je m'appelle Ilva Xel et toi ?

    -Noré Dint.

    -Et ton frère ?

    -Mon frère ?

    -Oui, le jeune homme qui dort.

    -Ce n'est pas mon frère. Il s'appelle Titian et j'ignore son nom.

    Ilva la regarda un moment.

    -J'aurais juré que c'était ton frère. Vous vous ressemblez. Les mêmes cheveux, les mêmes yeux splendides. Mais tu as le teint plus pâle, cela dit.

    Noré sourit. Ilva avait des cheveux blonds qui lui arrivaient aux épaules. De petite taille, ses yeux d'un bleu pur, marquaient la tendresse de son visage. La jeune fille qui ignorait quoi faire de nouveau, lança timidement :

    -Vous avez besoin d'aide ?

    -Non, ça va aller.

    Elle tourna vers elle un visage joyeux. La voyant toujours debout, la femme sourit :

    -Assieds-toi, j'ai bientôt fini.

    Noré regarda autour d'elle à la recherche d'un banc ou d'un siège quelconque. N'en voyant aucun, elle en déduisit qu'elle devrait s'asseoir dans l'herbe. Elle se mit en tailleur, leva la tête vers le ciel bleu. Avec le souvenir de l'eau glacée, la chaleur du soleil la réconforta. Rêveusement, elle arracha quelques brins d'herbe en ressassant les paroles de la reine. Enfin, Ilva finit d'étendre le linge et la rejoignit. Lorsqu'elle se fut installée, Noré demanda :

    -Comment s'est-on retrouvé chez vous ?

    -Je vous ai trouvé inconscients sur la plage. J'ai pensé que vous aviez fait naufrage.

    Ilva jeta un regard interrogateur à Noré, mais la jeune fille ne dit rien, alors elle poursuivit :

    -Où allez-vous ?

    -Je dois me rendre au siège de la Métane.

    La femme parut surprise, puis son sourire réapparut :

    -Oh, pour quelles raisons ? Si ce n'est pas indiscret.

    Noré haussa les épaules :

    -J'ai des questions à poser à une personne précise.

    Ilva hocha la tête. Elle fixa un point au loin et dit rêveusement :

    -Mon mari a travaillé un temps pour le siège. Maintenant, il voyage de par le monde pour vendre les jouets qu'il fabrique.

    Son attention revint sur Noré :

    -Est-ce que ça te plairait de voir son atelier ?

    La jeune fille hocha la tête. Elle n'éprouvait aucun intérêt particulier à s'intéresser, mais cela avait l'air de faire plaisir à Ilva. Celle-ci se leva et se dirigea vers une cabane de bois qui était contre la maison, Noré sauta sur ses pieds et la suivit. Des étagères remplies de morceaux de papier et de bois longeaient les murs. Un tonneau, posé dans un coin était rempli de diverses sortes de tissus. Un bureau, surplombé d'une fenêtre avec vue sur la mer, était jonché d'outils, de copeaux de bois et autres. La jeune fille aperçut un parchemin à moitié ouvert sur le sol. Curieuse, elle le pointa du doigt et demanda à Ilva :

    -Je peux ?

    La femme hocha la tête en souriant. Noré le ramassa et le déplia complètement. Il représentait quatre cercles alignés verticalement sur la gauche et quatre autres dans la même position sur la droite. Au centre de chacun des cercles s'en trouvait un plus petit. Ilva s'approcha d'elle et lui expliqua :

    -Ce sont les sièges de la Métane et de la Sinia. Chaque siège comprend quatre anneaux et chaque anneaux uns sphère.

    Noré s'en était doutée, mais elle ne dit rien. Sa mère lui avait déjà expliqué comment cela fonctionnait. Elle vit que les cercles de gauche, titrés anneaux de la terre, étaient numérotés de un à quatre. C'était la Sinia. Ceux de droite, le siège de la Métane, étaient numérotés de cinq à huit. On les nommait anneaux du ciel. Noré traîna sur le petit cercle dans le septième anneaux. C'était dans cette sphère que siégeait Lyan. Elle passa son doigt dessus d'un geste rêveur. Puis, la jeune fille se rendit compte qu'Ilva avait continué de parler. Elle prêta l'oreille à temps pour la fin de sa phrase :

    -.... C'est comme une division des pouvoirs. Chaque anneau supervise celui qui est en dessous de lui.

    La jeune femme soupira :

    -Malheureusement, personne ne supervise les anneaux quatre et huit. C'est pour cela que les deux hommes qui dirigent les sphères de ces anneaux sont nommés chef suprême. Il y a le roi Lexande, pour la Sinia et l'empereur Daron pour la Métane.

    Les yeux toujours sur la sphère du septième anneaux, elle dit d'une voix vague :

    -Oui, je me souviens. Ma mère m'avait expliqué que chaque anneau comporte une sphère. Chaque sphère à un chef élu qui est responsable de l'anneau... un truc comme ça non ?

    Ilva rit et Noré releva les yeux sur elle :

    -Oui. Pour résumer la hiérarchie. Au niveau des anneaux le un et le cinq sont les plus bas, alors que le quatre et le huit sont les plus haut. De même, à l'intérieur des anneaux. Le chef élu au sommet, puis les membres de la sphère, et, eu plus bas, les membres de l'anneau.

    La jeune fille se concentra de nouveau sur le schéma :

    -Y avait pas plus simple ?

    Ilva rit, prit doucement le parchemin des mains de Noré et le referma. Pendant qu'elle le rangeait, l'adolescente observa, sans vraiment y faire attention, les jouets en bois qui s'amoncelaient au pied du bureau. Des poupées, des toupies... La jeune fille resta figée, une question lui était venue à l'esprit.

    -Ilva.

    -Oui ?

    -Pourquoi sont-ils numérotés de cette manière ?

    -Les cercles ? Eh bien, je crois que c'était pour qu'ils se complètent. Montrer que les deux sièges ne peuvent fonctionner l'un sans l'autre. Je pense que c'est un moyen d'éviter les guerres.

    La jeune fille fronça le sourcil. En Sinia, le nombre de navire se rendant en Métane avaient diminué à cause de tension entre les deux sièges. Elle avait même aperçut des affiches conseillant aux habitants de se préparer à une guerre prochaine. Aussi demanda-t-elle :

    -Mais, ne sommes-nous pas en guerre ?

    Le visage d'Ilva s'assombrit :

    -Disons que l'on est proche.

    -Pourquoi c'est arrivé ?

    -Je l'ignore. On ne sait pas exactement ce qui se passe entre les deux sièges, mais apparemment quelque chose n'a pas marché cette fois-ci.

    -Quoi ? Qu'est-ce qui aurait pu ne pas marcher ?

    -Eh bien, je me souviens que ma mère me disais que, de façon irrégulière, il y avait un échange entre les deux continents. Un jour, j'étais encore petite, elle m'a emmené sur le lieu où quelqu'un venait annoncer que tout c'était déroulé correctement. Il y avait une foule monstrueuse. Je me souviens qu'un homme est arrivé, qu'il est monté sur une estrade et a dit que l'échange n'avait pas eu lien. Cela doit en être la cause.

    -Ça fait des années ! Comment ça se fait que l'on ne soit pas déjà en guerre ?

    -Je suppose que les sièges ont négocié pour retarder cela. Je doute qu'ils veuillent un conflit.

    Noré resta pensive, se demandant en quoi consistait l'échange. Si c'était pour conserver la pais entre les deux sièges, cela devait être un trésor. Elle se plut à imaginer des monceaux d'or débordant de centaine de coffre. Ilva sortit. La jeune fille jeta un dernier coup d’œil à l'étable et la rejoignit.

    Dehors, Noré s'étonna de voir que le soleil commençait à baisser. Elle se demanda combien de temps elle était restée inconsciente. Elle haussa les épaules et rattrapa Ilva qui l'attendit à la porte de la maison. Elles rentrèrent. Titian était assis sur un siège, les cheveux ébouriffés. Il leur jeta un regard encore plein de sommeil. Noré s'approcha :

    -Ça va ?

    Il la fixa en silence, son cerveau embrumé cherchant à se rappeler de qui il s'agissait. Finalement, il dit :

    -J'ai faim.

    -Je prépare tout de suite le dîner.

    Le pirate porta son attention sur Ilva qui se précipitait déjà vers le coin de la pièce qui, visiblement, servait de cuisine. Lorsqu'elle s'occupa à ouvrir le meuble et fouillait dedans, le jeune homme demanda discrètement à Noré :

    -Qui c'est ça ?

    -C'est Ilva. Elle nous a retrouvé sur la plage.

    -Oh.

    Il resta à fixer le vide, puis se leva, s'étira, se gratta la tête et bailla. L'enfant se remit à pleurer. Titian jeta des regards tout autour de la pièce, impassible, et dit :

    -Y a un truc qui pleure.

    -C'est le bébé d'Ilva. Son mari est en voyage.

    Ilva, qui se tenait devant la cheminée à présent, jeta par-dessus son épaule :

    -Noré ? Tu veux bien aller chercher Yeone pendant que je cuisine ?

    La jeune fille acquiesça, malgré l'inquiétude qui l'assaillait de mal s'y prendre. Elle entra et regarda le bébé dans le berceau. Elle le prit délicatement dans ses bras, revint dans l'autre pièce. Lorsque Noré reparut, Ilva lui sourit. Celle-ci quitta son poste devant la cheminée et retourna près du meuble. La jeune fille s'installa sur le lit et berça le bébé qui continuait de crier. Titian grogna, se plaqua les mains sur les oreilles et se laissa tomber face contre terre. Ilva sortit une corne de vache percée qu'elle recouvrit d'un tissu enroulé. Elle s'assit sur un des tabourets à trois pieds qui étaient rangés sous la table :

    -Donne-la moi.

    Noré se releva et s'approcha. Ilva prit l'enfant pour le caler au creux de son bras. Elle tendit son autre bras vers la cruche posée sur la table, versa un peu du lait qui s'y trouvait dans la corne, reposa la cruche et donna la corne à l'enfant. L'adolescente retourna s'asseoir sur le lit en la regardant faire.

    Titian se gratta la tête avant de se décider à se relever. Il sortit, suivit du regard par Noré. Celle-ci, jetant un coup d’œil à Ilva et jugeant qu'elle ne serait d'aucune utilité ici, se décida à suivre le pirate. Il se tenait debout derrière la barrière, face à la mère. Elle vint près de lui et ils restèrent silencieux un moment, avant que Noré ose demander :

    -Où va-t-on maintenant ?

    -T'avais pas un gars à voir ?

    -Si, mais je ne sais pas où on est, ni comment aller au siège.

    Titian s'étira et eu un sourire moqueur :

    -Et tu as déduit que je t'y emmènerais ?

    Noré soupira. Elle ne pouvait nier que pour elle, il paraissait évident qu'ils continueraient la route ensemble. Après tout, il l'avait sauvé. La jeune fille se sentit soudain découragée. Elle avait été stupide de s'embarquer sur ce bateau, stupide de partir à la recherche de cet homme. Qu'est-ce que cela pouvait lui apporter de le rencontrer. Mais elle n'avait plus rien qui aurait pu la retenir en Sinia. Alors, qu'elle soit ici ou là-bas, cela ne faisait aucune différence. Noré lâcha dans un soupir :

    -Je sais pas quoi faire.

    Titian laissa un temps de silence avant de dire en ricanant :

    -Tu veux en savoir une bonne ?

    Elle le regarda avec curiosité. Le pirate se gratta la tête en disant 

    -Je n'ai pas la moindre foutue idée de l'île où l'on est.

    La jeune fille sourit malgré elle.

    -Que vas-tu faire ?

    -Je vais t'emmener au siège.

    -Je croyais...

    Il ne la laissa pas finir :

    -Maintenant que j'ai quitté mon capitaine et, je te le dis gentiment, ça m'étonnerais qu'il laisse passer ça comme ça. Je n'ai rien à faire, alors pourquoi ne pas aller me perdre joyeusement dans les méandres du monde terrestre.

    -Tu as peur des sirènes, hein ?

    -Comme dit, la baignade ce ne sera pas pour tout de suite. 

    Et quand tu dis que le capitaine ne va pas laisser passer ça, tu crois qu'il va nous chercher ?

    -Oh, que oui et pour la chasse, il est plutôt doué.

    -Mais pourquoi ? Je veux dire, pourquoi est-ce qu'il perdrait son temps à ça ?

    Titian perdit son regard dans le lointain. Noré l'entendit soupirer et lorsqu'elle tourna la tête vers lui, le pirate fixait le sol à ses pieds avec une expression sur le visage qu'elle ne put déchiffrer. Il retourna vers la maison sans lui répondre. La jeune fille voulut le rappeler, mais, finalement, préféra  ne pas insister. Elle le suivit, remarqua qu'il s'était arrêté quelques instant pour observer le chemin. Il s'en détourna et rentra. Noré chercha à voir ce qu'il regardait. Ne remarquant rien de spécial, son regard se perdit vers le ciel. Il se teintait des couleurs du couchant. Le vent soufflait plus fort et l'air s'était rafraîchit. Elle rentra à temps pour entendre Titian hurlait à Ilva qui était retournée dans la pièce du fond :

    -Il y a des lanternes dehors !

    -Oui, je les allume tous le soirs pour que mon mari se repère, au cas où il rentrerait de nuit.

    Le pirate fit la grimace :

    -Ah. Ce serait bien d'éviter ce soir.

    Ilva passa une tête perplexe par la porte :

    -Pourquoi cela ?

    -On partira tôt, demain matin.

    Noré nota qu'il avait éviter de répondre. Le jeune homme alla s'asseoir lourdement sur le tabouret utilisé plus tôt par Ilva. L'adolescente s'approcha et tira un autre tabouret de sous la table. La femme finit par reparaître pour aller s'occuper de ce qui cuisait dans le chaudron. Noré lui proposa son aide, qu'elle déclina en souriant. Elle sortit trois bols et cuillères du meuble, les remplis au chaudron avant de les poser sur la table. Sans attendre Titian en prit un et dévora son contenu. Le ventre de Noré s'était mis à gargouiller dès que l'odeur de la soupe avait envahit l'air, mais elle attendit poliment qu'Ilva s'installe avant de prendre une première cuillerée.

    -Pourquoi devez-vous partir tôt demain ?

    L'adolescente abandonna son bol pour voir la réaction du pirate. Titian soupira, se gratta la tête, hésita encore, s'étira, pour enfin se décider :

    -Des hommes nous cherchent.

    Noré se sentit obligée de préciser :

    -Mais nous n'avons rien fait de mal.

    Ilva lui sourit :

    -Je sais. Tu es trop jeune pour cela.

    Titian ricana :

    -Cela ne veux rien dire. Vous m'auriez vu à son âge...

    Noré remarqua que la jeune femme attardait, quelques temps, son regard sur la marque que le garçon portait au cou :

    -J'imagine.

    La jeune fille reprit :

    -Nous ne sommes pas obligés de partir tôt, on peu rester un peu.

    En vérité, elle se plaisait ici. Elle se sentait en sécurité. Mais Titian bailla en disant :

    -Ils nous retrouverons, si ce n'est pas déjà fait.

    Noré eut un sourire inquiet :

    -Ils ne peuvent pas nous retrouver si vite, c'est impossible.

    Le pirate lui jeta un regard sombre :

    -Ils le peuvent, crois-moi.

    Elle déglutit avec difficulté. La réputation du pirate aux cheveux océan n'était donc pas exagérée, il devait posséder de grands pouvoirs. Titian finit son bol et alla se coucher. Il s'endormit presque aussitôt.

    -Eh bien, il manquait vraiment de sommeil.

    Noré sourit à Ilva, mais son inquiétude avait grandi.

    -Nous dormirons toutes les deux dans le lit ce soir. J'espère que ça ne te dérange pas.

    La jeune fille hocha négativement la tête. Elle n'y avait pas fait attention jusque là, mais le lit dans lequel elle s'était réveillée, était assez grand pour deux. Noré finit de manger et alla se glisser sous les draps, sans trouver le sommeil. Elle écouta Ilva s'activer un bon moment avant qu'elle ne la rejoigne.

    Ce devait être le milieu de la nuit. Yeone s'était mise à pleurer. Noré fut réveillée. Elle entendit Ilva se lever et se glisser dans l'autre pièce. La jeune fille referma les yeux en essayant de se rendormir, lorsqu'un brouhaha se fit entendre dehors. Elle se redressa pour s'assurer de ne pas se tromper. Le silence dura quelques secondes et, de nouveau, les bruits se firent entendre. C'étaient des pas. Parfois, il lui semblait distinguer des sons métalliques. Noré sauta du lit et jeta un regard à la porte d'entrée. Par la fenêtre, il lui sembla voir une lueur briller. Ilva, l'enfant dans les bras, revint près d'elle et murmura, pour ne par réveiller Titian qui ne bougeait pas d'un pouce :

    -Ce doit être mon mari.

    Sur le même ton, Noré demanda :

    -Ces lueurs dehors... vous avez allumé les lanternes ?

    Mais Ilva ouvrait déjà la porte et se glissait dans la nuit. La jeune fille suivit. A l'extérieur, on ne distinguait que des masses sombres qui remontaient la pente. Noré légèrement en retrait s'arrêtait à demander qui cela pouvait être, mais Ilva se retourna brusquement. Elle aperçut la jeune fille et lui lança le bébé. L'adolescente, surprise, resta figée. L'enfant hurlait. 

    Dès lors, tout se passa très vite. Titian, surgissant sans crier gare, passa devant elle et rattrapa le bébé. La lune éclaira un objet long et métallique. Ilva fut traversée de part en part, emportée par l'élan, alla se ficher dans le mur de sa maison, les pieds frôlant le sol. Elle mourut avant d'entendre le hurlement de Noré mêlé à ceux de son enfant. Titian agrippa la jeune fille et l’entraîna à l'intérieur. Il lui donna Yeone :

    -Va dans la pièce du fond.

    Elle obéit, encore sous le choc. Titian ferma la porte, poussa la table devant et la rejoignit. Il marcha droit sur la fenêtre qu'il ouvrit :

    -Vas-y, passe.

    -C'est une falaise, je vais tomber.

    Le pirate jeta un coup d'oeil alentour. Il aperçut le tas informe que formait les cordes et les sacs. Il se jeta dessus, prit une des cordes, en attacha un bout autour de la taille de Noré, la souleva et la posa sur le rebord de la fenêtre.

    -Allez.

    Noré resserra son étreinte sur l'enfant. Elle passa les jambes de l'autre côté et se retrouva à fixer le vide. Elle tint le rebord de la fenêtre d'une main, pour se laisser glisser jusqu'aux premières roches. Seuls ses talons tenaient sur la sailli rocheuse. La jeune fille, dos au mur,  observa, terrifiée, les vagues noires qui s'écrasaient sous elle. Le vent lui ébouriffait les cheveux et la faisait chanceler. Lentement, elle se retourna et fixa son attention sur les prises potentielles. Titian jetait des regards inquiets par-dessus son épaule, tandis que des coups résonnaient dans l'autre pièce. Noré fit doucement glisser une jambe, puis l'autre. Le pirate lâcha un peu la corde. Le cœur battant, elle s'accrocha plus fort au rebord de la fenêtre.

    -Lâche, je te fais descendre.

    A contrecœur, la jeune fille obéit. Elle ferma les yeux de toutes ses forces tandis qu'elle se balançait dans le vide. Elle se força à les rouvrir, juste à temps pour apercevoir un renfoncement dans la roche. Elle cria au garçon :

    -Arrête ! Je vois une sorte de trou.

    La descente stoppa. Elle se balança du mieux qu'elle put, malgré le vent. Noré sentit le bout de ses pieds frôler la pierre et se balança encore plus fort. Cette fois, elle réussit à prendre pied, mais une bourrasque la relança sur le côté. Elle eut le réflexe de s'accrocher au bord de la cavité, son épaule frappant douloureusement la falaise. La jeune fille balança sa jambe sans le renforcement et, au prix d'un grand effort, réussit à se hisser à l'abri.

    -J'y suis !

    La voix de Titian lui parvint, assourdi et presque indistincte :

    -Détache la corde !

    Noré ne perdit pas de temps à se demander pourquoi. Elle posa l'enfant devant elle, courbée en deux, et s'appliqua à obéir. Les mains tremblantes, la panique au cœur, l'exercice fut difficile. Lorsque ce dut fait, elle jeta la corde, espérant que Titian verrait qu'elle était détachée. La corde disparut, la rassurant. Noré s'accroupit, du mieux qu'elle put dans la petite cavité. Même de cette façon, la jeune fille devait pencher la tête en avant pour tenir. Elle cala le bébé hurlant contre elle. Au-dessus, il lui sembla entendre la fenêtre se fermer. L'adolescente se mit à fredonner une berceuse que sa mère lui chantait, pour la calmer. Aux hurlements de l'enfant succéda le hurlement de rage de Titian lorsque la porte explosa. Elle voulut se persuader que c'était le vent, sans y parvenir. Dans sa tête, Ilva mourrait encore et encore.

    Les yeux fixés sur un paysage, qu'elle ne put s'empêcher d'admirer. Noré tenta d'oublier la bataille au-dessus de sa tête. La pleine lune luisait dans le noir magnifique du ciel. Son reflet dansait joyeusement dans les vagues, se moquant des cris qui déchiraient la nuit, que même la fenêtre close n'étouffait pas. Le vent qui soufflait semblait vouloir faire chuter Noré de son refuge, mais elle tenait bon. Les vagues qui s’élançaient, sombres, sinistres semblaient vouloir terrifier la jeune fille tremblante qui, un bébé endormi contre elle, pleurait en fredonnant.

     

    « Ah, les Coquinou...Chapitre 4 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :