• Chapitre 16

    Tremon courait comme jamais. Les fillettes les avaient mené aux abords d’une rivière dont un renfoncement légèrement au-dessus de l’eau faisait une cachette parfaite. Il avait demandé à Miral de rester là avec Seih. Le garçon avait à peine hoché la tête et Tremon n’était pas sûr que l'adolescent est vraiment prêté attention à ce qu’il avait dit, mais il ne voulait pas s’attarder. L’odeur du sang de Seih l’avait poussé à voler à son secours, pourtant il s’inquiétait plus pour Ylios, inconscient dans les bois. Avec un peu de chance, les chasseurs ne l’auraient pas trouvé et si c’était le cas… garde le contrôle. Quoi qu’il arrive, garde le contrôle. Tremon respirait régulièrement, faisant de grandes enjambées. Il se dirigeait sans peine grâce à l’odeur du lion. Il traversa l’endroit où se trouvait encore les restes des deux hommes et s’arrêta net. Il fixa le sol soudain soucieux. Il était là. Je l’avais laissé là. Il fit un tour sur lui-même comme si Ylios pouvait brusquement réapparaître. Tremon entendit les voix et les pas des chasseurs plus loin et l’odeur du lion qui s’y trouvait aussi. Il se remit à courir, mais il sentit la chose bouillir en lui. Garde le contrôle. Cette fois, il savait que la chose l’emporterait. Garde le contrôle. Une douleur lui coupa le souffle, il perdit l’équilibre, réussit à se stabiliser pour se remettre à courir. La crise arrivait. Non, non, non, garde le contrôle. Un nouveau choc sous les côtes lui arracha un hurlement. L’adolescent tomba à genoux. Il tenta de se redresser, mais ses jambes lâchèrent. La crise était là. Ylios, aide-moi. Mais Ylios ne pouvait pas l’aider. Il n’était pas loin, il le sentait. Tremon serra les dents. Il devait rentrer en lui-même, mater la chose avant qu’elle ne sorte. Il sentit ses muscles se contracter, le garçon ne maîtrisait plus rien. Tremon imagina son crâne qui se fracassait contre le sol et fit de son mieux pour rester conscient. Si personne n’était là pour le maintenir, c’était le seul moyen qu’il avait de faire passer la crise. Ce serait plus long, plus douloureux, mais il ne fallait pas que la chose sorte.

    Un poids s’aplatit soudain sur son torse, lui coupant le souffle. Il réussit à pencher la tête suffisamment pour apercevoir Gialema. Elle était moins forte que Ylios, cependant la jeune fille se plaça à califourchon sur lui, lui plaquant les épaules au sol de toutes ses forces. C’était mieux que rien. Les yeux de Tremon se révulsèrent alors qu’il rentrait en lui-même faire face à la chose. Sa dernière vision consciente fut les larmes de Gialema qui lui tombait sur le torse.

     

    Miral avait retiré son pull pour tenter de mettre Seih au chaud, bien qu’il eût conscience que cela serait vain. Les deux fillettes étaient blotties l’une contre l’autre, jetant des regards alentours pour voir si les hommes risquaient de les trouver. L’adolescent respira profondément. Le tremblement de ses mains avait cessé, son esprit c’était éclaircie. A présent, il se demandait ce qui était arrivé aux autres. Tremon n’aurait aucun mal à les retrouver, ça, il en était certain, même s’il ne savait pas vraiment comment il pouvait en être si sûr.

    -Écoutez les filles. Je vais aider mon ami, d’accord ? Il faut que vous restiez là et gardez un œil sur elle. Vous voulez bien ?

    La plus grande des fillettes hocha la tête et, comme pour marquer le sérieux de sa décision, elle s’avança pour prendre la main longue et pâle de Seih dans la sienne. Miral réussit à lui sourire avant de sortir de leur cachette. Il guetta un instant pour s’assurer que personne ne passait et se mit à courir. L’adolescent n’avait pas l’ouïe de Seih, ni l'odorat de Ylios, mais il pourrait se débrouiller. Il lui faudrait pourtant retrouver la cabane et de là, revenir à la caisse où il avait été prisonnier. A partir de ce point, le garçon espérait repérer l’odeur d’un de ses amis.

    Même si son esprit avait décroché alors qu’il transportait Seih en lieu sûr, Miral réussit à se souvenir de détails qui le ramenèrent à la cabane. Il se planqua lorsqu’il fut en vue, au cas où d’autres hommes seraient venus entre temps, mais tout était silencieux. L'adolescent allait s’en éloigner, quand une idée lui traversa l’esprit. Revenant sur ses pas, il pénétra dans la petite pièce sale avec précaution. Il évita de jeter un regard vers la table et se faufila directement dans l’autre pièce. Miral repéra rapidement la caisse que Tremon avait trouvé, contenant les fioles de liquide transparent. Il en prit deux, chercha des piqûres sans en trouver et décida de repartir sans s’attarder.

    L’adolescent retrouva la caisse, mais passa sans s’arrêter. Comme il l’avait espéré, l’odeur de ses amis commençait à lui emplir les narines. Il n’était pas assez doué pour distinguer l’odeur de chacun, mais au moins, ils semblaient tous se trouver au même endroit. Il se figea avec horreur en découvrant un rocher au pied duquel des membres et des viscères étaient éparpillés. Un haut-le-cœur le saisit et Miral s’empressa de partir avant de vomir. Les odeurs entremêlées se faisaient plus fortes comme il avançait.

    Il aurait presque hurlé de joie en apercevant Gialema si celle-ci ne l’avait pas vu avant et lui avait fait signe de ne pas faire de bruit. Miral remarqua en s’approchant, la silhouette de Tremon sur le sol qui tentait de se relever en cherchant l’air. Le jeune homme s’inquiéta :

    -Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    Gialema avait visiblement pleuré. Elle essuyait ses yeux rougis avec son bras :

    -Tu l’aurais vu. Il bougeait dans tous les sens. Ça m’a foutu une de ces trouilles. J’ai cru qu’il allait mourir.

    Miral eut pitié de son amie en comprenant à quoi elle faisait référence. Ylios leur avait décrit la crise, mais ce n’était certainement pas la même chose de se retrouver face au phénomène. Il ne put s’empêcher d’être soulager qu’il n’ait pas été là. Après Seih, il n'était pas sûr de supporter encore un drame. Le garçon s’accroupit près de Tremon qui avait réussi à s’agenouiller :

    -Ça va aller ? On doit faire autre chose ?

    Tremon secoua la tête, puis son regard s’éloigna. Il inspira une dernière fois avant de réussir à dire :

    -Ils se sont arrêtés.

    Miral regarda autour de lui :

    -Quoi ? Qui ça ?

    Gialema lui répondit en se rapprochant d’eux et baissant la voix :

    -Il y avait des hommes. Ils m’ont poursuivi un moment avant de repartir.

    Miral chercha autour d’eux sans rien voir et demanda brusquement :

    -Où est Ylios ?

    Gialema fixa le sol :

    -Je craignais qu’ils ne l’aient trouvé. C’est pour ça que je suis revenu.

    Tremon ne semblait pas prêter attention à ce qu’ils disaient. Miral était surpris :

    -Comment ça, trouvé ? Il est où ?

    Gialema allait répondre quand Tremon bondit sur ses pieds. Miral sentit son cœur s’affoler et des frissons parcoururent son corps. Cette réaction n’annonçait rien de bon. Gialema avait aussitôt suivi le mouvement et Miral les imita. Sans crier gare, Tremon se mit à courir.

    -Mais, il va où ?

    Gialema lui dit tout en se lançant à sa poursuite :

    -Vers Ylios.

    Il y a un problème, c’est sûr. Putain, un problème. Il n’avait pas envie d’y aller, mais ses jambes le portèrent tout de même en avant. Il y eut un hurlement sauvage que Miral n’identifia que plus tard comme étant celui de Tremon. Le jeune homme avait couru, droit sur un homme qui était penché sur le sol, le renversant d’un brusque coup d’épaule. Miral lâcha un juron en voyant qu’il y en avait deux autres. Tremon avait foncé sans réfléchir, mais Miral ne voyait que le fusil et l’arc des deux autres. Gialema s’était figée devant le regard meurtrier de l’archer qui s’était tourné vers eux, une fois l’effet de surprise passé. Miral comprit que le temps qu’il encoche une flèche était le seul temps dont il disposait pour agir. Il courut vers lui, espérant le faire chuter comme Tremon l’avait fait avec le premier. Il entendit le déclic du fusil, mais refusa de ralentir sa course. Il saisit l’homme à la taille, poussant fortement sur ses jambes pour le faire basculer. Miral profita du choc provoquait pour jeter un coup d’œil sur sa gauche, là où l’homme au fusil se tenait. Alors que celui-ci s’était concentré pour tirer sur Miral, Gialema en avait profité pour se transformer en souris et se glisser dans son dos. Elle redevint humaine et lui bondit dessus, s’accrochant à son cou de toutes ses forces. Le coup partit, mais la balle alla se loger dans un arbre.

    Miral sentit une main lui saisir la gorge, l’obligeant à chercher de l’air. Il vit l’archer prendre une flèche dans son carquois et lever le bras pour la lui planter dans le crâne. Tremon surgit soudain, donnant un coup de pied violent à la tête de l’homme dont les bras retombèrent, inerte. Miral inspira l’air à grande bouffée. Gialema avait été jeté au sol et le dernier homme s’apprêtait à tirer quand Tremon lui tomba dessus. Le jeune homme s’était saisi d’une des flèches au passage pour la planter dans les reins du chasseur qui lui tournait le dos. L’homme poussa un hurlement avant de s’effondrer. Tremon lui envoya également un coup de pied dans la tête. Juste au cas où, je suppose. Ce n’est qu’à ce moment que Miral remarqua Ylios allongé par terre, à peine à quelques centimètres du corps de l’archer. Il entendit son ami grogner alors qu’il commençait à bouger. Tremon s’approcha et en voyant Ylios ouvrir les yeux, Miral lut sur son visage un réel soulagement et une joie qu’il ne lui avait jamais connu. Ce serait presque touchant s’il ne venait pas d’assommer trois gars sans hésitation. Bien sûr, s’il n’avait pas été là, ils seraient probablement morts tous les trois. Pourtant, Miral ne pouvait s’empêcher d’être choqué de l’aisance avec laquelle il s’était débarrassé de leurs adversaires. Ylios murmura quelque chose et le visage de Tremon s’obscurcit, reprenant son air trop sérieux pour son âge. Miral s’approcha à son tour :

    -Qu’est-ce qu’il a dit ?

    Tremon garda les yeux sur Ylios :

    -Il attends ses parents.

    Miral sentit la présence de Gialema dans son dos. Aussi soudainement qu’il était passé du soulagement au sérieux, Tremon gifla Ylios si violemment que Miral et Gialema sursautèrent, le dévisageant avec des yeux ronds. Le jeune homme se redressa dans un sursaut en poussant un cri :

    -Aïeuh ! Mais t’es malade !

    Tremon se ferma à nouveau :

    -Il faut qu’on y aille. Dépêche-toi de te lever.

    Miral passa un bras autour des épaules de Ylios en jetant un regard noir à Tremon. Dommage, il commençait presque à l’apprécier. Gialema vint se mettre de l’autre côté en demandant avec inquiétude :

    -Ça va, Ylios ? Tu te sens bien ?

    Leur ami avait encore le regard vague, mais il réussit à concentrer son attention sur chacun de ses deux compagnons :

    -La vache, qu’est-ce que vous avez grandi.

    Miral et Gialema échangèrent un regard en aidant l'adolescent à se mettre debout. Tremon repartait déjà en direction de leur planque. Miral espéra que les deux fillettes n’avaient pas eu de problème. Il réalisa ensuite que Tremon risquait de l’engueuler pour être partit contrairement à ce qu’il lui avait demandé. Profitant que Ylios se mettait à marcher tout seul, bien qu’il semblât encore avoir du mal à réaliser où il se trouvait, Miral accéléra le pas pour rejoindre Tremon qui les devançait. Il préférait régler cela de suite :

    -Hé, Tremon. Écoute, je sais que tu m’avais dit de rester avec Seih et les petites, mais comme ça semblait aller, je me suis dit que les autres avaient plus besoin de mon aide.

    Tremon garda le regard fixait sur son chemin et se contenta de marmonner :

    -Tu fais ce que tu veux. En attendant, si quelque chose s’est produit en notre absence…

    Il ne termina pas sa phrase. Miral n’en avait pas besoin. Il voyait où il voulait en venir. Si quelque chose était arrivé, ce serait de sa faute. Miral fit la grimace, mais ne trouva rien à répliquer. Tremon n’avait pas tort. Gialema les rattrapa :

    -On va trouver Seih ?

    Miral hocha la tête en jetant un regard en biais à Tremon. Enfin, on espère.

    -Il y avait mes parents.

    Ils se tournèrent vers Ylios qui reniflait en essuyant ses joues. Il leur jeta un regard vide avant de contempler ses pieds. Miral n’était pas sûr de vouloir savoir ce dont il parlait, mais il tourna les talons pour le rejoindre. Gialema fit de même et prit son bras. Ils n’avaient rien à dire, mais Ylios ne semblait pas en avoir besoin. Il ne pleurait déjà plus. Tremon ne leur jeta pas un regard, avançant à pas rapide vers leur planque.

    « Recapitulatif de la semaine du 14Chapitre 17 »

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :