• Chapitre 14

    Seih se réveilla et aperçut des barreaux de fer. Elle chercha dans sa mémoire le mot que cela lui inspiré. Des barres de fer ainsi rapprochées, cela formait quelque chose. La jeune fille roula sur le dos et voyant la plaque de bois au-dessus de sa tête, le mot lui revint soudainement, lui tirant une grimace. Une cage. Elle se redressa, repliant ses jambes sous elle pour tenir plus confortablement. L’adolescente bailla ostensiblement avant de battre des paupières pour tenter de se réveiller rapidement.

    Quand Seih fut enfin en pleine possession de ses moyens, elle observa le local dans lequel elle était détenue. Les murs étaient de pierre, une vieille fenêtre aux vitres jaunis se trouvait en hauteur. C’était la seule lueur de la petite pièce encombrée de caisse en désordre. Son regard tomba sur un grand bocal contenant deux fillettes à la peau verte. Elles observaient Seih avec des visages curieux et inquiets.

    -Bonjour.

    Elles se reculèrent pour se blottir l’une contre l’autre comme si Seih leur avait crié dessus. Voyant cette réaction, la jeune fille attendit quelques secondes avant de demander en baissant la voix :

    -Savez-vous où nous sommes ?

    L’une des fillettes jeta un regard en coin que Seih suivit. Face à sa cage, une porte à semi-ouverte laissait apparaître un homme à la peau verte, au sol. Lorsque Seih réalisa qu’il était mort, elle retint un cri en reculant brusquement. Une douleur lui traversa le crâne quand la jeune fille se tapa contre les barreaux. Le corps dans l’autre pièce bougea et c’est seulement à cet instant qu’elle réalisa qu’il y avait d’autres personnes. Elle les entendit transporter le cadavre, une porte se ferma puis se rouvrit. Une voix forte lança :

    -Ha ! Maintenant, passons à quelque chose de plus intéressant.

    La porte menant à l’endroit où se trouvait la cage de Seih s’ouvrit complètement :

    -Le cadeau que vous m’avez ramené. Ça va me changer des grenouilles.

    Un homme aux cheveux gris entra dans la pièce, le visage radieux. Un autre, plus jeune pointa les deux fillettes du doigt :

    -On les relâche celles-là alors ?

    Le plus vieux s’accroupit devant la cage :

    -Non, non, j’en aurais besoin si celle-là ne suffit toujours pas.

    Blottie au fond de la cage, Seih resta immobile. Quand il ouvrit la porte, la jeune fille s’agrippa aux barreaux. Alors qu’il s’approchait pour lui saisir les jambes, Seih commença à se débattre en tentant de lui envoyer ses pieds à la figure. La lutte fut courte. Sans doute était-ce dû à une très longue pratique, car l’homme l’immobilisa sans difficulté. L'adolescente réfléchit rapidement entre rester dans la cage et se laisser emmener dehors. Elle s’agrippait de toute ses forces aux barreaux pendant que l’homme essayait de l’extraire. Une fois hors de la cage, elle pourrait tenter de s’échapper. Valait-il mieux lâcher prise ? La jeune fille ne pouvait pas encore se transformer et cela réduisait ses chances de les surprendre et de s’envoler.

    Un hurlement lui déchira la gorge quand le jeune homme qu’elle avait oublié, trop obnubilée par celui qui lui tenait les jambes, passa derrière la cage pour lui saisir le bras et le tordre. Seih se retrouva allongée, maintenue par les deux hommes. Le plus jeune posa le genou sur son avant-bras et appuya de tout son poids. Seih hurla quand la douleur traversa son épaule coincée entre les barres. Elle réussit à relever la tête pour voir le jeune approchait une aiguille du creux de son coude. Elle s’immobilisa aussitôt, craignant que le moindre mouvement ne la blesse quand la pointe passerait sous sa peau.

    Aussitôt, ses sensations s’estompèrent. Elle ne sentit plus le poids de l’homme sur son bras, ni les bras de l’autre autour de ses jambes. Sa tête pesa lourdement jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus la soulever. Cependant, ses yeux restaient ouverts et sa conscience refusait de s’éteindre. Seih aurait préféré perdre conscience. Bien qu’elle ignorait encore ce qui l’attendait, l’adolescente se doutait que ce n’était rien de bon. Les deux hommes la sortirent de la cage et la portèrent dans la pièce voisine où ils la déposèrent sur une table.

    Une odeur de moisissure la saisit à la gorge et son visage tourné lui laissa voir des fenêtres crasseuses sous lesquelles des tables étaient encombrées d’outils et de déchets. On lui tourna la tête vers le plafond pour qu’elle soit droite. Le jeune homme était hors de son champ de vision, mais le plus âgé se pencha sur elle pour lui dire en souriant :

    -Pas d’inquiétude, ma jolie, tu ne sentiras rien. C’est une petite formule de ma composition.

    Seih écoutait à peine, trop préoccupée par les sons qu’elle entendait à côté. Du métal, léger, ce qu’elle avait entraperçu sous les fenêtres lui fit venir le mot « outil » à l’esprit. Son cœur battait la chamade, sa respiration devint irrégulière alors que le plus âgé se redressait pour se tournait vers le jeune qui portait un plateau.

    -Tu risques de sentir une légère pression.

    A force de baisser les yeux, cela devint douloureux et la jeune fille dut se résoudre à fixer le plafond. Les deux hommes étaient sur sa gauche et le plus âgé s’empara d’un objet qu’elle ne vit pas avant de sentir un léger poids remontant le long de son ventre.

    Seih sentit les larmes perlaient au coin de ses yeux en réalisant qu’on l’éventrait.

     

    Miral suivait Tremon avec peine. Il courait plus vite qu’il ne l’imaginait. Soudain, Tremon se laissa glisser au sol pour s’allonger. Miral fit de même en demandant, essoufflé :

    -Il se passe quoi au juste ?

    Tremon plaça un doigt sur ses lèvres et sembla écouter quelques secondes avant de demander à son compagnon :

    -Peux-tu te transformer ?

    Miral hocha la tête. La blessure était guérie et la frayeur était tombée.

    -Très bien. Va tout droit, il y a une cabane, il faut que tu y entres et que tu reviennes pour me dire combien d’hommes ils sont.

    Miral ouvrit des yeux ronds :

    -Pourquoi ? Comment tu sais ?

    Tremon lui jeta un regard glacial :

    -Dépêche-toi.

    Miral ne se démonta pas, après tout, c’était sa vie qu’il risquait.

    -Pourquoi tu veux aller là-bas ? On devrait essayer de retrouver les autres.

    Tremon se pencha vers lui, les mâchoires crispées :

    -Seih est dans cette cabane.

    Miral ne pensa pas à demander comment il savait qu’elle se trouvait là et se transforma pour onduler jusqu’à l’endroit indiqué. La cabane se trouvait plus loin qu’il ne l’avait imaginé et il se demanda comment la bâtisse pouvait tenir debout vu l’état des planches. Sans peine, il trouva un trou par lequel se faufiler. Le garçon sentait déjà qu’il devrait reprendre forme humaine.

    Il aperçut deux hommes penchaient sur une table et une autre porte entrouverte. Miral la passa juste le temps d’apercevoir deux fillettes et ressortit. Il quitta la cabane pour rejoindre Tremon aussi vite qu’il le pouvait.

    Une fois reprit sa forme humaine, il déclara :

    -Il y a deux hommes et deux petites enfermées derrière.

    -Et Seih ?

    Miral revit la pièce encombrée et sale. Il eut la gorge serrée en disant :

    -Je crois qu’elle était sur la table. Je ne sais pas ce qu’ils lui font.

    Tremon se redressa :

    -Il faut qu’on agisse maintenant.

    Miral se leva aussi :

    -C’est sûr, mais comment ?

    Tremon se mit à réfléchir et comme il ne se décidait pas, Miral proposa :

    -On a qu’à y aller comme ça.

    Le regard de Tremon l’obligea à continuer :

    -Je veux dire, j’arrive en python et je me retransforme dans la pièce. Ils seront surpris.

    -Et tu seras seul face à deux.

    Miral s’apprêtait à approuver avant qu’une autre idée ne lui vienne à l’esprit :

    -Sauf si je me retransforme de suite et que je repars. Ils me poursuivront et tu pourras entrer délivrer Seih.

    Tremon soupira en relevant :

    -Et s’ils ne te poursuivent pas ?

    Miral fronça les sourcils :

    -Pourquoi ils ne le feraient pas ?

    Tremon secoua la tête :

    -Il vaut mieux prévoir un plan de secours, au cas où ils ne sortiraient pas.

    Miral ricana :

    -Tu pourrais te transformer aussi.

    Le garçon lui jeta un regard noir et Miral leva les mains pour l’apaiser :

    -D’accord, mais on n’a pas le temps.

    Tremon hocha la tête :

    -Je sais.

    Il hésita encore quelques secondes avant d’approuver :

    -Vas-y, je te suis.

    Miral allait s’élancer avant de s’arrêter pour vérifier :

    -Je me transforme comme j’ai dit alors.

    Tremon hocha la tête :

    -Dépêche-toi.

    Il reprit sa forme animale et retourna à la cabane.

     

    Seih se demandait si elle n’était pas censée être morte. Les deux hommes semblaient trifouiller dans ses entrailles sans trouver ce qu’ils cherchaient. Elle ne sentait toujours rien, mais se pensait capable de parler. Le problème étant de savoir quoi dire pour qu’ils la relâchent, après l’avoir recousu si possible. Le visage du mort qu’elle avait entraperçu lui revenait sans cesse en mémoire et elle se doutait qu’à moins d’agir, c’était ainsi qu’elle terminerait. Tentant de paraître sûr d’elle, l’adolescente demanda :

    -Vous voulez quoi exactement ?

    Sa voix était faible et pâteuse et elle n’était pas sûr d’avoir été entendu quand le plus âgé se mit à rire :

    -Ah, ce n’est pas bon signe ça. Tu es en train de récupérer.

    La panique la saisit et la jeune fille voulut demander une autre dose du produit de peur que les sensations lui reviennent trop tôt. L’homme continuait :

    -La solution de vos transformations, âme-animale. Pourquoi vous pouvez vous changer et nous non ? Que se passe-t-il en vous que nous ne pouvons faire ? Vos entrailles sont-elles différentes ?

    Seih chercha une logique dans ce qu’il disait, mais soit son esprit était aussi endormi que son corps, l'empêchant de comprendre, soit cet homme était fou. Elle pencha pour la seconde solution bien que cela ne fit qu’accroître ses angoisses.

    -Oh, merde.

    C’était un murmure que Seih avait clairement entendu. Les deux hommes s’étaient redressés, immobiles. La jeune fille s’efforça de tourner la tête pour apercevoir Miral, debout devant la porte, pâle, les yeux écarquillés. Elle voulut lui dire de partir, mais déjà le plus jeune des hommes s’élançait. Aussitôt, Miral reprit la maîtrise de lui-même, se transforma et repartit par un trou dans la porte. L’homme le suivit, ouvrant la porte à la volée. Celui qui était resté près de Seih posa ses outils pour s’approcher du seuil et jetait des regards méfiants à l’extérieur. C’est du toit que vint le danger.

    Seih vit Tremon tomber sur l’homme et les deux roulèrent hors de son champ de vision. Il y eu des bruits de lutte, puis le silence. L'adolescente sentit de nouveau les larmes lui couler aux coins des yeux, alors que le silence se prolongeait. L’angoisse l’étouffait. Elle avait réussi à bouger la tête, difficilement, certes, mais c’était déjà plus que ce qu’elle n’était censée pouvoir faire. Seih aperçut furtivement la tunique noir de Tremon. Il devait courir après l’homme qui poursuivait Miral. Des secondes qui lui parurent des minutes s’écoulèrent avant que ses deux amis reviennent sur le pas de la porte et se figent à la vue de la jeune fille. Comme ils restaient planté là alors qu’elle risquait de retrouver tous ses sens, Seih réunit ses forces pour leur lancer :

    -Est-ce que l’un de vous, sombre crétin, aurait l’amabilité de me recoudre ?!

    Ils sursautèrent puis Tremon s’élança vers la table où l’homme avait laissé ses outils, en bredouillant :

    -Oui… oui, oui… il faut…heu…

    Miral ne put retenir une grimace de dégoût en s’approchant :

    -Ça va ? T’as pas mal ?

    Seih lui jeta un regard noir :

    -Je vais comme une personne éventrée, mais non, pour l’instant je n’ai pas mal.

    Tremon farfouilla un moment avant de se retourner pour tendre du fil et une aiguille à Miral :

    -Tiens.

    Le garçon le dévisagea, les yeux exorbités :

    -Quoi tiens ?!

    Tremon désigna Seih du menton sans baisser les yeux sur sa plaie :

    -Recouds-la.

    Miral le fixa un instant bouche-bée avant de s’insurgeait :

    -Pourquoi moi ? Fais-le-toi.

    Tremon lui mit l’aiguille sous le nez :

    -Je ne sais pas comment faire, fais-le !

    Miral s’écarta :

    -Moi non plus, crétin. C’est toi qui a le fil, fais-le, toi !

    Seih hurla de toutes ses forces :

    -Bougez-vous, connards !

    Miral se crispa, s’empara du fil et de l’aiguille, les observa un instant comme s’il se demandait comment ils avaient pu se retrouver dans sa main, avant de se pencher sur le ventre de Seih. Les mains tremblantes, il saisit le bord de la plaie pour y faire passer l’aiguille. La jeune fille ferma les yeux en priant pour que le produit face de l’effet encore un moment.

    -Je pense que tu devrais passer…

    Miral jeta un regard noir à Tremon qui, pour la première fois, baissa la tête et se tut. Cependant, tout en tentant de se concentrer sur ce qu’il faisait, Miral ressentit le besoin de dire à son amie :

    -Je te préviens, ça ne va pas être jolie-jolie.

    Elle lâcha un soupir d’exaspération entre ses dents serrées :

    -Oh, tu crois que j’en ai quelque chose à foutre ?

    Miral fit encore quelques points avant de se détourner :

    -OK, désolé, je ne vais pas pouvoir…

    Il se précipita soudain dehors pour vomir. Pâle comme la mort, Tremon se précipita pour rattraper l’aiguille et reprendre là où Miral s’était arrêté. Seih ne put s’empêcher de ricaner.

    -Qu’est-ce qui te fais rire ?

    Sa voix tremblait légèrement, ce qui poussa la jeune fille à avouer :

    -Je ne pensais pas que tu étais du genre à avoir la trouille.

    Tremon resta concentré sur son travail en répondant :

    -Bah, je raccommode rarement des gens éventrés. Je crois qu’il va falloir remettre quelques…trucs… pour refermer.

    Seih s’efforçait de respirer calmement tout en entendant le souffle de Tremon devenir irrégulier :

    -Si tu veux vomir, s’il te plaît, évite de le faire sur moi.

    Le garçon hocha la tête :

    -Promis.

    Il inspira profondément en jetant un regard désespéré à Miral qui restait appuyé contre le chambranle de la porte. Celui-ci finit par revenir :

    -Je prend la relève si tu veux.

    Tremon lâcha dans un profond soulagement :

    -Oh, merci, génial.

    Miral réunit ses esprits et reprit le fil. Tremon s’écarta, tremblant sur ses jambes mais il ne vomit pas. Seih, les larmes aux yeux, ne put s’empêcher de rire :

    -Ah, les gars, vous n’êtes vraiment pas fait pour être soigneur.

    Tremon retrouva assez de souffle pour dire :

    -Je ne crois pas que cela arrive souvent quand on est soigneur.

    Miral ne put s’empêcher d’avoir un rire crispé. Seih réalisa qu’elle bougeait plus facilement la tête, parlait sans effort.

    -Tremon ?

    Le garçon s’approcha de sa tête pour qu’elle puisse le voir sans bouger :

    -Oui ?

    Elle déglutit avec difficulté :

    -Il faut que tu trouves une piqûre avec un produit transparent. Il faut que tu me fasses une piqûre, sinon, les effets vont s’estomper. Je vais avoir mal.

    Seih renifla alors que les larmes inondées ses joues :

    -J’ai peur, Tremon.

    Elle fut surprise que l'adolescent prenne le temps d’essuyer ses joues avec sa manche avant de lui dire :

    -OK, je fouille, ne t’inquiètes pas, on s’occupe de toi.

    Il se mit aussitôt à la recherche de fiole ou d’un quelconque récipient pouvant contenir le produit dont elle parlait. Avec un sourire qu’il voulut détendu, Miral ajouta :

    -Peut-être pas à un niveau professionnel, mais on s’occupe de toi.

    « Récapitulatif de la semaine du 7Chapitre 15 »

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