• CHAPITRE 13

    -Eh ! Saldrian ! Vire de mon auberge !

    Soria ne détacha pas de son sourire et se tourna vers la femme avec un regard innocent :

    -Moi ?

    -Oui, toi ! On a notre lot de putain par ici !

    -Oh, ne parlez pas de votre travail en ces termes. Il faut bien vivre.

    -Te fous pas de moi ! Tu sais très bien que c'est pas ce que je veux dire !

    La femme écumait de rage. Soria se leva et lui tapota l'épaule :

    -Rassurez-vous, de nos jours, même les femmes laides trouvent le bonheur. Regardez, vous tenez une auberge minable dans une ville pourrie, avec un porc pour mari. Et pour ce qui est de virer de l'auberge, j'ai peu que vous ne deviez attendre demain.

    Elle brandit une clé :

    -J'ai loué une chambre. C'est pas génial ?

    Soria fit une grimace enfantine à Noré en guise de salut. Celle-ci retint un rire, craignant que la colère de la femme ne se tourne vers elle, et regarda la Saldrian monter l'escalier. La danseuse s'arrêta et dit :

    -Au fait, remerciez votre mari pour la chambre. Vous savez combien c'est dur pour les gens comme moi de trouver où loger. Bonne nuit.

    Elle fit un salut coquin et regagna sa chambre. Noré se tourna vers Titian. Celui-ci fixait encore l'escalier, les yeux dans le vague. La femme les enveloppa d'un regard lourd de menace, mais s'éloigna sans rien dire. Attristée que leur entrevue ce soit écourté, Noré proposa :

    -On va se coucher ?

    Il répondit d'une voix molle :

    -Moui.

    Du coin de l’œil, elle aperçut la femme discuter avec l'aubergiste dans une pièce derrière le comptoir, dont elle avait oublié de fermer la porte. Des éclats de voix étouffés lui parvenaient, sans qu'elle ne parvienne à en comprendre quoique ce soit. Aux grands gestes que la femme faisaient, nulle doute que la discussion était loin d'être sereine. Noré et Titian se levèrent et montèrent les escaliers. Une fois à l'étage, elle tenta de deviner dans quelle chambre se trouvait Soria. Comme aucun indice ne semblait vouloir apparaître, elle entra dans la sienne.

    Allongée sur son lit en fixant le plafond, Noré repensa pour la énième fois de la journée à la fillette de la rue. L'adolescente se demandait si son message était bien arrivé aux Auriens. Ils n'étaient pas repassé dans cette rue de la journée, aussi, elle n'avait pas pu vérifier. Titian était étalé sur le ventre, le visage enfouit dans l'oreiller.

    -Titian ?

    -Non.

    -Demain, on pourrait repasser vers le port, là, où on est arrivé.

    -Non.

    -Juste pour voir un truc.

    -Des trucs, il y en a plein les autres rues.

    -Arrête, c'est juste dans celle-là.

    -Non.

    Noré se tut un instant à la recherche de nouveaux arguments.

    -Au fait, qui a décidé que tu commandais ?

    -Toi, visiblement. A toujours faire ce que je dis, à me regarder avec tes grands yeux innocents comme si j'étais l'ami du siècle. J'ai un conseil pour toi : Ferme ta gueule et fais ce que tu veux.

    -Tu as raison. Je vais faire ça.

    L'oreiller du pirate lui arriva en plein visage sans qu'elle ne s'y attende. La jeune feuille le lui renvoya. Il le reçut sur le dos, mais l'ignora complètement. La jeune fille lui tourna le dos et s'endormit.

    Lorsque Noré se réveilla, le lendemain, Titian n'était pas là. Concluant qu'il passerait la journée à lui faire la tête, elle sortit sans prendre la peine de le chercher. Bien décidée à suivre la résolution qu'elle avait prit la veille, la jeune fille se rendit dans la rue par laquelle ils étaient arrivés. Elle l'avait retrouvé sans difficulté, l'auberge en étant relativement proche. Noré avança, cherchant du regard un signe dénonçant la présence des prostitués. Il n'y avait personne. Elle aperçut une vieille femme qui passait le balais devant chez elle, tandis qu'un vieil homme était assis sur une chaise à ses côtés. La jeune fille s'approcha :

    -Excusez-moi, où sont passées les femmes qui étaient dans la rue ?

    La vieillarde leva la tête vers elle et dit d'un air ronchon :

    -Ils ont tous disparu la nuit dernière, petite, tous les gamins et les putes qui ont voulu les suivre. Pour sûr que ça fait un bon ménage.

    Le vieil homme grommela, la femme fit aussitôt volte face :

    -Si, ça fait du bon ménage, vieux gâteux pervers.

    Elle se tourna vers Noré :

    -Fais pas attention à mon mari, petite, comme il n'a plus rien à reluquer, il boude.

    L'homme grommela à nouveau. Noré sourit avec politesse, remercia et s'éloigna discrètement, pendant que la femme critiquait le vieillard. L'adolescente rentra à l'auberge, bien décidée à ne pas laisser Titian détruire sa bonne humeur. Peut-être qu'elle y verrait Soria. A moins que celle-ci ne soit déjà repartie. Noré espéra que ce ne fut pas le cas. Elle était tellement curieuse à son sujet.

    Alors que Noré reprenait le chemin de l'auberge, une crainte l'étreignit. Ils n'avaient toujours pas payé l’aubergiste. Elle s'était glissée dehors dans la matinée sans y faire attention, mais il lui semblait bien qu'à cet instant l'aubergiste était occupé à autre chose. S'il la voyait rentré, il y avait un risque qu'il l'interroge sur le paiement tardif. L'adolescente resta sur place à réfléchir à la question. C'était trop risqué. Du moins, sans Titian. Il fallait qu'elle le trouve. Elle n'avait pas fait un pas qu'elle s'arrêta. Et s'il était rentré à l'auberge. Il fallait qu'elle se décide et choisit de tenter sa chance en ville. Après tout, ils n'étaient pas rentré de la journée la veille. Noré s’enfonça dans les rues nauséabondes. Elle ignorait où chercher le pirate, aussi, se promena-t-elle sans but. La jeune fille traversa ce qui semblait être un genre de marché. Les gens y étaient si nombreux, la foule si compact que Noré abandonna l'idée d'y apercevoir Titian. L'adolescente traversa cette rue tant bien que mal, à moitié écrasée et terrassée par les odeurs.

    Lorsqu'elle en sortit enfin, elle déboucha sur une place vide. Des pavés inégaux tapissaient le sol. Elle était de forme rectangulaire et, en face de la jeune fille, une petite boutique empiétait un peu sur la place. Sur la pancarte accrochée à la façade, on pouvait apercevoir une tête d'aigle et, en dessous, en lettre peinte, "Griffonerie". Un sourire éclaira le visage de Noré. Elle n'aurait jamais cru voir cela un jour. Cela faisait des années que l'on était passé aux messagers. Les Griffoneries avaient quasiment toute disparu. La jeune fille s'approcha, curieuse de savoir si elle était encore en service. Devant la large vitrine, elle mit ses mains en coupe pour tenter d'apercevoir quelque chose à l'intérieur. La pièce était sombre et la poussière qui couvrait la vitre n'arrangeait pas les choses. Sur les murs, des cartes étaient affichées. Si nombreuses que certaines se chevauchaient. Des petits meubles couraient le long des murs, les tiroirs dégorgeant de parchemin. Elle ne put distinguer le fond de la pièce. Noré s'écarta pour vérifier s'il n'y avait pas un passage qui lui aurait permis de contourner le bâtiment. La jeune fille finit par découvrir une ruelle minuscule près de la maison jouxtant la Griffonerie. Elle s'y glissa, enjambant des déchets douteux. Puis, l'adolescente prit sur la droite. Comme elle l'avait supposé, elle atterrit sur une cour étroite. Une petite barrière de bois ba,cale en faisait le tour. A l'intérieur, un griffon, tout harnaché et près à l'envol, patientait. Deux sacoches débordante de lettre lui tombaient sur ses flancs de lion. Il patientait sagement, les yeux à moitié fermés. Noré était émerveillée. C'était la première fois qu'elle en voyait un. Elle resta à l'observer, bouche bée. Et alors que la jeune fille hésitait à aller le caresser, elle entendit la porte arrière de la boutique s'ouvrir en grinçant.

    Un homme chaudement habillé en sortit. Elle supposa qu'il s'agissait du griffonier; Malgré l'altitude à laquelle pouvait voler un griffon portant un cavalier, il volait toujours moins vite et moins haut qu'un messager. Il se retourna comme pour parler à quelqu'un et, sidérée, Noré vit Titian sortir à son tour. Le pirate tendit au griffonier une lettre qu'il tenait en main et deux pièces. L’adolescente resta plantée sous le coup de la surprise. Cependant, comme Titian semblait près à repartir, elle recula dans la ruelle, paniquée à l'idée qu'il puisse la voir. Noré resta appuyé contre le mur. Les questions se bousculaient dans sa tête. Que contenait cette lettre ? A qui était-elle adressée ? N'avait-il pas dis qu'il n'avait pas d'argent ? N'était-il pas en train de chercher un guide ? Elle ferma les yeux avec force et clarifia son esprit. Une fois calmée, elle se dit qu'il devait y avoir des explications simples et logiques. Il lui suffirait de demander. Elle sourit, se moquant d'elle-même. Décidément, les soupçons de Xilanos et Vigle l'avaient plus ébranlé qu'elle ne le pensait. Noré remonta la ruelle et rejoignit la place rectangulaire juste à temps pour apercevoir Titian qui s'éloignait dans une rue à gauche. Sans doute désireux d'éviter la foule du marché. Elle le suivit. Avant qu'il ne bifurque à nouveau, elle se mit à courir et le rattrapa. Sans préambule, elle attaqua :

    -Tu as trouvé quelqu'un, alors ?

    Il fit une grimace en la voyant :

    -Toi, mais ce n'était pas voulu. Pourquoi t'es là ? Comment tu m'as retrouvé ? Non, réponds pas, je m'en fous, c'était juste pour faire la discussion, paraître civilisé, tout ça. Tiens.

    Titian lui lança un petit pain. Noré lui lança un regard soupçonneux :

    -Tu l'as eu où ?

    -Piqué au marché.

    L'adolescente devina que c'était aussi de cette manière qu'il avait récupéré l'argent. Se rappelant qu'elle n'avait rien mangé le matin, elle mordit dedans à pleine dents.

    -Tu ne manges pas ?

    -Déjà fait.

    -T'as trouvé quelque chose ?

    -Rien. Personne est assez fou pour nous guider ou nous donner des informations.

    Noré ne savait pas comment aborder le sujet de la lettre. S'il la sentait méfiante à son égard, il risquait de se mettre en colère et de partir. La jeune fille se retrouvais seule en Métane et impossible pour elle de se rendre au siège. Elle chercha chez lui, une once de culpabilité qui pourrait lui prouver qu'il lui cachait quelque chose, mais c'était comme chercher une aiguille dans une botte foin. Elle préféra attendre de trouver la bonne formulation, un moyen de le questionner sans qu'il ne se froisse. A la place, elle demanda :

    -C'est si dur que ça d'atteindre le siège ?

    -L'empereur a envoyé des garnisons à plus de cinq cent kilomètres du siège. Personne ne peut entrer dans ce périmètre, sous peine de se faire arrêter. Seuls les marchands ont le droit de passage et encore, l'armée les escorte. Il est persuadé qu'on en veut à sa vie. N’empêche qu'avec la guerre qui approche, il a peut-être pas tout à fait tort. Bref, c'est pour ça qu'il faut qu'on trouve quelqu'un qui pourrait nous indiquer un passage un peu secret ou, du moins, un moyen de pénétrer le périmètre sans se faire remarquer. T'as tout compris ou faut que je répète ?

    -Non, c'est bon.

    Il bailla et s'étira :

    -Viens, on continue à chercher. Si mademoiselle n'a rien de mieux à faire, bien sûr.

    Noré lui sourit et ils reprirent leur marche. La journée ne leur apporta pas plus de succès que la veille. La jeune fille se sentait de plus en plus découragé. Alors qu'elle s'inquiétait de devoir passer encore une journée à errer dans la ville, Titian l'informa qu'ils partiraient le lendemain pour tenter leur chance ailleurs. Elle se douta qu'ils n'avaient déjà, que trop tardé et que les pirates devaient avoir repris leur chasse. Ils retournèrent à l'auberge à la nuit tombée.

    Sans manger, ils gagnèrent leur chambre. Noré prit tout de même le temps de chercher Soria du regard, sans succès. Titian se laissa tomber sur son lit, imité par Noré. Quelques secondes plus tard, il dormait. Tandis qu'elle restait les yeux bien ouvert, malgré la longue marche de la journée. Dans sa tête, une crainte était née. La lettre était destinée au capitaine aux cheveux océan. Comment expliquer autrement que les pirates les trouvent aussi rapidement. Le pirate le renseignait, comme l'avait soupçonné Xilanos. C'était un traître. Pourtant, il lui avait sauvé la vie. Pourquoi l'avoir aidé à s'échapper du navire ? Il n'avait rien à gagner et cela ne facilitait pas la tâche à ses compagnons. Noré n'eut pas besoin de plus pour effacer sa possible trahison de ses pensées. Non, Titian l'aidait, bien qu'elle n'aurait su dire pourquoi. Il n'avait pas l'air du genre à accomplir quelque chose sans que cela ne lui rapporte une certaine récompense. Assez lucide pour savoir qu'il ne lui disait pas tout, elle ne l'imaginait pas la trahissant. Noré lui faisait confiance et, en même temps, elle n'avait pas d'autre choix.

    La jeune fille somnolait à peine lorsqu'un bruit sourd la fit sursauter. Un instant égaré, son esprit se clarifia peu à peu. Elle se redressa doucement, tendant l'oreille, bien peu convaincu d'avoir vraiment entendu quelque chose. Cependant, elle perçut des pas feutrés dans le couloir. L'adolescente se glissa hors de son lit. Le contact du planché glacé sous ses pieds fini de la réveiller. Les yeux sur la porte, elle approcha le lit de Titian en s'efforçant de ne pas faire grincer les lattes. Elle secoua le jeune homme et murmura :

    -Titian, réveille-toi. Il y a des gens dans le couloir. 

    Le pirate se retourna en s'étirant, bailla et, sans ouvrir les yeux, répondit d'une voix amorphe :

    -Par tous les dieux de l'océan, c'est comme si y avait des gens qui avaient loué une chambre dans une auberge. Incroyable.

    -Non, mais ils marchent doucement.

    -Par tous les dieux de l'océan, c'est comme si y avait des gens qui avaient conscience qu'il y a d'autres gens qui dorment dans une auberge. Incroyable.

    -Mais, si c'était les pirates.

    -Eh bah garde la porte fermée.

    Il la repoussa et fourra sa tête sous l'oreiller. Noré enfila ses bottes, bien décidée à tirer les choses au clair. Elle n’eut pas à sortir de la chambre, car elle surpris un bruit hésitant. Comme quelqu'un cherchant une poignée dans le noir. Noré s'apprêter à se jeter sur Titian, à faire n'importe quoi pour qu'il se réveille, mais le pirate se redressait déjà. La porte s'ouvrit doucement. Visiblement, ils ne se doutaient pas que les occupants de la chambre étaient réveillés. Titian ramassa sa dague et son revolver qu'il pointa vers la porte :

    -Va te cacher sous le lit. S'ils t'attrapent, fait la morte.

    Elle obéit, s'efforçant de se glisser au milieu de la poussière et de la crasse. Soudain, un coup de feu, un cri. Des pas déferlèrent en masse dans la chambre, faisant trembler le parquet. Les sons des lames fendant l'air, les hurlements résonnaient si fortement qu'il était étonnant que personne dans l'auberge n'aient encore réagi. Noré, la tête bloquée sur le côté, fixait le mur, craignant qu'en se retournant, le prochain cadavre qui s'écroule sur le sol ne soit celui de Titian. La jeune fille se demandait combien de temps, celui-ci pourrait tenir, quand, brusquement, une main puissante lui agrippa la cheville et la tira. 

    Elle cria, les ongles rayant le parquet dans une vaine tentative de s'accrocher à quelque chose. L'adolescente rata de peu le pied du lit et se retrouva la tête à l'envers, suspendue dans les airs. L'homme qui l'avait attrapé lui cachait Titian. Le sang lui montait à la tête. Il fallait que le pirate la lâche. Noré tendit le bras et réussit à attraper le pantalon de l'homme. Se tirant, elle agrippa la jambe et mordit de toutes ses forces. Le pirate hurla et la laissa tomber. Elle atterrit durement sur le dos, se releva péniblement en s'accrochant à la table. Sa tête résonnait et ses veines tambourinaient à ses tempes. Un  nouveau coup de feu la fit sursauter. L'homme qui venait de l'attraper s'écroula. Noré fut bousculée par un des pirates qui combattait Titian et se retrouva assise près de la chaise. 

    Terrifiée, elle se réfugia sous la table. Son compagnon, aux prises avec deux pirates, ne put empêcher un troisième de bondir sur le lit pour la sortir de son refuge. Avant qu'il ne soit sur elle, la jeune fille se jeta sur l'autre lit et fit le chemin en sens inverse pour sortir de la chambre. L'adolescente jeta un regard en arrière. Titian était trop occupé pour faire attention à elle. Noré hésita encore. Un des pirates étaient au sol. Il n'en restait qu'un seul debout. Elle pouvait attendre qu'il finisse, pourtant, elle se décida à voir si d'autres venaient. 

    Courant dans le couloir, à la lueur des lampes, la jeune fille atteignit l'escalier et stoppa net. Personne n'était sortit de sa chambre, voir ce qu'il se passait. Mais entre les bruits de lutte et les râles d'agonie, cela n'était pas si surprenant. Noré se pencha dans la cage d'escalier et ne tarda pas à entendre les pas lourds des pirates, montant au galop. Elle fit demi-tour et, plutôt que de rentrer dans leur chambre où Titian ne disposait déjà que de peu d'espace pour se battre, elle continua sa course dans le couloir à la recherche d'une chambre déserte. Les pirates hurlèrent après elle et se lancèrent à sa poursuite. Lorsqu'ils passèrent en trombe devant la chambre où Titian ressortait son arme du ventre de son dernier adversaire, ils se divisèrent en deux groupes. Comme une partie entrait dans la chambre, Noré, qui tentait d'ouvrir les portes au fond du couloir, entendit Titian lui crier :

    -Mais c'est pas vrai ! Tu le fais exprès ?!

    Les portes étaient verrouillées. Aucun doute que les occupants, aux premiers cris, s'étaient jetés sur leur clé et les avaient verrouillé. Les hommes avaient cessé de courir et la fixaient en riant. Ils étaient sûr de l'attraper, coincée comme elle l'était, sans possibilité de fuite. Ils se tinrent les uns à côtés des autres, prenant toute la largeur du couloir, prêts à la saisir si elle tentait de passer entre eux. Noré était désespérée. Elle se préparait à essayer le tout pour le tout en leur fonçant dessus en espérant que l'un d'eux, surpris, s’écarterait un peu. Ils étaient à plusieurs mètres et ne semblaient pas pressés de s'avancer plus. A quoi bon se fatiguer...

    Soudain, une des poignées tourna sous sa main. La porte s'ouvrit. Sans laisser le temps à la surprise de la submerger, Noré s'élança à l'intérieur. Dos contre la porte, elle chercha à tâtons la clé sur la serrure. Lorsqu'elle sentit le fin bout de métal sous ses doigts, la jeune fille eut le sentiment d'être sauvée. Comme si le simple fait de faire trois tours dans la serrure pouvait faire disparaître les pirates. Déjà, les hommes s’élançaient contre la porte. Le choc résonna dans le bois, la projetant en avant. Nul doute que la porte finirait par céder. Il lui fallait quelque chose pour la maintenir. Noré scruta la chambre obscure. Le peu qu'elle pouvait distinguer lui indiquait que la pièce était identique à la sienne. La table lui parut un bon choix. A l'instant où elle s'élançait vers elle, la pointe d'une hache jaillit du bois. Les pensées de la jeune fille se bloquèrent. Prendre la table pour bloquer la porte en espérant y arriver à temps compte tenu de son poids ou la chaise pour essayer de se défendre. Ses mains passaient de l'une à l'autre sans en saisir aucune. Un nouveau coup à la porte et elle s'empara de la chaise. Au moment où elle la soulevait, prête à s'en servir, une ombre se redressa sur le lit à sa droite et une voix de femme dit avec calme :

    -Ils vont vraiment finir par défoncer la porte.

    Noré sursauta, retenant un cri. La femme sur le lit ne bougea pas. La jeune fille se dit que, malgré la maîtrise d'elle-même dont l'occupante de la chambre faisait preuve. Rester, c'était la condamner à mort, car que ferait-elle quand les pirates entreraient ? Alors, sans rien dire, elle respira profondément et s'avança vers la porte. La chaise toujours fortement serré dans sa main, Noré ouvrit brusquement et jeta la chaise. Profitant de la surprise, la jeune fille se faufila hors de la chambre. Mais, à peine avait-elle fait quelques pas, qu'un pirate réussit l'attraper par le col de sa chemise. Elle cria en tombant. L'homme rappela ses camarades pendant qu'il soulevait Noré pour la saisir à la taille. L'adolescente se débattit en hurlant. 

    -Eh bah, dis donc, quelle furie.

    Noré vit quatre hommes lui faire face. L'escalier se trouvait dans le dos de l'homme qui la portait. Elle s'encouragez, se disant que si elle réussissait à faire lâcher le pirate, elle avait une chance de l'atteindre avant qu'ils ne l'attrapent. Et ensuite quoi ? Elle verrait bien. Pour l'instant, il fallait que Noré sorte de là. Elle balança son coude en arrière de toutes ses forces. Il atterrit dans les dents du pirate. L'homme couvrit sa bouche de sa main, mais ne la lâcha pas. Au contraire, il resserra son emprise commençant à étouffer la fille. L'un des hommes intervint :

    -Arrête ! Tu sais qu'il nous la faut vivante.

    Noré put respirer de nouveau.

    -En revanche, on a qu'à lui foutre ça dans la bouche pour qu'elle arrête de gueuler.

    Un des hommes retira le bandana à son front, relâchant une tignasse de cheveux gras et l'approcha de la bouche de Noré. Elle serra les dents, se mordant les lèvres et détournant la tête pour tenter d'échapper au foulard immonde de saleté. La jeune fille ferma les yeux, refusant de voir cette chose s'approcher encore plus, la forte odeur d'alcool dont il était imprégné lui suffisait. Bientôt, il serait sur ses lèvres. Elle grimaça en imaginant, déjà, le tissu entrait de force dans sa bouche. Mais alors, elle entendit tomber quelque chose de lourd.

    Rouvrant les yeux, elle fixa, tout comme les pirates, le corps décapité qui gisait au sol. Un cercle doré volant attira son attention. Le suivant du regard, elle le vit entrer dans la chambre qu'elle venait de quitter. La femme en sortit, faisant cliqueter les quatre bracelets à ses bras et ses chevilles. Un des pirates murmura, subjugué par la beauté de la jeune femme :

    -Une Saldrian.

    Noré lui cria :

    -Vite ! Soria, va te cacher !

    La jeune femme ne la regarda même pas. Elle leva ses bras, bien droit, en parallèle devant elle. Puis, d'un geste brusque, Soria les ramena en arrière. Ils entendirent un léger déclic. Deux bracelets s'étaient libérés à chaque bras et une fine lame argentée en fit tout le tour. Avant qu'ils ne touchent le sol, Soria les envoya sur chacun des pirates avec des gestes rapides et imperceptibles. L'un des hommes fut traversé de part en part. Un autre bracelet alla se planter dans le crâne de celui qui tenait son bandana. Le pirate qui tenait Noré, vit le sommet de son crâne découpé et s'écroula. Le dernier eut un bras coupé et lorsque les bracelets firent demi-tour pour revenir à la jeune femme, l'un d'eux lui coupa une jambe. Soria tendit les bras et chaque fois qu'un des bracelets s'y enfilait, la lame disparaissait dans un tintement. Elle en garda un entre deux doigts et d'un geste plein de grâce, trancha la gorge du pirate agonisant. Puis, elle sourit :

    -Alors ? Il fout quoi ton frère ?

     

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