• VIII - Citseko

    Citseko Fraam

    Rang : Argent

    Héritier de la famille Fraam au service du clan Evarla

     

    Il ne savait pas trop ce qu'il avait pu faire pour que Xutik et Gec-Nüj s'acharne sur lui, mais depuis quelques jours, ils n'arrêtaient pas de le chercher. Ils se contentaient, la plupart du temps, de sous-entendre que sa façon de mener son rôle d'héritier d'argent à l'ancienne était ridicule. Citseko s'en moquait bien, seulement si Meb commençait à intervenir, c'était une autre affaire.

    -Pourquoi vous allez pas discuter ailleurs ?

    Xutik se tourna vers son ami :

    -Viens, Gec-Nüj, allons discuter ailleurs.

    Citseko les regardait s'éloigner quand Meb lui dit :

    -C'est pas la première fois qu'ils t'emmerdent, non ?

    L'adolescent secoua la tête :

    -Non, mais ça va.

    L'héritier d'or ne fut pas satisfait :

    -Je devrais leur parler pour qu'ils te fichent la paix.

    Citseko ne dit rien. Si Meb s'en mêlait, les choses pouvaient au contraire s'aggraver. Xutik pouvait penser qu'il lui faudrait élever les choses à un autre niveau face à un héritier d'or. Citseko ne pouvait pas permettre que Meb, et par lui son clan, ne se retrouve impliqué dans une querelle qui n'avait pas lieu d'être. C'était certain qu'il n’appréciait pas tellement que l'on se moque de lui, mais Citseko pensait toujours que les gens n'agissaient pas sans raison. Si Xutik éprouvait soudain le besoin de lui tourner autour, c'est qu'il devait avoir des problèmes. On n'est pas mauvais sans raison. C'était peut-être le seul moyen qu'il avait trouvé pour évacuer son stress. On avait essayé de le tuer tout de même.

    -Ce n'est pas la peine. Ça leur passera.

    Meb ne lutta pas :

    -OK, mais je vais en parler à mes parents.

    -Tu ne trouves pas que c'est exagéré ?

    Son ami mit les mains dans les poches, le dévisageant d'un air sévère :

    -Comment ça exagéré ? Il faut bien que je leur montre qu'on ne peut pas s'attaquer à mon héritier d'argent comme ça.

    Citseko fit la moue :

    -On s'en fiche, non ? Ils font que parler.

    Meb fut choqué :

    -Comment ça, on s'en fiche ? Qu'est-ce qu'on va penser de moi si je ne réagis pas ?

    Citseko tenta de l'apaiser :

    -Si tu interviens, Xutik peut en profiter pour te provoquer en duel pour régler l'affaire. S'il gagne, il pourrait te demander d'annexer notre clan au sien. Il vaut mieux que tu restes à l'écart. Il ne peut rien contre moi. Je ne peux pas me battre sans ton consentement. Donc, pour l'instant, tout ce qu'ils peuvent faire, c'est me sortir des âneries, c'est tout.

    Meb n'était toujours pas satisfait :

    -Je vais quand même en parler à mes parents, voir ce qu'ils conseillent.

    Les troisièmes années en charge du club leur demandèrent de se rassembler à cet instant. Tandis que Meb rejoignait ses amis, Citseko réfléchissait. Il ne pouvait pas laisser son héritier d'or en informer ses parents, cela irait bien trop loin. Il fallait qu'il l'oblige à renoncer à l'aider et, par la même occasion, dissuader les deux autres de continuer leur cirque.

    L'un des garçons de troisième année expliquait le déroulement de l'activité, pendant qu'une fille et un autre garçon distribuaient arcs et flèches. Quand chacun fut équipé, ils les firent s'aligner sur plusieurs rangs. La première ligne étant les premiers à passer. Citseko se glissa derrière Gec-Nüj.

    Alors, que les troisièmes années expliquaient à la première rangée comment se tenir et que le reste des héritiers discutaient en attendant leur tour, Citseko banda son arc. Dire qu'il était bon au tir à l'arc était probablement un peu le sous estimer. Gec-Nüj et Xutik étaient face aux cibles écoutant les instructions. L’héritier d’argent jeta un rapide coup d’œil alentours pour s'assurer qu'on ne faisait pas attention à lui, puis il relâcha la corde.

    La flèche partit, fusant entre les têtes des deux garçons. Impossible pour eux de ne pas remarquer le projectile qui leur frôla presque la joue. Ils firent volte-face. En fait, les personnes entourant Citseko s'étaient toutes tournées vers lui. Dont, Meb qui le regardait, horrifié. L'un des garçons de troisième année ramassa la flèche et demanda avec colère d'où elle venait. Citseko leva la main :

    -C'est moi. Désolé, ça m'a échappé.

    Le regard qu'il lança à Xutik et Gec-Nüj leur fit comprendre que ce n'était pas le cas. L'adolescent eut droit à une remontrance et tous durent réécouter les consignes de sécurité. Une fois de nouveau en possession de sa flèche, Citseko se concentra sur l'activité. Quand à Xutik et son ami, ils lui jetèrent des regards furieux, sans décrocher un mot.

    Lorsqu'ils purent quitter le club, Meb se dirigea à grands pas vers un coin isolé du parc. Citseko devinait ce qui allait venir et se prépara mentalement. Sitôt qu'il les estima assez éloigné, Meb le poussa si violemment que Citseko se retrouva au sol :

    -On peut savoir ce qu'il t'a pris ?

    Calmement, le jeune homme se releva :

    -J'ai juste...

    Meb n'attendit pas son explication :

    -Sais-tu combien il est puissant ?! T'es malade ? Tu crois vraiment qu'ils ont cru que cette flèche t'avait échappé ?

    Citseko le laissa crier. Son plan avait marché, c'était tout ce qui comptait. En attaquant directement les garçons, il leur avait montré qu'il n'avait pas peur de réagir et de cette façon, désormais, si Meb intervenait, cela pouvait tenir de la déclaration de guerre. Celui-ci continuait :

    -Tu te rends compte que je ne peux plus t'aider, maintenant ? S'ils s'imaginent que c'est moi qui ait donné l'ordre, on est foutu ! Tu comprends ça ?!

    Citseko fixa ses chaussures en acquiesçant. Meb reprit son souffle :

    -T'es tout seul, maintenant. Si Xutik vient me demander un châtiment à t'impliquer, je devrais le faire, tu comprends ? Si ça peut nous éviter des ennuis. C'est ce qu'il y a de mieux à faire.

    Nouveau hochement de tête de Citseko qui ne leva pas le nez. Meb s'en contenta :

    -OK. Vas dans la chambre. Je vais passer la soirée avec les gars.

    Il soupira avant d'ajouter :

    -Qu'est-ce que tu peux être con parfois.

    Il s'éloigna alors, laissant Citseko regagner le dortoir. Celui-ci ne s'inquiétait pas outre mesure de ce qui pouvait lui arriver. Une fois que Xutik aurait demandé un châtiment, parce qu'il le ferait, Citseko n'en doutait pas un instant, les choses seraient réglées. Meb se montrerait coopératif, faisant comprendre qu'il n'avait pas donné l'ordre, qu'il n'avait rien à voir avec les agissements de son héritier d'argent.

     

    Il n'eut pas à attendre longtemps pour sa punition. Dès le lendemain, alors que leur camarades de classe patientaient devant la porte de leur salle, Xutik lança à leur arrivée :

    -Ah bah, quand même.

    Même en ne voyant que le dos de Meb, Citseko put sentir qu'il se crispait.

    -Nous avons quelques affaires à discuter, Meb.

    Xutik s'était planté au milieu du couloir, parlant fort pour attirer l'attention. Le silence se fit et les têtes se tournèrent vers eux. Une légère angoisse perçait dans la voix de Meb quand il demanda :

    -Que veux-tu ?

    Xutik, et Gec-Nüj échangèrent un regard, puis le premier annonça :

    -On veut qu'il s'excuse profondément.

    Citseko retint un soupir de soulagement. Il s'était attendu à bien pire. Meb s'écarta pour le rendre visible aux deux adolescents :

    -Citseko, au sol.

    L'adolescent s'avança, se mit à genoux, puis se baissa jusqu'à ce que son front touche le sol. Il imagina aisément les mines ravies et dégoûtées des deux amis. Ils s'imaginaient sans doute qu'ils l'humiliaient. Pour cela, il aurait fallu que l’héritier d’argent place sa fierté avant tout, or il faisait cela pour l'héritier d'or, il n'avait donc aucune honte. Il patienta, attendant que Xutik lui donne la permission de se relever. Un autre fait qui faisait que Citseko était peu atteint par cette tentative d'humiliation était qu'il connaissait ses camarades de classe. Il n'avait parlé qu'à peu d'entre eux et ne les connaissaient donc certainement pas personnellement, cependant, il avait réalisé certaine choses dont Xutik ne semblait pas avoir conscience. Citseko devait avouer qu'il avait un peu pitié du garçon. Il ne semblait pas voir que ses maladresses lui attiraient une certaine animosité de la part des autres.

    -C'est bon. Tu es pardonné.

    Citseko se releva, sans surprise, il vit que les regards des autres héritiers n'étaient pas tournés vers lui, mais vers Xutik. Mis à part Vish qui semblait approuver ce qu'elle voyait et Indilk, Tahiya et Nsoah qui n'avaient pas prêté la moindre attention à ce qu'il venait de se passer, la désapprobation se lisait sur les autres visages. Cependant, Xutik et son héritier d'argent semblaient très fiers d'eux-même. Au moins, je les aurais un peu amusés. Il soupçonnait que ces deux-là en avait besoin ces derniers temps. Mr Irdrour arriva en s'excusant de son retard avant d'ouvrir la salle. Des regards interrogateurs furent échangés. Un enseignant en retard était rarement une bonne nouvelle. Alors qu'ils s'agglutinaient pour entrer, Citseko entendit Laxo dire à Bélera :

    -Je te parie qu'il y a un nouveau jeu dans l'air.

    Son amie lui répondit avec crainte :

    -Un Grand Jeu, tu crois ?

    Neghttris se tourna vers les filles pour les rassurer :

    -Pas possible. Même les professeurs ne sont pas au courant des Grands jeux.

    Citseko se rangea à cet avis. L'un des principes des grands jeux était la surprise, personne ne savait quand ils auraient lieu. Ce doit être un autre jeu, alors. On lui tapa doucement le bras et il se retourna pour apercevoir Lyert :

    -Ça va ?

    Citseko hocha la tête et entra dans la salle. Il gagna sa place tranquillement, sans plus se soucier de ce qu'il venait de se passer. A peine assis, on lui tapota l'épaule. Il se retourna sur sa chaise pour, cette fois, faire face à Falibi :

    -T'occupes pas de Xutik et Gec-Nüj, ils sont un peu crétins tu sais.

    Citseko eut son éternel demi-sourire avant de revenir au tableau. Il aurait préféré qu'on n'insulte pas les deux garçons. Il ne les croyait pas stupides, seulement malheureux, pour l'instant. Et si se moquer de moi peut leur faire du bien, tant pis. Même si, normalement, la flèche devrait les avoir calmé pour un petit moment. Il n'aurait probablement rien fait si Meb n'avait pas souhaité intervenir. L'héritier d'or avant tout.

     

    La décision de faire leur devoir dans la salle commune de leur dortoir ne lui serait sûrement pas venue à l'esprit. Citseko aurait préféré rester au calme, mais cette fois-ci, Meb insista :

    -Il faut qu'on voit que tu n'es pas hors de contrôle, que tu m'obéis.

    De toute évidence, cette histoire avec Xutik l'avait un peu inquiété. Il avait donc accepté de le suivre dans la grande salle. Seulement, à peine entré, l'héritier d'or repéra ses amis et l'abandonna en lui lançant son sac :

    -Tiens, tu me gardes ça ? Je vais les saluer.

    Citseko ne se faisait pas d'illusion, le salut allait durer des heures. Il s'installa à une table et tenta de travailler. Ce fut peine perdu. La salle s'emplissait de plus en plus. Certains avait mis de la musique obligeant les autres à parler plus fort. Finalement, l'adolescent rangea ses affaires et se leva. Il hésita sur la marche à suivre, avant de s'approcher de la table où Meb et ses amis discutaient :

    -Meb ? Je vais dans la salle Panthère pour bosser.

    Le garçon agita la main pour montrer qu'il avait entendu, mais resta concentré sur la discussion. Citseko prit les deux sacs et se rendit dans la petite salle. Le groupe d'Elférad s'était réuni autour d'une table pour jouer aux cartes. Hiloy, Falibi, Theaon, Laxo, Bélera et Rafirin discutaient dans un coin. Devant la console, Qegh et Ora se défiaient. Citseko se trouva une table et s'installa pour travailler.

    Il ne lui restait qu’un exercice à faire quand il sentit une présence derrière lui :

    -Qu'est-ce qu'il y a ?

    Falibi demanda :

    -T'as bientôt fini ?

    Quand il se tourna pour lui faire face, Citseko vit que les personnes présentent s'étaient réunies autour d'une même table :

    -Pourquoi ?

    La jeune fille eut un large sourire :

    -On t'attend pour jouer.

    Citseko haussa les sourcils :

    -Moi ?

    La voix de Matior s'éleva :

    -Il nous manque un joueur.

    Citseko compta mentalement :

    -A douze ? Vous n'êtes pas assez ?

    Falibi haussa ses minces épaules :

    -Matior dit que non.

    Citseko tripota son stylo, ne sachant comment réagir :

    -J'ai encore un exercice.

    Elférad se leva pour s'approcher :

    -C'est lequel ?

    -La situation d'un chef qui reçoit les membres d'un clan décimé...

    Laxo lança de sa chaise :

    -Ah oui, il ne peut pas tous les accepter. Seulement deux, lesquels ont choisi ?

    Citseko acquiesça. Falibi répondit :

    -Moi, j'ai choisi l'enfant et la femme enceinte.

    L'adolescent observa la liste. Il était du genre à vouloir sauver tout le monde, aussi, cette question lui était particulièrement difficile. Elférad demandait à Falibi :

    -Tu justifies ça comment ?

    -Eh bien, c'est un enfant et une femme enceinte. On ne peut pas les envoyer en zone de départ. Ils ne tiendront pas longtemps.

    Laxo demanda :

    -Mais ils apportent quoi ?

    Falibi fronça les sourcils :

    -Comment ça ?

    Ce fut Elférad qui reprit la parole :

    -Comment tu as décrit le clan qui reçoit ces membres ?

    Falibi croisa les bras :

    -Vous voulez bien être clairs ? J'ai l'impression d'être stupide et je ne le suis pas.

    Hiloy prit la parole :

    -Il faut que les membres que tu ais choisi correspondent aux besoins de ton clan.

    -Je ne savais pas qu'il fallait décrire un clan.

    Citseko avança timidement :

    -C'est écrit en haut de la feuille.

    Falibi ouvrit des yeux ronds :

    -C'est vrai ?

    Elle vint voir la feuille pour s’en assurer avant de soupirer :

    -Oh, c'est pas vrai. Faut que je recommence ?

    Cette fois, c'est Qegh qui répondit :

    -Pas forcément. T'as qu'à dire que c'est un clan dont le taux de natalité a baissé. Du coup, un enfant et une femme enceinte, c'est logique.

    Falibi courut à son sac :

    -Je vais noter ça.

    Qegh continua :

    -Et toi, Citseko ? T'as fait quoi comme clan ?

    L'adolescent répondit :

    -Il est pauvre.

    Il vit qu'Elférad allait reprendre la parole et s'empressa d'ajouter :

    -Mais, je ne veux pas d'aide. Je veux faire tout seul.

    Elférad retourna s'asseoir :

    -Comme tu veux. Tu nous rejoins après ?

    Citseko ne répondit pas, car le ton utilisé indiquait que ce n'était pas vraiment une question. Il les entendit parler du devoir et fit de son mieux pour ne pas se laisser influencer. Avec une certaine répugnance, il fit son choix qu'il justifia du mieux qu'il put et ferma son cahier.

    -T'as fini ?

    Je n'y échapperais pas, apparemment. Ce n'était pas tellement qu'il ne voulait pas jouer avec eux, c'était plutôt qu'il s'inquiétait que Meb ne le trouve pas. Il n'était pas certain qu'il ait vraiment été attentif à ce qu'il lui avait dit.

    -Je vais juste voir Meb pour lui dire.

    Matior grinça :

    -Il viendra te voir avec ses petits pieds s'il a besoin.

    Citseko précisa :

    -Je ne suis pas sûr qu'il sache que je suis là.

    -Il te cherchera avec ses petits pieds.

    Il ajouta encore :

    -Mais j'ai son sac et il n'a pas encore fait ses devoirs.

    Falibi finit par lui prendre le bras :

    -Roh, c'est bon. S'il veut te trouver, il te trouvera.

    Citseko se laissa traîner jusqu'à la table. C'est pas faux non plus, mais bon... Ils allaient s'asseoir quand Matior se leva :

    -D'abord, il faut faire de la place. On va s'asseoir par terre.

    Ils s'activèrent à repousser les tables, fauteuils avant de s’asseoir sur le parquet. Lyert s'empara des coussins d'un fauteuil en demandant à la ronde :

    -Qui en veut ?

    Falibi ouvrit grand les bras :

    -Moi.

    Il lui en envoya un et continua sa ronde. Citseko refusa, bien conscient qu'il n'y en aurait pas pour tout le monde. Il s'assit en tailleur et attendit la suite. Un cercle se forma autour de Matior qui se tenait debout :

    -Alors, c'est simple. Vous êtes un clan. Je vais vous distribuer à chacun une carte qui va définir votre rôle au sein de ce clan. Simple membre, espion, assassin, médecin etc.... il faudra basiquement faire ce que je vous dis. Quand je dis : « la nuit tombe », vous fermez les yeux. Puis, j’appellerai les personnes qui peuvent agir les unes après les autres. Chaque nuit, les assassins tueront une personne.

    Il continua en expliquant le rôle de chaque carte, précisant que personne d'autre que le propriétaire ne pouvait la voir. Citseko se trouva être un simple membre de clan. Quand il fallut choisir un chef, Falibi proposa aussitôt Hiloy qui se trouva élu.e à l'unanimité malgré ses protestations.

    Alors que tout se mettait en place, Citseko observa ses camarades. Il aimait voir les changements de personnalité qui s'opérait chez eux au fur et à mesure qu'ils se connaissaient. Hiloy, en particulier, se montrait moins timide. Par contre, il éprouva une pointe d'inquiétude en voyant la fatigue sur le visage d'Elférad. Puis, la question qu'il n'était pas le premier à se poser lui vint à l'esprit. Où est Gzadien ?

    -On peut commencer.

    Qegh fut la première à mourir et quand il fallut chercher un coupable, Citseko finit par être pointé du doigt. L'argument de Lyert était simple :

    -Il ne dit rien depuis le début, c'est louche.

    Surpris que cela lui tombe dessus, Citseko ne trouva rien d'autre à dire qu'un simple :

    -C'est pas moi.

    Laxo prit un air soupçonneux :

    -Prouve-le.

    L'adolescent eut un demi-sourire tant la situation lui paraissait ridicule :

    -J'ai rien à dire, c'est tout.

    Cela ne convainquit personne. Puis, Qegh leva la main :

    -Je peux parler ?

    Matior secoua la tête :

    -Non, tu es morte. Les morts, ça ne parle pas.

    -Ouais, ouais, ouais.

    Citseko nota le regard soupçonneux qu'elle porta sur Lyert. Celui-ci choisit de l'ignorer, trop pressé de faire valoir ses arguments contre Citseko. Au final, quand il fallut voter sur l'ennemi à abattre, les doigts se pointèrent vers l'adolescent sans qu'il ne trouve rien à dire. Matior demanda :

    -Bélera, tu ne votes pas ?

    La jeune fille répondit :

    -Je ne crois pas que ce soit lui, en fait.

    Laxo lui lança :

    -C'est sa défense en trois points qui t'a convaincue ?

    La remarque provoqua quelques rires et Bélera lui sourit en répliquant :

    -Non, je pense que c'est Lyert.

    Le garçon ouvrit de grands yeux :

    -Moi ? Pourquoi ?

    -Parce que tu insistes un peu trop sur le fait que ça puisse être Citseko.

    Lyert finit par dire :

    -Je sais que c'est lui, croyez-moi.

    Elférad supposa :

    -Si Lyert est l'espion, il a pu le voir.

    Une nouvelle discussion débuta jusqu'à ce que Matior élève la voix :

    -Allez, votez.

    Citseko ne survit pas à cette première journée. Quand au cours de la nuit, les assassins furent invités à choisir une nouvelle victime, il put voir Laxo et Lyert ouvrir les yeux. Les deux lui firent des petits saluts et il retint un éclat de rire. Bélera fut la troisième victime. Matior découvrit sa carte en annonçant :

    -L'espionne est morte.

    Bélera lança un regard désolé à Citseko qui le lui rendit. Au moment de voter, se trouvant face à une égalité, Matior se tourna vers Hiloy :

    -En tant que chef de clan, ta voix décide lequel des deux, entre Lyert et Theaon sera pendu.

    Toute l'attention portait sur iel, lae Cinquième répondit :

    -En tant que chef, je propose que l'on aille chercher un savant fou qui puisse ressusciter les morts et qu'on leur demande directement qui les a tué.

    Les rires se propagèrent en même temps qu'ils levaient la main pour approuver cette proposition. Matior réussit à reprendre suffisamment son sérieux pour dire :

    -Non, vous n'avez pas le droit de sortir de votre domaine.

    Rafirin ne put s'empêcher de glisser :

    -Et bien voilà qui est profondément irresponsable.

    Quand le sérieux retomba, la partie put reprendre son cours. Citseko participa aux deux autres parties qui suivirent, ne se souciant que de son amusement pour la première fois depuis longtemps. Matior distribuait la carte pour la quatrième fois quand Meb entra à la recherche de Citseko :

    -Ah, bah t'es là.

    Qegh lui lança aussitôt :

    -Tu veux jouer ? On doit tuer Lyert.

    Cela faisait trois parties qu'elle mourrait avant lui et elle trouvait cela lassant. Meb sourit :

    -Non, faut que je fasse mes devoirs.

    Aux vues de l'heure, Citseko savait ce que cela signifiait :

    -Mon sac est là-bas, si tu veux copier.

    L'héritier d'or se dirigea dans la direction indiquée. Matior frappa dans ses mains pour attirer l'attention des joueurs :

    -La dernière partie avant le décompte. J'ajoute un assassin.

    Citseko fit partie du lot et quand il ouvrit les yeux pour reconnaître ses alliés, il découvrit Theaon et Elférad.

    -Les assassins choisissent une victime.

    Pour faire plaisir à Qegh, Citseko désigna Lyert, interrogeant les deux autres du regard. Elférad fit un discret signe de tête en direction de son ami pour s'assurer que c'était bien lui qui était visé, avant de lever le pouce pour signifier son accord. Theaon hocha doucement la tête.

    -Les assassins sont d'accord ?

    Matior pointa à son tour Lyert pour s'assurer qu'il ne faisait pas erreur, puis continua :

    -Les assassins ferment les yeux.

    Lorsqu'il demanda à tous d'ouvrir les yeux et qu'il s'approcha de Lyert en disant :

    -Vous trouvez un corps... Je suis désolé, mon vieux.

    Lyert plaqua soudainement ses mains sur sa carte pour l'empêcher de la retourner :

    -Réfléchis bien à ce que tu fais. C'est une trahison, tu le sais ça.

    Matior eut un large sourire :

    -C'est pas moi qui ai choisi. Merci de ne pas abattre le messager.

    Qegh hurlait de joie.

     

    Le lendemain, lorsque leur professeur arriva, il annonça :

    -Aujourd'hui, un nouveau jeu prend place.

    Citseko se demanda pourquoi il faisait l'annonce dans le couloir et non pas dans la salle comme d'habitude. La réponse ne se fit pas attendre :

    -Veuillez me suivre.

    Encadrés par les surveillants, ils suivirent Mr Irdrour qui les mena dans les sous-sols du bâtiment. Les héritiers qui chahutaient encore dans les couloirs lumineux, se firent silencieux quand il fallut descendre. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'angoisse et la méfiance se firent une place en eux. Citseko essayait de raisonner calmement. Ils étaient plus nombreux que les surveillants, ce qui était probablement leur plus gros avantage au cas où ceux-ci les attaqueraient. Mais pourquoi ils feraient ça ? Il n'y a jamais eu de jeu demandant la participation des enseignants ou des surveillants. Mais dans ce cas, pourquoi leur professeur n'avait pas expliqué le jeu avant de les mener, le Roi seul savait où ?

    Enfin, il s'arrêta devant une porte et leur fit face :

    -Le jeu commence dès que vous entrerez dans cette pièce. Avez-vous des questions ?

    Indilk ricana :

    -Quelques unes, ouais.

    Laxo demanda :

    -Combien de temps ça va durer ?

    -Cela dépend de vous.

    Meb se lança :

    -Ça consiste en quoi ?

    -Un Enfermement.

    Ils s'entre regardèrent et Falibi fut celle qui lâcha :

    -Avec nous tous ?

    Leur enseignant hocha la tête. Un surveillant ouvrit la porte et s'effaça pour les laisser entrer :

    -Je vous en prie.

    Les héritiers ne bougèrent pas. Mr Irdrour précisa :

    -N’oubliez pas que la participation au jeu est obligatoire. Nous avons le droit de vous garder ici jusqu'à ce que vous vous décidiez à entrer.

    Tahiya fut la première à s'avancer, suivit par son cousin. Ce fut le départ dont ils avaient besoin et, peu à peu, ils se mirent en mouvement. La porte fut refermée à clé derrière eux.

    Citseko s’intéressa alors, à la salle. Elle faisait la taille d'une salle de classe standard à part que là où aurait dû se trouver des tables et des chaises, des carrés blancs étaient dessinés au sol. A côté de lui, Neghttris laissa échapper :

    -C'est quoi ce délire ?

    Une voix sortit d'un haut-parleur invisible :

    -Veuillez vous placer dans les carrés.

    Ils s'avancèrent avec prudence.

    -Vous croyez qu'on doit se mettre à notre place ? Comme en classe ?

    Elférad observait l'un des carrés avec intérêt :

    -Je ne crois pas. Ils auraient mis nos noms ou une indication.

    Sur ces mots, il entra dans un des espaces délimités par les traits blancs. Soudainement, des rayons jaillirent du sol, se reliant pour former un mur transparent. Matior laissa échapper :

    -Putain ! C'est quoi ça ?

    Citseko s'inquiéta :

    -Tu peux sortir ?

    Elférad ne sembla pas l'entendre. Passant les mains sur les faces de sa prison, il finit par se tourner vers ses amis réunis autour de lui. Cependant, quand il parla, Neghttris lui fit comprendre par signe qu'ils n'entendaient rien. Les mains dans les poches, Meb conclut :

    -Donc, on entre dans un carré et on se retrouve enfermé sans moyen de communiquer. Charmant.

    La voix dans le haut-parleur se fit de nouveau entendre :

    -Veuillez entrer dans les carrés.

    Ils obéirent en traînant les pieds. Citseko choisit le carré à la gauche de Meb. Quand il vit les rayons jaillir, il retint son souffle. Au contact, le mur invisible était bien solide et chaud. Il fit un tour sur lui-même pour voir où se plaçaient les autres et quand le dernier fut enfermé, la voix reprit :

    -Veuillez vous asseoir.

    Ils s’exécutèrent.

    -Un chiffre va apparaître sur les murs de votre cellule que vous seul pouvez voir. Deux chiffres seront appelés pour un interrogatoire. Le premier devra répondre aux questions que je proposerai concernant le deuxième.

    Citseko se repassa les instructions en espérant avoir tout saisi. Le chiffre « quatre » apparut et il se tourna aussitôt vers Meb. Celui-ci compris ce qu'il voulait avant même qu'il ne tente de se faire comprendre par geste. Il fit le chiffre « dix » avec ses doigts et Citseko répondit par « quatre ». La voix reprenait :

    -Vous ne pourrez entendre que les questions et les réponses données. Le « cinq » et le « treize » doivent se lever.

    Citseko regarda autour de lui, le cœur battant, soulagé de ne pas passer en premier. Lyert et Falibi se mirent debout.

    -« Cinq », je vais poser des questions que tous pourront entendre. A présent, tous peuvent t'entendre également.

    La voix de Falibi fut en effet audible :

    -Compris.

    Citseko était tout ouïe.

    -Comment s'appelle « treize » ? Veuillez donner prénom et nom.

    Falibi se mordilla la lèvre avant d'avouer :

    -Il s'appelle Lyert, mais je ne connais pas son nom.

    Citseko retint son souffle, en se demandant ce qu'il se passait quand on ne pouvait répondre à une question. Après quelques secondes d'angoisse, la voix ordonna :

    -Asseyez-vous. « Un » et « vingt », levez-vous.

    Vish et Nsoah obéirent. Citseko soupira de soulagement en réalisant qu'il connaissait leur nom de famille. Vish, héritière d'or, son nom était celui de son clan et Nsoah étant le cousin de Tahiya, il portait aussi le nom du clan. Il était assez fier de lui, mais il s'avéra que la question n'était pas la même.

    -Quel âge a « vingt » ?

    Vish répondit avec hésitation :

    -Quinze ans ?

    Il y eut un court silence, puis :

    -Quel est le blason de « vingt » ?

    Vish se tourna par réflexe vers le garçon, mais il se trouvait à deux rangs derrière elle et le cercle argenté était trop petit pour qu'elle put distinguer ce qu'il représentait. Elle dut se résoudre à répondre :

    -Je ne sais pas. Je ne vois pas.

    -Veuillez vous asseoir.

    Citseko commença à comprendre qu'ils ne sortiraient que s'ils avaient toutes les réponses. Le problème étant combien y a-t-il de question ?

    La voix enchaînait déjà :

    -« Onze » et « trois ».

    Ora et Hiloy se levèrent.

    -A quel clan appartient « trois » ?

    Hiloy n'hésita pas :

    -Le clan Miordenne.

    -Qui est son héritier d'or ?

    -Theaon.

    -Quel est son nom ?

    Hiloy laissa échapper une grimace :

    -Je ne sais pas.

    Les même questions furent posées encore et encore sans que personne ne réussisse à terminer l'interrogatoire. Citseko remarqua que la voix n'appelaient pas ensemble des amis proches qui auraient pu avoir facilement toutes les réponses. Ça finira jamais.

    -Le « dix-huit » et le « quatre ».

    Citseko sursauta, puis se leva en cherchant des yeux la personne qui devrait répondre. Qegh croisa son regard. Elle ne connaît pas mon nom. Il n'était même pas sûr qu'elle ai déjà prêté attention à son clan ou son blason.

    -Quel est son nom ?

    Qegh fit face aux autres et se pointa du doigt :

    -Plakti.

    Elle donne son nom, OK. Citseko eut un demi-sourire, alors que la voix disait :

    -Asseyez-vous.

    A sa gauche, il vit Neghttris sortir papier et crayon pour noter le nom de Qegh. Pas con. Il l'imita en fouillant dans son sac et, bientôt, ils furent tous prêt à prendre note.

    -Le « neuf » et le « deux ».

    Ce fut au tour d'Indilk et de Laxo de se lever. L'adolescent put dire sans problème le clan et le blason de la fille. Quand vint la question du nom, il donna le sien et ils durent s'asseoir. Le jeu continua ainsi pendant un long moment. Citseko remplissait sa feuille au fur et à mesure des nouvelles informations que les autres laissaient glisser.

    La faim commença à se faire sentir et il en vit beaucoup qui bâillaient. L’héritier d’argent aperçut Neghttris qui écrivait quelque chose dans son cahier et le garda contre le mur en attendant qu'un de ses amis se retournent pour le voir. Citseko jeta un œil vers Meb qui dormait, adossé à sa paroi. On a dû passer le déjeuner maintenant. Lorsqu'il reporta son regard vers l'avant, le jeune homme vit que Theaon lui faisait signe en pointant le doigt. Il suivit la direction et vit Neghttris qui lui présentait la page sur laquelle il venait d'écrire :

     

    Combien de temps ils peuvent nous garder enfermer, tu crois ?

     

    Citseko haussa les épaules et Neghttris continua à faire tourner la question jusqu'à ce que les personnes les plus proches l'ai lu. Quand Xutik et Vish s'assirent, Citseko se rendit compte, avec une pointe de désespoir, qu'il n'avait pas écouté. Tu devrais dormir un peu. De toute façon, ça risque pas de beaucoup bouger.

    -« Quatre » !

    La voix criant dans sa cellule le réveilla d'un bond. Il se mit debout, un peu perdu et regarda autour de lui. De l'autre côté de la salle, Gec-Nüj lui fit un signe de la main. Oh, génial.

    -« Quatre », comment s'appelle « huit » ?

    L'adolescent se pointa du doigt en donnant son nom :

    -Fraan.

    La voix leur demanda de s'asseoir. Un léger sifflement se fit, alors, entendre et Citseko vit Meb chuter. Il ne comprit, tout d'abord, pas pourquoi, puis il tendit la main. Les murs avaient disparu. Autour de lui, on commençait à s'agiter. On se levait, on hésitait. Quand ils furent sûrs que leurs cellules ne se refermeraient pas, ils commencèrent à se déplacer, à s'étirer. Vish demanda :

    -Vous croyez que c'est fini ?

    La porte s'ouvrit, les figeant sur place. Des surveillants déposèrent de larges sacs et repartirent sans un mot, refermant derrière eux. Qegh répliqua :

    -La réponse est là.

    Ils s'approchèrent des sacs. Tahiya et Elférad en ouvrirent quelques uns avant d'informer les autres :

    -Il y a à manger, des couvertures, des coussins.

    Indilk croisa les bras :

    -On est là pour un bon moment.

    Neghttris nuança :

    -Sauf si on répond juste à toutes les questions. C'est la seule conclusion à laquelle je suis arrivé.

    Meb approuva :

    -Je suis d'accord, mais si ça prend des jours, ils vont bien finir par abandonner et nous laisser sortir.

    Il regarda à la ronde, mais les visages rencontrés n'étaient pas encourageants. Hiloy se pencha pour distribuer les couvertures :

    -On devrait se servir au cas où ils nous demandent de retourner dans les cellules.

    C'est vrai, on ne sait pas combien de temps on a. Il prit la couverture qu'on lui tendait et un oreiller qu'il plaça dans son carré.

    -Citseko ?

    Il croisa les yeux mordorés de Bélera :

    -Oui ?

    La jeune fille était armée d'un cahier et d'un crayon :

    -Tu peux me redonner ton nom ?

    Citseko lui répondit et surpris son regard qui fixait son blason :

    -C'est un écureuil.

    Elle lui sourit, un peu gênée alors qu'il récupérait sa feuille :

    -Tu peux me donner le tien, de nom ?

    Les autres se menaient à la même activité, interrogeant, remplissant les feuilles. Tahiya s'approcha de Citseko :

    -Tu as nos blasons ?

    L'adolescent secoua la tête et elle lui fournit l'information pour son cousin et elle-même. Il la renseigna également sur Meb et lui. Du coin de l’œil, il vit que le carré de Meb était vide. L’héritier d’argent repéra son ami qui parlait à Laxo et Theaon, notant leurs informations. Citseko alla lui récupérer un coussin et une couverture qu'il lui installa dans sa cellule, puis revint vers le sac contenant la nourriture. Avant de se servir, il demanda à Ora qui se trouvait à proximité :

    -On peut prendre à manger ?

    La jeune fille haussa les épaules :

    -Vas-y, il y en a qui se sont déjà servis.

    Elle vint s'asseoir près de lui pour voir sous quelle forme cela se présentait :

    -C'est des sachets ?

    Citseko en sortit quelques uns :

    -Apparemment. Ils sont tous pareils. T'en as pris un ?

    -Pas encore.

    Il lui tendit un sachet tout en comptant le reste :

    -Il doit y en avoir un par personne.

    -Je pense aussi.

    Elle se redressa pour lancer :

    -Qui n'a pas pris sa dose de nourriture ?

    Quelques mains se levèrent. Ora saisit plusieurs sachets pour les distribuer. Citseko en plaça un dans sa cellule et un dans celle de Meb avant de revenir aider la jeune fille. Quelques minutes plus tard, la voix se fit de nouveau entendre :

    -Retournez dans vos cases.

    Ils protestèrent, mais obéirent tout de même. Une fois enfermé, Citseko jeta un regard à sa feuille. Il avait fait des colonnes pour chaque héritier et avait réussi à remplir la plupart. Je pense pas que l'on va pouvoir partir de sitôt.

    -« Neuf » et « quatre ».

    Citseko se leva et fit face à Indilk. Comme ils venaient de se parler, Citseko fut confiant. Il a toutes les informations normalement.

    -Comment se nomme « quatre » ?

    -Citseko Fraan.

    -Quel est son clan ?

    -Evarla.

    -Son blason ?

    -Un écureuil gris.

    -Son héritier d'or ?

    -Meb Evarla.

    -Combien a-t-il de frère et sœur ?

    Citseko aurait presque pu entendre les souffles de ses camarades s'arrêter sous le choc. Ils s'échangèrent tous des regards, avant de se focaliser sur les adolescents encore debout. C'était bien la première fois que Citseko voyait Indilk prit au dépourvu. Cependant, il se ressaisit rapidement pour le dévisager. Citseko lui présenta une main ouverte.

    -Cinq.

    -Combien sont morts ?

    Citseko secoua la tête.

    -Zéro.

    Il faut que ça s'arrête avant que je ne puisse plus rien… il baissa les yeux sur le sol et ramassa feuille et crayon.

    -Reposez cela ou vous devrez vous rasseoir.

    Citseko se figea avant d’obtempérer. Il se remit face à Indilk qui attendait la prochaine question.

    -Quelle est la personne qu'il aime ?

    L'adolescent rougit violemment, le cœur battant. Comment ils savent ça ? La réponse s'imposa naturellement. Ils devaient avoir connaissance de tout ce qui pouvait être utilisé comme moyen de pression. Et maintenant, ils donnent ces infos à toute la classe. S'ils voulaient leur faire comprendre ce qu'avait été le vrai but des Enfermements, c'était gagné. Indilk le dévisageait toujours et en même temps que Meb levait le bras, il le pointa du doigt.

    -Meb.

    Le même sifflement que plus tôt se fit entendre et Indilk put quitter sa cellule. La voix l'informa cependant qu'il ne pourrait quitter la salle qu'avec les autres. Citseko allait s'asseoir quand la voix annonça :

    -« Quatre » et « dix-sept ».

    Il se releva, un peu surpris, puis Elférad l'imita. Les mêmes questions arrivèrent et Citseko pu répondre au nom, blason et clan avec une certaine fierté.

    -Combien a-t-il de frère et sœur ?

    Il se fia aux signes d'Elférad pour répondre à la suite :

    -Un.

    -Mort ?

    -Oui.

    -Comment ?

    C'est quoi ça encore ? Il vit Elférad lui présenter passer son pouce sur son cou. Assassiné ? Est-ce qu’il faut que je précise si c’était dans un duel ou quelque chose comme ça ? Citseko tenta de lui faire comprendre qu'il voulait un complément, alors qu'Elférad cherchait déjà un moyen de compléter l'information. Il le vit jeter un regard vers ses affaires, tenter d'écrire la réponse, mais se retint. Citseko se concentra. Bon, je peux juste dire qu’il a été tué et voir ce que le haut-parleur raconte. Voyant que tous avaient les yeux sur lui, il finit par répondre :

    -Il a été assassiné ?

    Il retint son souffle en attendant la réaction de la voix qui finit par dire :

    -Comment ?

    Aucune idée ne vint à Elférad pour préciser l’information, alors Citseko tenta :

    -Un poison ?

    La voix répondit :

    -Asseyez-vous.

    L’héritier d’argent articula des excuses à Elférad qui haussa les épaules. Tant que les réponses purent être mimées, certains réussirent à sortir. Lorsque la voix annonça que la nuit était tombée et qu'ils reprendraient le lendemain, Indilk, Neghttris, Bélera, Xutik et Falibi étaient les seuls dehors. Citseko mangea son sandwich en soupirant. Il avait espéré dormir à l'extérieur. L'espace dans la cellule était restreint et il serait obligé de dormir en boule, lui, qui préférait s'étendre.

    Lorsque la voix les réveilla le lendemain, Citseko avait un torticolis et son corps était criblé de courbature. Il faut que je sorte aujourd'hui ou je vais pas être content du tout. Le jeu reprit et quand les cellules s'ouvrirent au moment où les surveillants livrèrent un nouveau sac de nourriture, les adolescents passèrent des uns aux autres pour compléter leurs informations. Citseko s'approcha d'Elférad :

    -Il est mort comment ?

    L'héritier d'or grimaça :

    -On ne sait pas exactement. Mes parents sont sans doute au courant, mais ils ne m’en ont jamais parlé.

    Citseko sentit une réticence chez le garçon et n'insista pas. Il alla récupérer deux sachets de nourriture avant de revenir à sa place. Il en posa un chez Meb et y ajouta une moitié de son sandwich. Il était clair qu'on leur avait fait sauter le petit-déjeuner. Citseko savait que son héritier d'or avait dû être affamé toute la matinée. Lui avait, bien sûr, prévu le coup et avait conservé la pomme qui lui restait. Il vaut mieux que je le prévienne, qu'il ne s'étonne pas.

    -Meb ?

    Le garçon, à quelques pas de lui, se retourna pour lui répondre :

    -Quoi ?

    -Je te donne une part de mon sandwich. Au cas où ça durerait encore un moment.

    -OK.

    Meb revint à ce qu'il était en train de noter.

    -Citseko ?

    Cette fois, c'est Hiloy qui était venu.e lui parler. Il s'inclina, alors qu'iel commençait :

    -T'a combien de frère et sœur, déjà ?

    -Cinq, tous en vie.

    Lae Cinquième sembla n'avoir rien d'autre à demander, pourtant, iel resta là. Il finit par dire :

    -Si tu veux autre chose...

    Hiloy se lança :

    -En fait, je voulais savoir s'il y avait une information en particulier, concernant Meb, que tu penserais nécessaire... que l'on connaisse.

    Citseko regarda autour de lui :

    -Tu penses aussi qu'ils cherchent à nous passer des renseignements compromettants.

    Iel rectifia :

    -Compromettant, je ne sais pas, mais ils ont l'air de vouloir révéler nos secrets, oui. Si on peut appeler cela des secrets. Je ne vois pas en quoi savoir qu'Elférad a un frère qui est mort va changer nos vies.

    Citseko approuva :

    -Nous, peut-être pas, mais pour lui, ça a l'air important. Il n'avait pas l'air ravi que je lui en reparle tout à l'heure.

    -Ah oui ?

    Hiloy posa un regard scrutateur sur Elférad :

    -Ce qui me dérange, c'est qu'on ne cache pas tous quelque chose. On ne sera pas sur un pied d'égalité quand ce sera fini.

    Citseko lae dévisageait, bouche bée et iel crut ne pas avoir été assez claire :

    -Je veux dire, maintenant, on sait tous qu'Elférad a un frère mort, alors que par exemple, moi, je n'ai pas de secret. Pas de membre de la famille qui ait été tué ou rien du tout.

    L'adolescent l'observa avec douceur. Iel est mignonne.

    -Je peux te dire quelque chose, Hiloy ?

    Iel hocha la tête en souriant :

    -Bien sûr. Vas-y.

    -Tout le monde a des secrets.

    Lae Cinquième réfléchit intensément :

    -Je ne crois pas en avoir. Je le saurais si j'avais des secrets.

    Citseko ajouta :

    -Un secret, ici, peut être une information que tu n'as pas jugé nécessaire de partager avec la classe. Comme le frère d'Elférad ou le fait que je sois amoureux de Meb.

    Hiloy montra qu'iel avait compris en hochant la tête :

    -D'accord, mais pourquoi ils veulent que l'on sache ce genre de chose ?

    Citseko s'étonna que l'évidence ne la frappe pas :

    -Eh bien, savoir qui aime qui te permet de trouver des moyens de pression. Savoir qui est mort et par qui te permet de jouer sur une vengeance.

    L'adolescent.e soupira :

    -Je sais oui. Mais je ne vois pas qui dans la classe ça peut intéresser. Je ne vois personne ici qui pourrait vouloir te faire chanter en utilisant Meb.

    Le regard du garçon se tourna vers Xutik et Gec-Nüj. On ne sait jamais.

    -Fais attention, Hiloy. C'est facile de faire le gentil quand rien ne te menace. Attends les Grands Jeux pour savoir à qui tu peux faire confiance.

    Hiloy eut un sourire amusé :

    -Tu me fais penser à Tefpiro... en plus gentil.

    -Qui ?

    -Le Quatrième.

    Citseko chercha dans sa mémoire et il crut bien avoir déjà entrevu les jumeaux au blason portant le chêne. Il eut un demi-sourire :

    -C'est un compliment ?

    Hiloy se pencha comme pour lui dire un secret :

    -Il est en seconde année, pas une égratignure et c'est le Quatrième, je dirais que oui.

    Il n'avait jamais vraiment parlé à Hiloy avant cet instant, mais il décréta qu'il l'aimait bien.

    -Merci.

    La voix leur demanda de rejoindre leur place. Falibi agita un mouchoir en guise d'au-revoir à Hiloy qui éclata de rire.

    L'après-midi vit sortir Vish et Ze. Citseko ne comprenait pas pourquoi on permettait encore les esclaves. Il y avait quelque chose de dérangeant dans le fait qu'ils ne soient rien et pourtant, ne les comptait-on pas dans les activités ? S'ils n'étaient vraiment rien, pourquoi pouvaient-ils s'asseoir en classe avec les autres. Citseko était presque certain que Ze avait eu droit à un numéro, comme elle avait eu droit à une cellule, même si elle n'avait jamais été appelée.

    -« Huit » et « onze ».

    Gec-Nüj et Hiloy se levèrent. L'adolescent répondit aux premières questions sans même avoir à réfléchir. Puis, arriva le tournant fatidique et la voix demanda :

    -Pourquoi « onze » ne peut pas se battre avec le reste des Cinq ?

    Citseko se redressa, se tournant vers Hiloy. C'est ça son secret ? Lae Cinquième parut réfléchir une seconde avant de claquer des doigts avec une expression signifiant « mais, bien sûr ». Ça n'a pas l'air de l'angoisser au moins. De son côté, Gec-Nüj prenait le temps de la réflexion. Il finit par jeter un regard à Hiloy qui se serra les mains et l'adolescent sembla comprendre de suite :

    -Parce qu'ils ont fait une union.

    Citseko ouvrit des yeux ronds. Il avait du mal à imaginer la portée que pouvait avoir une union entre les Cinq. Pourquoi ? Dans quel but ? Il eut beau chercher, il ne se souvenait pas que cela ait déjà eu lieu dans l'histoire de l'école. Alors qu'il se creusait le crâne, Gec-Nüj fut libéré et c'est avec un sentiment désagréable que Citseko le vit rejoindre son héritier d'or, libre lui aussi. Il jeta un regard à Meb. On n'est pas fameux tous les deux.

    Ils passèrent une autre nuit dans la salle. Cependant, les informations continuaient de se compléter par mime et peu à peu, les cellules se vidèrent. Citseko fut libéré peu de temps avant l'arrivée du repas. Ce fut sur Lyert qu'il avait été interrogé et quand la question fut posée :

    -Quelle est sa passion ?

    Lyert fit une petite démonstration qui ne pouvait laisser aucun doute.

    -La danse classique.

    La voix lui avait alors permit de sortir. Lyert s'avança vers lui dès que les murs eurent disparu, avant l'entrée des surveillants :

    -Tape.

    Citseko claqua la main tendue :

    -Tu es doué en danse.

    Lyert parut ravi :

    -Tu trouves ? Merci.

    Matior les rejoint :

    -Il est magnifique.

    Puis, ce fut Neghttris :

    -Magique.

    Et Elférad :

    -Fantasmagorique.

    Neghttris reprit :

    -Plein de truc en -ique.

    Matior lâcha rapidement :

    -Classique, panique, fantastique, plumique, torrifique, horrifique...

    Elférad le coupa :

    -Tu te rends compte qu'il y a un mot sur trois qui n'a rien à faire là.

    Neghttris passa un bras autour des épaules de son ami et ajouta :

    -Voir, même, qui ne veut rien dire.

    Elférad répéta :

    -Même.

    Meb arriva pour tirer Citseko en arrière :

    -Ça va pas tarder à reprendre. Tu m'as pris à manger ?

    Citseko sursauta :

    -Ah, non, j'y vais.

    Il perçut la tension entre les deux héritiers d'or et prit note qu'il devrait éviter le groupe d'Elférad pour un moment. Meb devait estimer qu'ils étaient assez proches comme ça. Il n'était pas bon qu'un héritier d'argent passe trop de temps avec un héritier d'or qui n'était pas le sien. Enfin, dans la façon dont je vois les choses. Il observa Qegh qui n'était même pas dans la même classe que son héritière d'or et qui passait le plus clair de son temps à discuter avec Theaon.

    A côté du sac, Tahiya râlait auprès de son cousin :

    -Tu verras que je serais la dernière à sortir. J'ai jamais de pot.

    Citseko ne put s'empêcher de laisser échapper un demi-sourire. Il était bien soulagé de ne pas avoir à retourner dans sa cellule. Comme si cela avait été une prémonition, à la fin de la journée, il ne restait que Tahiya. Elle écrivit rapidement sur une feuille quelle plaqua contre la paroi, avant que la voix ne commence l'interrogatoire :

     

    Évitez de me regarder comme un animal en cage, merci.

     

    Il y eut quelques rires, mais la plupart attendait la suite avec une certaine inquiétude. Qu'elle échoue et ils seraient bloqués là une nuit de plus.

    -« Douze » et « neuf ».

    Indilk s'avança. Les premières questions passèrent sans problème.

    -Combien « neuf » a-t-il de frère et sœur ?

    Indilk leva un doigt.

    -Un.

    -Mort ?

    Hochement de tête.

    -Oui.

    -Quand ?

    Il leva de nouveau l'index et Citseko ne put s'empêcher de se demander si c'était mois ou année. De son côté, Tahiya répondit rapidement :

    -Il y a un an.

    -Où ?

    Citseko entendit les râles que ces camarades laissèrent échapper et quelqu'un soupira :

    -Ça va finir, oui ?

    Indilk pointa le doigt vers le sol, ouvrit largement les bras pour embrasser la salle.

    -Il est mort ici ?

    Chacun retint son souffle, mais la voix reprit :

    -Quelles conséquences ?

    Cette fois, l'énervement général se fit entendre clairement, alors qu'Indilk restait concentré. Il pointa son veston, mais Tahiya plissa les yeux, hésitante. Xutik lança au garçon :

    -Trouve autre chose. Je refuse de rester ici une nuit de plus.

    Indilk réfléchit, puis montra, plus précisément, les broderies d'or à la jeune fille. Tahiya commençait à se faire une idée, mais hésitait encore à répondre. Elle ne tenait pas plus que les autres à être la cause d'une autre nuit loin de leur lit. Citseko s'approcha :

    -Dis nous ce que tu veux lui faire comprendre, on peut peut-être t'aider.

    Meb le retint :

    -Je ne crois pas qu'ils vont le permettre.

    Citseko chercha une caméra du regard, sachant très bien qu'il ne trouverait rien.

    -Citseko.

    Il sursauta quand Indilk l'appela et répondit d'une voix un peu forte :

    -Oui ?

    -File moi ton veston.

    Il obéit sans poser de question. Indilk retira le sien et posa celui de Citseko, aux broderies d'argent, sur ses épaules. Tahiya lui prêta toute son attention. Il enleva le manteau, remit le sien. Citseko réfléchissait également à la signification de ces mimes. Il a montré la pièce. Son frère ou sa sœur est mort il y a un an. Il change de manteau... parce qu'il n'était pas un héritier d'or à l'origine. Ça devait être son frère ou sa sœur aîné. Il crut bien que son cœur allait exploser lorsqu'il entendit Tahiya répondre :

    -Indilk est devenu un héritier d'or à sa mort. Il est le cadet.

    Un tintement se fit entendre et des cris de joie emplirent la salle.

    -Vous pouvez rejoindre votre dortoir.

    Ils ne se firent pas prier et ce fut presque une course dans les couloirs. Citseko n’aurait jamais imaginé être si heureux de se retrouver à l’air libre. La journée s'achevait. Les secondes années devaient être en train de dîner, mais Citseko ne rêvait que d'une douche et d'une bonne nuit de sommeil.

    Meb cria en voyant son lit et se jeta dessus en faisant semblant de pleurer :

    -Mon lit, tu m'as tellement manqué.

    Citseko s'allongea sur le sien avant de poser une question fondamentale :

    -Tu crois qu'on doit faire nos devoirs ?

    Meb grommela dans son oreiller :

    -Ils peuvent aller se faire foutre.

    -Je trouve aussi.

     

    Six jours après leur libération, le grand Enfermement continuait à être le sujet de discussion de la classe. Assis dans la salle, alors que la pause venait de sonner, Citseko écouta Falibi raconter aux autres que Rafirin avait été enfermé quatre jours.

    -Sa classe a eu un mal fou à sortir.

    Matior lança :

    -J'ai entendu dire que la classe Lion venait tout juste de sortir.

    Theaon prévint :

    -Tu ne devrais pas te fier au « on dit ».

    Citseko partageait l'avis de la jeune fille. Il préférait ne pas croire ce qu'il entendait sans preuve. Cependant, quand la pause fut terminée et que Irdrour revint en salle, il annonça, avec une pointe de fierté :

    -Les Enfermements sont officiellement terminés. Je suis ravi de vous annoncer que vous êtes les premiers à être sortis.

    Les cris de soulagement et les applaudissements résonnèrent dans la salle un petit moment, avant que leur professeur ne les fasse revenir au cour. Ce soir-là, Meb déblatérait sur l'Enfermement tandis que Citseko faisait ses devoirs. Il s'était vanté auprès de ses amis de la façon dont il s'en était sorti, alors qu'eux se plaignaient de l'un ou l'autre de leur classe qui avait tout foiré. L’héritier d’argent finit ses devoirs en bâillant. Je vais me coucher direct, ce soir. Il se leva pour prendre son pyjama quand Meb changea radicalement de sujet de conversation :

    -Tu te souviens ? Quand tu m'as fais ta déclaration l'année dernière ?

    Citseko se figea. Il ne voyait pas comment il aurait pu oublier. Lorsqu'il avait enfin eu le courage de parler, Meb avait simplement demandé s'il souhaitait qu'ils se séparent pendant un moment. Une réponse qui voulait tout dire. Bien sûr, Citseko avait refusé. Son devoir passait avant tout et il persistait à croire que c'était cet événement qui avait convaincu, le chef et sa femme, de le désigner comme héritier d'argent. Il hocha la tête pour répondre à Meb.

    -On n'en a jamais reparlé depuis...

    Je n'aime pas beaucoup la tournure de cette conversation. L'héritier d'or prit son courage à deux mains pour annoncer :

    -En fait, j'ai rencontré une fille.

    Ce fut comme s'il venait de recevoir un coup de poing dans l'estomac. Cependant, rien n’en transperça dans sa voix :

    -Cool. Quand ça ?

    -Il y a un petit moment. Je t'en aurais pas parlé si je ne pensais pas que c'était un minimum sérieux.

    Citseko ne put que conclure :

    -OK.

    -Vraiment ?

    Meb était un peu surpris. Sans s'attendre à une crise de jalousie, il s’attendait au moins à ce qu'il exprime quelque chose. Citseko prit son pyjama et une serviette avant de se diriger vers la salle de bain :

    -Vraiment.

    Il espéra que le bruit de l'eau dissimulerait le son de ses pleurs.

     

    -Fais gaffe !

    Citseko sortit de ses pensées, alors que le couteau factice le touchait à l'épaule. Qegh se précipita :

    -Ça va ?

    L'adolescent eut un demi-sourire :

    -Oui, tu n'as pas lancé si fort que ça.

    La jeune fille posa les poings sur ses hanches en prenant un air sévère :

    -Mais qu'il n'est donc pas gentil du tout celui-ci.

    Citseko rit doucement :

    -Désolé.

    La nouvelle que Meb lui avait annoncé la veille l’ennuyait plus qu'il ne l'aurait cru. Après tout, cela ne changeait rien qu'il ait une copine, Citseko restait son héritier d'argent. Malgré cela, celui-ci était resté à ruminer ses pensées toute la journée. Alors que les autres duos formés pour l'activité du soir continuaient à attaquer et se défendre, Qegh ramassa le couteau et s'éloigna de quelques pas :

    -Bon, on recommence. Prêt ?

    Citseko acquiesça, mais quand l'arme lui arriva dessus, il la frappa pour dévier sa trajectoire. Sa partenaire soupira :

    -Non, tu dois l'éviter.

    Le garçon prit un air penaud :

    -Désolé, réflexe.

    Il alla chercher le couteau et le lui rendit. Elle le mit en garde :

    -Concentre-toi, parce qu'on ne pourra pas passer à la suite tant qu'on n’a pas fait ça. Les autres ont déjà avancé.

    Il acquiesça de nouveau en s'excusant. Le club terminé, il sortit à pas lents. Un rire dans le couloir attira son attention et il vit Gzadien et Elférad qui discutaient un peu plus loin. Cela faisait un moment qu'il ne les avait pas vus ensemble et, comme d'autres, il avait commencé à se dire que c'était fini. Apparemment, non. Une pointe d'envie vint lui titiller le cœur alors qu'il se demandait pourquoi cela avait toujours l'air plus facile pour les autres.

    -Citseko ?

    Il sursauta en se tournant vers Qegh. Elle rit :

    -T'es vraiment ailleurs aujourd'hui. Ça va ?

    Il haussa les épaules :

    -Fatigue, c'est tout.

    Elle n'insista pas et s'éloignait déjà quand il la rattrapa :

    -Qegh, je peux te poser une question ?

    Elle hocha la tête.

    -Ton héritière d'or, elle a quelqu'un ?

    -Oui, pourquoi ?

    Citseko essaya de ne pas paraître trop évident en disant :

    -Ça a changé quelque chose entre vous ? C'est pour ça que tu n'es pas dans sa classe ?

    La jeune fille répondit sans hésiter :

    -Non, c'est parce que j'ai un compte à régler.

    Citseko compléta tout en réfléchissant à son problème :

    -Avec Lyert.

    Elle sourit :

    -Et nous qui avions cru être discrets.

    Qegh l'observa un moment en silence avant de demander :

    -Pourquoi tu me demandes tout ça ? Il s'est passé quelque chose avec Meb ?

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Pas vraiment, non. Merci.

    Il s'éloigna avant qu'elle ne puisse lui poser d'autres questions. De retour dans sa chambre, il continua à ruminer. Que ferait-il si Meb demandait à changer de classe pour être avec sa copine ? L'adolescent se concentra sur ses devoirs pour penser à autre chose. Quand il eut fini et qu'il remarqua que l'héritier d'or n'était toujours pas rentré, son humeur s'assombrit encore. Il doit encore passer la soirée avec ses copains. Pendant quelques minutes encore, le garçon resta à fixer le mur avant de se secouer. Il n'y a pas de raison qu'il soit le seul à s'éclater. Il quitta la pièce pour se rendre dans la salle commune.

    Comme à l'ordinaire, un groupe de première année avait poussé la musique et il se réfugia dans la pièce réservée à sa classe. Là, Citseko aperçut Lyert et Qegh qui se disputaient un paquet de chips. Quand celui-ci explosa, ils furent acclamés par Elférad, Matior et Neghttris qui les observaient avec amusement. L’héritier d’argent se tourna vers le coin bibliothèque. Vish recopiait ses notes, installée dans un large fauteuil vert, alors qu'à ses pieds, Ze patientait. Citseko hésita à s'approcher, mal à l'aise. Tu vas quand même pas retourner dans ta chambre, après être arrivé jusqu'ici. Il s'amusa tout seul de la façon dont cette phrase sonnait comme s'il avait accompli un exploit. L'air de rien, il alla prendre un livre et s'installa. Même si son regard revenait sur Ze, il se garda bien de poser des questions à Vish. N'oublie pas où est ta place. Il faudrait que j'écrive à mes parents pour leur demander s'ils savent pourquoi un esclave est compté dans les effectifs. Fort de cette décision, il replongea dans son livre.

    Celui-ci ne s'avéra pas vraiment passionnant et l’adolescent fut soulagé lorsque Meb ouvrit la porte de la pièce en l'appelant. Citseko bondit sur ses pieds :

    -Oui ?

    -Viens, dépêche-toi.

    Il obéit. Arrivé à la hauteur du garçon, il demanda avec inquiétude :

    -Qu'est-ce qu'il se passe ?

    Sans répondre, Meb le mena à travers le parc jusqu'au chemin menant aux bâtiments des troisièmes années. Le groupe d'ami de l'héritier d'or attendait là. Ce n'est que lorsqu'ils les eurent rejoint que Meb expliqua :

    -Alors, il faut que t'ailles là-bas, que tu parles aux troisièmes années et que tu leur demandes c'était quoi les jeux qu'ils ont eu en première année.

    Citseko ne demanda pas pourquoi c'était à lui d'y aller. La réponse était évidente. Il valait mieux que ce soit lui qui créait des problèmes plutôt qu'un héritier d'or et aucun des amis de Meb n'avait d'héritier d'argent.

    -On a déjà demandé aux secondes années. On veut faire un comparatif, voir si des trucs reviennent.

    Vous n'êtes certainement pas les premiers à tenter le coup. En revanche, entrer dans le domaine interdit des troisièmes années... ils ne leur avaient jamais été explicitement demandé de ne pas s'engager dans le chemin, mais le simple fait que les troisièmes années soient isolées des autres en faisait une règle implicite. Comme Citseko ne réagissait pas, Meb demanda :

    -T'as compris ?

    L'héritier d'argent acquiesça.

    -Bon, dépêche-toi. Faut qu'on rentre avant le décompte.

    Citseko proposa :

    -Ce ne serait pas mieux d'y aller un jour de repos ?

    Meb répliqua :

    -Et si on se retrouve avec un jeu entre-temps ?

    L'adolescent ne trouva rien à redire et s'avança sur le chemin sous les regards pesant des héritiers d'or. Il se rassura en se disant que s'ils n'avaient pas le droit de voir les troisièmes années, le chemin aurait été fermé. L’héritier d’argent traîna un peu en route, profitant de cette corvée pour prendre l'air. Mais attends, il est quelle heure ? Il n'avait pas vraiment fait attention avant de quitter sa chambre. Meb vient pas de dire que le décompte allait bientôt commencer ? Malgré lui, il accéléra le pas. L’adolescent ne tenait pas à dormir à l'hôpital. Il aurait pu faire demi-tour pour demander l'heure à Meb, mais il craignait de le mettre de mauvaise humeur. Citseko continua donc son chemin à pas rapides.

    Cependant, il dut s'arrêter bientôt car il se trouva face à une fourche. C'est sérieux ? Aucun panneaux ne lui indiquant quelle direction prendre, l’héritier d’argent alla à gauche. Le large chemin finit par rétrécir au fur et à mesure pour se perdre dans les bois. Bon, c'était pas là. Il fut tenté de rebrousser chemin. Seulement,, ce serait dommage de repartir, s'ils sont derrière le prochain virage. Citseko finit par se résoudre à continuer.

    Ses pas le menèrent à une maison isolée. C'est définitivement pas ça.

    -Qu'est-ce que tu fais là ?

    Le garçon fit un bond quand deux hommes et deux femmes apparurent. Il reconnut aussitôt l'uniforme de la garde du Roi. Qu'est-ce qu'ils fichent ici ? Intimidé, Citseko bafouilla :

    -Je cherche les troisième années.

    L'un des hommes lui pointa la direction d’où il venait :

    -C'était à droite à la fourche.

    Citseko remercia du bout des lèvres, s'inclina dans le doute et s'empressa de repartir. Il avait bien avancé quand il se dit qu'il aurait peut-être dû leur demander l'heure. La nuit tombait rapidement. Bon, je tente quand même. Au moins, Meb ne pourra pas dire que je n'ai pas essayé. L’adolescent s'engagea sur l'autre chemin, une fois à la fourche. Courant à moitié, il finit par arriver aux bâtiments des troisièmes années. Quand Citseko vit la cour et le parc désert, il sentit que quelque chose n'allait pas. L’héritier d’argent entra timidement dans le bâtiment qu'il supposa être le dortoir.

    Le silence le conforta dans sa crainte. Le décompte est terminé. Il soupira et s'empressa de revenir vers son dortoir. La nuit était maintenant tombée. Au moins, la route est dégagée à défaut d'être éclairée. L’adolescent ne fut pas surpris de voir que Meb ne l'avait pas attendu et se dirigea vers l'hôpital, quand Hiloy et les jumeaux surgirent de l'arrière du bâtiment. Il continua d'approcher sans s'en soucier, mais Tefpiro lui cria :

    -Qui c'est ?

    Citseko ne réagit pas immédiatement, ne s'imaginant pas qu'on puisse s'adresser à lui, mais comme le Quatrième avançait à grands pas vers lui, il s'arrêta.

    -T'es qui ?

    Le ton agressif mit l'adolescent sur la défensive :

    -Citseko du clan Evarla.

    -Et qu'est-ce que tu fais dehors si tard ?

    Hiloy le rattrapa à ce moment-là :

    -C'est bon. Il est dans ma classe.

    Tefpiro haussa les épaules :

    -Et alors ? Il peut être un espion quand même.

    Citseko allait se récrier en proclamant qu'il n'en était pas un, mais, jugeant l'argument trop faible, il préféra se taire. Cependant, Hiloy l'ignora pour demander à l'héritier d'argent :

    -Comment tu t'es retrouvé là ? T'as oublié l'heure ?

    Citseko hocha la tête. Tefpiro soupira :

    -Je te l'ai déjà dit, Hiloy, tu es trop crédule.

    Oru croisa les bras en dévisageant Citseko. Elle finit par poser la main sur l'épaule de son frère et tapota avec son index.

    -Elle a raison. Tu viens d'où comme ça ?

    L'adolescent ne vit pas de raison de cacher ce qu'il faisait :

    -Je suis allé voir les troisièmes années.

    -Pourquoi ?

    Citseko ne put s'empêcher de glisser un regard vers Hiloy en s'attendant presque à ce qu'iel intervienne :

    -Pour savoir quels jeux ils ont eu en première année, pour comparer.

    Comme ils l'observaient en silence, Citseko tenta:

    -Et vous ? Vous faîtes quoi ?

    Tefpiro s'approcha avec un air menaçant :

    -Pourquoi ? Ça t'intéresse ?

    Citseko se recula. Non, pas tellement, mais y a pas de raison que je sois le seul à paraître louche. Hiloy proposa d'un ton ennuyé :

    -On y va ?

    Tefpiro lui fit face :

    -Mais attends, s'il a entendu...

    Iel le coupa :

    -Entendu quoi ? Ça fait dix minutes que tu te plains d'avoir encore faim. Je suis désolé.e, mais je ne pense pas qu'il ira loin avec ça.

    Oru eut un large sourire et saisit le bras de son frère pour le forcer à se mettre en marche. Ils se remirent en route, mais Tefpiro n'oublia pas de lancer :

    -Je t'ai à l’œil !

    Citseko eut un demi-sourire tant cette phrase lui parut ridicule. Il allait reprendre sa route quand Hiloy lui cria :

    -Hey ! Citseko ! Tu veux dormir dans ma chambre ?

    Tefpiro s'indigna si fort que l'adolescent crut bien qu'il réveillerait tout le monde :

    -QUOI ?!

    Sans s'émouvoir et riant à moitié de sa réaction, Hiloy argumenta :

    -Bah oui. Il y a un matelas supplémentaire sous mon lit. On a découvert ça la dernière fois avec Falibi.

    Tefpiro leva une main pour lae faire taire :

    -On sait, on a les mêmes. Ce n'est pas le problème. Tu n'invites pas des inconnus dans ta chambre comme ça, enfin. Et s'il te tue ?

    Lae Cinquième haussa les épaules :

    -Bah, au moins, vous saurez qui c'est. Je compte sur vous pour me venger.

    Oru posa une main sur son épaule en hochant la tête en signe de promesse. Avant que Tefpiro ne s'enflamme à nouveau, et pour éviter des problèmes à Hiloy, Citseko leur lança :

    -Non, merci. Je vais à l'hôpital.

    Iel fut surprise :

    -L'hôpital ? T'es blessé ?

    Tefpiro lui envoya une tape sur le bras :

    -Mais non, on peut y dormir si on se retrouve enfermé dehors. Tu sais rien de rien, toi.

    Citseko s'éclipsa avant que l'attention ne revienne sur lui. Lorsqu'il entra dans l'hôpital, une femme, peu aimable, lui indiqua le dortoir.

    En y entrant, il fut accueilli par des cris et des rires qui le laissèrent pessimiste sur ses possibilités de repos. Au moins, ils sont tous au fond. Citseko choisit le lit le plus éloigné du groupe bruyant, celui au plus près de la porte. Dans les coins de la pièce, des rideaux tendus permettaient un minimum d'intimité pour se changer. Mais j'ai pas de pyjama. Il regarda aux alentours à la recherche d'un meuble ou une commode qui aurait pu contenir ce genre de fourniture. Après tout, on se retrouvait ici par nécessité. Ceux qui prévoyaient le coup, étaient rares. Ils devaient donc fournir le minimum. Cependant, Citseko eut beau chercher, il ne vit rien qui allait dans ce sens. Pourtant, ils en ont eux. Le groupe, au fond de la salle, portait, en effet, le même pyjama gris. Tout en réfléchissant, l’héritier d’argent retira son veston.

    -Sous l'oreiller.

    Il se tourna vers le garçon assis en tailleur sur le lit en face du sien, un livre posé devant lui.

    -Pardon ?

    -Tu cherches un pyjama, non ?

    Citseko hocha la tête.

    -Ils sont sous les oreillers.

    Le garçon souleva le sien pour découvrir un pyjama gris, parfaitement plié. Il fut soulagé de ne pas avoir à dormir habillé :

    -Merci.

    Il se glissa derrière le rideau pour se changer. Bon, il faut que je me lève plus tôt pour aller chercher mes affaires et prendre une douche, aussi. L’adolescent avait repéré un réveil sur la petite table de nuit blanche. Il déposa ses affaires au bout de son lit, avant d'essayer de comprendre comment l'appareil fonctionnait.

    -Je te montre ?

    Citseko n'eut pas le temps de répondre que l'adolescent lui prenait le réveil des mains. Je crois que je m'en serais sorti quand même. Il ne dit rien, car cela partait d'un bon sentiment. Après lui avoir expliqué le fonctionnement, Citseko régla à l'heure voulue. Il posa les yeux sur le groupe, en se demandant si cela n'allait pas les réveiller. Le garçon suivit son regard et sourit :

    -Si t'as peur de les réveiller, faut pas. Ils comateront complètement à cette heure-là.

    -Et toi ?

    Il haussa les épaules :

    -Je me rendormirai.

    Citseko reposa le réveil, rassuré.

    -Je m'appelle Lorti G'as, au fait. Et toi ?

    -Citseko.

    Il aurait aimé jeter un coup d’œil au blason du garçon, mais celui-ci était déjà changé. Il lui fit un signe de la main :

    -Je te laisse dormir. Peut-être à demain.

    Citseko lui répondit avec son demi-sourire et se glissa sous les draps. Il entendit Lorti G'as lancer au groupe :

    -On éteint les lumières. On va dormir.

    Il joignit le geste à la parole, pendant que les autres allumaient leur lampes de chevet. Citseko ne tarda pas à s'endormir, malgré le bourdonnement des conversations.

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