• 6 - Soleil

    Soliflane se réveilla au matin, étrangement revigoré. Il se dépêcha de déjeuner et de faire ses corvées pour pouvoir lire. Quand le prince eut enfin un peu de temps, il s’installa sur le lit et reprit sa lecture :

     

    15 ans reste 1

    J’ai parlé de mes craintes avec Fabor et Elea. Il est étrange de penser que nous n’avions jamais discuté de ma malédiction. Sans doute que cela nous paraissait trop loin, irréelle. Je leur racontais que ma mère me disait qu’un prince me réveillerait après cent ans de sommeil. Ils m’ont demandé si c’était vrai et j’ai ri. La fée n’a jamais mentionné de prince, seulement que je dormirais pendant cent ans, même si d’une manière ou d’une autre, ma mère s’était mise en tête que je serais plus rassurée en me réveillant aux côtés d’un parfait inconnu. Cela les a fait rire aussi, puis Fabor a fait remarquer que ce n’était pas la première foire qu’il entendait cette version. En fait, il semblerait que l’histoire commence à se propager et à se modifier. Elea a proposé que j’écrive une lettre au cas où un prince viendrait effectivement à passer. J’ai ri mais qui sais ? Peut-être que quelqu’un sera vraiment là après tout.

     

    Soliflane sentit son sang déserter ses joues. Il n’avait jamais été question d’un prince ? Simplement cent ans de sommeil ? Il se tourna vers la princesse et son ventre qui s’arrondissait de jour en jour. Juste à cause d’une histoire ? A quoi cela avait-il servi ?

    Le prince se leva et se mit à faire des aller-retours dans la chambre. Pourquoi avoir fait cela ? Pourquoi la fée ne l’avait pas empêché ? Il voyait la fillette qui dessinait, la jeune fille qui se suspendait à la fenêtre pour une fleur. Pourquoi lui avoir fait ça ? Le jeune homme s’efforçait de rester calme, alors que les pensées se bousculaient dans son esprit, de plus en plus irrationnelles, illogiques. Un flot qu’il ne pouvait empêcher augmentant sa colère contre les hommes venus avant lui, contre la fée inactive et même jusqu’à la reine qui avait changé la malédiction pour sa fille. Il s’efforça de se calmer. Pourtant, la fillette était là, souriante, ignorante de ce qui l’attendait et la jeune fille riante penchée à sa fenêtre. Son regard dévia vers l’ouverture et Soliflane se demanda soudain s’il trouverait une nouvelle fleur. Il alla se pencher par la fenêtre et aperçut la plante sur sa gauche, mais aucune fleur en vue. Il regarda vers le sol et dût admettre que la hauteur lui donnait le vertige. Le prince tenta de se mettre debout sur le rebord de la fenêtre pour atteindre une feuille, mais, même ainsi, elle se trouvait trop loin. Le jeuen homme fronça les sourcils et revint se réfugier dans la chambre :

    -Ces fleurs devaient vraiment être spécial pour que vous vouliez les cueillir à ce risque.

    Soliflane observa un temps les bois que l’on voyait à l’horizon et ressentit un besoin impérieux de sortir. En se tournant pour se diriger vers la sortie, il revit la plante, l’image de la jeune fille et une évidence le frappa. Le prince parcourut la chambre du regard. Bien qu’elle soit assez grande, la pièce paraissait vide, en dehors des affaires qu’il avait lui-même ramené. Pourtant, il venait juste de remarquer qu’il n’y avait ni plante, ni fleur. Le jeune homme chercha dans sa mémoire, mais il n’avait pas le souvenir d’avoir lu quelque part qu’elle fut sortie en dehors de la cour. Une fleur pouvait paraître fascinante si c’était la seule que l’on voyait de sa vie depuis des années.

    Le prince retrouva le sourire quand il lui vint une idée. Il se pencha sur la princesse :

    -Je vous emmène faire un tour ?

    Repoussant les draps, Soliflane la souleva dans ses bras. Il fut surpris de la légèreté de la jeune fille, mais en fut bien heureux quand il se lança dans la descente des escaliers et qu’il dût traverser les longs couloirs pour atteindre l’extérieur. Le prince traversa la cour et arriva aux portes du château.

    -On y est presque.

    Le jeune homme s’approcha des gigantesques ronces qui gardaient l’entrée et fut étonné de voir qu’elles ne bougeaient pas. Il resta un instant debout sans bouger avant de réaliser qu’elles ne laisseraient pas sortir la princesse.

    -Je dois l’avouer, je suis déçu.

    Il alla déposer la princesse avec douceur contre le puits en continuant :

    -En même temps, c’est censé vous protéger non ? Je dois avouer que je doute de l’efficacité, mais bon.

    Soliflane se redressa :

    -Attendez-moi là, je reviens.

    Il rit tout seul et retourna aux ronces. Le prince ne les avait vu fermé seulement la première fois qu’il était entré. Le reste du temps, quand le jeune homme partait chasser, il les trouvait toujours ouverte comme si elles savaient qu’il approchait. Aussi, ce fut la première fois qu’il les vit s’écarter de l’intérieur du château et qu’une lueur frappa ses yeux alors qu’elles se mettaient en mouvement. Quand le chemin fut dégagé, il tenta de voir ce qui avait causé le reflet. Soliflane finit par apercevoir un squelette, le crâne transperçait d’une épine, le soleil s’étant un instant reflétait sur son armure. Il découvrit, ensuite, d’autres corps plus ou moins décomposés traversaient d’épines, toujours assez éloignés du chemin ouvert comme pour qu’ils restent invisibles à celui qui réussirait à passer.

    -Pourquoi, moi, je réussis ?

    A moins que ceux-là n’étaient plus digne de traverser en partant. Soliflane observa chacun des corps qu’il pouvait apercevoir. Il se souvint du passage de l’histoire où la fée avoue avoir moins de pouvoir que son aînée et qu’elle ne pouvait défaire complétement la malédiction. De la même façon, peut-être n’avait-elle pas la force de défendre la princesse autrement qu’en s’assurant que les fautifs ne rentreraient jamais chez eux. Le prince ricana avant de se ressaisir et de rejoindre la jeune fille.

    -Je ne sais pas si ça va vous faire plaisir, mais il y a un bon nombre de cadavre qui traîne dans les ronces. Oui, il y a des ronces gigantesques tout autour du château, et elles se sont refermées sur les hommes indignes.

    Il réfléchit un instant avant de sourire :

    -Je reviens… si je vous dis de ne pas bouger, vous allez me gifler ? Peut-être pas, mais avouez que ça va sérieusement vous démanger.

    Soliflane rit et courut pour revenir dans la chambre. Là, il s’empara d’un carnet et fit le chemin en sens inverse. Il s’installa en reprenant son souffle à côté de la princesse :

    -Un peu de lecture au soleil, ça ne nous fera pas de mal. Je vous prête mon épaule si vous cherchez un oreiller.

    Il lui sourit avant d’entreprendre sa lecture :

     

    15 ans reste 1

     

    Ce matin, alors que j’attendais Fabor et Elea, penchait par la fenêtre, j’ai aperçu l’apprentie du meunier. Il n’est plus apprentie depuis longtemps, mais je l’appelle toujours l’apprentie. En même temps, je ne connais pas son nom, ça ne facilite pas les choses. Je le regardais travailler quand Fabor et Elea sont arrivés, puis je l’ai vu ralentir l’allure quand Elea passa près de lui. Je n’y connais pas grand-chose, voir rien du tout, mais le fait que l’apprentie manqua de faire tomber un des sacs de farine, étant trop occupé par le passage de Elea, me laissa penser qu’elle semblait plus intéressante que son travail. Sitôt qu’ils ont disparu dans le château, il est retourné à ses sacs.

    Quand ils sont entrés, ils m’ont demandé pourquoi je riais toute seule et j’ai dit que l’apprentie semblait intéressée par Elea. Elle a tellement rougi que Fabor à éclater de rire. Elea a bouder en disant que c’était des mensonges, alors je l’ai mis au pari de redescendre et de lui demander directement. Elle y est allée et, avec Fabor, on a couru à la fenêtre pour voir. Elea a fait des allée-retours dans la cour, faisant semblant de s’intéresser au puits, puis de repartir. On voyait l’apprentie qui la regardait quand elle avait le dos tourné, mais finalement, elle est remontée sans lui avoir parlé. Quand elle est entrée dans la chambre, elle nous a traité d’idiot alors qu’on était tordu de rire.

     

    Soliflane s’adossa au puits et ferma les yeux. Il sentit soudain un poids sur son épaule et vit la tête de la princesse appuyée sur lui. Le prince papillonna des yeux comme pour s’assurer que c’était réelle :

    -Comment êtes-vous arrivé là ?

    Il céda à une impulsion et déposa un baiser sur le front de la jeune fille avant de refermer les yeux pour profiter du soleil. Ils restèrent un long moment silencieux, si bien que Soliflane s’endormit. Un vent frais le réveilla. Il prit un instant pour se demander pourquoi son dos était douloureux avant de se souvenir de l’endroit où il se trouvait.

    -Ouch, je crois qu’il est plus que temps de rentrer.

    Soliflane redressa la princesse, s’étira, puis la reprit dans ses bras pour la remettre au lit. La fin de la journée passa rapidement, mais une idée lui vint qui le maintint éveillé une bonne partie de la nuit.

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