• Vingt-deuxième battement

    -Et alors ?

    Erlhas semblait heureux de le voir si intéressé par son histoire et il répondit en souriant :

    -En fait, la mère de Sebizan avait noté les numéros de téléphone des parents présents devant l’école en leur demandant s’ils voulaient bien témoigner lorsqu’elles porteraient plainte.

    -Elles l’on fait ?

    -Oui. En fait, le plan, c’était que je reste chez Sebizan, le temps pour ma mère de prendre des photos des marques qu’il lui laissait, pour s’en servir comme preuve. Le jour où il m’est tombé dessus à l’école, c’est qu'il était rentré plus tôt et avait vu ma mère partir avec ses valises. Du coup, il l'avait tabassé pour savoir où elle allait, mais comme elle a rien dit, il est venu me voir.

    -Mais… elles ont gagné au tribunal ? Parce qu'il a quand même pu venir te voir la dernière fois, non ? Normalement, il devrait pas avoir le droit ou être en prison ?

    -Elles ont gagné, mais mon père est riche et influent alors il a échappé à la prison. Par contre comme cette histoire l’a un peu calmé, il nous fout la paix la grande majorité du temps.

    -Il a jamais cherché à vous récupérer, toi et ton frère ?

    -Non, sa vie est plus simple sans nous, faut croire.

    Il y eut un silence, puis Nouphilo finit par dire :

    -Tu t’imagines parfois ce qu’il serait arrivé si Sebizan ne t’avais pas parlé ce jour-là ?

    -Comment ça ?

    -S’il avait été plus timide, il ne t’aurait peut-être pas adressé la parole. S’il ne t’avait pas parlé, tu ne lui aurais jamais parlé de ton père, sa mère n’aurait pas fait le rapprochement.

    D’un coup d’œil, il vit que Erlhas se concentrer, probablement pour imaginer la situation :

    -Si mon père n’avait pas voulu que Sebizan reçoive une éducation digne de ce nom, comme il dirait, je l’aurais jamais rencontré.

    Un nouveau silence, avant que Erlhas ne lance :

    -Tu fais ça souvent, imaginer ce qu’il se serait passé si une chose n’avait pas était dite ou faite ?

    -Parfois. Je me demande ce qu’il serait arrivé si j’avais su me taire quelque fois.

    -Te taire ? On peut pas dire que tu sois déjà très bavard.

    Nouphilo haussa les épaules. Son cœur battait déjà comme un tambour à l’idée que Erlhas lui pose plus de question. Il n'en avait jamais parlé à personne et se demandait comment cela faisait de se confier à quelqu'un. En tout cas, il était sûr d'une chose, si Erlhas posait des questions, il répondrait avec sincérité. L'adolescent sentait le regard empli de curiosité de Erlhas posait sur lui, pourtant quand il parla, se fut pour proposer :

    -On y retourne ?

    Nouphilo se redressa d’un coup :

    -Oh ouais.

    Erlhas le devança en sautant sur ses jambes et en partant en courant. Nouphilo éclata de rire, prit le temps de jeter ses déchets, avant de le rattraper. Le garçon s’était arrêté devant un manège gigantesque. Des séries de siège se faisaient face sur une balance qui finissait par faire des tours complets sur elle-même. Nouphilo grimaça rien qu’en voyant les mécanismes chargeaient de maintenir les gens dans leurs sièges.

    -On fait celui-là ?

    Erlhas avait les yeux qui brillaient en pointant le manège du doigt. Nouphilo n’avait jamais essayé, mais rien qu’à regarder, il pouvait dire qu’il n'aimait pas avoir la tête en bas de cette façon.

    -Alors ? Qu’est-ce que t’en dis ?

    Avec tout ce qu’il fait pour toi. Il paye tout, tu peux bien te forcer un peu non ? Égoïste, va.

    -Ok.

    -T’as pas peur ?

    -Si, mais c’est pas grave.

    Erlhas fronça les sourcils avant d’ouvrir la bouche pour parler. Nouphilo commençait à le connaître suffisamment pour deviner qu’il allait proposer un manège plus calme. Alors il le devança en le saisissant par la manche pour l’entraîner dans la file d'attente. Le cœur au bord de l'explosion, proche de la panique, le jeune homme ne pouvait s'empêcher de sourire malgré tout. Crispé, il triturait les manches de son tee-shirt. De son côté, Erlhas semblait plus détendu et sautillait même d'impatience. Vaincre ses peurs, voilà une chose intéressante. Nouphilo reporta son attention sur Erlhas qui s'était mis à chantonner et ne put s'empêcher de sourire. Il n'aurait jamais imaginé que le responsable puisse se comporter comme un enfant.

    On les fit monter sur la plate-forme. Celle-ci ne lui paraissant pas très solide, Nouphilo avança avec précaution, puis, son regard fut attiré par les sièges énormes du manège. Ok, respire, ça va, respire. Erlhas lui saisit le poignet :

    -Viens vite, y en a deux de libre là.

    Nouphilo se laissa entraîner en souriant. Il est mignon quand même. Il le regarda s’installer d’un bond sur le fauteuil, que lui dût escalader, n'étant pas assez grand pour s'asseoir normalement. Une fois assis, il ne touchait plus le sol, mais l'adolescent devait avouer que c'était plutôt confortable. A côté, Erlhas trépignait sur son siège. Nouphilo remarqua que lui, par contre, avait les pieds au sol. Un instant leurs regards se croisèrent et Erlhas lui murmura :

    -Ça va ?

    Nouphilo hocha la tête, partageait entre la peur et l’amusement. Quand on leur abaissa les grosses ceintures au-dessus de leur tête, il ne vit plus Erlhas et se concentra sur le sol. Il tenta de soulever le mécanisme de sécurité et fut un peu rassuré de voir que cela semblait tenir. Puis, le tour commença.

     

    -C’était bien, hein ?

    Erlhas récupéra leurs sacs qu’ils avaient confié à l’homme en charge du manège et tendit sa besace à Nouphilo. Le garçon lui répondit d’un sourire.

    -Tu veux choisir le prochain manège ?

    -Yeah.

    Ils marchèrent tranquillement jetant des regards autour d’eux, grignotant des bonbons. Finalement, Nouphilo tendit son doigt vers le palais des glaces :

    -On peut faire ça ?

    -Bien sûr.

    Ils s’y rendirent, mais Nouphilo finit par s’inquiéter à nouveau :

    -Tu crois qu’on peut se perdre pour de vrai ? Et si on reste coincé ?

    Erlhas ne put s’empêcher d’éclater de rire.

    -Je pense qu’on devrait s’en sortir en vie. Je crois pas avoir déjà eu connaissance de cadavres retrouvés dans un palais de glace.

    Nouphilo se sentit gêné d’avoir posé des questions aussi stupides et baissa les yeux.

    -Ouais, t’as raison.

    Erlhas lui posa une main sur la tête et, instinctivement, l'adolescent rentra la tête dans ses épaules.

    -C’est mignon. T’inquiètes pas, on va rester ensemble.

    Il se moque pas de toi, arrête ta paranoïa. En relevant les yeux, Erlhas lui fit une grimace qui le fit rire. Ils entrèrent de suite dans le manège.

    Mis à part un instant où il manqua se prendre une vitre en essayant de rejoindre Erlhas, ce qui les fit éclater de rire, le labyrinthe s’avéra plutôt facile. Par la suite, ils firent d’autre manège à sensation et Nouphilo se rendit compte, qu’au-delà de l’appréhension, il commençait à apprécier ce genre de manège. C'est une question d'habitude.

    Le soleil commençait à décliner lorsqu’ils décidèrent de rentrer. Sur le chemin, ils parlèrent de tout et de rien, riant en repensant à la journée écoulée. Quand le silence retomba, une question vint à l’esprit de Nouphilo.

    -C’est qui le plus vieux, entre toi et Sebizan ?

    -Sebizan est plus vieux de quatre mois.

    Nouphilo ouvrit de grands yeux, montrant qu’il s’attendait à ce que ce fut l’inverse. Son expression fit sourire Erlhas, mais il ne fit aucun commentaire. Finalement, Nouphilo lança un autre sujet de conversation qui leur tint jusqu’à destination. Le soir, ils mangèrent ensemble après avoir fait un détour pour retrouver Sebizan.

    Lorsqu’il regagna sa chambre, le jeune homme repensa à cette journée avec plaisir et regrettait déjà qu’elle fut finie. Au final, Erlhas n’avait pas tenté de l’embrasser, ni même de lui prendre la main. Ce qui fut une source de soulagement pour lui qui n’arrivait pas à imaginer la façon dont il réagirait dans cette situation. C'est une question d'habitude. Il s'habituerait au contact, comme il s'habituait maintenant à la présence de Erlhas. Juste une question d'habitude. Il ferma les yeux sur cette pensée.

    Le lendemain, il s’étira en observant les rayons du soleil qui tombaient sur sa couette en souriant. Ça va être une belle journée. L'adolescent se leva, se doucha, s’habilla et descendit au réfectoire en chantonnant. Il avait hâte de retrouver Erlhas, car durant la nuit, un film lui était revenu dont il aurait aimé lui parler. En arrivant dans la grande salle, il s’arrêta un instant en se demandant pourquoi certains se tenaient debout autour d’une table, puis il se souvint. Dimanche, jour du courrier. Oh, pitié, pas pour moi, pas pour moi. Il aperçut Erlhas assis au milieu des autres responsables. Lorsque leurs regards se croisèrent, le jeune homme détourna soudainement la tête, donnant à Nouphilo la réponse qu'il craignait. Cela lui coupa l'appétit et il voulut retourner dans sa chambre sans tarder. Pourtant, il ne pouvait pas partir sans la lettre. Facile, tu vas voir Erlhas et tu lui demandes de te la donner. Mais il était au milieu des autres responsables et il craignait d'interrompre leur discussion. Ça fait vraiment gros boulet, pour une lettre en plus. Ils vont se demander pourquoi je peux pas attendre. Mais tu peux pas attendre, alors t'y vas et c'est tout. Il inspirait profondément en prévision d'un élan de panique, quand Erlhas coupa court à son mouvement en se levant et venant vers lui.

    -Viens.

    Ils quittèrent la salle pour se retrouver dans le couloir où Erlhas lui tendit la lettre. Sous l’abri de sa visière, Nouphilo tenta de rester calme.

    -Si tu veux appeler ta mère, je peux te prêter mon portable.

    Nouphilo releva les yeux.

    -Juste si tu veux appeler dans un coin plus tranquille que l’accueil…

    -Non, merci. Ça a pas servi à grand chose les trois premières fois alors.

    Il ne put s’empêcher de ressentir de la tristesse en y repensant.

    -Tu veux que je te laisse seul ?

    Nouphilo haussa les épaules en pensant : Non. Mais il n’osa pas le dire à haute voix. Erlhas avait probablement des projets déjà et voulait peut-être aussi, être tranquille.

    -J’allais regarder des films en mode larve aujourd’hui, tu veux te joindre à moi.

    -Tu veux bien ?

    -Si je le propose.

    -Oui, ok. On regarde quoi ?

    -Tu veux pas manger d’abord ?

    -Ah oui, j’y vais.

    Ils retournèrent s’asseoir ensemble dans le réfectoire et, sitôt qu’ils se mirent à discuter, le garçon oublia la lettre fourrée dans son sac.

    Après avoir mangé, ils remontèrent dans la chambre d'Erlhas, il fermait la porte quand Nouphilo pensa dans un sursaut :

    -Hey, il reste des bonbons de la fête foraine, on les prend ?

    La veille, d’un commun accord, ils avaient convenu que c’était à Nouphilo de les garder. Erlhas le regarda avec de grands yeux :

    -Oh ouais, cool.

    Nouphilo courut chercher le paquet et revint. Erlhas installa sa chaise de bureau face à son lit et y installa son ordinateur. Il s’assit sur le matelas et après une légère hésitation, Nouphilo le rejoignit. Erlhas mit en route le DVD.

    -C’est une série dont Sebizan me rabâche les oreilles depuis des lustres.

    -Tu veux pas qu’on attende pour la regarder avec lui ?

    Il eut un ricanement :

    -Quand tu regardes un film qu’il adore, il peut pas s’empêcher de sortir les répliques à l’avance et il te fixe régulièrement pour voir comment tu réagis.

    -Ça gâche un peu, en effet.

    Sur ces paroles, ils mirent le DVD en route. Nouphilo n’aurait su dire à quel moment il s’endormit.

     

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