• Trentième battement

    Nouphilo ne lui avait toujours pas demandé. Cela faisait des semaines qu’il avait eu connaissance de cette histoire de transfert, sans oser poser directement la question de peur que les nouvelles soient mauvaises. D'un autre côté, Erlhas ne semblait pas particulièrement angoissé, donc il y avait des chances pour que cette histoire soit en fait déjà réglée. Le garçon repensa à sa réaction en apprenant qu'Erlhas partirait peut-être. Celui-ci n'avait jamais fait allusion à cette crise de larme. Sebizan ne lui en avait peut-être pas parlé. De son côté, pour ce qui était de parler, on pouvait dire qu'il s'était lâché ces derniers temps. Nouphilo repensa à son secret révélé la veille et la réaction de son copain. Il s'était attendu à peu près à tout. Du dégoût, à la pitié en passant par la colère, mais là … l'adolescent se repassa la scène dans son esprit. Lorsqu'il avait tourné les talons et s'était retrouvé dans le bâtiment, il avait soudain éclaté de rire. C'est clair que celle-là, je l'avais pas vu venir. Il rit encore en s'en souvenant et jeta un regard autour de lui pour vérifier qu'il n'avait pas perturbé les élèves studieux qui l'entouraient. Le jeune homme avait prévu de préparer son planning de révision des prochains contrôles durant cette heure de permanence, mais il s'avérait qu'il n'avait pas beaucoup avancé. Est-ce qu'il l'a dit à Sebizan ? Nouphilo réfléchit à ce que cela ferait si Erlhas révélait son secret et après un rapide sondage de ses sentiments, il haussa les épaules. Rien en fait. Le monde entier pourrait être au courant, pour ce que ça changerait. Il revint à son planning. Le garçon savait très bien qu'il tenterait de le suivre et qu'il y parviendrait pendant un moment, avant de complètement laisser tomber. En fait, c'était plus pour s'éclaircir les idées sur les choses qu'il devait faire.

    -Salut.

    Il sursauta en voyant Erlhas qui s’installait en face de lui.

    -Qu’est-ce que tu fais là ?

    -Prof absent, du coup j’ai dormi et puis je suis venu.

    Comment il a su que j’étais là ?

    Il se souvint soudain qu’un jour, Erlhas lui avait piqué son agenda pour recopier son emploi du temps.

    -Tu viens dans notre chambre ce soir. ? Sebizan a un nouveau film.

    Nouphilo pinça les lèvres. Ce matin, il s’était réveillé avec un besoin pressant de solitude. La semaine venant de commencer, il avait espéré qu'Erlhas serait trop occupé pour qu'ils fassent des trucs ensembles. C'est vrai, mais ça veut dire que là, il faut que je trouve une excuse. Il risque de ne pas comprendre. Seulement, cela signifiait mentir d'une part et de l'autre cela risquait d'attrister Erlhas. Il n'aimait pas l'idée de le rendre triste. L'adolescent soupira intérieurement en se résignant à accepter quand Erlhas le devança :

    -T’es pas obligé de dire oui, tu sais ?

    Nouphilo le regarda avec surprise. Il lit dans les pensées. Le jeune homme poursuivit :

    -Bien sûr, je serais très heureux que tu dises oui, mais j’ai survécu treize ans en supportant Sebizan et ses films, je peux le refaire. On y croit.

    Nouphilo baissa les yeux :

    -C’est juste que je voudrais être seul quelques jours.

    Erlhas lui ébouriffa les cheveux :

    -Compris, petit prince. A plus.

    Il va partir et tu as dit : quelques jours. Il va croire que tu veux plus le voir en fait, que tu reviens au point de départ. Fais quelque chose où tu vas encore te prendre la tête, tu le sais que tu vas te prendre la tête. Tu vas paniquer et…. ça va, j'ai compris. Il se leva pour rattraper Erlhas dans le couloir :

    -Erlhas ?

    Le garçon lui fit face :

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    -C'est juste quelques jours, deux, peut-être trois. C'est pas que c'est fini, ni rien. C'est juste….

    -Que tu aimes la solitude autant que moi.

    Nouphilo le fixa avec attention. Il comprend ? Erlhas revint vers lui et posa ses mains sur ses épaules :

    -Je vois les efforts que tu fais OK ? Ton comportement, les choses que tu m’as dite dernièrement, pour moi, ça ne signifie qu'une chose, c'est que tu veux que ça marche. Tu veux que je comprenne pour que nous, ça marche. Alors pendant que tu te retrouves au calme, je vais consoler le chihuahua.

    -Chihuahua ?

    -Sebizan.

    -Ah. Il me fait plutôt penser à un labrador.

    Erlhas rit :

    -OK, alors ? Bisous ?

    Nouphilo hocha la tête. Cette fois, Erlhas s'approchait de ses lèvres. Bon, si tu lui rends ce baiser, ce sera sans doute moins écœurant que la dernière fois. Nouvelle expérience test deux. Il suivit sa pensée, ce qui fit qu'Erlhas le regarda ensuite d'un air ravi. Avant qu'il ne s'emballe, Nouphilo lança :

    -Te fais pas de fausse joie, si t’essaie de mettre la langue, je te l’arrache à coup de dent.

    Erlhas lui sourit, prenant le visage du garçon entre ses mains :

    -Tu…. es….trop…. mignon.

    Puis il le saisit à bras le corps et le souleva de terre. Le garçon poussa un cri de surprise avant d’éclater de rire. Lorsqu'il le reposa, Nouphilo se surprit à demander :

    -Et pour ton transfert ?

    Erlhas parut étonné :

    -Comment tu sais ?

    -Sebizan m’en a parlé. C’est réglé ou pas ?

    -Oui, je vais devoir partager ma chambre avec Sebizan encore loooongtemps… Et ça c’est de ta faute, tu le sais, ça.

    -Oui, tu m’en as vaguement parlé à une époque.

    Erlhas lui embrassa le front en souriant avant de s’éloigner.

     

    Nouphilo s’inquiétait. Il avait bien dit à Erlhas de jeter les lettres, pourtant, il ne pouvait s’empêcher de penser que s’il les laissait sans réponse, son père réagirait. S’il n'a rien fait d'autre jusque-là, c'est probablement parce que maman l'en empêche, y a pas de raison pour que ça change. Rien n'y fit et bientôt, il crut bien que ses pensées, tournant en boucle, allaient le rendre fou. Finalement, l'adolescent se décida à appeler sa mère afin de s'assurer que tout irait bien. Juste pour être sûr.

    Après avoir enfourné quelques bonbons, que lui avait donné Erlhas, pour se donner du courage, le garçon ramassa ses affaires, vérifia qu’il ne s’était pas sali en s’asseyant dans l’herbe et rentra. En arrivant à l'accueil, il dut attendre qu'un élève finisse sa discussion avant de s'avancer vers le téléphone. Il en était proche lorsqu'une fille surgit et s'empara du combiné. Nouphilo tourna les talons l'air de rien et fit semblant de s'intéresser à l'affichage en attendant qu'elle raccroche. Quand enfin elle s'éloigna, il s'empressa d'accaparer l'appareil avant qu'un autre est l'idée de le monopoliser. Il composa le numéro de chez lui et attendit.

    -Allô ?

    Il se figea. C’est pas possible. Il devrait pas être là à cette heure.

    -Allô ?

    Nouphilo sentit son cœur accélérer, sa respiration devenir irrégulière. Reste calme, raccroche, c’est tout.

    -Nouphilo ? C’est toi ?

    Il ne dit rien. Au bout du fil, son père sembla soulagé :

    -Je suis sûr que c’est toi. J’étais certain que tu essayais de me contacter. C'est ta mère c'est ça ?

    Non, non, non, ça a rien à voir. Il faut que je parle à ma mère. Dis-lui, fait-le taire ou raccroche, mais fait quelque chose. Le jeune homme n’écoutait que d'une oreille le discours de son père en essayant de reprendre le contrôle et de réagir. Reste calme, ne pleure pas. Soudain, on lui arracha le combiné des mains.

    -Erlh…. ?

    Nouphilo s’écarta pour laisser la place à Sebizan :

    -Bonjour, monsieur, c’est pour un sondage.

    Où est Erlhas ? Une présence dans son dos répondit à la question. Il leva la tête pour apercevoir le visage du jeune homme qui lui sourit, lui embrassa le front et passa un bras autour de ses épaules. Nouphilo revint à Sebizan qui continuait à déblatérer :

    -Possédez-vous un chat ? Pardon ? Non, je vous l'ai dit c'est pour un sondage. Je ne connais pas de Nouphilo. Donc, pour le chat….

    Nouphilo fronça les sourcils et jeta un regard au bras autour de son cou. Il serre ? Il leva la tête vers Erlhas. Celui-ci avait la même expression qu’au moment où il avait vu Nouphilo trempé au bord du lac et qu'il s'était dirigé vers ceux qui l'avaient arrosé. Les lèvres étaient si pincées qu'elles disparaissaient, les sourcils froncés et le regard comme changeait en acier. Il est furieux. Nouphilo ne put s'empêcher de se demander si son père avait la même expression. Le bras se serra encore plus, alors que Sebizan discutait sur un ton léger. Bientôt, Nouphilo commença à se sentir étranglé, pourtant il ne s'inquiéta pas. Il ne se rend pas compte. Il se tourna pour lui dire d'une voix posée :

    -Erlhas, tu m’étrangles.

    Le garçon s’éloigna soudain en bafouillant des excuses. Nouphilo lui sourit pour le rassurer :

    -Y a pas de mal.

    À cet instant, Sebizan raccrocha :

    -Il m’a pas laissé finir, le bougre.

    Nouphilo s’empressa de demander d’un ton léger :

    -C’est un truc de famille ça aussi ? Intervenir dans les discussions des autres.

    -Oui, ça tient de notre gène débile.

    Il se tourna vers Erlhas :

    -T’as un gène débile ?

    -Disons que moi, la plupart du temps, je le tiens sous contrôle.

    Erlhas le laissa rire avant de glisser :

    -Je sais que tu veux être seul, mais si tu veux, pour ce soir, tu es toujours bienvenue.

    -Merci, mais ça va aller maintenant.

    Erlhas le fixa, tentant sans doute de savoir si c’était vrai.

    -Bon, tiens alors. En soutien moral.

    Nouphilo ouvrit des yeux ronds en voyant ce qu’il lui tendait :

    -Wouah, trois paquets.

    -Ouais, mais c’est exceptionnel. Parce que tu es exceptionnellement mignon.

    Nouphilo rit en prenant les sachets. OK, maintenant, ça va mieux.

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