• Seizième battement

    Le sang qui lui montait à la tête commença à lui faire mal au crâne. Allongé sur son lit, sur le dos, la tête pendant par-dessus le rebord, Erlhas réfléchissait.

    -Je devrais peut-être lui dire.

    Sur le lit en face, dans la même position, Sebizan essayait de lire.

    -Dire quoi à qui ?

    -A Nouphilo.

    -Ah.

    -Rien d’autre ?

    Sebizan posa son livre :

    -Tu es étrange sous cet angle.

    -T’es con.

    -C’est ce qui fait mon charme.

    Il y eut un silence.

    -Je devrais lui dire, comme ça c’est clair.

    -Je suis sûr que pour lui tout est clair, y a que pour toi que ça ne l’est pas.

    -Pas faux.

    -Tu veux pas te contenter de fantasmer comme tout le monde ? Sérieusement, dans quel espace-temps, un gars avec cette maladie te sauterait dans les bras ? Soit tu dis rien et tu continues tes fantasmes, soit tu lui dis et retour à tes fantasmes.

    -Pas faux.

    Nouveau silence.

    -Tu vas lui dire, hein ?

    -Ouais.

    Erlhas se laissa rouler sur le côté :

    -Il faut juste que je trouve comment.

    Sebizan leva les yeux au ciel, ou plutôt au sol dans sa position, et reprit son livre :

    -T’as perdu, file-moi des bonbons.

    -J’ai pas perdu, j’ai tenu dix minutes.

    -Le premier qui se relève à perdu.

    -Non, le premier qui se relève avant dix minutes a perdu.

    Sebizan se redressa :

    -Ah ouais, tu vois ça comme ça.

    -Ouais.

    -OK.

    -Je devrais trouver une bonne occasion.

    -Pour quoi ?

    -Nouphilo.

    -Ah.

    -Rien d’autre ?

    Sebizan reposa son livre :

    -On a pas déjà eu cette discussion ?

    Erlhas éclata de rire.

     

    La sonnerie le fit sursauter :

    -Oh, la ferme réveil de l’enfer.

    Erlhas ferma obstinément les yeux à la recherche du sentiment de bonheur que lui avait procuré son rêve. Cela faisait un moment que ses fantasmes avaient dépassé le stade du baiser et les réveils étaient devenus plus douloureux. Le pire était cette ultime seconde où il aurait juré que son rêve était réel, qu’il sortait vraiment avec Nouphilo, qu’ils étaient heureux. Puis, la dure réalité prenait le dessus et la déception était étouffante. Ça va finir en suicide si tu fais pas quelque chose. Il ricana dans son oreiller. L'adolescent savait bien qu’il n’avait aucune chance d'avoir une réponse positive à sa déclaration, seulement il espérait que cela couperait court à ses pensées romanesques. Il se redressa avec résolution. Il devait le faire le plus tôt possible.

    Une déclaration claire et net, voilà ce qu’il faudrait que je fasse. Il marchait dans les couloirs tout en réfléchissant, jusque-là rien de satisfaisant. Une déclaration de but en blanc, ça va le faire flipper. Faut trouver autre chose. Peut-être l’inviter à sortir, un rendez-vous galant comme dirait Sebizan. Mais il faudra bien lui faire comprendre que c’est un rencard et pas une sortie entre amis. Erlhas était très heureux de manger avec lui tous les midis et ils rigolaient bien, pourtant ce n’était pas pareil. Il soupira avant de relever la tête pour s'apercevoir qu'il s'était trompé de couloir. Il pesta contre lui-même et, en faisant demi-tour, tomba nez à nez avec Sebizan :

    -Qu’est-ce que tu fous ? C’est pas le bon couloir.

    -Je sais, je voulais voir quand tu t’en rendrais compte.

    -Boulet.

    -Je suis merveilleux et tu le sais.

    Erlhas leva les yeux au ciel, puis repartit en sens inverse. Soudain, il stoppa net devant une affiche qu’il n’avait pas remarqué lors de son premier passage.

    -C’est ça !

    Sebizan se mit à ses côtés pour voir ce qu’il regardait :

    -Ça quoi ?

    -Je vais lui dire ce jour-là.

    Son ami aperçut l’affiche et fit des yeux ronds :

    -Non.

    -Quoi non.

    -Je t’interdis de faire ça.

    -Je le ferais quand même.

    -C’est demain.

    -Je sais lire.

    -T’es sûr ?

    Il l’ignora et se rendit en cours, content de sa décision.

     

    Le lendemain arriva bien trop vite. Erlhas ne savait toujours pas ce qu’il allait dire, mais il craignait qu’à trop y réfléchir, il ne renonce à son projet. Alors qu’il se dirigeait vers le réfectoire pour son petit-déjeuner, Sebizan ne cessait de répéter :

    -Non, non et non.

    -Mais si. Tu comprends, l’ambiance est là. Pas possible qu’il y ait de malentendu.

    -Tu ne peux pas déclarer ta flamme le jour de la St valentin, c’est tellement cliché que ça ferait gerber les licornes.

    Erlhas se sentit obligé de s’arrêter :

    -Mais… de quoi tu parles ?

    -Non sérieusement, c’est pourri de banalité cette idée.

    -Je suis d’accord, mais avec Nouphilo…

    -Tu crois sincèrement qu’il est au courant que c’est la saint valentin ?

    -Difficile de manquer les affiches : « menu spécial saint valentin ».

    -Tu crois qu’il en a quelque chose à foutre ?

    Erlhas allait répliquer, mais préféra renoncer. Discuter avec Sebizan était parfois impossible. Il savait très bien que c’était une idée naze, que se déclarer ne lui apporterait rien. Au fond, c’était peut-être ce qu’il cherchait. Réunir tous les éléments pour se faire rejeter de manière brutale. Ça réglerait le problème une fois pour toute. Bon, il suffit de le trouver maintenant. Il espéra arriver au réfectoire avant qu’il n'ait fini de manger et fut exaucé. Nouphilo posait son bol vide et se dirigeait vers la sortie. Arrivé sur le pas de la porte, Erlhas s'arrêta.

    -Hein que tu vas pas le faire ? Hein, hein ?

    Il inspira profondément et s’avança vers le garçon, qui releva la tête lorsqu’il lui bloqua la route :

    -Salut.

    -Salut.

    -Hum, je me demandais…

    T’arrêtes pas, sors tout d’un coup, allez, allez.

    -Oui ?

    -Tu sais quel jour on est ?

    Nul.

    -Mardi, non ?

    -Heu… oui, mais heu…

    Loquace comme une limace. Erlhas prit le temps d’une inspiration :

    -Mais aussi ?

    Nouphilo prit un air soupçonneux :

    -C'est pas genre un anniversaire ou un truc comme ça ? Je sais pas vos dates ni du tien, ni celui de Sebizan, alors….

    -Tu veux sortir… avec moi… et Sebizan ? Au cinéma ?

    Mais d’où ça sort ça. Sombre tâche.

    -Quand ça ?

    -Ce week-end.

    Bah, tiens, soyons fou.

    -C’est quoi le rapport avec le fait qu’on est mardi ?

    -Rien du tout. C'était…. Juste….

    Ferme là et barre-toi temps qu’il te reste un semblant de dignité.

    -A plus.

    -J’ai pas répondu pour le cinéma.

    -C’est vrai, alors ?

    -On va voir quoi ?

    Voilà, là, t’as l’air bien con.

    -Hum… on y réfléchit encore. On voulait pas décider sans toi. Je vais sortir le programme et on décidera à midi.

    Il s’empressa de s’éloigner avant que Nouphilo ne pose une autre question. Sebizan était resté à l’entrée du réfectoire, les bras croisés.

    -Alors ?

    -Ça te dit un ciné ce week-end ?

    Il papillonna des yeux :

    -Mais grand fou, vous vous trompez de personne.

    -Oh, la ferme.

     

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