• Une fois arrivés au temple, Lutinor se lança :

    -Dis, ça s’est bien passé non ?

    Charon se contenta d’hocher la tête.

    -Donc, j’ai réussi du premier coup et je n’ai pas tout gâcher.

    Nouveau hochement de tête.

    -Et je n’ai même pas droit à un petit bravo ? t’es pas obligé d’applaudir, juste dire un petit bravo.

    Le sans-âme fit brusquement volte-face. Il considéra un instant le petit dieu avant de dire lentement :

    -Un lien qui t’unit à elle. Elle te sert et tu la protège.

    Lutinor papillonna des yeux sans comprendre :

    -Oui, j’avais compris… je crois.

    Charon croisa les bras, plissa les yeux provoquant chez Lutinor une furieuse envie de s’éloigner. Il se pencha légèrement en arrière et tenta de l’amadouer avec un sourire.

    -Sais-tu ce que cela implique ? quelqu’un qui te sers ?

    -Et que je protège ? c’est donnant-donnant. Un échange de service.

    Assez fier de sa réponse, il se ragaillardit, mais le sans-âme ne semblait pas satisfait. Alors Lutinor, baissa le nez en attendant les remontrances.

    -La marque qu’y apparait lors d’un contrat doit être un rappelle constant de la situation de la divinité à ton égard.

    Lutinor ne put s’empêcher d’être surpris. Charon continuait à parler calmement, aucune tension dans la voix. Le sans-âme continuait :

    -Elle doit lui inspirer la crainte, lui montrer le châtiment qui l’attend si elle venait à te trahir. Ce doit être une image d’horreur, d’effroi.

    Lutinor ouvrit des yeux ronds :

    -Bah, c’est sûr, ce n’était pas ça… mais aussi, il fallait que tu m’en parles avant. C’est de ta faute.

    Charon sourit :

    -Même si je t’en avais parlé, tu n’aurais pas su le faire.

    -Ce n’est pas gentil et plutôt vexant même.

    Le sans-âme haussa les épaules avant de tourner les talons.

    -Je fais tout plein d’effort tu sais.

    Sans se retourner, Charon lança :

    -Je n’ai pas dit que tu avais mal fait.

    Lutinor cherchait encore à se justifier avant de réaliser ce que le sans-âme avait dit. Il rougit de fierté, sans vraiment savoir si c’était vraiment un compliment.

     

    Charon n’avait pas vraiment prévu ce qui était en train de se passer. Lutinor s’était installé sur l’autel, racontant à deux rats qui fouinaient dans le coin ce qu’il s’était passé avec la divinité et combien Charon était fier de lui. Le sans-âme fut un instant tenté de le démentir avant de se rappeler que les rats se moquer probablement de ce qu’il racontait. Il se replongea dans ses pensées et ravit le visage radieux de la divinité. Ce n’était pas censé être ainsi. Lutinor aurait dû inspirer la crainte. Les marques montraient un écorchage, une décapitation, ce genre de joyeuseté, mais une crevette ? Charon n’avait pas besoin de demander, il se doutait bien de ce que le petit dieu avait pensé en créant le contrat. Il aurait dû songeait à maître et serviteur, mais pour le peu qu’il connaissait le dieu, c’était surement un lien d’amitié qu’il avait imaginé. Charon avait d’abord pensé à lui remonter les bretelles, mais l’expression de la divinité lui revenait sans cesse en mémoire. Si bien qu’il commencé à se demander, si ce n’était pas tout aussi bien qu’un lien de soumission.

    Et s’il devenait un dieu différent ? Charon ne connaissait que les dieux vengeurs et destructeurs, prétentieux et assoiffé de pouvoir. Il avait imaginé que Lutinor finirait comme cela, pourtant, il ne semblait pas en prendre le chemin. Alors, pourquoi tenterait-il d’en faire un dieu comme les autres ? il pourrait en faire quelque chose d’autre, même s’il n’avait pas la moindre idée de comment former un gentil dieu.

    Charon sourit pour lui-même. Voilà que l’éternité se montrait à nouveau intéressante.

    -Lutinor.

    Le petit dieu se tourna :

    -Je n’ai rien fait, je suis sage.

    Charon ricana :

    -On va faire un tour.

    Lutinor sauta au sol, le visage radieux :

    -On va où ? tu vas m’apprendre à taper ?

    Le sans-âme haussa les épaules avant de prendre le chemin à l’extérieur du temple. Lutinor ne tarda pas à le rattraper.

    -On va où ? on va voir une autre divinité ?

    Charon observa un instant les yeux brillants, le visage émerveillé :

    -Il t’en faut peu quand même.

    Lutinor plissa le front :

    -Pourquoi ?

    Le sans-âme ricana sans répondre. Quand ils furent un peu à l’écart, Charon leva le bras, paume vers le ciel.

    -Shilr.

    Un sceau s’agrandit partant de la paume de sa main, translucide et bleu. Progressivement, il baissa le bras jusqu’à placé le sceau perpendiculaire au sol. Lutinor l’observa avec des yeux ronds. Les teintes bleues du signe pâlir jusqu’à disparaitre et un village apparut.

    -En route.

    Lutinor sautilla sur place un instant avant de s’arrêter :

    -Mais ils ne vont pas paniquer à nous voir arriver de nulle part comme ça ?

    Charon fut un instant surpris avant de se souvenir à qui il parlait.

    -Les mortels ne peuvent nous voir.

    -C’est vrai ?

    Le petit dieu reprit son sautillement qui fit rire Charon.

    -Allez, viens.

    Il saisit le bras de Lutinor et le traina à travers le sceau. Le village était modeste, en pleine effervescence. Apparemment, une fête animé le village empli de musique et de danse.

    -Qu’est-ce qu’il se passe ?

    Charon haussa les épaules :

    -Qu’est-ce que j’en sais ? on s’en moque.

    Lutinor hocha la tête vigoureusement :

    -On va danser ?

    -Heu, peut-être pas jusque-là.

    Mais le petit dieu n’écoutait plus, il courait déjà vers les musiciens pour observer avec fascination les doigts courir sur les cordes. Charon le rejoignit :

    -Lutinor, avant que tu ne fasses des bêtises, sache que sous certaines conditions, notre présence peut être révélé.

    Sans quitté les musiciens des yeux, Lutinor demanda :

    -Comment ça ?

    -Dès que l’on lance un sort, les mortels ressentent notre présence.

    Le petit dieu éclata de rire :

    -Je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes. Ce n’est pas avec mes capacités que je risque d’attirer l’attention de qui que ce soit.

    Charon n’était pas aussi sûr. Il n’était rien de plus incontrôlable qu’un pouvoir ignoré. Alors il précisa tout de même :

    -Peut-être, néanmoins, fais attention.

    Le petit dieu lui fit face avec un air innocent :

    -Voyons, ne t’inquiète pas, tu es là pour me surveiller.

    Charon ricana :

    -Si tu pouvais me faciliter la tâche, ce ne serait pas plus mal.

    Lutinor approuva :

    -Je serais sage.

    Il prit aussitôt ses jambes à son cou pour rejoindre un petit stand derrière lequel des viandes étaient grillées. C’est comme cela qu’il est sage ? Charon le suivit d’un pas trainant en se demandant si c’était une bonne idée finalement.

    -Je fais comment si j’en veux ?

    Le sans-âme traversa le stand, grava rapidement un signe sur une des brochettes alors que le cuisinier avait le dos tourné. Trépignant sur place, se rongeant les ongles, Lutinor fixait l’homme à la dérobée. Charon revint tranquillement.

    -Mais ils ne vont pas voir une brochette volante ?

    Charon ricana :

    -Vraiment ? tu me prends pour un idiot ?

    Lutinor eut une mine boudeuse :

    -C’est toi qu’a dit…

    -J’ai rapidement mis un sort qui le rendu invisible.

    Le petit dieu hocha la tête en mordant dans la viande, si bien que Charon se demanda s’il l’avait écouté. La bouche pleine, Lutinor lui proposa :

    -T’en veux ?

    -Non merci. Ça va aller.

    Ils passèrent la journée dans le petit village où Lutinor goûta à tous les plats préparés. Si bien que Charon finit par lui apprendre le signe qui rendait les objets invisibles. Le sans-âme dut admettre qu’il était encore surpris de le voir réussir si facilement alors que cela aurait dû lui demander deux jours d’entrainement. Il pourrait vraiment faire un dieu exceptionnel de ce garçon.


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