• Un éclair passa devant Noré et fonça sur Xilanos. La jeune fille reconnut une fée, lorsque celle-ci se fut agrippée au cou du garçon. Elle avait des cheveux courts et noirs comme ses yeux. Des antennes ornaient le sommet de son front. Son visage et ses mains étaient ceux d'une petite fille, mais son corps était recouvert d'une douce fourrure blanche et ses pieds étaient ceux d'un félin. Accrochée à Xilanos, elle ronronnait joyeusement tandis que les ailes de papillon dans son dos, battaient furieusement.

    Enfin, l'homme dont le poignet avait été traversé, hurla. La fée se tourna vers lui et se mit à cracher comme un chat, en montrant des crocs minuscules et rallongeant ses ongles. Ce fut comme un signal, tout se remit en marche. Fabian se jeta sur le revolver, le pointa sur l'homme. Il hésita un instant. L'homme s'en rendant compte, fit mine de se jeter sur lui et le garçon l'abattit d'une balle en pleine tête. Les autres hommes sortirent leurs armes. Xilanos cria d'une voix puissante :

    -Auriens ! Au combat !

    Alors, les buissons semblèrent se mettre en mouvement. Une vingtaine d'enfants en jaillirent. Arcs en main, ils tirèrent sur les hommes, pendant que les fées attaquaient à coup de griffes et de crocs. Noré observa la scène bouche-bée. Elle ne savait trop comment aider, quand un des hommes reçu une pierre sur la tête et s'écroula. Reformant la trajectoire du projectiles, elle aperçut Dal, Pitan et Adlaté devant les fillettes et les autres survivants armés de pierre. Elle en prit également une et la fixa un moment, cherchant le courage de la jeter sur un homme. Autour de la jeune fille, les cris de rage et de douleur se mêlaient. Les Auriens étaient connus pour être de redoutable guerrier. Noré regarda ces enfants se battre, faisant fuser les flèches. Certains avaient sorti des épées courtes et frappaient sans hésiter. Un Aurien donna un arc et à carquois à Xilanos. Adlaté cria et l'adolescente sursauta. Tous jetèrent leur projectiles. Sans réfléchir plus avant, elle suivit le mouvement. L'une des pierres défonça le genoux d'un homme, le crâne d'un autre. Une autre encore, défonça le thorax d'une des gardiens, que Fabian s'empressa d'achever. Bientôt, il ne resta aucun survivant.

    Noré se releva. Malgré la nature des hommes qui se trouvaient à terre, elle se sentit horrifiée par le spectacle du carnage. Elle tourna le dos, sentant monter une nausée et put, ainsi, voir Xilanos partir en direction du bâtiment, suivit des Auriens. Noré surprise, s'empressa de le rejoindre.

    -Qu'est-ce que tu fais ? On devrait essayer de s'enfuir.

    Sans quitter la route des yeux, Xilanos lui répondit sans détour :

    -Non ! Ils m'ont réduit en esclavage. Si je veux rester digne de mon titre de chef, ils doivent tous mourir.

    Noré le fixa un temps. Ferme et décidé, il marchait à pas vif. Elle ne trouva rien à dire pour le dissuader. Elle ne se sentait pas non plus en situation de critiquer la façon de voir Aurienne. Elle jeta un regard par-dessus son épaule pour voir si les garçons suivaient. Elle s'aperçut que les Auriens marchaient à quelque pas derrière leur chef. Se demandant si c'était à cause de cette histoire d'esclave, elle ralentit pour entrer dans le rang, poussée par la curiosité. Se tournant vers la fille qui marchait à côté d'elle, Noré murmura :

    -Pourquoi marchez-vous en retrait ?

    Ce à quoi la fille répondit sans la regarder :

    -Parce que personne n'a le droit de marcher à ses côtés. Ce serait prétendre lui voler sa place.

    -Ah, d'accord.

    Une vague d'inquiétude envahit la jeune fille :

    -Heu... si je marche à côté, moi, ça pose un problème ou...?

    La fille se tourna vers elle et lui sourit. Ses cheveux d'argent lui arrivaient aux genoux, elle était mince et sans doute du même âge que Noré.

    -Les règles des Auriens ne s'appliquent qu'aux Auriens.

    -D'accord.

    Elle tourna son regard vers l'avant. Une petite fille traversa les rangs Auriens et alla marchait aux côtés de Xilanos. Noré l'entendit parler à son chef. Elle devait avoir huit ans, des cheveux longs et la peau bronzée. Noré interrogea du regard la fille à son côté :

    -C'est Eliana. Xilanos l'a désigné comme étant celle qui lui succédera, alors elle doit rester avec lui pour apprendre. Il va avoir quinze ans dans quelques temps.

    Déjà, ils apercevaient le haut bâtiment. Xilanos se tourna vers ses compagnons. Il allait parler, mais quelque chose sembla attirer son regard. Noré se retourna et vit les garçons qui les avaient suivi. Fabian s'avança :

    -On veut aider aussi.

    Xilanos le fixa, l'ignora et murmura quelque chose à sa fée. Celle-ci se tourna vers les Auriens et fit un signe. Les autres fées se rassemblèrent autour d'elle. Noré remarqua alors que, contrairement aux enfants, leurs fées avaient diverses couleurs de cheveux et d'yeux. Elle se demanda d'où ça pouvait provenir. Après quelques instants, les fées encerclèrent Fabian et les autres. Elles se mirent de dos et battirent des ailes frénétiquement. Un vent violent se forma, empêchant tout passage. Les garçons se serrèrent, comme pour se protéger. Xilanos se tourna vers Noré :

    -Vas-y.

    -Je veux rester. Si Titian arrive.

    -Tu y vas.

    Elle soutint son regard, puis soupira :

    -C'est bon, j'ai compris.

    Noré s'avança vers la masse de fée, se demandant pourquoi elle obéissait. L'Aurien eut l'air rassuré et reprit sa route vers le camp, suivit des siens.

    Au dernier moment, la jeune fille stoppa et fit demi-tour. Elle entendit des petits miaulements derrière elle. Se retournant, Noré vit les fées qui semblaient l'appeler. Elle les observa, mais voyant qu'elles ne bougeaient pas, l'adolescente supposa que le déplacement de l'une d'entre elle briserait le cercle et ferait cesser le vent. La jeune fille les ignora, donc, et rejoignit les Auriens devant l'entrée du bâtiment. Elle se faufila parmi les enfants qui se tenaient baissés sous les fenêtres. Tous regardaient vers l'entrée où Xilanos se tenait accroupi. Il observait l'intérieur par l'entrebâillement de la porte. Lorsqu'elle s'installa à son côté, il la regarda d'un air désapprobateur. Noré lui sourit. Il ne pouvait plus tellement lui dire de retourner avec les autres maintenant. La jeune fille se pencha légèrement pour jeter un œil à l'intérieur de la pièce. Le chef des hommes étaient face à eux. Leur tournant le dos, un jeune homme lui parlait. La silhouette sembla familière à Noré. Avec précaution, Xilanos banda son arc et visa cet homme.

    A cet instant, celui-ci se dirigea vers la sortie, leur faisant face. L'Aurien s’apprêtait à relâcher la flèche lorsque Noré le poussa. Le trait fusa. Le bruit de la chute du garçon éveilla l'attention de Titian. Juste à temps pour qu'il évite la flèche qui lui était destinée. Celle-ci se planta dans l'épaule du chef. Le pirate regarda l'homme hurler d'un air nonchalant. Puis, il se retourna en se grattant la tête, les sourcils froncés. Une main s'approcha imperceptiblement de la nouvelle dague qu'il portait au côté. Noré s'élança et le prit dans ses bras :

    -Oh, tout doux. On a tous besoin d'amour, mais là, tu dégages ou je te latte.

    La jeune fille se dit qu'il n'avait pas dû la reconnaître avec ses cheveux courts. Elle le lâcha, leva la tête vers lui et dit :

    -C'est moi, c'est Noré.

    -Oh.

    -T'es venu me chercher ?

    -Non.

    Elle lui sourit. Titian se gratta la tête et, lui montrant les armes qu'il portait, dit :

    -T'as vu ce que j'ai acheté ?

    Bien qu'elle se dit que ce n'était pas vraiment le moment, elle demanda :

    -Où t'as eu l'argent ?

    -J'ai vendu le bébé.

    Noré le fixa, bouche-bée.

    -Je suis un pirate. J'ai le droit à l'humour sordide.

    A cet instant, une main saisit le bras de Noré et la tira en arrière. Xilanos se mit entre elle et Titian. La jeune fille posa sa main sur l'épaule du garçon :

    -C'est bon. C'est Titian, tu sais, je t'en ai parlé.

    L'ignorant, il demanda :

    -Comment vous l'avez trouvé ?

    Il avait parlé d'un ton soupçonneux. Titian fixa le garçon, sans lui montrer le moindre signe d’intérêt, mais répondit cependant :

    -J'ai atteint la première ville, suis allé chez un marchand. Je lui ai pris des armes en laissant le bébé en gage et je suis reparti chercher la petite. En arrivant, j'ai vu qu'elle était plus là, alors je suis retourné voir le marchand. Il a créé au cours de ses voyages, une carte sur laquelle est notée toutes les villes et îles. Je lui ai demandé de me la prêter, ce qu'il a accepté... gratuitement. Depuis, j'erre de maison en maison. J'aurais au moins appris qu'il s'agit d'une des plus grandes îles de Métane. Maintenant, si tu demandes gentiment, je te dirais même ce que j'ai mangé.

    Xilanos s'apprêtait à parler, lorsqu'un des Auriens s'approcha pour lui dire :

    -On est allé voir l'étage. On a entendu des pas au deuxième, le reste des hommes semble y être. Eliana pense qu'avec de la chance, ils n'ont pas entendu le cri et ne s'attendent pas à nous voir.

    -Elle a raison. Préparez-vous à monter.

    L'Aurien acquiesça et se dirigea vers Eliana pour le lui transmettre. Celle-ci fit alors signe de la suivre. Xilanos s'avança vers le chef blessé, prenant le pistolet de Titian au passage. Noré entendit le jeune homme pester :

    -Putain, c'est quoi ce môme ?

    L'Aurien posa le canon de l'arme sur le front de l'homme. Celui-ci jeta un regard emplit de regret et de soulagement à Noré et le garçon tira. Des cris lui parvinrent de l'étage. Xilanos y courut et Titian demanda :

    -Et mon arme ?

    Noré resta planté sur place. Elle regarda l'Aurien monter, hésitant à le suivre. Même si elle les rejoignait, elle ne serait d'aucune utilité. Titian s'étira et demanda :

    -C'est qui qu'on tue ?

    -Ceux qui ont enlevé les enfants.

    -Donc, tout homme ayant dépassé le stade de la puberté ?

    -Oui, en gros.

    Le pirate prit sa dague et monta les marches quatre à quatre. La jeune fille ouvrit la bouche pour parler, se ravisa, regarda autour d'elle, vit le cadavre de l'homme et se décida à monter. Des hommes combattaient les Auriens au premier étage. Titian frappait sans vergogne. Elle vit Xilanos tirer sa dernière flèche sur l'un des hommes, s'emparer de son arme, avant d'aller au troisième. Noré hésita un moment entre le suivre et rester près du pirate. Mais, celui-ci, tout occupé à sa boucherie, aurait été capable de la frapper sans le vouloir. Elle choisit de monter, espérant qu'elle trouverait un quelconque endroit pour se cacher.

    Noré resta abasourdi en apercevant des caisses débordantes de pierre aux couleurs étranges. Un feu avait pris à l'autre bout de la pièce. Un homme, juste en haut des marches, lui tournait le dos. Elle tenta de se mouvoir sur le côté, mais il se retourna, le visage haineux. Avant qu'il n'ait pu lever la main sur elle, il reçut une flèche dans le cou et s'écroula. La jeune fille se tourna vers le tireur et remercia Eliana d'un regard. Elle se glissa derrière une des caisses, jetant un regard inquiet vers le feu. Elle tendit la main pour saisir le poignard à la ceinture de l'homme qui venait de s'effondrer, se disant que c'était toujours mieux que rien. Au loin, elle aperçut la fille à côté de qui elle avait marché. Celle-ci combattait un homme de grande taille. L'Aurienne chuta, l'homme se jeta sur elle. La fille replia ses jambes et d'une pulsion brusque, releva l'homme en le déstabilisant. Un autre Aurien s'élança. Il courait, sans doute, en espérant arriver avant que l'homme ne retrouve son équilibre et le poussa violemment dans le feu. L'homme hurla de douleur, tandis qu'une odeur effroyable se propageait. Eliana cria :

    -Descendez !

    Les Auriens et Noré obéirent. Le feu se propageait vite.

    Alors qu'elle atteignait l'escalier,  une main agrippa le pied de la jeune fille. Celle-ci s'étala de tout son long. Un regard par-dessus son épaule lui indiqua qu'un homme, aux jambes démolies, semblait décidé à la faire brûler avec lui. Il avait dû ramper entre les caisses. Noré le frappa du plus fort qu'elle put au visage. Mais celui-ci tint bon. 

    Une lame étincela à la lueur du feu et la main de l'homme se détacha de son bras. Xilanos empoigna Noré par l'épaule et la releva d'un geste brusque. La fumée lui piquait la gorge et les yeux. Elle avait du mal à respirer. Ils descendirent. Titian était resté au premier. En les voyant, il lança :

    -Bah, t'étais où ?

    Sans lui jeter un regard, Xilanos entraîna Noré au rez-de-chaussée. Il ne restait que quelques hommes qui tentaient de fuir, mais les Auriens les abattirent rapidement. Leur chef ne s'arrêta pas et entraîna la jeune fille. Il la lâcha une fois dehors. Le pirate qui les suivait de près, s'assit à même le sol.

    Nauséeuse et tremblante, Noré s'appliqua à détacher la main accrochée à sa cheville. Les Auriens sortaient, relativement calmement, tout en toussant. Xilanos siffla et les fées les rejoignirent, suivies des garçons. Sur un signe de l'Aurien, ils s'éloignèrent du bâtiment en flamme. Titian se releva en faisant une grimace pour montrer son exaspération. Tandis qu'ils s'éloignaient, il aborda Noré :

    -Bon, on retourne voir le marchand à Ablao.

    Elle acquiesça. Xilanos se tourna vers eux :

    -Je vous accompagne.

    Titian crispa la mâchoire :

    -Pourquoi ?

    -Je ne fais pas confiance à quelqu'un qui porte ce genre de marque.

    Le pirate se passa la main sur le cou avec un sourire provocateur. L'Aurien fit signe au groupe de s'arrêter. Il regarda Eliana :

    -Emmène-les. Je vous rejoindrai.

    La petite lui sourit :

    -Allez, tenez-vous la main, les uns contre les autres.

    Les Auriens obéirent tout de suite, alors que les autres se jetaient des regards interrogateurs. Les fées reprirent la même formation que précédemment. Le vent apparut de nouveau. 

    -Sautez en même temps... maintenant !

    Les enfants sautèrent. Des fées se glissèrent sous eux, les ailes battant vers leurs pieds. Noré sursauta détournant le regard, craignant que les petits êtres ne se fassent écrasés. Mais un vent puissant porta les enfants. Bouche-bée, elle les vit s'envoler, prit dans une immense tornade. Titian laissa tomber un "whao" nullement impressionné. Puis, il sortit sa carte, en baillant et se gratta la tête :

    -Bon, si on part maintenant, on a des chances d'arriver à Ablao dans moins d'un mois.

    Xilanos eut un sourire supérieur. Il retira de son cou un pendentif. Une simple pierre plate, circulaire et marron. Il mit son doigt dans sa bouche et le passa sur la surface. Puis, il la posa au sol, saisit la main de Noré, le poignet de Titian et dit :

    -Le chef des Auriens souhaite se rendre à Ablao.

    La pierre s'élargit petit à petit. Noré voulut reculer, mais Xilanos la retint. La pierre entoura leur pieds comme si elle s'était changée en boue. Puis, ils commencèrent à s'enfoncer dedans. Noré se demanda si c'était eux qui entrait dans la pierre ou la pierre montait. Lorsqu'elle lui arriva au cou, la jeune fille arrêta de respirer et ferma les yeux par réflexe. Mais, Noré ne ressentit aucun froid, ni impression de passer sous une surface quelconque. Elle les rouvrit pour se rendre compte qu'ils n'avaient pas quitté le sol et s'aperçut que la nature avait disparu laissant place à une ruelle sombre et mal odorante.

    Ils étaient à Ablao. Levant la tête, elle vit comme un cercle de ciel plus clair au-dessus d'eux, qui rétrécissait. Finalement, la pierre retomba, retrouvant son ancienne couleur. Xilanos la ramassa et la remit à son cou :

    -Bien, cherchons ton marchand.

    -Rend-moi mon arme d'abord.

    Il obéit. Titian la rangea et passa devant en lâchant :

    -Sale môme.

    Noré s'aperçut qu'elle avait toujours le poignard de l'homme en main. Elle le rangea dans sa ceinture. Ils pénétrèrent dans la rue principale. Les maisons étaient bancales, serrées les unes aux autres. Il ne devait pas s'agir d'une grande ville, car il y avait peu de monde dans les rues aux pavés disloqués. Noré rattrapa Titian et lui posa une question qui la tracassait depuis quelques temps :

    -C'est vrai que t'as laissé le bébé en gage ?

    Le jeune homme posa les yeux sur elle, d'un air amusé :

    -Nan, je l'ai filé à une femme qui a bien voulu s'en occuper gratuitement.

    Noré soupira de soulagement et Titian eut un sourire moqueur. Il tourna dans une rue et s'arrêta devant un étalage qui présentait divers outils, jouets et objets.

    -C'est là.

    Un homme s'approcha en les voyant s'arrêter. Le marchand était grand et costaud. La peau tannée par le soleil, pas très beau et qui pouvait effrayer les gens si ses yeux et son sourire ne dévoilaient pas une gentillesse intarissable. Il reconnut Titian et jeta un regard à Noré.

    -Ah, c'est donc votre frère qui s'était perdu. Je comprends pourquoi vous étiez si inquiet.

    Noré rit doucement, amusée de l'erreur de l'homme à son égard. Mais, les yeux de Titian s'emplirent de tristesse.

     

     


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