• Chapitre 8

    -Je le sortirais.

    -Non.

    -Je le nourrirais.

    -Non.

    -Mais allez, je veux le garder heu…

    -Non, non, non et non.

    Charon tenta de se concentrer sur ce qu’il lisait sans grand succès. Lutinor n’avait pas l’intention de le laisser tranquille si facilement. Le petit gardien était figé depuis la veille, se contentant de pester chaque fois qu’ils lui passaient devant. Lutinor avait bien essayé de lui parler, de connaître son nom, mais il n’avait rien voulu dire.

    Charon reposa le parchemin pour lui faire face :

    -Tu lui as déjà demandé ? S’il voulait rester avec nous ?

    Le dieu eut une mine boudeuse :

    -Oui.

    -Et ?

    -Il a dit que sa maîtresse est tellement plus forte qu’il ne voyait pas l’intérêt de rester avec des minables.

    Le sans-âme fit semblant de s’apitoyer :

    -Oh, et ça t’as brisé ton petit cœur.

    -Ce n’est pas drôle, c’est triste. Il s’amuserait plus avec nous.

    Charon le pointa du doigt :

    -Là, voilà ton problème.

    Lutinor le dévisagea étonné :

    -J’ai un problème moi ?

    -Plutôt une centaine, mais celui-là en particulier. Ecoute-moi bien. Tout ça, les gardiens, les pouvoirs, les terres, ce n’est pas fait pour t’amuser, c’est clair ? Tu dois prendre tout cela sérieusement ou tu te feras tuer.

    -Je croyais que je ne pouvais pas mourir.

    -Je n’ai pas dit ça. Tu peux mourir, seulement, pas aussi facilement qu’un humain. Un gardien ou un autre dieu peut t’abattre. Mais là n’est pas la question. Qu’as-tu fait quand il t’a répondu ? Quand il t’a traité de minable ?

    Lutinor se rengorgea :

    -Je n’ai pas pleurer si c’est ce à quoi tu t’attends.

    Charon ricana :

    -Encore heureux, mais tu aurais dû le punir.

    -Comment ?

    Le sans-âme plissa les yeux, les bras croisés. Il finit par soupirer en disant :

    -Viens, suis-moi.

    Lutinor obéit et ils se rendirent dehors où le petit gardien dormait debout en ronflant doucement.

    -Je veux que tu fasses comme les dernières fois, pour les plantes. Sauf que cette fois tu penseras à lui et à une punition à la hauteur de son crime.

    Lutinor tritura sa manche boueuse en marmonnant :

    -Mais je ne veux pas faire mal moi.

    Charon eut un sourire mauvais :

    -Je croyais que tu voulais te battre.

    -Ce n’est pas pareil. Lui, il est tout petit.

    Le sans-âme s’avança rapidement vers Lutinor qui se crispa en l’attente d’un coup. Le sans-âme s’arrêta une fois bien en face :

    -Ecoute attentivement. Tu ne peux pas te fier aux apparences ou à ce que tu entends. Ce garçon peut-être très puissant, il peut te tuer, alors ne montre pas de pitié.

    Lutinor hocha la tête bien qu’il ne fut pas convaincu et se plaça face au petit gardien qui dormait toujours paisiblement. Le dieu se concentra. Plus réticent que les fois précédentes, il eut du mal à faire apparaître la formule. Jetant un regard à Charon en espérant qu’il changerait d’avis, se voyant dévisager par le sans-âme, il comprit que c’était peine perdue. Enfin, il finit par prononcer :

    -Arisaro.

    Le garçon se réveilla soudain en grognant :

    -Mais aïeuh.

    Il plissa les yeux pour tenter de distinguer qui se trouvait face à lui. En apercevant Lutinor, il grommela d’une voix ensommeillée :

    -Qu’est-ce que tu veux ?

    Lutinor se dressa de toute sa hauteur et dit d’une voix qu’il espéra menaçante :

    -Voilà, tu es puni pour t’être moqué de moi. Prends garde maintenant.

    Il se tourna vers Charon avec fierté, mais alors que le garçon le fixait sans comprendre, le sans-âme restait bouche-bée. Quand il retrouva l’usage de la parole, ce fut pour demander :

    -C’était quoi la punition ?

    -Une pichenette !

    Lutinor rayonnait :

    -T’as vu ? ça l’a même réveillé.

    Le sans-âme respira profondément pour garder son calme avant d’annoncer :

    -Je retourne à mes parchemins.

    Le petit dieu le laissa s’éloigner en haussant les épaules, puis il s’approcha du garçon avec un pas bondissant.

    -Tu as vu ? Je suis fort quand même. Tu devrais vraiment rester avec nous.

    Le gardien secoua la tête :

    -Ah non alors, ma maîtresse est beaucoup plus forte.

    Lutinor reprit son sérieux :

    -Ecoute. Le problème c’est que si on te laisse partir, ta maîtresse va te punir et on ne peut pas te laisser figer tout le temps non plus. Donc, le mieux, c’est que tu restes, comme ça tu ne seras pas puni et tu feras ce que tu veux.

    Le garçon fronça les sourcils :

    -Comment ça, faire ce que je veux ?

    -Bah oui, faire ce que tu veux. Si tu veux manger, tu manges. Si tu veux courir tu cours… des trucs comme cela.

    Le petit gardien sembla y réfléchir sérieusement car c’est au bout d’une longue minute qu’il répondit :

    -D’accord mais je serais traité comme un égal à Charon.

    Lutinor hocha la tête en souriant :

    -Oui, je vais lui dire.

    Il courut rejoindre le sans-âme qui avait troqué son parchemin contre un vieux grimoire qui le laissait tout autant perplexe.

    -J’ai une bonne nouvelle !

    Charon leva les yeux sur lui sans montrer le moindre intérêt concernant cette nouvelle. Alors Lutinor continua :

    -Il accepte de rester.

    A ces mots, le sans-âme prêta une plus grande attention :

    -Le gardien ? A quelles conditions ?

    -Comment tu sais qu’il y a des conditions ?

    Un haussement de sourcil fut sa seule réponse.

    -D’accord, il veut être ton égal.

    Charon se leva d’un bond :

    -Mon quoi ?

    Lutinor sursauta :

    -Quoi ? C’est si grave que ça ?

    Le sans-âme était furieux et le dieu se sentit soudain tout petit :

    -As-tu la moindre idée de ce que j’ai fait pour être ce que je suis ? De tout ce que j’ai enduré ?!

    Lutinor rentra la tête dans ses épaules :

    -Je ne savais pas qu’il fallait faire quelque chose de spécial, pardon.

    Les mots apaisèrent Charon d’un seul coup et il se souvint que Lutinor n’y connaissait rien. Il posa une main apaisante sur la tête du petit dieu qui ne savait plus où se mettre :

    -Non, ce n’est pas grave. Je vais t’expliquer.

    Lutinor hocha la tête et attendit en silence que Charon se décide à parler :

    -Les sans-âmes sont hiérarchisés en fonction de leur puissance. Il faut avoir combattu longtemps et avoir de nombreuses victoires. Cela prend des siècles pour atteindre mon niveau. Si ce gardien veut être mon égal, il devra combattre. Tu ne lui rendrais pas service en le nommant directement.

    Lutinor ouvrit la bouche, mais Charon le coupa :

    -Oui, les dieux peuvent attribuer directement un niveau à leur sans-âme.

    Le petit dieu fronça les sourcils :

    -Alors pourquoi ils ne le font pas tous ?

    -Ce n’est qu’un titre qui n’accorde pas la puissance qui va avec.

    -Quel est l’intérêt ?

    Charon fit un pas en arrière :

    -Un sans-âme avec un niveau élevé gagne des privilèges et son maître peut bluffer ses adversaires avec ça. Quitte à ce que le gardien se fasse massacrer si l’ennemi n’est pas intimidé par sa soi-disant puissance.

    Lutinor hocha la tête, regarda les documents éparpillés au sol avant de finalement demander :

    -Mais pourquoi ça t’a tant énervé au juste ? Si ça ne lui donne pas la même puissance que toi ?

    -Parce que je l’ai gagné, pas lui. Comment réagiras-tu si quelqu’un clamé avoir ta puissance alors qu’il n’a rien fait pour la gagner ?

    -Oh, tu sais, si quelqu’un veut prétendre ça, il ne risque pas grand-chose.

    Charon allait répliquer, mais Lutinor l’arrêta d’un geste :

    -Mais je comprends l’idée. Je le ferais plus, c’est promis… on peut quand même le libérer ?

    Charon le dévisagea sans rien dire pour finalement soupirer et rejoindre le gardien figé. Lutinor bondit de joie en le suivant. Le sans-âme se planta devant le prisonnier :

    -Très bien. Sache qu’il est hors de question que tu sois mon égal. Donc, qu’est-ce que tu veux ?

    Le garçon fit la moue avant de dire :

    -D’accord, mais dans ce cas, tu m’entraînes.

    Charon haussa un sourcil, jeta un regard vers Lutinor avant de décider :

    -Ok, ça marche.

    Un geste de la main et le garçon se retrouva par terre en grimaçant :

    -Aaaah, j’ai des crampes partout.

    Charon l’ignora pour se tourner vers Lutinor :

    -Content ?

    -Très.

    Il retourna dans sa chambre alors que Lutinor soulevait le garçon pour le relever :

    -Voilà, maintenant, ça va être plus drôle. Bon, il faut se faire au caractère de Charon mais tu verras, il est gentil au fond.

    A peine debout, le garçon fit un geste du bras et Lutinor se retrouva projeté en arrière. Il atterrit lourdement sur le dos et, le temps qu’il se redresse, le garçon partait en courant, lançant au passage :

    -La prochaine fois, tu ne t’en sortiras pas aussi bien.

    Lutinor le regarda partir en se mordillant la lèvre :

    -Ah, bah zut alors.

    Une fois qu'il eut disparu dans les marais, le dieu grogna en se redressant :

    -Cette fois, je vais vraiment m’en prendre une.

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