• Chapitre 31

    Noré s'approcha encore :

    -Restez calme. Je vais vous délivrer, d'accord ?

    Le loup continua de la fixer sans bouger. Elle chercha du regard ce qui pourrait lui servir à séparer les mâchoires du piège. Finalement, la jeune fille retourna vers les bois en quête d'un bâton solide. Il lui fallut plusieurs minutes pour y parvenir. Enfin armée, elle retourna sur ses pas, attentive aux pièges qui l'entouraient. Quand l'adolescente fut de nouveau auprès du loup, avec des gestes précis, elle entreprit de le libérer. Le loup se dégagea avec des précautions toutes humaines et s'éloigna. Noré s'intéressa, alors, aux autres loups qui s'étaient calmés et semblaient attendre patiemment que le jour se lève. Elle les observa un moment avant de se décider à les libérer, mais toujours sur ses gardes.

    Lorsque l'obscurité laissa place à la teinte sinistre et triste du jour gris, les pièges étaient à nouveau vide. Noré était épuisée, en sueur. Elle jeta un regard au sol qui l'entourait pour vérifier qu'il n'y avait rien près d'elle et se laissa tomber sur le dos. Ses vêtements n'étaient pas sec, mais après les efforts fournis, elle ne se plaignait plus de leur fraîcheur. En fixant rêveusement le ciel noir, Noré repensa à ses compagnons. Ils devaient être morts à présent. Elle tendit l'oreille pour essayer de percevoir le moindre son qui viendrait de la ville, mais il n'y avait qu'un silence pesant et effrayant. L'adolescente se secoua. Il n'était pas question de s'apitoyer. Titian et Soria ne seraient morts que lorsqu'elle verrait leurs cadavres. Elle se remit sur ses pieds, malgré la fatigue et la faim, qui semblaient ne lui laisser aucun repos.

    Noré marchait en grimaçant à cause de courbatures. Son plan était resté le même. Trouver Azaque, l'aider pour qu'il l'aide en retour. Elle se redemanda en quoi elle pouvait lui être utile. Les yeux au sol, faisant attention où elle marchait, la jeune fille pénétra à l'ombre des arbres. Il y avait quelque chose là. Une présence oppressante l'entourait. Doucement, elle leva la tête, inquiète de ce qu'elle allait découvrir. Des hommes et des femmes étaient rassemblés devant elle, yeux et cheveux gris, cernes immenses. L'adolescente s'arrêta, regrettant d'avoir laissé son bâton derrière. Les Tiarks se levèrent. Une femme lança :

    -Viens avec nous, petit gibier.

    La jeune fille allait refuser, n'étant pas encouragée par la formulation de l'invitation. Déjà les Tiarks s'éloignaient en lui tournant le dos. Elle saisit sa chance et tenta de s'éclipser mais Azaque l'attrapa par le col et lui fit suivre le groupe.

    -Azaque ? Tu vas bien ?

    Il ne répondit pas, ce qui l'inquiéta d'autant plus :

    -Où m'emmenez vous ?

    Il ne réagit pas plus. Noré se résolut au silence. Ils prirent maints tournants, traversèrent maints ruisseaux, les bois étaient de plus en plus sombres. La jeune fille était complètement perdue. De toute façon, l'inquiétude que lui apportait son sort la tenait toute occupée. Elle ne faisait guère attention au chemin emprunté. Ils marchèrent longtemps pour arriver dans un endroit de forme circulaire. Il était délimité par les arbres du bois mais son centre était calciné. Azaque la mena au milieu et l'y laissa. Les Tiarks s'assirent autour d'elle, laissant un mètre de distance entre la jeune fille et eux. Cependant, un homme resta debout. Ses yeux étaient bandés par un long ruban noir qui passait sous ses cheveux mi-longs. Il s'avança, aussi aisément que s'il avait la vue, jusqu'à Noré. Elle ne bougea pas lorsqu'il posa la main sur sa tête à la recherche de son visage :

    -Ce n'est qu'un petit gibier.

    -Qui peut nous être utile.

    Noré lança un regard à Azaque. Il s'était levé, mais n'avait pas quitté sa place. L'aveugle reprit :

    -Utile ? En quoi ?

    Une femme se leva et parla d'une voix ferme :

    -Je ne suis pas la seule ici, à pouvoir dire que le petit gibier m'a sauvé ce matin.

    Azaque poursuivit :

    -C'est vrai. Je l'ai rencontré hier. J'ai pensé qu'elle pouvait nous être utile pour entrer dans le village, chef Korrane.

    Mais à sa suite, Cléo se leva :

    -C'était ma proie, chef ! Mais il me la prise.

    Korrane dit d'une voix posée :

    -Est-ce vrai, Azaque ?

    Le garçon répondit d'une voix moins assurée :

    -Oui, mais il était sous forme humaine. Et il ne faisait pas que relever sa piste, il l'attaquait.

    Le chef ne répondit rien et sembla rester songeur. Avec hésitation, Azaque et Cléo se rassirent. Un temps s'écoula, puis Korrane reprit :

    -Azaque, dis-moi ton plan. Car tu dois en avoir un pour voler la proie d'un autre. 

    Le Tiark se releva aussitôt :

    -Oui, chef Korrane. Elle n'aura qu'à retirer les pièges à loup jusqu'à la porte du village et faire en sorte que celle-ci reste ouverte.

    -Et pourquoi ferait-elle cela ?

    -Je l'ai soigné, chef Korrane.

    Ce fut au tour d'une jeune fille d'intervenir :

    -Si elle refuse, nous pourrons toujours la manger.

    Korrane sourit :

    -En appétit, Cil ?

    La jeune fille se contenta d'un sourire carnassier à l'intention de la captive. Celle-ci frissonna, tandis que l'aveugle se taisait un instant. Il réfléchit avant de demander à Noré :

    -Petit gibier, nous aideras-tu à entrer dans le village ?

    La peur coinça sa voix dans sa gorge et il lui fallut du temps pour pouvoir répondre :

    -Pourquoi vous voulez y aller ?

    Sa voix était faible et chevrotante. Korrane se redressa imperceptiblement, comme surpris par la question :

    -Pour manger, bien sûr. Il y a là-bas des cadavres. Des tonnes de cadavres. On les sent d'ici et les loups ont faim. Faim depuis des nuits. 

    -Mais, il y a des gens vivants aussi.

    Il aspira l'air entre ses dents serrées dans une grimace effrayante :

    -Nous aideras-tu, oui ou non ?

    Elle déglutit avec difficulté. Son regard passa d'Azaque à la première femme qui avait parlé et revint sur Korrane :

    -Si vous m'aidez en retour.

    -Azaque t'as sauvé la vie, petit gibier.

    -Et j'ai sauvé quelques uns d'entre vous.

    Korrane se tut à nouveau. Noré pouvait sentir qu'il n'appréciait guère ses réponses. Azaque osa un pas en avant :

    -Chef Korrane, si vous voulez bien approcher.

    L'aveugle fit volte-face et rejoignit le jeune Tiark en deux enjambées. Celui-ci parla à voix basse, ne souhaitant sans doute pas être entendu par la jeune fille. Peu à peu, les Tiarks alentours se levèrent et s'approchèrent. La messe basse finit en débat. Bien qu'ils restaient calmes et qu'elle ne distinguait aucune parole, à certains gestes, Noré put voir qu'ils étaient au bord du conflit. Une chance pour elle de s'échapper qui s'évanouit aussitôt. Les Tiarks connaissaient les bois, ils étaient nombreux, ils la retrouveraient en peu de temps. Sans compter que leur odorat qui semblait développé les guiderait jusqu'à elle. L'adolescente dut attendre avec anxiété que la discussion se termine. Korrane s'écarta soudain des autres et tous se turent aussi soudainement. Il revint vers Noré et comme s'il y voyait parfaitement, s'arrêta face à elle :

    -Azaque a fait valoir ses arguments. D'autres te portent une grande reconnaissance. Sans toi, les villageois les achèveraient à l'heure qu'il est...

    -Les achever ? Mais ils seraient humains ! Des humains dans des piège-à-loup !  

    -Et alors ?

    Noré était choquée d'imaginer les villageois sortirent pour tuer des êtres réduits à l'impuissance. Certainement, elle aurait moins de scrupule à participer à leur destruction. Après tout, cela était une chance de sauver ses amis. Pendant que les villageois seraient occupés à combattre les Tiarks, elle pourrait les chercher librement.

    -..compagnons.

    Noré sursauta en entendant la fin de la phrase du Tiark :

    -Pardon ?

    -Je dis que nous ne t'aiderons pas à sauver tes compagnons. Du moins, peut-être pas comme tu semblais l'entendre.

    La remarque ne la perturba pas. Elle imaginait déjà comment traverser le village au cours de leur bataille. Mais la deuxième partie l'intéressa plus :

    -Comme je semblais l'entendre ? C'est à dire ?

    -Certains désirent te donner le droit du maître.

    Noré se tut, cherchant dans sa mémoire une histoire de sa mère qui pouvait s'y rapporter. Korrane dut se douter de son ignorance car il finit par ajouter :

    -Ce droit te permettrait d'appeler les Tiarks où que tu sois, mais également de les contrôler lorsqu'ils sont en loup. Ce privilège t'es offert pour avoir libéré nos compagnons. Malgré tout, d'autres désapprouvent cette décision.

    Elle entendit un Tiark grogner dans son dos et déglutit avec difficulté. Le chef reprit :

    -Tu devras donc passer une épreuve symbolique.

    La jeune fille soupira en se rassurant. Symbolique voulait certainement dire que l'épreuve n'était pas difficile. Que lui arriverait-il si elle ne réussissait pas l'épreuve ? Serait-elle tuée, malgré l'aide qu'elle pouvait leur fournir ? Certainement pas. Elle devait être leur dernière chance pour qu'ils choisissent une humaine. Korrane recula d'un pas, puis caressa le sol devant lui. Aussitôt, un arbre en jaillit. Il s'éleva à plusieurs mètres, dépourvu de feuille. A chacune de ses branches, une flûte blanche était accrochée. Le chef expliqua :

    -La flûte des maîtres a était faite dans l'os d'un Tiark. Rapporte-moi la vraie flûte.

    Noré leva les yeux vers l'arbre. Tous les instruments semblaient identiques. Elle se décida à aller les voir de plus près. La jeune fille fit le tour de l'arbre et, repérant la branche la plus basse, tendit le bras pour l'attraper mais sans y parvenir. Alors elle prit de l'élan pour essayer de l'attraper en sautant. Nouvel échec. Noré fronça les sourcils, la branche n'était pas si haute que ça. Dans son dos, des Tiarks ricanèrent. Sans se décourager, l'adolescente prit appui sur le tronc et tendit le bras. C'est alors qu'elle vit la branche monter imperceptiblement. Plus sa main s'approchait plus la branche s'éloignait. La jeune fille retourna au sol. Elle ne pouvait pas monter à l'arbre, c'était un fait. Il y avait donc un piège. Devait-elle trouver la flûte en étant au sol ? Noré regarda à nouveau les instruments, certains n'étaient pas visibles d'où elle se tenait. Elle en déduisit qu'il y avait donc forcément un moyen de grimper. Comment ? Là était la question. Elle se creusa la tête, se remémorant les paroles de Korrane, à la recherche d'une faille. Comment monter à un arbre dont les branches bougeaient seules ? C'était impossible, du moins, toute seule. Son visage s'éclaira au fur et à mesure qu'elle comprenait. La flûte des maîtres qui permettait d'appeler et contrôler les Tiarks. La flûte du maître, celui qui commande. Elle sourit et se tourna vers les Tiarks. Noré avait des difficultés à s'imaginer donnant des ordres à ces créatures. Pourtant, il le fallait bien, à moins de vouloir découvrir ce qui lui arriverait si elle échouait. De sa voix la plus clair et polie, elle demanda :

    -Azaque, tu veux bien venir, s'il te plaît ?

    Le garçon se leva et la rejoignit, un sourire en coin. Elle tendit les bras vers la branche :

    -Tu veux bien m'aider à monter ?

    Azaque la souleva. La jeune fille poussa un soupir de soulagement en sentant le bois sous ses doigts. Une fois sur l'arbre, elle commença à inspecter chaque flûte, mais elles étaient toutes désespérément identiques. Maintenant qu'elle avait compris, c'est avec calme et un peu plus d'assurance que Noré lança à l'intention des Tiarks :

    -J'aurais besoin de deux personnes, s'il vous plaît.

    Deux femmes s'avancèrent. L'une était celle qui avait parlé en sa faveur plutôt, l'autre était la dénommée Cil. Azaque les aida à monter. Lorsqu'elles furent presque à sa hauteur, Noré leur dit :

    -On va chercher ensemble. Je vais monter plus haut. Divisez-vous.

    Elles obéirent en silence et se mirent à examiner chaque instrument avec précaution. Finalement, Cil lança :

    -Je l'ai trouvé.

    La Tiark décrocha la flûte et la tendit à Noré. Celle-ci, méfiante envers la jeune fille, chercha à voir la différence avec les autres. Elle était infime. Il s'agissait d'une gravure minuscule que les autres n'avaient pas. Azaque les aida à redescendre et l'adolescente tendit l'instrument à Korrane.

    En effleurant la gravure représentant une tête de loup, le Tiark hocha la tête avec approbation :

    -Il semblerait que tu sois digne du droit des maîtres. Cependant, apprend à ne pas en abuser, nous pouvons te priver de ce droit quand nous le voulons.

    Il lui rendit la flûte. Noré le fixa un temps, puis dit :

    -Est-ce que ça veut dire que si je demande de l'aide, vous accepterez ?

    Korrane sourit :

    -Bien essayé. Cette flûte te permet de nous appeler et de tenir les loups écartés. Elle ne nous oblige pas à t'obéir en tout.

    Elle para :

    -Oui, mais il faut bien que j'entre dans le village pour ouvrir les portes.

    Azaque intervint de nouveau :

    -Elle n'a pas tort, chef Korrane.

    -Très bien. Tu l'accompagneras. Ceux qui l'ont aidé aussi. Si je ne me trompe pas, il s'agissait de Cil et Qizorc.

    Elles répondirent par l'affirmative.

    -Je pense qu'ils suffiront. La meute peut se disperser.

    A ces mots, les autres se levèrent et s'éloignèrent. Azaque tapota sur son épaule pour lui signifier qu'ils partaient aussi. Ils prirent la direction empruntée à l'allée. Lorsqu'ils furent dans les bois, Noré, qui ne cessait de tourner la flûte entre ses doigts, demanda :

    -C'est normal si elle n'a pas de trou ? Pour faire les notes.

    -Oui. Tu n'auras qu'à souffler dedans.

    La jeune fille n'était pas convaincue, mais elle ne dit rien. Qizorc prit la parole :

    -Tu devrais la ranger.

    Noré obéit et la cala dans sa ceinture. Puis, en relevant la tête, une autre question lui vint :

    -Vous n'êtes pas blessé ?

    Ils la regardèrent sans comprendre. Elle précisa :

    -Les pièges, cette nuit.

    C'est la dénommé Cil qui répondit :

    -Ce que subit le corps du loup s'efface lorsque l'on se transforme.

    Azaque compléta :

    -C'est comme lorsque nous recevons une information en humain, le loup ne la sait pas. En fait, nous sommes complètement dissociés.

    -Jusqu'au moment où vous reprenez conscience dans le corps du loup.

    Cil bondit sur place soudainement et sans raison :

    -Oui, oui, c'est exactement ça.

    Noré la regarda avec surprise, mais les deux autres Tiarks l'ignorèrent. Ce comportement était normal à leur yeux. Elle continua de marcher au milieu d'eux, se demandant à quel degré chacun était fou. Bientôt, ils arrivèrent à l'orée du bois et stoppèrent. Noré s'étonna que le trajet fut aussi court. Il lui avait semblé beaucoup plus long en allant au cercle calciné. Elle renonça à comprendre comment ces bois étaient agencés. De plus, les Tiarks devaient connaître des raccourcis. En revanche, la jeune fille reconnut sans difficulté le paysage devant elle. Le village et sa muraille, les pentes d'herbes fraîches où se cachaient les pièges. Elle observa le tout un instant, puis s'avança. Mais les Tiarks restèrent en arrière.

    -Vous ne venez pas ?

    -Il faut que tu éloignes les pièges.

    Elle regarda Azaque :

    -Vous ne pouvez pas les éviter ?

    -Ils sont fait d'argent. On ne peut supporter la présence d'argent qu'à une certaine distance.

    - Ah, c'est pour ça que vous aviez tant besoin de moi. Je me demandais aussi pourquoi vous ne profitiez pas d'être humain pour dégager le passage.

    Noré baissa les yeux vers un premier piège. Il était maintenu par une chaîne attachée à un clou de fer planté dans le sol. La jeune fille s'en empara et tira de toutes ses forces pour l'en sortir. Une fois dégagé, elle le posa à l'écart, puis s'occupa d'un autre. Elle se mit à dégager un chemin assez large jusqu'à la porte. La tâche ne fut pas aisée et son dos devint vite douloureux. Cependant, l'adolescente s'efforça à ne pas s'arrêter, pour ne plus perdre de temps. Malgré tous ses efforts, le soleil se couchait lorsqu'ils furent aux portes de la ville. Elle se laissa tomber au sol, couverte de sueur. Le passage ainsi créé était assez large pour qu'ils puissent marcher côte à côte, mais ils progressaient en file indienne. En passant près d'elle, Azaque lui lança :

    -Pas le temps de se reposer, petit gibier.

    Noré se leva à contre-cœur. Le garçon s'accroupit face au mur, les bras appuyés dessus. Qizorc s'assit sur ses épaules. Puis Cil sur celles de la jeune femme et aida l'adolescente à s'asseoir sur les siennes. Elle posa ses mains contre le mur, terrifiée à l'idée de tomber. Puis Azaque se redressa doucement. Le mouvement la surprit et elle utilisa quelques secondes pour retrouver un équilibre. La jeune fille leva les yeux vers le sommet :

    -C'est pas assez.

    Elle sentit une pression sous ses pieds. Cil y avait placé ses mains et la poussait vers le haut. Noré se redressa lentement. Une fois debout, elle put atteindre le bord et s'y hissa. Quand elle fut sur le mur, la jeune fille demanda :

    -Je fais quoi maintenant ? Je n'arriverais pas à ouvrir les portes toute seule.

    Cil lui tendit la main :

    -Aide-moi à monter.

    Qizorc poussa sa compagne de la même manière. Noré attrapa sa main et la tira vers elle. Lorsque la Tiark l'eut rejoint, Azaque reposa Qizorc.

    -Comment es-tu sortie du village ?

    Noré montra du doigt le tas de cadavre dont le sommet était visible de leur position. Cil se mit debout :

    -D'accord, on y va.

    Noré fit de son mieux pour ignorer le fait que la Tiark s'était léchée les lèvres d'un air gourmand. Elle se leva à son tour et ouvrit le chemin. Elles marchèrent sur la muraille jusqu'au tas de cadavre. Sa compagne le dévala avec autant d'aisance que s'il s'agissait d'une colline verdoyante. La jeune fille, la main plaquée sur la bouche, avançait prudemment. Elle avait espéré ne jamais revivre ça. Lorsque son pied s'enfonça dans un ventre en putréfaction, l'adolescente retint un hurlement de peur d'avaler des mouches, et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle resta bloquée. Refaire cette expérience était au-dessus de ses forces. Remarquant qu'elle ne suivait plus, Cil remonta vers elle, toujours avec autant de facilité, et lui présenta son dos :

    -Monte.

    Noré obéit sans se faire prier. En quelques secondes, elles furent en bas. Une fois au sol, la jeune fille descendit du dos de la Tiark. Elles se cachèrent entre deux maisons. Sur la gauche, elles pouvaient voir la porte du bâtiment où les malades étaient gardés. En regardant à droite, Noré vit que deux bûchers pas très élevés avaient été installés. Elle n'eut pas le temps de s'attarder sur ce détail car, à cet instant, Cil s'était redressée et fixait le ciel derrière elles :

    -La lune s'est levée.

    Noré regarda dans la même direction mais, bien entendu, ne vit rien. Le ciel était toujours d'un noir d'encre. Elle s'inquiéta :

    -Heu... vous vous transformez à quel moment exactement ?

    Pour toute réponse, la Tiark dit :

    -On se sépare maintenant. Va chercher tes amis, moi je vais ouvrir la porte.

    Sur ces mots, elle s'éloigna. Noré la regarda partir attendant de voir si des villageois rôdaient. Il n'y avait aucun signe d'eux, alors elle se glissa dans le bâtiment des malades. Une fois à l'intérieur, elle se demanda où aller. Les portes qui s'offraient à elle étaient autant de possibilité qui pouvait l'éloigner de son but. La jeune fille s'approcha de l'une d'elle et y colla son oreille. Probablement qu'un son pourrait l'aider à savoir si elle pouvait tenter sa chance ou pas. Elle n'eut pas le temps de se décider, déjà, une main s'abattait sur son épaule. Noré ne reconnut pas l'homme qui l'avait attrapé :

    -Tu viens assister à l'exécution de tes amis  ? C'est gentil de ta part.

    Il était accompagné de deux autres hommes qui lui saisirent chacun un bras. La jeune fille ne pensa même pas à se défendre. Épuisée, blessée comme elle l'était cela aurait de toute façon était inutile. Au lieu de l'emmener à une des portes, ils l'entraînèrent dehors. Ils se mirent sur le côté de l'entrée et semblèrent attendre quelque chose. Noré jeta des regards perdus vers la herse. Celle-ci était toujours fermée, les Tiarks étaient toujours dehors. Elle se maudit intérieurement. Elle n'avait pas attendu leur attaque comme elle pensait le faire. Mais la perspective de retrouver ses amis lui avait fait perdre de vue cette solution. Son regard tomba sur les bûchers et elle fit le lien avec ce qu'avait dit l'homme. Titian et Soria allaient être brûlés sous ses yeux. L’adolescente sentit une détresse immense l'étouffée. Les malades sortirent, progressivement, psalmodiant des prières et se placèrent près des bûchers. Puis, ils firent sortir Soria, les mains attachées dans le dos. Elle ne portait plus ses bracelets. Lorsqu'elle leva la tête et croisa le regard de Noré, elle eut l'air surprise. La jeune fille se dit qu'elle devait avoir du mal à la reconnaître, couverte de boue et de sang séché comme elle l'était. Elle-même, en cet instant, il lui semblait qu'elle n'avait pas vu la Saldrian depuis des lustres. Titian apparut à son tour, soutenu par deux hommes. Il saignait à la tempe, preuve qu'il n'avait pas dût être très coopérant. Ils le laissèrent tomber lorsqu'ils s'arrêtèrent. L'homme qui avait attrapé Noré, se mit devant Soria et dit :

    -Cette nuit, nous allons vous purifier par le feu et ainsi la maladie nous quittera.

    -C'est n'importe quoi !

    Sa voix se perdit dans le tumulte qui se créa lorsqu'ils traînèrent la Saldrian vers le bûcher. La jeune femme en larmes se débattait en hurlant de toutes ses forces :

    -Ne faites pas ça ! C'est stupide ! Réfléchissez, bon sang ! Arrêtez ! Non ! Pas ça !

    Noré hurlait de même :

    -Vous êtes fous ! Ça ne changera rien ! Les Tiarks peuvent vous guérir ! Je ne suis plus malade moi, vous le voyez bien !

    Ils les ignorèrent toutes deux, attachèrent la Saldrian et mirent le feu. Les hurlements des deux jeunes femmes redoublèrent.

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