• Chapitre 28

    Le soir tomba aussi sûrement que la guerre approchait. Bien trop vite au goût de Noré. En revenant vers le campement, elle vit que tous discutaient de façon animé autour d'un feu. Cependant, elle n'eut pas envie de les rejoindre, et choisit une cabane assez éloignée pour s'y glisser. La jeune fille s'allongea, angoissée à l'idée de s'endormir. Aucun doute que la créature de l'île aux brumes viendrait dans ses cauchemars cette nuit. Avant de fermer les yeux, elle se repassa tout le plan, s'imagina sur le bâteau, entrant dans le siège, montant les étages. Noré revit la salle immense, l'estrade et le pupitre. Elle revit Daron lui dire comment ils avaient tué sa mère et elle se vit empoignant l'épée. Le sang de l'empereur coulait le long de la lame lorsqu'elle s'endormit. Finalement, ce ne serait peut-être pas si dur.

    Cela ne devait pas faire plus de quelques minutes qu'elle dormait lorsque l'adolescente fut réveillée par un frottement près de l'entrée. Elle tendit l'oreille, puis un autre son se produisit et elle se mit sur son séant, complètement affolée. La seule chose à laquelle elle pensait été à Sark se glissant dans sa tente et pendant une seconde interminable, elle crut bien que c'était lui. Lorsque l'intru entra, son corps réagit avant même qu'elle ne le réalise et elle lui envoya un violent coup de pied dans le genoux. Il cria de douleur en tombant, les deux mains sur sa jambe.

    -Xilanos ?

    -Oui, qui veux-tu que ce soit ?

    -N'importe qui ! Ça ne va pas d'entrer comme ça, crétin ?

    Elle s'empara de son manteau qu'elle avait roulé en boule pour en faire un oreiller et lui envoya en pleine figure.

    -Ça va, je suis désolé. 

    L'adolescente retrouva son calme, même si son cœur battait encore frénétiquement et demanda de mauvaise humeur :

    -Qu'est-ce que tu veux ?

    Il se redressa et boitilla jusqu'à elle :

    -Que tu me racontes tout ce que tu m'as caché. Il est temps, tu ne crois pas ?

    -Ça ne va pas te plaire.

    -Je m'en doute. Vas-y, lance-toi.

    Xilanos s'assit à côté d'elle et Noré raconta toute son histoire de nouveau, sans plus en omettre aucun détail. Elle fut heureuse de constater que Xilanos l'écoutait sans manifester la moindre intention de l'interrompre. Lorsqu'elle eut fini et se fut assurée de n'avoir rien oublié, la jeune fille resta silencieux, laissant le garçon digérer toutes les informations. Au bout de quelques minutes, l'Aurien reprit la parole :

    -Tu as peur ?

    -Bien sûr, je vais devoir tuer un homme. J'essaie de me consoler en me disant qu'il l'a mérité.

    -Ce n'est pas la première fois, si ?

    -Si j'ai blessé des hommes c'était dans le feu de l'action, pas face à un homme désarmé. Là, ça se rapproche plus du meurtre.

    Xilanos haussa les épaules :

    -Je ne vois pas la différence.

    -Moi si et, crois-moi, ça m'embête profondément.

    Il rit et elle demanda :

    -A ton avis, quand partirons-nous ?

    -Demain ou après-demain.

    Noré sursauta :

    -Si tôt ?

    -Bien sûr, tout est prêt. Mit à part les sorcières qui doivent préparer les derniers navires , je crois.

    -Oh, c'est pas vrai.

    Elle s'affala contre le mur en passant les mains sur son visage.

    -Tu avais espéré être tranquille plus longtemps ?

    L'adolescente hocha la tête avec désespoir.

    -Vois plutôt le bon côté, plus vite on partira, plus vite...

    Elle conclut d'une voix funeste :

    -On mourra.

    -On ne va pas mourir.

    Noré se redressa et lui dit d'un ton de reproche :

    -Oh, je t'en prie, toi, plus que quiconque, sait qu'il y a peu de chance que nous rentrions tous en vie.

    -C'est vrai que je ne pense pas que Titian s'en tirera.

    Elle lui envoya un coup de coude :

    -Ce n'est pas drôle.

    Xilanos ricana tout de même, puis ils ne dirent plus rien. Noré dut s'endormir car quant elle rouvrit les yeux, les rayons du soleil passaient par l'entrée de la cabane. Sur sa droite, l'Aurien dormait encore et elle s'apprêtait à le réveiller lorsque Titian entra dans la cabane en disant :

    -Noré, lève-toi, on...

    Il s'arrêta en apercevant Xilanos étendu sur le sol :

    -Ah, d'ac-cord. 

    Puis, le pirate se saisit de la cheville du garçon et le traîna à l'extérieur. L'Aurien se réveilla en sursaut, se demandant ce qu'il se passait, tandis que Noré suivait en criant :

    -Titian, lâche-le !

    Une fois dehors, le jeune homme releva le bras, obligeant Xilanos à se tenir sur les mains :

    -Alors, petit chef, on visite les jeunes filles en pleine nuit, ce n'est pas très sérieux.

    L'adolescent lui envoya un coup de poing dans l'entre-jambe. Le pirate cria et se plia en deux, alors que l'Aurien se réceptionnait en douceur avec une roulade et se remettait debout. Denelann qui passait par là et avait assisté à la scène affirma avec le plus grand sérieux :

    -J'apprécie énormément ce garçon.

    Xilanos le salua, arrangea sa tenue et demanda au pirate qui se traîner au sol :

    -Qu'est-ce qu'il se passe pour que nous devions être réveillé de cette façon ?

    Comme Titian se contentait de lui jeter un regard meurtrier, Denelann lui répondit :

    -C'est Lyan qui nous réunit. Apparemment, les derniers se sont décidés.

    Noré s'empressa de demander :

    -Vous avez décidé ?

    -Oui, nous avons donné notre réponse hier soir.

    -Alors ?

    -Nous avons tous choisi de nous joindre à vous. Les voleurs n'avaient pas encore décidé. Jusqu'à ce matin.

    -S'ils acceptent, nous pourrons y aller tranquille.

    Noré approuva la réflexion de Xilanos. Avec les basilics, comment pourraient-ils perdre ? Ils s'empressèrent d'allé rejoindre Lyan et le trouvèrent discutant avec Lulienne. Lorsqu'ils approchèrent, il les accueillit avec un visage radieux :

    -Les voleurs sont des nôtres.

    La jeune fille se sentit incroyablement soulagée et dit à la jeune voleuse :

    -Merci, Lulienne. 

    -Cela n'a pas été facile, crois-moi.

    Lyan lança :

    -Nous pouvons partir.

    Noré échangea un regard surpris avec Xilanos :

    -Tout de suite ?

    -Bien sûr, enfin si les sorcières sont prêtes. Nous n'avons pas une minute à perdre.

    Il s'éloigna à grands pas et Noré s'empressa de le suivre :

    -Ne devrait-on pas encore réfléchir ? Il y a sûrement des détails que l'on a oublié.

    -Désolé, Noré, mais nous n'avons plus le temps. Nous devons atteindre le siège avant le capitaine aux cheveux océans, sinon le nombre d'ennemi risque de doubler.

    Elle soupira :

    -Ils y sont probablement déjà.

    -Ne perd pas espoir.

    Noré se retint de lui dire qu'il y avait longtemps qu'elle l'avait perdu. Ils trouvèrent Vino qui s'adressa à Lyan :

    -Je vous cherchais justement. Suivez-moi, je vais vous expliquer comment marche le pupitre.

    Avant de la suivre, Lyan demanda :

    -Les bateaux sont prêts ?

    -Oui, nous les avons confié à un des chevaliers.

    -Très bien.

    Il se tourna vers sa fille :

    -Si tu allais voir, il doit être dans la baie. Je vous rejoins quand j'en aurai fini.

    Comme ils partaient, Noré resta un instant à les observer avant de redescendre le chemin pour rejoindre la baie. Alors qu'elle passait le campement, l'adolescente aperçut un attroupement et s'en approcha :

    -Qu'est-ce qu'il se passe ?

    Soria lui fit signe d'approcher :

    -Il faut que tu vois ça. Jdosté à les bateaux.

    -Ici ?

    Elle se fraya un passage jusqu'au chevalier qui tenait des cubes de métal dans la main.

    -Qu'est-ce que c'est ?

    -Les navires.

    Hëdjik dit d'un ton moqueur :

    -Je crois que l'on s'est fait avoir.

    Frent se racla la gorge :

    -En fait non, cela ressemble à ce qu'utilise les messagers de Métane. Ils peuvent changer de forme.

    Cil résuma :

    -Donc, ces petites choses se transformeront en bateaux.

    Téline acquiesça :

    -Oui, c'est ce qui devrait arriver.

    Dès lors, ils fixèrent tous les cubes avec admiration et Qizorc demanda soudain :

    -Pourquoi on est enchaîné ?

    En relevant la tête, Noré vit que les trois Tiark avaient les mains liés. Azaque consola la jeune femme en disant :

    -Je ne sais pas. Ils m'ont déjà fait le coup hier. On s'habitue et ça ne gêne pas trop.

    Visiblement, cela suffit à satisfaire Qizorc qui se mit à sourire. Awoni surgit soudain au milieu d'eux et ils se reculèrent tous dans un mouvement de surprise. La sorcière, portant Bébé sur les épaules, clama :

    -Nous sommes chargés de vous emmener au lieu d'embarquement. Allez chercher vos affaires.

    Ils échangèrent des regards interrogatifs et Qoerus osa une supposition :

    -Je crois qu'elle veut parler de nos armes.

    Ils se dispersèrent tous dans un grand « Ah » d'approbation. Noré se dit qu'il lui faudrait également s'armer. Rien ne pouvait plus la soustraire au combat, alors autant ne pas y aller les mains vides. Mais c'est en vain qu'elle chercha dans le campement et elle n'osait pas demander à emprunter les armes d'un autre. La voyant si perdue, Soria finit par s'approcher pour demander :

    -Qu'est-ce que tu cherches ?

    -Une arme.

    -Prend mes poignards.

    Noré se redressa :

    -Vraiment ?

    -Oui, je reprendrai des anneaux chez moi, je ne suis pas très à l'aise avec ça.

    -Merci.

    Elle glissa les armes dans sa ceinture et attendit au côté de son amie que tous revienne. Awoni qui s'amusait à tourner en rond au-dessus du campement leur cria :

    -Tout le monde est prêt ?

    Comme tous répondirent par l'affirmative, la sorcière fit un signe et d'autres sorcières apparurent. Elles prirent une personne chacune et Awoni vint prendre Noré. Celle-ci jeta un coup d'œil vers le sol tandis qu'ils décollaient et aperçut Frent, Téline, Darion et Yeone qui les regardaient partir. L'adolescente vit aussi que Lulienne leur avait confié son fils. Elle leur fit un signe de la main, s'efforçant à ne pas penser que c'était la dernière fois qu'elle les voyait. D'autres sorcières surgirent de la cime des arbres, tenant des cordes qui soutenaient la cage vide des Tiark. Noré regarda autour d'elle, se demandant où ceux-ci avaient pu passer et aperçut bientôt, derrière Awoni, trois sorcières tenant les Tiarks par les chaînes qui leur liées les poignets. Azaque, Cil et Qizorc pendaient allègrement dans le vide et regardaient alternativement le sol et le ciel avec une fascination amusée. Noré demanda :

    -Awoni, pourquoi n'avons-nous pas fait le trajet de cette manière lorsque nous sommes venu la dernière fois ?

    -Je l'ai demandé à Vino. Il fallait consoler le garçon, le pauvre petit garçon qui pleurait.

    -Le garçon ?

    Elle se souvint soudain de leur passage dans la forêt, le cauchemar de Titian dans lequel elle avait pu entrer.

    -Peut-être, mais cela n'a pas été très utile.

    -Il fallait qu'il rêve et le consoler.

    -Cela a eu une incidence quelconque sur la suite des événements ?

    Awoni sembla réfléchir, puis finit par sourire :

    -Non, je ne crois pas.

    C'était officiel, Noré ne se faisait plus d'illusion quand à la santé mentale d'Awoni. Le nombre de fou en Terres Sanglantes étaient décidément assez important. Elle repensa à l'île aux brumes, à la ville en quarantaine, aux marais et se dit qu'ils avaient de bonnes raisons de devenir fou. Le voyage qui avait duré presque deux jours la première fois, dura à peine quelques heures. Lorsqu'ils atterrirent au bord de l'eau, Noré chercha Titian du regard, ne l'ayant pas revu depuis son altercation avec Xilanos. Elle parcourut la plage de galet au milieu de ses amis qui se regroupaient déjà et finit par apercevoir Soria.

    -Tu as vu Titian ?

    -Oui, il est un peu plus loin. Il avait envie d'être seul.

    -Tu crois que cela va aller ?

    -Je l'ignore, mais leur navire a intérêt à être solide.

    Xilanos les avait écouté, restant à proximité, mais il s'avança alors pour demander :

    -C'est quoi ce nuage ?

    Noré ne répondit pas de suite. Elle regarda derrière Soria et aperçut Titian, recroquevillé au bord de l'eau, fixant la mer grise qui se perdait dans le brouillard. Puis, l'adolescente demanda à son amie :

    -Je lui dis ?

    -De toute façon, il y a de fortes chances que ça attaque de nouveau, il vaut mieux être averti.

    Alors Noré renseigna Xilanos :

    -C'est un nuage qui se déplace sous l'eau. La dernière fois, il nous a attaqué, Titian est tombé à l'eau, c'est là qu'on l'a crut mort. 

    -Il s'en est sorti comment ?

    Du coin de l'œil, elle vit Titian approcher et préféra se taire. Le pirate passa un bras autour de Soria en disant :

    -Vous avez l'air louche.

    Xilanos lui répliqua :

    -Elles me racontaient ce qu'il c'était passé avec ce nuage.

    -En quoi ça te regarde ?

    -S'il nous attaque, j'aimerais savoir comment me défendre.

    -Tu ne le fais pas. Tu te terres dans un coin et tu pleures. Tu n'auras qu'à suivre Noré, c'est ce qu'elle fait à chaque fois.

    Celle-ci allait répliquer, mais Xilanos était lancé :

    -Sur ce coup, je crois que je vais te suivre. Tu crois que les navires des sorcières ont de grands placards.

    Titian s'avança d'un air menaçant :

    -Tu ne sais pas de quoi tu parles morveux. 

    -C'est bien pour ça que je posais des questions, crétin.

    Soria se mit entre eux avant que cela ne dégénère :

    -Il serait temps de vous entendre. Je vous rappelle que si on s'en sort tous, il y a de fortes chances que vous deveniez frères.

    Ils la fixèrent sans comprendre et Titian demanda :

    -De quoi tu parles ?

    Noré se frappa le front :

    -Oh, je savais bien que j'avais oublié un détail.

    Xilanos s'adressa à elle :

    -Quoi ? Quel détail ?

    -Lorsque je t'ai raconté toute l'histoire, hier soir, j'ai oublié de préciser quelque chose.

    -Quoi ?

    -Lyan est mon père.

    -C'est plutôt une bonne nouvelle, non ?

    -Oui, mais cela fait de Titian, mon frère.

    Xilanos pâlit soudainement, mais Titian ne sembla pas saisir toute l'ampleur de la situation :

    -Je vois pas le rapport avec ce que disait Soria. 

    La Saldrian leva les yeux au ciel :

    -Si tu es le frère de Noré et qu'elle se lie à Xilanos, alors, par cette alliance, il deviendra ton frère.

    Le pirate tomba des nues et les deux garçons se fixèrent avec horreur. Noré et Soria échangèrent un regard inquiet, puis la jeune fille s'approcha de l'Aurien :

    -Xilanos ? Ça va ?

    Le regard dans le vague, il répondit :

    -Je... je vais... aller par là.

    Il pointa une direction et partit à l'opposé, perturbé. Soria tenta de faire revenir Titian sur terre :

    -Allez, ça va aller. Concentre-toi sur la traversée, d'accord ?

    Il posa sur elle un regard malheureux et dit d'une voix plaintive :

    -Je veux mourir.

    La Saldrian lui caressa la joue en disant comme si elle parlait à un enfant :

    -Je sais, mon grand, mais pas aujourd'hui, tu seras adorable.

    -Je suis pas adorable, je suis un pirate.

    Soria lui ébouriffa les cheveux et repartit vers les autres qui s'étaient avancés près de l'eau suivit par Titian. Noré attendit que Xilanos revienne.

    -Tu as retrouvé tes esprits ?

    -Je te répondrais plus tard.

    Elle rit et ils rejoignirent leurs compagnons.

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