• Chapitre 27

    -Noré ? C'est Soria, t'es réveillée ?

    La jeune fille se sentit soulagée :

    -Entre vite et ferme la porte.

    La  Saldrian obéit avec inquiétude :

    -Qu'est ce qu'il se passe ?

    -Regarde.

    Noré lui montra le sang et posa la main sur son ventre :

    -Et j'ai mal là.

    Soria sourit avec douceur :

    -Pas de panique. Tu vas te laver et retourner te coucher. Je vais t'expliquer les joies de la vie féminine.

    Elle obéit. Lorsqu'elle fut de nouveau au lit, Soria vint s'asseoir sur le bord et commença :

    -Alors, vois-tu, ce que tu as c'est quelque chose qui va t'arriver une fois par mois et qui va te permettre d'avoir des enfants.

    -Jusqu'à quand ?

    -Oh, ça dure une semaine environ.

    -Une semaine ?! Jusqu'à quel âge ?

    -On l'ignore.

    -Mais c'est quoi ?

    -Ça n'a pas de nom. Vu que ça ne touche que les femmes, les hommes s'en fiche pas mal. Alors, pourquoi un nom ?

    Soria sourit en fixant le mur, comme si elle venait de se souvenir de quelque chose :

    -Je vais te montrer tout ce qu'il y a à savoir. D'abord, il faut que j'aille chercher des trucs. J'espère que les femmes Vemepyres ne font pas exception à la règle. Je reviens.

    Noré réfléchit en fixant le plafond. La douleur avait augmenté. Elle patienta, se disant que ça finirait par passer. Mais la douleur resta stable et persistante. Elle commença à en avoir assez. Énervée, l'adolescente se donna un coup de poing dans le ventre. Pendant une infime seconde, la douleur disparu. Elle ferma les yeux pour essayer de s'endormir. Au bout de quelques minutes, elle les rouvrit et soupira. Soria n'était toujours pas revenue et cela commencé à l'inquiéter. Et si elle l'avait oublié? Quelqu'un frappa à la porte. Noré s'appuya sur ses coudes pour se redresser, attendant l'entrée de la Saldrian avec impatience. Ce fut la voix de Titian qui lui parvint :

    -C'est moi. Tu viens manger ?

    La jeune fille fixa la porte avec colère, furieuse contre le pirate. Elle rumina, se laissa retomber sur les coussins et se dit qu'elle avait autre chose à foutre que d'aller manger. L'adolescente voulait juste rester concentrer sur sa douleur, guettant le moment où elle partirait. C'est avec une colère maîtrisée qu'elle répondit :

    -Non merci. Je n'ai pas faim. 

    -Tu ne sais pas où est Soria ?

    Noré retint un hurlement de rage et murmura entre ses dents :

    -Putain, barre-toi.

    Puis, plus fort :

    -Non, je ne sais pas.

    Noré se jura de lui crier dessus s'il venait à rouvrir la bouche. Lorsqu'elle entendit les pas de Titian s'éloigner, la jeune fille se calma instantanément. Le calme, c'est tout ce qui lui fallait. Comme Soria ne revenait pas, elle eut le temps de s'imaginer creusant son ventre avec ses ongles pour en extirper la cause de sa douleur. S'il y avait eu une fenêtre, elle aurait probablement été tenté de sauter. Noré se retourna encore et encore dans l'étrange lit, espérant trouver un moyen d'atténuer la douleur. Ce fut peine perdue. Quand Soria reparut, elle avait si mal qu'elle aurait préféré que la jeune femme s'en aille. Cependant, elle n'en dit rien et son amie déposa une fiole et un bol sur la petite table près du lit.

    -Désolée, ce fut difficile à trouver. Les femmes Vemepyre ne sont pas préteuses.

    Noré la regarda verser le liquide de la fiole dans le bol.

    -Alors, je vais t'expliquer cela maintenant, comme ça, ce sera fait. Ceci est le test de grossesse des sorcières. Regarde, c'est très simple. Tu achètes une fiole, en Métane tu devrais en trouver dans toutes les boutiques contrairement à ici. Elles sont faciles à reconnaître, c'est écrit dessus: test de grossesse des sorcières. Bref, tu verses le liquide dans un bol. Et tu verse quelques gouttes de sang...

    Tout en parlant, elle sortit la lame d'un de ses anneaux et y fit effleurer son doigt. Le sang se mit à couler et elle versa quelques gouttes dans le liquide transparent. Puis en remettant son anneau, Soria se tourna vers Noré :

    -Voilà, c'est tout.

    La jeune fille eut un sourire peiné et dit :

    -Mais...Soria...on ne peut pas réussir à vivre toute une vie avec ça.

    La Saldrian lui caressa le front avec douceur :

    -Et pourtant.

    -Ça fait toujours aussi mal ?

    Ça dépend.

    Noré regrettait déjà ce qu'elle pouvait appeler, désormais, son enfance. La simple idée qu'elle souffrirait tous les mois lui donna envie de pleurer. Soria reprit :

    -Donc, une fois que tu as fait ça, tu attends. Si tu es enceinte deux couleurs peuvent apparaître. Une pour les filles, une pour les garçons...

    -Comme violet et vert ?

    -Exactement...comment tu le sais ? Ta mère t'en a déjà parlé ?

    -Bah...heu...

    Noré n'avait pas quitté le bol des yeux. A présent, le liquide s'était élevé en un pique vert avec, enroulé autour, un tourbillon violet. Soria resta bouche bée. Le temps sembla se figer. Soudain, une voix résonna dans la pièce :

    -Et merde.

    Les deux femmes se retournèrent. Titian se tenait dans l'embrasure de la porte, les yeux posés sur le bol. Soria lui dit d'un air enjoué :

    -Félicitation. Tu vas être papa. Des jumeaux apparemment.

    Le pirate serra les mâchoires et s'en alla sans rien dire. Soria se retourna vers Noré et dit avec un sourire :

    -Si tu veux bien m'excuser, il faut que j'aille tuer l'homme de ma vie.

    Sur quoi, elle sortit de la pièce à grandes enjambées. Noré aurait aimé la suivre mais, à présent, il lui semblait que de minuscules mains entre ses cuisses tiraient ses veines vers le haut, laissant ses jambes sans force. Cependant, si la jeune fille s'était levée, elle se serait aperçu qu'elle pouvait marcher sans problème. Ses pensées étaient à nouveau concentrées, bien malgré elle, sur la poigne puissante qui lui broyait les entrailles.

    Soria retrouva Titian. Bien qu'il marchait vite, elle l'aurait bientôt rattrapé. Cependant, la jeune femme n'attendit pas d'être à sa hauteur pour lui lancer :

    -Tu vas où comme ça ?

    Il répondit sans se retourner :

    -Je sais pas.

    -Si tu n'en veux pas, dis-le.

    Il s'arrêta, lui fit face et la fixa dans les yeux en disant :

    -Je n'en veux pas.

    Elle sourit :

    -Eh bah voilà, c'était pas si dur.

    -Qu'est ce que tu vas faire ?

    -Moi ? Mais les garder, mon cher.

    -Et pour nous ?

    Soria haussa les épaules, toujours souriante :

    -Rien ne change, je reste avec toi. Qui sait, peut-être que lorsqu'ils naîtront tu voudras être papa.

    -Tu peux toujours rêver.

    Elle rit :

    -Tant pis alors. Je les élèverais seule, comme la grande fille que je suis.

    Le dialogue avait été rapide. Estimant que tout était dit, Soria tira la langue et s'éloigna. Titian sourit. Il était fier qu'une femme aussi belle puisse l'aimer, et heureux qu'elle soit assez forte pour se passer de lui pour ce genre de chose. Il souriait en la regardant et comme elle lui tournait le dos, il ne la vit pas pleurer.

    Lorsque Noré vit Soria entrer dans sa chambre souriante, mais les yeux rouges, elle sentit sa colère monter. L'adolescente n'avait qu'une vague idée de ce qui avait pu se passer entre ses deux compagnons. Malgré tout, elle se doutait que Titian n'avait pas agis comme la jeune femme l'avait espéré. Elles restèrent ensemble. Titian vint plusieurs fois frapper à la porte, mais Soria le renvoya. Cachant son dépit sous des plaisanteries. Elle ne sortit que deux fois pour apporter suffisamment de nourriture pour deux. Noré fut obligée de manger, car Soria lui expliqua que le fait de ne pas avoir faim n'était qu'une impression. En effet, lorsqu'elle avala la première bouchée, la jeune fille se sentit affamée. Elles parlèrent de tout et de rien. Noré évita avec soin le sujet des bébés, préférant attendre que la jeune femme le lance d'elle-même. Elle n'en fit rien de la journée. Noré commença à sentir le sommeil arriver. La douleur qui s'était affaiblie avait laissé place à une grande fatigue. Soria s'en aperçut et sortit, la laissant tranquille. La jeune fille s'endormit sans difficulté.

    Le lendemain, la douleur fut moins forte, mais elle reprit le troisième jour. Les jours qui suivirent furent supportables. Noré resta malgré tout dans sa chambre. Soria passait la grande majorité de son temps avec elle, refusant toujours de parler de ce qui s'était passé avec Titian. Les jours s'écoulèrent ainsi, sans que Noré ne vit Titian et qu'il ne tenta d'entrer en contact avec elle. Il ne se passa rien d'exceptionnel chez les Vemepyre, à ce que lui racontait Soria. Algorab s'inquiéta de sa santé et elle l'avait rassuré. Un matin arriva où tout s'arrêta. Noré resta étendu, fixant le plafond, attendant l'arrivée de la douleur. Elle fut soulagée de ne rien sentir et, en essayant de ne pas imaginer le mois prochain, elle se décida à se lever.

    Noré marcha sans but en premier lieu, pour se détendre les jambes, se réveiller complètement. Puis, elle se décida pour la salle où avait eu lieu le bal. La jeune fille espérait y trouver à manger. L'estrade et les instruments avaient disparu. Une large table était placée au centre sur laquelle avait été disposé des mets variés. Noré se jeta sur les fruits étranges qu'elle avait déjà goutté avec plaisir. Tout en mangeant, elle se promena dans la pièce. Les fantômes voletaient toujours partout. L'adolescente tenta à nouveau de discerner les motifs de la peinture au plafond, sans plus de succès. Puis, elle se dirigea vers l'arche et de là se rendit dehors. Elle aperçut Titian assis sur le bord de la fontaine. Il se tenait les coudes sur les jambes, le dos courbé. Un véritable portrait de la misère humaine. Noré vint s'asseoir près de lui. Il dut se sentir obligé de parler, car il demanda :

    -Alors ? C'est comment ?

    Soria avait dû lui parler pour qu'il soit au courant. D'abord gênée, elle répondit :

    -Comme avoir une jambe cassée et que tout le monde s'en foute.

    -Tu vas mieux ?

    Noré sourit :

    -Eh bin, tu dois avoir de sacrés problèmes pour demander ce genre de chose.

    Il continua de fixer un point droit devant lui sans répondre. Elle continua :

    -Soria est très malheureuse, tu sais ?

    -Elle te l'as dit ?

    -Non, mais ça se voit.

    Il ne dit rien, alors elle poursuivit :

    -Bon, je dis pas que c'est facile. Je ne peux pas imaginer ce que tu ressens mais...

    -Noré.

    -Oui ?

    Titian posa sur elle un regard fatigué et Noré comprit que lui aussi n'avait pas beaucoup dormi ces derniers temps. Il lui dit d'une voix faible :

    -J'ai peur. J'ai trop peur...

    L'adolescente l'aurait pris dans ses bras, mais elle savait que ce n'était pas le meilleur moyen de le réconforter. Elle se contenta de poser sa tête sur son épaule sans rien dire. Ils restèrent silencieux à regarder les fantômes se déplacer doucement. Noré finit par apercevoir Soria qui s'approchait à pas lents entre les arbres. Quand elle fut à portée de voix, elle leur lança :

    -Vous voilà, je vous cherchais.

    Elle s'assit près de la jeune fille et demanda de but en blanc :

    -On repart quand ?

    Noré réfléchit un instant en fixant son collier :

    -En fait, je ne suis pas sur de vouloir continuer.

    L'adolescente sentit le regard de ses compagnons sur elle. La Saldrian finit par dire :

    -Pourquoi ça ?

    Noré soupira :

    -Parce que le peu de personne qui ont bien voulu me parler de ce bracelet ne m'ont rien dit de bon. Jdosté m'a même conseillé de rester chez les Vemepyres.

    Titian demanda :

    -Que comptes-tu faire alors ?

    -Je pense que je devrais rentrer en Sinia.

    Soria sourit :

    -D'accord, je viens aussi. Il faut que je vois ça. On raconte que vous êtes tous pareil là-bas.

    La jeune fille rit :

    -Pas exactement, non...

    -Hors de question.

    Elles se tournèrent d'un bloc vers le garçon.

    -Comment ça ?

    -Tu vas aller au siège de la Métane.

    -Qu'est ce que ça peux faire si je n'y vais pas ?

    -Et tes discours sur la dernière volonté de ta mère ou je sais plus quoi. Après tout ce qu'on a traversé, on va pas rester là à ne rien faire.

    Il avait touché un point sensible. Il n'en fallut pas plus pour faire hésiter Noré. Soria posa une main réconfortante sur son bras :

    -Fais ce que tu veux, Noré.

    Elle ouvrit la bouche pour répondre quand le son d'un gong résonna à travers la caverne. Soria et Noré sursautèrent, tandis que Titian se levait d'un bond arme à la main. Au loin, ils virent Algorab et Algol dévaler les marches du palais. Il y eut un instant de flottement où les trois amis s’entre-regardèrent. Puis, ils s'élancèrent derrière les deux Vemepyres. Noré arriva à la hauteur d'Algol. Le garçon avait enroulé son écharpe autour du bas de son visage et enfilait des gants :

    -Il fait jour ?

    -Non, j'ai froid. Quelle question.

    Avec la pénombre constante, la jeune fille avait depuis longtemps perdu la notion du temps et vu l'humeur massacrante d'Algol, elle ne se risqua pas à demander ce que signifiait le gong. Cependant, cela ne présageait rien de bon. Les Vemepyres regardaient passer leur roi, le regard inquiet. Ils entrèrent dans le tunnel qui menait à la surface. Ils marchaient rapidement. Dans un fracas de tonnerre, l'immense pierre s'ouvrit. Même si la luminosité du jour n'était pas aussi aveuglante que s'il y avait eu du soleil, Noré se retrouva à plisser les yeux pour tenter de voir quelque chose. Les formes à l'extérieur étaient floues. Elle s'arrêta en même temps que les autres, à la limite du tunnel. Au fur et à mesure que Noré se réhabituait à la lumière, elle discernait ce qui semblait être des créatures mi-hommes, mi-chevaux. Soria répondit à sa question avant même qu'elle la pose :

    -Des centaures.

    Et Algol ajouta :

    -Aussi laids qu'ils sont bêtes.

    L'un des centaures s'avança, portant sur la tête ce qui semblait être une couronne de feuille :

    -Nous sommes venus chercher quelqu'un.

    Algol murmura :

    -Au moins, ils perdent pas de temps.

    Algorab s'avança :

    -Qui donc ?

    -Une jeune fille avec un bracelet d'argent.

    Noré sursauta. Du coin de l'œil, elle vit Soria se rapprocher d'elle et les doigts de Titian se crisper sur ses armes. Algorab dit aux centaures :

    -Je ne vois pas de qui vous parlez.

    -Nos sources nous ont dit qu'elle était venu avec deux hommes. On sait que vous l'avez.

    Le roi se tourna vers son frère :

    -Depuis quand ils ont des sources ?

    Le garçon haussa les épaules. Algorab s'adressa aux centaures, de nouveau :

    -Vous vous êtes trompés. 

    -L'homme que nous servons ne se trompe jamais. Il nous a offert la magie des sorcières pour vous soumettre.

    -Quoi ?

    Sans répondre, le centaure fit un signe et la pierre se souleva plus que d'ordinaire :

    -Cette machine peut soulever et percer n'importe quoi. Donnez nous la fille où nous ferons entrer le jour dans votre caverne. Dépêchez-vous, le pirate aux cheveux océan n'est pas patient.

     

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