• Chapitre 13

    Il pouvait les distancer facilement, mais jusqu’où ? Une fois redevenu humain, il lui faudrait un temps avant de pouvoir se changer à nouveau et ce temps serait sans doute suffisant au deux autres pour le retrouver. Il bondit par-dessus un rocher, traversa un champ de fougère, revint à l’ombre des arbres. Le garçon devait réfléchir vite. Ceux-là connaissait sans doute la forêt par chœur, pas lui. Ils finiraient sûrement par lui retomber dessus et si ce n’était pas eux, d’autres le feraient. Il ne pouvait pas imaginer qu’ils soient les seuls à vivre dans une forêt si vaste, sans compter qu’ils avaient mentionné un vieux.

    Ylios voyait les arbres défiler, tous les mêmes, quand, soudain, il freina de ses quatre pattes. Ce rocher ne m'est pas étranger. Le cœur en panique, au bord du désespoir, il grimpa dessus pour voir le champ de fougère qui se trouvait derrière. Réalisant qu’il tournait en rond sans que cela ne lui semble possible, il dût se résoudre à changer de stratégie. Si la fuite ne le menait à rien, il n’y avait qu’une chose à faire avant que le lion ne reprenne forme humaine. Un rire hystérique le fit se retourner :

    -Regarde ça ! Regarde ça ! C’est un lion !

    Profitant que l’homme jetait un coup d’œil par-dessus son épaule pour chercher son camarade, Ylios bondit en rugissant.

    Il roula au sol avec sa proie et mordit de toute ses forces l’épaule dont le bras tenait une arbalète. Hurlant à plein poumon, l’homme lâcha son arme tout en donnant des coups de poings de son autre bras. Ylios tenait bon. Il rebutait à le tuer et pesait le pour et le contre quand le second arriva. Une légère brûlure naquit sur sa patte et le lion relâcha sa victime pour faire un bond en arrière. La flèche avait laissé une fine ligne rouge dans le pelage doré de l’animal. L’homme à terre hurlait de plus belle :

    -Tue-le ! Qu’est-ce que tu fous ?

    L’autre souriait en bandant son arc :

    -Ça ne va pas, non ? T’imagine ce que le vieux peut faire avec celui-là ?

    Ylios voulait s’enfuir, mais pour aller où ? Il tremblait. La pointe de fer dirigeait sur lui le terrifié. Pourtant, il fallait qu’il se décide. Retournant vers le rocher, il y prit appui pour bondir en se retournant vers l’homme qui lâchait la corde. La flèche s’écrasa sur la pierre. Ylios sortit ses griffes, ouvrit la gueule, prêt à piéger l’archer dans ses pattes. Il ne vit pas celui sur le sol. Il ne vit pas le couteau qu’il sortait de sa ceinture de son bras valide. Il ne le vit pas se redresser alors que le lion le survolait, mais il sentit la douleur. Un rugissement animal se muant en hurlement humain résonna dans la forêt.

     

    Tremon était furieux. Lorsque les trois autres s’étaient transformés, la chose avait soudain voulu sortir. Il s’était retrouvé au sol, incapable d’appeler Ylios, alors que la crise faisait son apparition. Du moins, c’est ce qu’il avait cru, car la chose se calma sitôt que ses compagnons eurent disparus. Nauséeux, il avait réussi à se relever sur des jambes tremblantes et avait dut se résoudre à entrer dans la forêt en pestant contre cette bande d’idiot. L’adolescent avait facilement suivi les traces, on ne pouvait pas dire qu’ils étaient d’une grande discrétion.

    Il s’arrêta au bord de la falaise et observa les arbres en contrebas. La colère s’effaça laissant place à l’inquiétude. Le garçon avait vu Seih s’éloigner, fuyant des flèches qui jaillissaient des cimes. Gialema et Ylios descendaient sur le côté alors que Miral, apparemment inerte, était traîné sur une distance interminable. Tremon suivit le chemin emprunté par les deux autres pour descendre. Il marchait depuis quelques minutes quand il se figea soudain. Un rugissement lui était parvenu et le garçon n’eut aucun doute que ce fut Ylios. Il commença à accélérer l’allure en s’efforçant de garder son calme. Déjà, l’adolescent courrait mais au moins réussissait-il à maintenir la chose en respect. Vint l’odeur du sang, beaucoup de sang. Tremon fut à deux doigts de perdre le contrôle.

     

    Gialema avait patiemment attendu pour s’assurer que personne ne rôdait dans les parages. Les deux hommes avaient dû poursuivre Ylios. Elle sortit de sa cachette pour reprendre forme humaine et avança à pas prudent, jetant sans cesse des regards aux alentours. Elle retrouva la caisse abandonnée et hésita un long moment avant de s’en approcher. Il n’y avait toujours aucun signe des hommes aux alentours alors la jeune fille finit par rejoindre la boîte et tapa sur le couvercle :

    -Miral ? Miral, ça va ?

    Un grognement lui répondit. Elle fit le tour pour chercher une ouverture et ne trouva que le trou par lequel le câble sortait. Les lames de fer dont il était composé aurait empêché la souris d’entrer. La voix pâteuse de Miral lui parvint :

    -Où est-ce que je suis ?

    -Dans une espèce de caisse. Ne t’inquiète pas, je vais trouver un moyen de te faire sortir.

    Elle fit à nouveau le tour, cherchant une poignée, un trou de serrure n’importe quel signe qui lui permettrait de savoir comment ouvrir la boîte. A l’intérieur, Miral commençait à s’agiter :

    -Alors ? Tu trouves quelque chose ?

    -Je ne comprend pas. Ce doit être une sorte de mécanisme, je ne sais…

    Son sang se glaça dans ses veines en entendant le hurlement. Il y eut un silence puis quand elle retrouva l’usage de la parole, Gialema dit :

    -C’était…

    Miral acheva :

    -Ylios. Va voir, dépêche-toi.

    -Oui, mais et toi ?

    -Je ne risque pas d’aller bien loin.

    Gialema dût reconnaître qu’il n’avait pas tort.

    -Je reviens vite.

    Elle se mit à courir dans la direction du cri et appela son ami quand il lui sembla être à proximité. La jeune fille ne reçut aucune réponse. A la place, un souffle chaud lui coupa le souffle et la renversa violemment. Elle se recroquevilla, les larmes aux yeux, hurlante. Il y avait une horreur à proximité, une présence insupportable. Quand le souffle s’éteignit, l’adolescente cessa de crier et tenta de se relever en jetant des regards perdus autour d’elle. Gialema retomba, les membres tremblants car la présence était encore là. Elle cacha sa tête sous ses bras, les jambes repliés, priant pour que l’être qui était la cause de son malaise ne vienne pas de son côté. Elle voulut se changer en souris pour fuir le plus loin possible, mais l’animal refusa de sortir. Alors, elle fit ce pour quoi elle était le plus doué et effaça sa présence. Fermant les yeux, retenant ses sanglots et respirant profondément, la jeune fille finit par se calmer et contrôler son odeur. Pour quiconque serait passé à cet instant, il lui aurait semblé que l’adolescente dormait paisiblement. Son cœur s’affola un instant en entendant les hurlements, des gargouillis d’agonisant, mais elle reprit le dessus et se concentra. Après tout, ce n’était pas Ylios qui criait.

    Le silence tomba lourdement sur la forêt. Gialema ouvrit les yeux et se redressa avec lenteur. La présence semblait avoir complètement disparu. Elle s’assura qu’aucun bruit ne lui parvenait, réduisant le son de sa respiration autant qu’elle le pouvait. Comme rien d'autre ne se passait, la jeune fille se dirigea vers l’endroit d’où les cris provenaient. Passée les arbres, elle ne vit d’abord rien d’anormal. Son pied rencontra un obstacle dont l’adolescente eut le sentiment qu’il n’aurait pas dut être là. En baissant les yeux, Gialema aperçut la tête d’un des hommes qui la dévisageait en retour. Un haut le cœur la saisit quand elle se rendit compte que le corps manqué. Elle finit par distinguer un bras plus loin, des viscères éparpillées. Sans chercher le reste, la jeune fille se détourna pour vomir et resta un moment penchait vers le sol à observer les feuilles mortes.

    -Debout, allez, il faut trouver Ylios.

    Se parlant toute seule pour se donner du courage, elle se releva, tremblant de tout son corps, s’efforçant de ne pas regarder le sol.

    -Ylios ?

    Sa voix n’était guère plus qu’un murmure, mais elle avançait alors que son instinct la poussait à faire demi-tour. Gialema manqua de trébucher sur un pied et dût s’arrêter pour se ressaisir. Elle ferma les yeux quelques secondes, respira profondément en dépit de l’odeur nauséabonde qui s’insinuait dans ses narines. Lorsqu’elle rouvrit les paupières, une tâche de couleur bleu attira son regard. Son cœur fit un bond dans sa poitrine en reconnaissant le pantalon de son ami. La jeune fille se précipita vers lui.

    -Ylios ?

    Le garçon était inconscient, mais intact ou presque. Sa tunique était déchirée et une nouvelle cicatrice sur son torse partait de sous son épaule gauche jusqu’au bas-ventre. Gialema chercha à savoir comment la blessure avait pu être guéri, car de toute évidence, elle aurait dû être mortelle. Un craquement se fit entendre dans son dos. L’adolescente se retourna vivement, guettant le moindre mouvement. Ne voyant rien, elle saisit les poignets de Ylios et commença à le traîner dans l’espoir de l’éloigner d’un danger potentiel.

     

    Miral avait réussi à s’appuyer contre le bois pour se redresser. Il ne pouvait pas se tenir complètement assis, mais au moins il parvenait à distinguer ce qu’il faisait. La main tremblante, les dents serrées et les joues striées de larmes, il retira une à une les lames plantées dans sa jambe. Le sang avait rendu la couleur de son pantalon indéfinissable. Bien que le garçon agît avec la plus grande précaution, il devait se retenir de ne pas tout arracher d’un coup pour en finir au plus vite. Il craignait de s’arrêter de peur de ne pouvoir continuer par la suite. Respirant profondément, Miral retirait une nouvelle lame quand des pas à l’extérieur suspendirent son geste. Il guetta en se demandant si c’était Gialema qui revenait. Immobile, retenant son souffle, il tenta de discerner une odeur, un son particulier qui lui indiquerait qui s’approchait de sa prison. Le garçon finit par sentir quelque chose, mais cela n’avait rien à voir avec une quelconque odeur. C’était plus comme si l’air de sa prison devenait lourd, de plus en plus lourd. Il sentit son corps s’affaisser sans comprendre ce qui lui arrivait, puis, ses yeux se fermèrent sans qu’il pût résister.

    -Miral ? Miral ?

    Le jeune homme ouvrit les yeux sur un ciel gris et des branches balançaient par le vent. Il tourna la tête pour voir qui l’appelé et aperçut Tremon :

    -Ça va ?

    Miral l’observa un instant sans comprendre ce qu’il faisait là. Il devait être ailleurs, il se souvenait vaguement qu’il ne voyait pas le ciel. Peu à peu, son esprit embrumé s’éclaircit. Il se souvint de la boîte et des lames dans sa jambe. Il se redressa brusquement, frappant Tremon de son épaule dans sa précipitation. Celui-ci s’écarta en se tenant la mâchoire :

    -Bordel, mais qu’est-ce que tu fous ?

    Miral ouvrit des yeux écarquillés devant sa jambe libre et cicatrisée.

    -J’ai… il y avait… là…

    Il pointa son pantalon déchiré en dévisageant Tremon comme si cela pouvait faire réapparaître le câble qui y manquait.

    -J’étais dans une boîte.

    Il jeta des regards alentours tout en parlant, mais ne vit aucune trace de sa prison. Tremon soupira :

    -Écoute, je n’ai rien vu. Je t’ai trouvé comme ça alors que je cherchais Ylios.

    -Ylios ?

    -Oui, un garçon aux cheveux ocre, des yeux dorés, un petit bâton et une capacité exaspérante à me faire chier.

    Miral écoutait à peine. Il n’arrivait pas à comprendre ce qu’il s’était passé, comment l’avait-on soigné ? Comme il ne réagissait pas à ses paroles, Tremon passa une main devant ses yeux :

    -Hey, on se concentre d’accord ? Faut pas traîner des heures non plus.

    -Où est Ylios ?

    Tremon leva les yeux au ciel alors que Miral reformait le cours de ses souvenirs :

    -Il a crié, il y avait Gialema.

    Cette fois, Tremon tiqua :

    -Quoi, où ça Gialema ?

    -Avec moi, il a crié alors elle est allée voir.

    Tremon fronça les sourcils d’un air agacé :

    -Va falloir la chercher aussi ?

    -Bien sûr que non. On a qu’à la laisser là.

    Le Test se retint de le frapper devinant que cela n’avancerait pas ses affaires. Détournant le regard pour reprendre son calme, Tremon finit par saisir Miral et le tirer pour le mettre debout :

    -Laisse tomber, on bouge.

    Miral eut le tournis une fois sur ses jambes et s’agrippa à Tremon pour reprendre son équilibre. Il se rendit alors compte que le garçon s’était figé :

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    Tremon plaça un doigt sur ses lèvres, le visage concentré. Miral tenta de discerner le moindre indice qui pourrait lui expliquer la réaction de son compagnon, mais il ne percevait rien d'anormal. Finalement, d’une voix basse et lui prenant le bras, Tremon dit :

    -Viens.

    Il l’entraîna à travers les bois sans que Miral ne comprenne où on le menait.

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