Charon était perplexe. Il avait enfin terminé son rangement et les manuscrits se présentaient à présent sous forme de pile organisé. La plus grande et la plus complète était celle qui laissé le sans-âme perplexe. Elle était écrite en rune. De ces runes dont il ignorait le sens. Il avait essayé de les associer, de les modifier avec celles qu’il connaissait mais sans succès. La pile la plus grande et la plus complète était celle à laquelle il ne pouvait donner sens. Charon avait déduit qu’il s’agissait du journal du premier dieu. Celui à l’origine des pouvoirs de Lutinor. Il était le dieu d’origine, c’était la seule explication pour ces runes incompréhensibles.

La langue et l’écriture des premiers dieu avaient été oublié au fur et à mesure qu’elles étaient modifiées pour être simplifiés. Savoir ça ne l’avançait pas plus cependant. C’était comme si après le dieu d’origine, son successeur avait lâché prise et les suivant n’avait pas fait mieux. Le journal suivant qui était compréhensible raconté, comme les autres, des événements sans importance. Comme si le culte du dieu d’origine s’était éteint juste après lui, brusquement. Il était déjà arrivé que des dieux disparaissent, mais cela se faisait progressivement, sur des décennies. Leurs pouvoirs s’éteignaient par manque de pratique, ils se détournaient de leur croyant et se désintéressé du monde. Finalement, l’un d’eux finissait par disperser le peu de pouvoir qui lui resté et disparaissait au milieu des mortels. Ici, c’était différent. Le dieu d’origine avait apparemment fait des choses, à en juger par la quantité d’écrits qu’il avait sous les yeux. Pourtant, son successeur passait à une nullité terrifiante qui s’était perpétué jusqu’à Lutinor.

Charon ne se serait pas autant soucier du petit dieu si cela n’avait été que la disparition progressive et habituel d’un dieu fatigué. Lutinor était puissant et cela, ajouté à ce changement rapide entre le dieu d’origine et son successeur, montré qu’il y avait quelque chose de bizarre.

Le sans-âme se leva pour s’étirer et rejoindre les autres. Il entendait Milen et Lutinor parlaient et rire dans le temple. Il s’y rendit à grandes enjambées. Il devait avouer qu’il n’avait pas été très enchanté que la vieille femme reste avec eux, mais finalement, cela occupé Lutinor et il avait pu faire ce qu’il avait à faire tranquillement. Le petit dieu avait laissé sa chambre et dormait sur l’autel du temple. Charon s’était demandé s’il allait s’apercevoir au bout d’un moment qu’un dieu pouvait construire n’importe quoi d’un simple geste. Bien sûr, ce n’était pas arrivé et cela faisait trois jours que Charon se retenait de rire en voyant le petit dieu ankylosé. Maintenant qu’il avait fini son rangement et qu’il avait appris tout ce qu’il avait à savoir, il estima qu’il était temps de révéler la vérité à Lutinor.

Il s’adossa au chambranle de la porte, les bras croisés, en observant le petit dieu qui bondissait de tous les côtés. Milen le suivait en riant, aussi rapidement que ses vieilles jambes le lui permettaient. En l’apercevant, le petit dieu se précipita sur lui. Le sans-âme eut un mouvement de recul en grimaçant :

-Quoi ? quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

Lutinor semblait aux anges :

-Tu ne remarques rien ?

Milen les rejoignit, tapant dans ses mains comme une enfant. A croire que le petit dieu déteignait sur elle.

-Regardez bien ! vous ne remarquez rien ?

Milen n’avait plus cette déférence qu’elle avait montré à leur première rencontre et elle s’adressait maintenant aux deux jeunes hommes sans crainte. Réalisant qu’il ne pourrait pas échapper à un examen méticuleux, Charon soupira :

-D’accord, d’accord.

Il se redressa pour analyser les moindres recoins du temple. Après quelques secondes à peine d’un intérêt feint, il haussa les épaules :

-Je ne vois pas.

Lutinor et Milen lui jetèrent des regards blasés avant que le petit dieu n’insiste :

-Mais si, là.

Il pointa un endroit en particulier où Charon ne vit rien. Le sans-âme fit la moue :

-Non, désolé, je ne vois rien.

Milen s’écria :

-Justement !

Charon lui jeta un regard de reproche :

-Dis donc, faudrait voir à pas prendre trop de liberté non plus.

La vieille femme s’excusa hâtivement, montrant clairement son manque de sincérité. Charon haussa un sourcil alors que Lutinor finissait par vendre la mèche :

-On a fini le ménage !

Le sans-âme sursauta, le dévisageant avec étonnement. Ils se mirent tous les deux à sautiller sur place en montrant l’espace vide du temple de grands gestes des bras et répétant :

-Tu vois, tu vois, tu vois.

A les voir gesticuler, Charon finit par éclater de rire.

-D’accord, je vois.

Les deux étaient radieux comme s’ils venaient l’une des prouesses du siècle, ce qui, vu l’état du temple, ne devait pas être totalement faux. Cependant, Charon se retint de leur avouer qu’il ne voyait pas de différence. Pour changer de sujet, il lança :

-J’ai moi aussi fini de trier tous les documents.

Lutinor ouvrit des yeux ronds, suspendu à ses lèvres :

-Alors ? qu’est-ce que ça raconte ?

Milen s’était également approché pour n’en pas perdre une miette.

-Eh bien, c’est bizarre. C’est comme si le premier dieu n’avait rien transmis de son savoir à son successeur, qu’il l’ai laissé se débrouillé et du coup, bah, ça a fini par donner ça.

Il pointa Lutinor du menton qui répliqua en souriant :

-Je suis quand même drôlement mignon.

Milen lui ébouriffa les cheveux :

-ça c’est sûr, petit bonhomme.

Charon les fixa, éberlué :

-Je ne comprend pas trop ta logique, mais bon. Quoiqu’il en soit, il est temps de reprendre l’entraînement.

Lutinor bondit si haut que s’il y avait eu un plafond, Charon se serait inquiété de le voir le toucher.

-C’est vrai ? on fait ? on fait quoi ? des attaques ? de la diplomatie des pactes ?

Charon resta les bras croisés en disant d’une voix calme :

-On va faire un temple.

Le petit dieu se figea, les yeux ronds, les bras en l’air, bouche bée. Un sourire illumina le visage ridé de Milen :

-Oh, un temple. Tu entends ça, Lutinor ?

L’interpellé dévisageait toujours Charon comme s’il venait de tomber du ciel.

-ça devient gênant là.

Lutinor finit par battre des paupières et baissa les bras :

-Je pourrais faire un temple tout seul ?

Charon répéta pour la énième fois :

-Tu es un dieu, tu fais ce que tu veux.

Le petit dieu et Milen échangèrent un regard émerveillé et Charon ne put s’empêché de demander :

-Pourquoi t’as l’air si surprise la vieille ? Ne me dis pas que t’as jamais vu de dieu en action.

Milen baissa les yeux :

-C’est-à-dire que comme je n’étais pas très bonne oracle, je n’étais pas digne de me tenir en présence d’un dieu.

Charon dut admettre que c’était logique. Il tapa dans ses mains :

-Bon, on s’y met. Au moins comme ça, tu feras une chambre pour la vieille et t’arrêteras de dormir sur l’autel.

Lutinor se remit à sautiller :

-Ouais, j’arrête de dormir sur l’au… attends.

Il s’arrêta, fronça les sourcils alors qu’une idée commençait à se former dans son esprit. Charon commença à s’éloigner avant qu’il ne réalise. Finalement, il l’entendit lui crier :

-Attends, tu veux dire que j’aurais pu faire ça il y a trois jours ?

Charon ne put s’empêcher de sourire alors que Milen se mettait à rire. Lutinor le rattrapa avec un air boudeur et l’oracle le suivit de son petit pas trottinant. Le sans-âme se plaça devant la maison, là où la rune inconnue avait été placé pour rendre le tout invisible.

-Et toi ? tu ne vois toujours rien ?

Lutinor jeta un regard à Charon en plissant les yeux :

-Quoi donc ?

Le sans-âme haussa les épaules :

-Rien. Allez, concentre-toi.

Le petit dieu serra les poings :

-Je suis prêt. Qu’est-ce que je fais ?

Charon haussa les sourcils et Lutinor s’empressa de répondre à sa propre question :

-J’imagine et le mot viendra. J’y vais.

Il se tourna vers la petite habitation et tendis la main. Charon alla s’assoir un peu plus loin et Milen le rejoignit.

-Il va s’en sortir ?

Le sans-âme observa le petit dieu qui se tenait bien droit les yeux fermés.

-Sans problème.

L’oracle eut un sourire :

-Il m’a l’air plus impressionnant qu’il n’y parait.

Le sans-âme hocha la tête :

-ça ne fait aucun doute.

Milen prit un air rêveur :

-Comment cela se fait qu’il en sache si peu sur son pouvoir ?

Charon prit le temps de la réflexion avant de répondre :

-Je l’ignore vraiment. C’est comme je l’ai dit, le dieu d’origine semble n’avoir rien fait pour que ses successeurs sachent comment manier leur pouvoir. Du coup, la question qui se pose, c’est pourquoi c’est-il choisi un successeur au lieu de disparaitre.

A cet instant, des murs jaillirent du sol se collant à la maison comme une plante qui pousserait à grande vitesse. Lutinor poussa un cri de joie en faisant de grands gestes à Charon et Milen. L’oracle lui répondit alors que le sans-âme se contenta d’un hochement de tête. Il se demanda quand le petit dieu se rendrait compte qu’il ne lui été plus vraiment nécessaire. Après tout, il avait saisi le truc. Il suffisait qu’il se souvienne de l’appliquer pour tout. Même les tours les plus durs ne lui demander que quelques minutes de concentration alors bon. Il se redressa. En fait, je pourrais aussi bien lui dire qu’il n’a plus besoin de moi. Je pourrais partir. Il eut un sourire pour lui-même en sachant très bien qu’il ne le ferait pas. Après tout, il n’avait toujours pas trouvé le fin mot de l’histoire. Qui était ce petit dieu ?

-Qu’est-ce que c’est ?

Il suivit le regard de Milen posait sur son poignet. Un petit cercle bleu y apparaissait. Charon haussa les épaules :

-Je n’en sais rien. C’est apparu hier matin.

Milen fronça les sourcils.

-Bizarre.

Charon acquiesça :

-Je ne vous le fait pas dire, mais bon, je ne suis plus à une bizarrerie près.