• CHAPITRE 12

    Titian demanda de sa voix monotone :

    -T'es prête, Noré ?

    Elle hocha la tête et sortit, ne remarquant pas le regard chargé d'un soupçon de colère qu'il lança à Vigle. Noré avait la tête embrouillée. Triturant le bracelet à son poignée, elle cherchait à rassembler les morceaux. Comment un cadeau de sa mère pouvait aider à stopper la guerre ? La jeune fille sortit dans la cour et s'assit sur le pas de la porte, sans un regard pour les corps carbonisés qui trônaient encore au centre. Auriens et Alianis avaient sorti diverses armes et outils et s'appliquaient à réparer et affûter, dans l'attente de la bataille prochaine. Noré n'arrivait pas à imaginer comment sa mère, avec qui elle avait vécu à l'écart d'un petit village aussi loin qu'elle s'en souvienne, avait pu se trouvait en possession d'un objet si important. Elle eut beau retourner la question dans sa tête, sa seule conclusion fut que la sirène et Vigle avaient confondu le bracelet avec un autre. C'était la seule explication.

    -Ça va ?

    Eliana vint s'asseoir près d'elle.

    -Oui, je réfléchissais.

    Noré observa la jeune Aurienne qui vérifiait l'état de ses flèches.

    -Je peux te poser une question ?

    -Vas-y.

    L'adolescente décrivit ce qu'elle avait vu dans la forêt, sans préciser qu'il s'agissait de Xilanos, Vigle et Hëdjik, pour en demander la signification. Eliana écouta attentivement et répondit :

    -C'est une demande en mariage.

    Noré resta un instant sous le choc, puis dit avec un rire nerveux :

    -T'es sûr ?

    -Oui. La mère de la fille demandée en mariage offre son cœur à l'eau de l'océan. La belle-mère boit pour qu'il fasse partie de son propre cœur et en imprègne le garçon. Montrant qu'il est sous la protection et entouré de l'amour de sa belle-mère. Ça ne peut-être que ça.

    -Et la fille là-dedans. Elle ne donne pas son avis ?

    -Chez les Auriens, la demande doit être d'abord faite à la mère, car si elle ne l'accepte pas, le garçon ne peut approcher la fille. Là, comme elle a accepté, le garçon peut demander à la fille, qui a le droit de refuser.

    -Mais, cela arrive souvent ? Les demandes en mariage chez les Auriens ? Je veux dire vous êtes trop jeunes ?

    Eliana lui sourit :

    -La tradition veut que la demande à la mère soit faite le plus tôt possible. Par contre, la demande à la fille se fait lorsque les deux personnes concernés vont quitter les Auriens. Enfin, ça dépend, parfois la demande se fait avant. Le mariage peut avoir lieu des années plus tard. Si l'un d'eux changent d'avis, il a encore le temps.

    -Donc, en fait, la cérémonie dans la forêt, cela n'a pas de réelle signification. Ça n'apporte aucune obligation, hein ?

    -Je pense que non.

    Noré poussa un immense soupire de soulagement. Eliana lui jeta un regard interrogateur, mais ne posa aucune question. En revanche, de nouvelles venaient à l'esprit de Noré en voyant s'agitaient les Auriens et les Alianis.

    -Que deviennent-ils ? Ceux qui ont passé l'âge ?

    -Les garçons vivent un temps en forêt, voir comment ils se débrouillent seuls. Quand ils se sentent prêt, ils partent ailleurs. Pour les filles, c'est pareil, sauf qu'elles ont aussi le choix de rester chez les Alianis. Si tu regardes bien, tu verras certaines Alianis avec, sur le front, un cercle emboîté dans le croissant de lune.

    Noré chercha du regard et, effectivement, aperçut quelques femmes portant le signe des Auriens et des Alianis.

    -Vous n'avez pas l'impression de gêner, non ?

    L'adolescente releva la tête pour apercevoir Titian qui tentait de sortir :

    -T'étais où ?

    -Je causais à son altesse.

    -Vigle ?

    -Ah, pas d'insultes, s'il te plaît. Bouge.

    Il lui envoya des coups de genoux dans le dos et elle se décala. Eliana alla distribuer les flèches. A peine, Titian fit-il mine de s'asseoir qu'un Aurien entra en trombe dans la cour :

    -Les pirates ! Ils sont dans la forêt !

    -Tout le monde en place, dépêchez-vous !

    -Non, mais c'est une blague ! Je viens à peine de m'asseoir.

    Titian râle tout seul, alors que Noré s'était levée, se demandant ce qu'elle devait faire. Tous s'agitèrent autour comme s'ils s'étaient fixés une tâche précise. Ils s'armaient, se plaçaient comme une machine qui aurait répété encore et encore la même opération et agissait, désormais, sans aucun ordre.

    -Noré !

    Elle tourna sur elle-même pour apercevoir Xilanos à l'entrée de la grande salle qui lui faisait signe d'approcher.

    -Viens, Titian.

    Le pirate se releva en soufflant comme si cela était pour lui le plus grand effort du monde. Noré avait déjà rejoint Xilanos auprès du tronc, quand Titian se décida à la suivre en traînant des pieds.

    -On va prendre le passage...

    -Attend, attend, je peux pas passer moi, dans ce passage.

    Essayant de garder son calme, Xilanos dit lentement :

    -Non, c'est pour ça que tu vas faire le tour avec les autres Auriens qui sont dans la cour.

    -Tu veux dire que je dois faire tout le chemin en sens inverse, après tous les efforts que j'ai fourni pour arriver jusqu'ici ?

    Xilanos se passa la main sur le visage, comme si cela pouvait effacer sa colère. Il parla avec les dents serrés :

    -Fais ce que tu veux. Viens, Noré.

    Elle attendit de voir ce que Titian faisait. Il resta sans bouger, semblant réfléchir à ses diverses options, qui, il dû se l'avouer, étaient fortement réduites. Le pirate finit par faire demi-tour. Noré suivit l'Aurien dans le passage et le retrouva à l'extérieur, près de la porte. D'autres enfants arrivèrent, contournant le bâtiment.

    -On y va.

    Ils s'élancèrent sur la droite. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, les Auriens se divisaient en petits groupes et se cachaient le long du chemin. Si des pirates arrivaient à les suivre, ils ne pouvaient leur échapper. Noré finit par entendre le son d'un cour d'eau. Ils débouchèrent sur les berges d'un fleuve. Elle resta un temps sur place sous la surprise. La jeune fille ne s'était pas attendu à un fleuve aussi large. Ses eaux marronâtres et bouillonnantes taillait une route incontournable à travers la forêt.

    -Noré !

    Elle reprit sa course à l'appel de Xilanos. Ils longèrent la rivière sur plusieurs mètres. Le fleuve s'élargissait en même temps que des arbres paraissaient de plus en plus fréquemment en son milieu. Finalement, ils arrivèrent  à son embouchure et l'océan s'étendit devant eux. Transpercé de ces arbres gigantesques. Parmi eux se cachait un bateau de taille modeste, attendant.

    -Bien, tu vas nager jusqu’à eux.

    Noré posa le regard au sol. La végétation orangée laissait soudain place à l'eau. Comme si elle s'était trouvé au bord d'une falaise et que le gouffre fut remplacé par la mer. Comme la première fois, elle retint un frisson à la vue des troncs d'arbre qui s'enfonçaient si profondément dans l'obscurité.

    -Tu n'auras pas pieds. Est-ce que tu sais nager ?

    Elle hocha la tête. Un bruit de course vint dans leur dos et Titian surgit, essoufflé. Il s'arrêta, les mains sur les genoux pour reprendre son souffle.

    -Heureusement que vous avez semé des enfants sur la route. Tu peux me dire comment j'étais sensé vous retrouver si vous ne m'attendez pas ?

    -Disons que je m'en moque éperdument. Tiens, prend ça.

    Il retira son collier et le passa au cou de Noré.

    -Pour qu'il marches avec toi, il faudra que tu le mettes entièrement dans l'eau...

    -Pourtant, toi, il te suffisait de cracher dessus.

    -Oui, Titian, mais moi je suis un chef Aurien.

    -Et pourquoi ça ne marche qu'avec les chefs Auriens ?

    -Ce sont les fées qui créaient ces pierres, pose-leur la question.

    La petite créature perchée sur son épaule se mit à grogner et cracher à l'adresse du pirate, comme si elle tenait à illustrer les sentiments de l'Aurien envers le jeune homme.

    -Donc, quand tu auras mis la pierre dans l'eau, tu n'auras qu'à formuler un vœu...

    -N'importe quel vœu ?

    Xilanos serra les mâchoires fortement avant de répondre au pirate :

    -Non, Titian, tu le saurais si tu me laissais terminer mes phrases.

    Il le fixa, attendant de voir s'il ouvrirait la bouche avant de continuer :

    -Le vœu doit être lié aux Auriens ou aux Alianis.

    -C'est tout ?

    -Oui, Titian, c'est tout.

    Le pirate ricana en se grattant la tête :

    -Bien la peine de prendre une heure pour expliquer.

    Xilanos allait répliquer quand des éclats de voix leur parvinrent de la forêt :

    -Les pirates arrivent. Dépêchez-vous.

    L'Aurien déposa un baiser sur les lèvres de Noré et repartit. Lorsqu'il arriva à hauteur de Titian, celui-ci ne put se retenir de lui lancer :

    -Et alors ? On ne m'embrasse pas moi ?

    Sans une seconde d'hésitation, l'Aurien s'empara d'une de ses flèches, l'encocha, visa, tira. Plus rapide encore, Titian courut et plongea, tandis que la flèche allait se ficher dans un arbre. Xilanos donna un coup de pied rageur dans un tas de feuilles mortes. Noré lui sourit avec tendresse, il lui rendit son sourire. Puis, il fit demi-tour et se mit à courir pour rejoindre le siens. Elle le regarda s'éloigner un temps. Elle s'était retenue de lui redemander de venir avec eux, mais elle savait que cela aurait été vain. Les Auriens passaient avant tout et la jeune fille comprenait cela. Cependant, elle ne pouvait nier qu'une pointe de déception lui avait piqué le cœur, lorsqu'elle s'était rendu compte qu'il ne lui parlerait pas de la demande en mariage qu'il avait fait à Hëdjik

    -Non, mais sinon, tu restes là, le temps que les pirates arrivent. Il n'a pas de problème. 

    Noré leva les yeux au ciel et souffla fortement entre ses dents, avant de se décider à aller dans l'eau. Titian n'était qu'à quelques mètres du bord et l'attendait, visiblement. Elle s'assit sur le bord, glissa ses jambes dans l'eau glacée. L'adolescente grimaça, ouvrant la bouche dans une expression silencieuse. Noré avait conscience qu'elle ne pouvait prendre le temps de s'habituer à la température. Aussi, poussant sur ses bras, elle se mit à l'eau. Veillant à ce que sa tête n'aille pas sous la surface, elle se propulsa en avant en appuyant ses pieds contre le bord. Ses membres étaient déjà tout engourdis. La jeune fille faisait des gestes vagues pour nager, frigorifiée, son seul but était d'avancer. Elle fixa son regard sur le navire qui ne semblait pas décider à se rapprocher, malgré tous ses efforts. Titien eut vite fait de la devancer. Elle le maudit entre ses dents d'être si bon nageur et l'envia à l'idée qu'il serait bientôt au sec. Noré s'encouragea du mieux qu'elle put pour accélérer. Bientôt, elle put distinguer, sur le pont, une silhouette familière. La voix de Fabian lui parvint :

    -Les voilà !

    Cela l'encouragea à effectuer les derniers mètres. Déjà, Titian grimpait à une échelle de corde qu'ils avaient glissé sur le bord. Noré y arriva enfin. Bien qu'elle douta de pouvoir tenir l'échelle tellement ses doigts étaient engourdis. Le contact de la corde sous ses mains lui semblait douloureux. Elle la gravit lentement, heureuse qu'il n'y ait pas de vent car, alors, elle serait resté figée sur place. Un homme costaud au croissant de lune sur le front, lui saisit le bras et la souleva aussi facilement que s'il s'agissait d'une plume. Une fois sur le pont, elle replia ses bras sur son corps à la recherche d'un peu de chaleur. Une femme de petite taille à la tignasse rousse s'approcha et l'enveloppa dans une couverture. Fabian lui donna une accolade :

    -Noré, content de te revoir.

    Elle lui sourit :

    -Oui, mais aussi.

    Titian s'étira :

    -Et maintenant ?

    L'homme lui répondit :

    -Ce passage mène jusqu'à la mer. Il faudra traverser la forêt. On devra aller doucement, vu la taille du bateau. Avec les pirates occupés à batailler, on devrait pouvoir filer.

    Fabian désigna l'ancien Aurien du doigt :

    -C'est Nanz et elle, c'est Touja.

    La jeune femme hocha sobrement la tête en guise de salut. Titian bailla en se grattant la tête :

    -Donc, rien ne nous dit qu'en sortant de là, les pirates ne seront pas de l'autre côté en train de nous attendre. J'adore les jeux de hasard.

    Nanz reprit :

    -Asseyez-vous sur le pont que l'on ne vous voit pas de la rive. Je suis pas sûr que cela serve à grand chose mais bon, il vaut mieux trop de précaution que pas assez.

    Noré ne se fit pas prier. Emmitouflée dans sa couverture, elle replia ses jambes et les emprisonna entre ses bras. Titian s'installa près d'elle et ne tarda pas à s'endormir.

    Le chemin fut silencieux. Nanz, Touja et Fabian fixaient les rives en quête du moindre mouvement. Ils manœuvraient le navire avec précaution et lenteur. Au bout d'un certain temps, Fabian leur annonça :

    -C'est bon on va sortir.

    Noré retint son souffle, croisant les doigts pour que les pirates ne les aperçoivent pas. Les yeux levés, elle vit les arbres s'espacer puis disparaître. Ils guettèrent tous le moindre son, le moindre mouvement. Rien. Noré ne bougea pas tant que Nanz ne lui permit pas. Ils étaient assez éloignés quand on leur dit de se relever. Elle regarda les forêts du nord s'éloigner avec tristesse et serra dans sa main, la pierre qui pendait à son cou. Du coin de l’œil, elle vit Touja mettre dans une bassine d'eau, une pierre identique. Elle s'approcha :

    -Vous aussi vous avez une pierre ?

    -C'est Nanz qui me l'a donné, en cadeau de fiançailles.

    Noré se sentit rougir et sourire bêtement. Elle se ressaisit bien vite :

    -Quels Auriens ont droit à cette pierre ?

    -Les chefs uniquement.

    -Nanz était un chef ?

    -Et comment, c'est moi qui est formé Xilanos.

    Nanz vint s'asseoir près de la bassine :

    -J'ai un message pour les Auriens.

    Noré se pencha. Dans l'eau, une silhouette sembla s'extirper de la pierre. Elle atteignit la surface et, se faisant, prit des couleurs. La fée regarda autour d'elle, sourit en reconnaissant Noré.

    -Est-ce qu'elle est vrai ?

    -Non, c'est une image qui emprunte un temps l'esprit de la fée.

    Elle n'était pas sûr de saisir ce qu'il voulait dire, mais décida de ne pas l'ennuyez avec d'autres questions. Il s'adressa de nouveau à la fée :

    -Dis aux autres que nous sommes passés sans problème et que nous les déposerons au point prévu.

    La fée retourna sous l'eau et se confondit de nouveau avec la pierre.

    -Et c'est où ça ? Le point prévu ?

    Tous trois se tournèrent vers Titian. Nanz sourit :

    -Vous vous joignez à nous ?

    -Bah, tout le monde est là, je me suis dit qu'il devait se passer quelque chose d'intéressant.

    Nanz se releva, suivit de Touja.

    -Vous nous dites pas où on va, alors ?

    -Sur l'île du siège. Mais il vous faudra plusieurs jours de marche avant d'atteindre le siège.

    -Bof, je commence à avoir l'habitude. On s'ennuierait si c'était trop facile.

    Noré poussa un soupir de découragement. Elle regrettait déjà d'avoir quitté les Auriens. Nanz lui ébouriffa les cheveux avec affection, en riant. Fabian laissa la barre à Touja et rejoignit Noré. Ils discutèrent longtemps. Il parlait avec animation de sa nouvelle vie. Tandis que Titian restait à l'écart, étonnement silencieux, le regard perdu sur l'océan. Le soir, ils purent dormir dans des hamacs, suspendues dans la grande cabine qui ne contenait aucun meuble.

    Noré ne compta pas les jours qui s'écoulèrent. La monotonie était pesante. Rien d'autre à regarder que l'océan, les repas étaient maigres par économie. Elle s'amusait de temps en temps à revoir les quelques mouvements d'épée qu'elle avait vu chez les Auriens. Nanz lui en apprit de nouveau et elle s'entraînait avec Fabian. Touja n'était pas  bavarde, elle restait le plus souvent seule à les observer de loin. Titian restait également dans son coin sans ouvrir la bouche. Noré s'en était inquiétée au début, puis elle avait préféré le laisser tranquille. Après tout, il s'était retrouvé dans cette histoire contre son gré, entraîné par les circonstances. Il avait sans doute besoin de faire le point tranquillement. Elle avait appris que le couple survivait en livrant de la nourriture sur diverses îles. Ils avaient même gagné une certaine réputation avec le temps, du moins, c'est ce que Fabian lui avait raconté. Les jours passèrent, donc, sans que les pirates ne fassent une nouvelle apparition. L'île du siège leur apparut soudain, une fin d'après-midi, gigantesque.

    -Cette île est la plus grande et la plus peuplée de la Métane, vous ne devriez pas avoir de problème pour vous loger.

    Nanz continuait de parler ainsi à Titian, le renseignant et le conseillant, bien qu'il fut visible que le jeune pirate s'en moquait royalement. Ne cessant de bailler et de s'étirer pour montrer son ennui. Noré observa la ville. Des maisons, serrées les unes aux autres, formaient un tas sale sur le port. Ils sentaient déjà la puanteur qui s'en dégagé. Le ciel semblait plus gris au-dessus. Noré fit la grimace. La ville était salle, sombre et triste. Elle n'avait aucune envie d'y rester. L'embarcation réussi à atteindre un ponton délabré un peu à l'écart du port. Ils firent descendre l'échelle. Ils se dirent au-revoir. Le cœur de Noré se serra, car elle aurait aimé repartir avec eux. Titian ne se fit pas prier pour descendre. Au bas de l'échelle, il dû sauter pour espérer atteindre un endroit solide du ponton. Noré serra Fabian dans ses bras avant de le suivre. Le pirate prit le bras qu'elle lui tendait pour la faire arriver sur le sol sans encombre. Fabian continua de les saluer de la main, alors que le navire commençait à s'éloigner. Noré les regarda s'éloigner avec regret. Lorsqu'ils furent au loin, Titian posa sa main sur la tête de la fille :

    -Allez, on y va.

    Ils avancèrent dans les rues sinistres, à l'odeur nauséabonde. Le sol pavé était recouvert d'une boue noirâtre. Quelques personnes traînaient, les yeux fixaient sur leur pieds, évitant de croiser le regard d'un autre. Brusquement, une petite fille jaillit d'une maison et se planta devant Titian. Un sourire mécanique s'afficha sur son visage noir de saleté, parsemé de taches de rousseur et elle tendit la main. Titian resta un moment à la fixer, puis passa près d'elle en disant :

    -Pas ce soir, gamine.

    Noré le suivit, la gorge serrée et le cœur battant. Elle jeta un dernier regard à la petite prostituée qui s'avançait déjà vers un autre passant. L'homme lui prit la main et l'emmena. Noré détourna les yeux avec dégoût, au bord des larmes.

    Titian s'arrêta à un carrefour. Hésitant sur le chemin à suivre, il se gratta la tête pour finalement prendre sur la droite. Ils avancèrent sur quelques mètres avant que le pirate ne s'arrête à nouveau. Noré leva les yeux. Une pancarte de bois rectangulaire suspendue dépassait sur la rue. Elle eut du mal à distinguer ce que représentait le dessin à moitié effacé. Il lui sembla qu'il s'agissait d'une choppe.

    -Viens.

    La jeune fille jeta un regard inquiet vers l'auberge. En entrant, une violente odeur d'urine lui attaqua les narines. Le pirate était déjà en train de parler avec l'aubergiste. Un vieil homme rêche qui se tenait derrière un comptoir crasseux. La salle était presque vide et mit à part quelques murmures, le silence était oppressant. Quelques bougies éclairaient la grande pièce d'une lumière tremblotante et jaunâtre. Titian lui donna une tape sur l'épaule pour qu'elle le suive. Noré s'arracha à la contemplation de la pièce et ils se dirigèrent vers un vieil escalier branlant au fond de la pièce. Ils arrivèrent dans un couloir bordé de portes. Le plancher craquait sous leur pieds. Le jeune homme compta les portes sur leur droite et s'arrêta devant la cinquième. Il prit la clé que l'aubergiste leur avait donné et la fit tourner dans la serrure. Une petite pièce contenant deux lits simples qui faisaient face à la porte, chacun contre un mur et séparés par une table, se présenta à eux. Titian alla s'allonger sur le lit de gauche. Noré observa les draps blancs délavés avec appréhension. Elle alla vers la table et se pencha au-dessus pour tenter de voir quelque chose à travers la fenêtre qui la surplombait. Recouvrant sa main de sa manche, la jeune fille frotta un carreaux, mais cela fut inutile. Les tâches incrustées l'empêchèrent d'apercevoir quoique ce soit.

    -J'aimerais que l'on parte demain.

    -Je doute que ce soit possible. Il faut qu'on trouve quelqu'un pour nous amener au siège.

    -Tu ne le connais pas, toi, le chemin pour aller au siège ?

    -Je vais rarement à l'intérieur des terres.

    -On pourrait demander à des gens en cours de route.

    Il se retourna pour lui faire face :

    -Ou on peut aussi demander à quelqu'un de nous y amener directement, au lieu d'errer pendant des mois.

    -Et tu crois que cela va être facile à trouver ?

    -Non.

    -Donc, on va rester des mois ici à chercher un guide.

    -La ferme, c'est moi qui décide.

    Elle lui fit une grimace. Pour toute réponse, il bailla et se gratta la tête. Il y eut un silence durant lequel elle eut tout le loisir de repenser à la petite fille sale et mal habillée de la rue. Brusquement, Noré se redressa, s'empara de la bassine d'eau déposée là pour qu'ils puissent se laver, et y mit la pierre de Xilanos.

    -On pourrait utiliser la pierre pour y aller directement.

    Noré secoua négativement la tête :

    -Xilanos a dit que le siège était protégé, que l'on pouvait se retrouver proche du siège ou être pulvérisé.

    -Ah, évidemment, ça donne à réfléchir.

    -Tu ne savais pas que le siège était protégé ?

    -Si, mais je ne pensais pas contre ce genre de chose. Pourquoi cette question ?

    -Rien, juste que ça me paraissait bizarre pour un Métanien de ne pas savoir ce genre de chose.

    -Ah, parce que toi, tu sais tout sur le siège de la Sinia ?

    Elle haussa les épaules et s'intéressa de nouveau à la pierre. La jeune fille inspira profondément en espérant  que cela marche :

    -J'ai un message pour les Auriens.

    La fée apparut.

    -Titian, ça marche.

    -Evidemment que ça marche.

    Noré le soupçonna de ne pas avoir la moindre idée de ce dont elle parlait, vu qu'il avait fermé les yeux et semblait prêt à dormir. Elle poursuivit en murmurant pour ne plus le déranger :

    -Je demande à ce que la prochaine pêche ait lieu dans la ville où Nanz et Touja nous ont déposé Titian et moi.

    La fée disparut. La jeune fille alla se coucher en se demandant si le message était assez clair et si cela allait marcher.

    Le lendemain, le temps chaud et humide, fatigua très vite Noré. Ils avaient traversé la ville de long en larde, à la recherche d'une quelconque information, mais sans résultat. Personne accepta de les guider. Ils rentrèrent à l'auberge à la nuit tombée. Ils n'avaient pas mangé de la journée et l'estomac de Noré était douloureux. A son grand soulagement, Titian alla s'asseoir à une table de la salle commune. Alors qu'il s’écroulait dessus, elle s'assit à ses côtés. L'aubergiste apporta une soupe plus que douteuse et partit. La fille demanda :

    -Avec quoi t'as payé ?

    Sans bouger, Titian répondit :

    -Avec rien.

    -Euh... on paye en partant ?

    -Normalement oui.

    -Mais...

    -Mais j'espère que tu cours vite.

    -Tu ne crois pas qu'il va finir par se douter de quelque chose si on reste trop longtemps ?

    -Ça, ça aide.

    Il passa sa main sur le signe à son cou. La lueur de la bougie donnait à sa peau brune un teint jaune maladif qui l'enlaidissait. Il ne prit pas la peine de dégager les mèches de cheveux châtains qui lui tombaient dans les yeux. Ainsi, Noré lui trouva vraiment l'air d'un pirate. Elle sourit, amusée et chercha cette ressemblance que certains leur trouvait. La jeune fille avait les cheveux clairs et les yeux vert doré tout comme lui, mais ce n'était tout de même pas suffisant. Elle compara son bras plus pâle que les siens. Il avait la mâchoire volontaire, elle, plus pointue. Noré ne leur trouvait aucune ressemblance et finit par abandonner d'un haussement d'épaule pour commencer à manger. 

    En jetant un regard circulaire dans la pièce, elle aperçut une petite estrade en bout de salle qu'elle n'avait pas remarqué. Des tonnes de bougie y avaient été allumé et posé à même le sol. Alors qu'elle se demandait à quoi cela pouvait servir, une musique commença. Des tambourins et une flûte s'accordèrent en rythme. Une silhouette apparut derrière la fumée. Les quelques hommes qui restaient dans la salle, semblèrent se réveiller et se mirent à siffler. La musique s'accéléra et de longs cheveux noirs ondulés jaillirent à travers la fumée. Relevant la tête d'un geste brusque, la jeune femme se projeta au devant de la scène.

    Les hommes hurlèrent de joie. Noré resta subjuguée par la beauté irréelle de la danseuse. Mince, gracieuse, les jambes longues, la peau dorée par le soleil et les yeux lapis-lazuli qui fixaient la salle avec malice sou ses longs cils et ses sourcils fins. A ses bras et ses chevilles quatre bracelets tintaient au rythme de la musique. Tous l regardaient avec émerveillement et lorsque Noré revint à son assiette, elle vit que Titian n'échappait pas à la règle. La danseuse projetait ses cheveux qui semblaient capturer la fumée. Un nouveau balancement de la tête la rejetait. Elle y faisait jouer ses bras et ses jambes. La fumée devenait son partenaire, la tranchant, tournoyant, ramenant, rejetant, le tout était entraînant, captivant. Puis, peu à peu la musique mourut. Les gestes furent ralentis et la danseuse disparut derrière un mur de fumée. Il y eut quelques applaudissements et la danseuse descendit de scène. La salle resta silencieuse un temps, encore époustouflée sous la merveille du spectacle qu'elle avait donné. Noré était curieuse de la connaître, savoir d'où elle venait. Comme elle passait près d'eux, la jeune fille prit son courage à deux mains pour l'arrêter :

    -Tu veux bien venir t'asseoir avec nous ?

    La jeune femme la regarda avec surprise. Titian avait sursauté en entendant Noré :

    -T'as peur de rien toi.

    L'adolescente le fixa sans comprendre :

    -Qu'est-ce qu'il y a ? Tu peux me dire où tu as appris à danser comme ça ?

    La jeune femme la fixa de nouveau fronçant les sourcils. Noré lui sourit et lui montra une chaise. Avec des gestes hésitants, la danseuse s'assit à leur table. Lorsqu'elle s'adressa à la jeune fille, sa voix était envoûtante, douce et claire :

    -Tu n'es pas d'ici. Sinienne ?

    -Oui, comment tu as su ?

    Titian répliqua :

    -C'est pas un Métanien qui aurait l'idée de s'acoquiner avec une Saldrian avec quiconque provenant des Terres Sanglantes d'ailleurs.

    Noré resta stupéfaite :

    -Tu viens des Terres Sanglantes ?

    -N'ai pas l'air si heureuse ou on se fera tuer .

    La danseuse ignora Titian et dit :

    -Je m'appelle Soria.

    Cependant qu'ils parlaient, Noré nota à peine que des hommes se levaient et quittaient la salle. Tandis que la femme de l'aubergiste se dirigeait sur eux.

     

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