• Chapitre 11

    Lutinor avait le ventre bien rempli et été pleinement satisfait de cette journée.

    -Je pense que nous devrions rentrer.

    Le petit dieu approuva avant de jeter un regard par-dessus son épaule, l’air suspect. Charon fit de même en demandant :

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    Lutinor répondit d’une voix évasive :

    -Rien, c’est juste que… depuis tout à l’heure…

    Au final, il haussa les épaules et sourit :

    -Non, je dois me tromper. Tu vas faire apparaître la porte ?

    Il dévisagea Charon avec une telle admiration que celui-ci se sentit presque gêné de lui dire :

    -Non, tu vas la faire.

    Les yeux du petit dieu s’agrandirent :

    -C’est vrai ?

    Il se mit à sautiller sur place :

    -Vas-y, dis-moi, comment je fais ? comment je fais ?

    Charon s’amusait beaucoup à le voir s’agiter de cette façon et le laissa se fatiguer un petit moment avant de répondre :

    -Cela dépend, comme d’habitude. C’est à toi de voir ce qu’une porte vers ton temple t’inspire.

    Lutinor hocha vigoureusement la tête avec les yeux grands ouverts comme s’il buvait chaque mot de Charon. Le petit dieu finit par lever le bras vers le ciel comme l’avait fait le sans-âme. Il ferma les yeux et laissa le mot apparaître derrière ses paupières. Lorsqu’il baissa le bras, une porte aux contours bleutés apparue. Lutinor jeta un regard ravi vers Charon avant de s’approcher. Dans le rectangle nettement découpé dans l’air, le chemin couvert de mousse et d’herbe menant au temple était visible. Le petit dieu sauta à l’intérieur et retrouva l’odeur de marécage si caractéristique de son foyer. Charon le suivit.

    -T’as vu ? je deviens fort, hein ?

    Le sans-âme haussa un sourcil :

    -Si on veut.

    Il y eut un son qui les fit se retourner en chœur. Une vieille femme venait de sauter à travers la porte avant qu’elle ne disparaisse. Ils se dévisagèrent les uns, les autres en silence, puis la femme leur dit d’une voix claire :

    -Je m’excuse nobles divinités de vous importuner de la sorte, mais je n’ai pu m’empêcher de vous remarquer.

    Lutinor ouvrit des yeux ronds avant de se penchait discrètement vers Charon pour murmurer :

    -Je crois qu’elle nous voit.

    Le sans-âme ricana en répondant sur le même ton :

    -Non, tu crois ?

    Lutinor hocha la tête comme si Charon avait vraiment besoin de confirmation. La vieille femme passa de l’un à l’autre avec un demi-sourire avant de tenter :

    -Je sais que vous devez déjà savoir ce que je suis, alors…

    Lutinor la coupa :

    -Vous êtes quoi ?

    Charon lui envoya une baffe à l’arrière du crâne. Puis, il s’adressa à la femme :

    -Quel est ton nom oracle ?

    La vieille se pencha tellement en avant que son front en toucha presque le sol :

    -Milen, noble divinité.

    Il la corrigea :

    -Je ne suis pas une divinité, mais un gardien et lui, c’est un dieu. Enfin, la moitié d’un.

    Lutinor la salua d’un geste de la main. La vielle femme sembla surprise, mais ne dit rien alors que Charon continuait d’un ton suspect :

    -Je vois que vous n’êtes qu’une moitié d’oracle également.

    Le petit dieu fronça les sourcils avant de dire :

    -Bah, elle a l’air entière pourtant.

    Nouvelle baffe et Lutinor se mit à geindre. Charon coupa court en expliquant :

    -Un oracle est capable de reconnaître, dieu, divinités et sans-âmes d’un coup d’œil. Ce qu’elle n’a pas été capable de faire.

    Le petit dieu y réfléchit quelques secondes, mais avant qu’il pût partager le fruit de ses réflexions, la vieille femme s’empressa de dire :

    -Certes, mais je reste un oracle tout de même.

    Charon eut un demi-sourire :

    -Un oracle sans dieu à servir, n’est-ce pas étrange ?

    Lutinor réussi à placer :

    -ça l’est ?

    Charon hocha la tête :

    -Oui, un oracle est assigné à un dieu dès la naissance. Un oracle sans dieu à forcément quelque chose à se reprocher.

    La vieille femme s’attrista :

    -Rien, noble gardien, je vous assure. Seulement, mes dons, disons, laisse à désirer.

    Lutinor prit un air triste en hochant mélancoliquement la tête :

    -Ah, oui, je sais ce que c’est.

    Charon ne s’émut pas de leurs airs et croisa les bras en demandant :

    -Et pourquoi nous avoir suivi ?

    Milen se pencha à nouveau en avant, si profondément que Lutinor crut bien que cette fois, elle finirait par piquer du nez.

    -Je cherche mon nouveau dieu, noble gardien. Un oracle n’existe qu’en servant.

    -Pourquoi ?

    Charon et la femme se tournèrent vers Lutinor d’un bloc. Celui-ci se sentit légèrement gêné. C’est sûr, j’ai encore dit une bêtise. Charon finit par le pousser :

    -Pourquoi quoi ?

    Lutinor grimaça :

    -Bah, pourquoi n’existait qu’en servant ? y a plein d’autre trucs à faire.

    Milen papillonna des yeux :

    -Comme quoi ?

    Lutinor regarda autour de lui avant de s’égayer tout seul :

    -Le ménage ! c’est marrant, si on s’y met tous ensemble… enfin, Charon, il esquive en faisant semblant de lire, mais…

    Le sans-âme s’insurgea :

    -Semblant ?!

    Lutinor rentra la tête dans les épaules en bredouillant :

    -Bah, oui, tu ne m’aides jamais pour le ménage.

    Milen eut l’air outré :

    -Oh, comment osez-vous, le pauvre petit.

    Ce fut à Charon d’ouvrir des yeux ronds, mais il se ressaisit :

    -Je ne pense pas que vous puissiez vous permettre de me parler sur ce ton, vieille femme. Lutinor n’a que faire d’un oracle défaillant, d’autant plus que votre vie ne devrait pas tarder à s’achever. Comment se fait-il que l’on vous ai chassé que maintenant ?

    Milen garda la tête baissée devant la remontrance et répondit :

    -J’ai cherché après de nombreux maîtres, mais…

    Charon ricana :

    -Aucun n’a voulu de vous. Vous devez être exceptionnelle de nullité.

    Lutinor qui n’écoutait qu’à moitié demanda :

    -Vous m’aideriez à faire le ménage ?

    Milen se pencha en avant :

    -Oh, mais bien sûr.

    Lutinor lui tendit une main qu’elle saisit avec hésitation, non sans garder un œil inquiet sur Charon.

    -Viens, je vais te montrer. En fait, il faudra tout réparer…

    Charon les regarda s’éloigné, bouche bée :

    -Non, mais, Lutinor, ça suffit. Lâche la vieille ! je te préviens, il est hors de question que je me coltine un oracle au rabais en plus de toi ! Hey !

    L’ignorant superbement, le petit dieu demanda :

    -ça fait quoi un oracle en fait ?

    Milen répondit de sa voix claire :

    -Eh bien, ça peut prédire l’avenir. J’ai des rêves qui me révèle le futur… parfois.

    Lutinor sourit :

    -Mais tu te trompes, c’est pour cela que les autres ne veulent pas de toi ?

    Milen rougit de honte :

    -Non, en vérité, je suis rarement capable de me souvenir de ces rêves quand je me réveille.

     

    « Robert Frost »

    Tags Tags : , , , , , , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :