Ylios se tapit derrière le buisson. Les muscles tendus, il attendait. Son nez fin percevait déjà les odeurs de ses amis. En moins d’une minute, ses ongles devinrent des griffes, ses yeux s’arrondirent, sa peau s’étendit, s’étira jusqu’à recouvrir ses vêtements. Une fourrure ocre poussa ensuite. Le jeune lion trépigna alors que les autres approchés. Quand ils furent suffisamment proche, Ylios bondit, rugissant de toute ses forces. Les trois adolescents s’arrêtèrent et se contentèrent de le fixer. Le jeune homme reprit forme humaine pour dire d’une voix plaintive :

-Mais allez, faites au moins une grimace.

Ses amis obéirent obligeamment, grimaçant à qui mieux mieux. Ylios fit la moue :

-Non mais sérieux.

Miral, un garçon au teint halé et cheveux noirs, prit une mine offusqué :

-On y met tout notre cœur, tu pourrais être reconnaissant.

-Merci.

Seih repoussa les deux mèches rouges qui encadraient son visage fin et délicat :

-Tu réalises que tu ne peux pas t’attendre à des réactions quand tu nous fais le même coup tous les matins.

Ylios soupira, épaules basses :

-C’est vrai.

Miral s’approcha pour passer un bras autour de son ami :

-Ne t’inquiètes pas. Quand tu seras adulte, tu seras plus impressionnant et tu feras plus peur. En plus, tu seras peut-être le Roi de Tous.

Ylios hocha la tête un peu rasséréné. Seih glissa en les dépassant :

-Mais tu ne le seras peut-être pas.

Ylios fixa Miral au bord des larmes. Le garçon lui tapota l’épaule :

-Mais non, mais non. Ça va aller.

Le jeune lion se laissa traîner par l’adolescent tandis que Gialema, une fille menue et discrète à la douce odeur de souris, courut pour rattraper Seih. Lorsque les garçons rejoignirent les filles, Ylios ne put s’empêcher de demander :

-Vous croyez vraiment que j’ai une chance de devenir le Roi de Tous ?

Seih rit :

-Je plaisantais. Il n’y a pas de raison. Tu as dix-sept ans et la marque est toujours là.

L’adolescent bomba le torse. C’est vrai. Comme probablement une centaine d’enfant né la même année que lui, il était né avec la forme de l’âme animale du Roi de Tous actuel sur la nuque. Une libellule. Alors que Ylios réussissait à se convaincre, Miral fit remarquer :

-Mais peut-être que ce sera une Reine cette fois.

Ylios se décomposa, demandant en chouinant :

-Pourquoi vous ne m’aimez pas ?!

Gialema lui tapota le bras avec un sourire. Ylios cessa son cinéma pour demander encore :

-Qu’est-ce que vous avez à me tapoter comme si j’étais un chien ?

Seih glissa à Gialema :

-Grattouille lui la tête. C’est un chat.

-Laisse mon père tranquille !

Ses trois amis éclatèrent de rire à sa réaction exagéré. Ylios n’avait rien contre le fait que son père fut un chat, mais il avait toujours secrètement espéré tenir de sa mère, une tigresse, quand on en venait à l’âme animale. L’adolescent n'oublierait jamais la tension qui les tenait le jour de ses dix ans, jour de la première transformation. A ce moment là, savoir quel animal il serait été devenu secondaire, le garçon était trop effrayé par cette expérience. Son cœur s'était emballé au fur et à mesure que l' heure de sa naissance approché et il avait soudain eut sommeil. Se souvenant que sa mère lui avait dit que c'était normal, il n'avait pas cherché à lutter et avait sombré le temps d'un battement de paupière. En ouvrant les yeux, ses parents semblaient avoir grandis et le regardaient, ému. Il s'était tourné vers le miroir et avait aperçu le lionceau qu'il était devenu. Il en avait hurlé de joie, enfin, rugit. En grandissant, il s'était retrouvé avec des cheveux épais, indisciplinés d'un ocre foncé et des yeux or.

-C’est la prédiction d’aujourd’hui qui t’angoisse ?

Ylios sortit de ses souvenirs pour répondre à Miral d’un hochement de tête. Ce jour était particulier. La prédiction des oiseaux allaient être rendu publique. L’année où les Futurs naissaient, le dirigeant actuel et un cercle de proche pouvait écouter, en privé, la prédiction que les oiseaux donnaient du règne de celui ou celle qui reprendrait le pouvoir à sa mort. Ce qui était révélé lors de cette réunion restait secrète jusqu’au dix-sept ans des Futurs où elle était rendu publique. Tous ceux dont la marque ne s’était pas encore effacé en grandissant étaient alors invité à se rendre au domaine du dirigeant, afin d’y être formé. Au fur et à mesure, les marques s’effaceraient jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un élu.

Tandis qu’ils approchaient de plus en plus de la plaine où la prédiction serait révélée, Ylios sentait son cœur battre de plus en plus fort. Gialema s’arrêta soudain, obligeant le groupe à stopper net. Ils lui jetèrent des regards interrogateurs et la jeune fille demanda d’une petite voix :

-Où est ton test ?

Ylios répondit en haussant les épaules :

-Tremon ? Je ne sais pas.

Seih le pressa :

-Mais il faut que tu sois avec lui pour la prédiction. Qu’est-ce qu’ils vont penser ?

L’adolescent essaya de l’apaiser, n’étant lui-même que très peu inquiet sur ce sujet :

-Il est peut-être déjà là-bas.

Miral croisa les bras d’un air autoritaire :

-Tu dois être sûr.

Ylios céda sous les regards de reproche de ses amis :

-OK, je vais voir s’il n’est pas dans sa grotte. S’il n’y est pas, c’est qu’il est déjà là-bas.

Les adolescents s’engouffrèrent dans les bois, la végétation bruissant sous leurs pieds nus. Ylios comprenait l’empressement de ses amis à ce qu’il vienne avec son test. Tous les Futurs en avait un, un enfant qu’ils devaient garder. Les tests avaient interdiction de se transformer. Hors cela pouvait être dangereux pour les âmes animales. Ylios avait essayé une fois de ne pas se transformer pendant une journée et le lion en lui n’avait pas tardé à devenir enragé. L’adolescent avait cédé aux douleurs qui parcouraient tout son corps au bout d’une heure. Tremon, lui, n’avait aucun droit de se transformer jusqu’à ce que Ylios soit le dernier Futur ou que sa marque disparaisse. Le rôle du jeune lion était de veiller à ce que Tremon ne perde pas l’esprit ou ne meurt. Les âmes animales enfermées finissaient par provoquer des crises qui pouvaient mal se finir pour leur part humaine. Si les Futurs se montraient capable de protéger une autre personne contre elle-même, c’est qu’ils étaient en bonne voie pour être dirigeant.

Le problème d’Ylios était que Tremon ne se montrait pas tellement coopératif. D’ordinaire, les Tests qui ignoraient quand leurs crises pouvaient se déclencher ne lâchaient jamais leurs Futurs, seuls capables de les aider à reprendre le contrôle. Tremon, lui, avait toujours été un solitaire. Il était le fils des meilleurs amis des parents d’Ylios et qu’il devienne le Test du garçon était évident. Cependant, une autre part du test était que personne ne devait savoir quel était l’âme animale des compagnons des Futurs, aussi, ceux-ci apprenaient très vite à dissimuler tout ce qui pouvait les trahir. Ylios ne pouvait repérer Tremon à son odeur, malgré son flair affûté, car il n’en avait littéralement plus aucune.

-Par là. Il y a un grattement.

Ils suivirent Seih dont l’ouïe s’était développé avec le temps. Ylios vit qu’ils s’éloignaient de la grotte, lieu favori de l’adolescent depuis l’enfance. S’il bouge en plus, comment je suis censé le retrouver tout seul ?

Ils trouvèrent Tremon au pied d’un arbre, dessinant dans la poussière avec un petit bâton. Seih, Miral et Gialema s’arrêtèrent à bonne distance. En plus de son côté solitaire, Tremon avait un caractère qui avait tendance à faire fuir les autres. Sauf Ylios qui avait grandit avec lui et ne comprenait pas bien ce qui effrayé tant les gens. Il s’avança sans hésiter en lançant :

-Salut, Tremon.

-Dégage.

-Adorable.

Le Test leva sur lui ses yeux verrons, l'un bleu-nuit, l'autre orange-or. Comme à l'ordinaire, Ylios les trouva magnifique bien qu'ils soient plein de fureur. Il se sentit rougir et perdit le contrôle de son rythme cardiaque.

-Dégage, Ylios, répéta Tremon avec lenteur.

Pour toute réponse, il prit un air boudeur :

-Tu me brises le coeur.

-Je vais te cogner.

-A plus tard.

Ylios s'éloigna, sachant fort bien que Tremon mettrait ses menaces à exécution et il n'avait pas envie de recevoir des coups par une si belle journée. Cependant, ses trois amis ne semblaient pas prêt à repartir. Miral lui rappela :

-La prédiction. Grouille.

-Ah oui.

Ylios revint sur ses pas, mais veilla à se garder à distance des coups potentiels :

-Il faut que tu viennes avec moi. Il y a la prédiction dans la plaine.

Tremon le dévisagea un instant, rêveur, avant de revenir à lui :

-C’est maintenant ?

Le jeune lion lui présenta son bras :

-Viens, allons-y bras dessus, bras dessous.

-Pars devant.

Ylios prit une mine déçue, mais tourna les talons avant que Tremon ne s’énerve réellement.

-Il nous suit.

Seih douta :

-T’es sûr ?

L’adolescent para avec un sourire :

-Tu peux aller t’en assurer si tu veux.

La jeune fille secoua la tête :

-Non, je te fais confiance.

-Menteuse.

Miral lança en prenant sa forme de python :

-Grouillez, on est en retard.

Seih s’envola en se transformant en cygne noir. De son côté, Ylios refusa de se transformer là où Tremon pouvait le voir. Il soupçonnait que le caractère tranchant de l’adolescent pouvait venir du fait qu’il s’était retrouvé Test sans qu’on lui demande son avis. Être obligé de rester humain, tandis qu’autour de soi, tout le monde jouissait de leur différente forme et risquait de mourir ou de devenir fou à cause d’une restriction imposée, il était normal que Tremon préfère rester seul. Ylios faisait

-Tu ne te transformes pas toi ?

Gialema secoua la tête, courant à ses côtés. L’adolescente avait des difficultés à maintenir sa forme animale. La souris était aussi timide que la jeune fille. Si c’était pareil pour Tremon, ce serait plus facile. Le jour des dix ans du Test, le Futur était présent pour, dès cet instant, l’aider à empêcher la transformation. Tremon avait fini par faire une crise et Ylios avait eu toute les peines du monde à le faire revenir à lui avec l’aide de leurs parents.

Quand ils furent assez loin, Ylios se transforma, invitant Gialema à monter sur son dos. Le jeune lion ne tarda pas à rejoindre Seih et Miral qui les attendaient aux abords de la plaine. La petite souris demanda dès qu’elle mit pied à terre :

-Est-ce qu’on l’attend ?

Miral rappela :

-Ylios ne peut pas arriver sans lui. On va lui reprocher de ne pas prendre son rôle au sérieux.

Seih fit remarquer :

-On est pas en avance.

Les trois adolescents attendirent la décision d’Ylios qui déclara :

-Allez-y. Dites à nos parents qu’on arrive.

Ils obéirent avançant lentement pour laisser le temps à leur ami de les rattraper si Tremon se décidé à se montrer dans la minute. Ylios chercha un coin de soleil, s’y plaça et ferma les yeux, la tête tournait vers l’astre solaire. Chaque âme animale développé une passion qui se répercutait sur l’humain. Pour Ylios, c’était le soleil. Il avait un effet apaisant, réconfortant et revigorant sur l’adolescent.

-Traînes pas.

Tremon lui saisit le bras pour le traîner dans la plaine.

-Tu marches quand même vite.

Le Test grogna sans le lâcher. Dans la plaine, de nombreuses familles étaient dispersées, attendant la prédiction. Ce n’est qu’une fois auprès de leurs parents qu’Ylios fut libéré de la forte poigne de son ami.

-Ah, quand même. On allait finir par te chercher.

Ylios sourit à sa mère. L’odeur du tigre et du chat qui s’échappaient de ses parents montraient combien ils étaient nerveux. L’adolescent n’eut pas le temps d’ajouter quoique ce soit qu’une voix puissante et jeune sortit du puits au centre de la plaine. Le monde retint son souffle dès que la prédiction ce fut entendre :

« Un être trépassé revient appliquer l’ancienne loi. Sang, terreur et famine. »