• 8 - Compagnie

    Ce fut au cour de cette nuit-là que le prince fut réveillé par des pleurs. Il se réveilla en sursaut comme cela ne lui était plus arrivé depuis des jours. Son cœur se mit à battre la chamade alors que son cerveau tentait de comprendre le son qu’il recevait. Finalement, Soliflane finit par réaliser que c’était des pleurs de bébé. Il bondit de son lit, traversa les couloirs en courant pour atteindre la chambre, en sueur et essoufflé.

    -Je suis là !

    La fée, forme transparente et blanche se tenait en bout de lit et finit de s’évaporer à son entrée. Soliflane fit à peine attention à sa présence. Toute son attention focalisée sur, non pas un, mais deux nouveaux-nés posaient à même le sol, à côté du lit. Il se tourna vers la princesse, puis se souvint soudain qu’il était le seul à pouvoir agir. Le prince courut raviver le feu, mis son poignard dans les flammes quelques instants puis revint aux enfants. Il s’arrêta devant les cordons en se demandant s’il y avait une certaine longueur à respecter. Les bébés sales, hurlants, le firent paniquer :

    -Tant pis, je fais au hasard.

    Soliflane coupa, prit un des enfants et s’approcha d’un des seaux encore remplit d’eau. Il s’arrêta à nouveau quelques secondes en se disant que l’eau devait être froide, mais le jeune homme se secoua, prit un drap qu’il avait gardé en prévision, en trempa un bout et nettoya l’enfant. Il prit un autre drap pour l’envelopper et le posa sur le lit et fit de même avec le second. Quand ils furent ainsi enveloppés, Soliflane prit le temps de les observer, puis se fendit d’un sourire :

    -Vous devriez les voir. Ils sont mignons, tout petit, petit. Je n’ai jamais été aussi petit, moi.

    Comme les enfants continuaient de hurler, il réalisa qu’ils devaient avoir faim.

    -Je suis désolée. C’est pour la bonne cause, je vous le jure.

    Le jeune homme déboutonna la chemise de nuit de la princesse pour en dégager la poitrine et approcha les enfants. Quand ils se mirent à téter, le prince nettoya la jeune fille. Soliflane réussit à retirer les draps souillés après de nombreuses manœuvres pour déranger le moins possible la mère et ses enfants. Puis, il dut courir pour trouver un autre drap afin de recouvrir la princesse. Enfin, Soliflane resta près d’eux jusqu’à ce que le sommeil les emporte tous les trois.

    Un rayon de soleil qui s’évertuait à lui chauffer le visage finit par le réveiller. Le prince ouvrit les yeux, réalisa vaguement qu’il n’était pas dans sa chambre, comprit progressivement qu’il avait dormi en boule au pied de la princesse, puis soudain, les hurlements le firent sursauter et il dégringola du lit.

    Se relevant maladroitement, Soliflane annonça :

    -Je suis là, je suis là.

    Il observa les bébés et hésita :

    -Je suis là, mais je n’ai pas la moindre idée de ce que je dois faire.

    Comme la princesse ne semblait toujours pas désireuse de participer, le jeune homme prit l’un des enfants et le berça. Quand le nouveau-né fut calmé, il courut faire de même avec l’autre. Il posa les enfants endormis de part et d’autre de leur mère et remit le drap pour cacher la nudité de la jeune femme. Alors, Soliflane s’allongea près d’elle :

    -Vous voulez que je vous dise ? Mon problème n’est pas résolu, en fait. Je ne vais pas vous laisser avec deux bébés. Comment ils vont faire pour se nourrir ?

    Le prince observa le visage de la jeune fille à quelques centimètres du sien. Dans cette position, il arrivait à l’imaginer tournant la tête et ouvrant les yeux vers lui pour lui sourire. Son cœur doublait de rythme à chaque fois. Pourtant, elle ne bougeait jamais un cil.

    -Vous vous rendez compte que j’aurais un an de plus dans quelque jour ? Bon, si on veut vraiment s’attarder sur les détails, vous avez presque cent ans, je suis quand même loin de vous rattraper. C’est bizarre de penser qu’en venant, j’avais votre âge quand même.

    Sous le drap, il entendit les bébés gazouiller et rire. Cela provoqua un sourire chez le prince.

    -Vous savez, je ne pense pas que la fée laissera mourir vos bébés. Elle trouverait un moyen si je partais. Puis, je reviendrais vite.

    Sentant le sommeil le reprendre, Soliflane se releva et se dirigea vers le bureau. Il soupira avant de se décider à prendre un carnet. Le jeune homme ouvrit aux dernières pages pour lire une écriture penchée, presque illisible. La princesse avait sans doute dû écrire dans la précipition :

     

    Je l’entends, elle approche. Fabor et Elea étaient là. Ils n’ont rien entendu. Je leur ai demandé d’aller chercher mes parents et de m’enfermer. Je ne comprends pas. La voix me dit de sortir, de la rejoindre. J’ai peur. Je sais qu’elle approche. Si je ne la rejoins pas, elle viendra me chercher. Elle approche et j’ai des difficultés à écrire, ma main ne semble plus vouloir obéir. Derrière la porte, elle est juste là. Je veux revoir mes parents. Une dernière fois. Où sont Fabor et Elea ? Elle est juste derrière moi, je le sais, je ne veux pas me retourner…

     

    La note finissait ainsi. La princesse avait sans aucun doute fini par faire face à son bourreau.

    -Mais comment vous êtes-vous retrouvez dans ce lit ?

    Les bébés continuaient leur babillage, faisant bouger le drap par les mouvements saccadés de leur bras et jambes. Soliflane sourit :

    -Ils sont mignons, vous verrez. Vous allez les adorer.

    Il se leva et se mit à marcher de long en large :

    -J’ai des difficultés à l’idée de vous laisser seule. Certes, la fée restera mais on ne peut pas dire qu’elle soit d’un grand réconfort.

    Le prince s’arrêta soudain, son regard revenant à la page qu’il venait de lire. Il rit tout seul et courut s’assoir près du lit :

    -Que diriez-vous si je m’arrangeais pour qu’à votre réveil, il n’y ait pas qu’un inconnu à vos côtés ?

    Il attendit un instant avant de conclure :

    -Qui ne dit mot consent.

    Soliflane se leva et retourna aux carnets. Il eut beau relire rapidement et relire encore plus calmement, il ne vit rien qui détailla l’apparence de Fabor et Elea. Mis à part ce passage où la princesse disait que Fabor était plus grand. Soliflane revint à la fin du dernier carnet. Les deux amis avaient été envoyé chercher le roi et la reine.

    -Bon, réfléchissons, princesse, si vous le voulez bien.

    Il se leva et prit un air concentré en refaisant les cent pas :

    -On devait préparer votre anniversaire à ce moment-là, donc…ils devaient…courir partout. Ma chère, je n’avance pas beaucoup.

    Sous le drap les bébés se mirent à rire.

    -Très bien, ça vous amuse. Puisque c’est ainsi.

    Il alla extirper les bébés de sous le drap pour les poser au bout du lit. Les enfants le fixèrent avec de grands yeux.

    -On veut faire les malins, alors qu’on est tout petit, hein ? On n’a pas idée d’être petit comme ça. Comment vous allez vous défendre après, hein ? Avec vos petits poings ? Regardez ça.

    Tandis qu’il parlait, chaque enfant saisit un doigt dans son poing.

    -Je vois, on veut faire ses preuves.

    Le prince se pencha et s’appliqua à recouvrir de baiser les deux petits crânes. Les enfants sourirent et il se redressa en reprenant un air sérieux :

    -Bon, ce n’est pas tout ça, mais j’ai des gens à chercher.

    Avec douceur, Soliflane replaça les enfants de part et d’autre de leur mère et sortit. Il n’avait pas vraiment exploré le château jusque-là, se contentant des endroits déjà connu et proche de la chambre. Cette fois, le jeune homme alla explorer la salle du trône, les grandes pièces où le couple royal aurait pu se trouver au moment où Fabor et Elea seraient allés les chercher. Au final, il se retrouva à se promener à travers le château sans but quand une lueur au détour d’un couloir attira son regard.

    Hésitant, il s’approcha :

    -C’est vous, madame la fée ? En même temps, je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre.

    Le jeune homme passa le coin à temps pour voir la fée s’évaporer. Sur le sol, quatre corps se trouvaient avachis. Le roi et la reine, reconnaissables à leur lourds habits richement brodé, reposaient l’un près de l’autre. Soliflane jaugea un instant le couple, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir gêner à l’idée de transporter la reine et le roi à bout de bras. Le prince se pencha néanmoins sur les corps pour leur dire :

    -Ne vous inquiétez pas, la princesse va bien. Par contre vous risquez d’avoir une surprise à votre réveil… deux en fait, des toutes petites.

    Soliflane avança pour voir l’autre couple plus en avant. Une jeune fille se tenait juste devant le couple. Les traits fin et les cheveux noirs, elle ressemblait au jeune homme qui se trouvait en tête de file.

    -Je suppose que vous êtes frère et sœur. Excusez-moi, mais comme elle ne le dit pas dans ses carnets... Bon, je m’en doutais un peu au bout d’un moment, mais ce n’est pas pareil de vous voir en vrai.

    Il ne put s’empêcher de sourire, heureux de les découvrir enfin. Les deux amis qui étaient restés près de la princesse toute sa vie.

    -Je crois qu’il est temps de vous réunir.

    Le prince prit le temps de regarder où il se trouvait avant de s’élancer dans les couloirs à l’aveuglette.

    -Pourquoi ?

    Il fronça les sourcils en observant l’endroit d’où il venait et la direction que les quatre personnes avaient prise pour rejoindre la princesse.

    -Pourquoi vous alliez par-là ?

    Soliflane avança dans le couloir et découvrir une petite porte sur la gauche. Il l’ouvrit et vit un escalier qui montait. Le prince l’emprunta pour finir par déboucher dans le couloir près de la chambre de la princesse.

    -Je ne comprend rien du tout à la façon dont vous avez monté ce château, mais soit.

    Il retourna en arrière, pris Elea dans ses bras et repartit par le raccourci. Il installa la jeune fille au sol :

    -Juste un instant, d’accord. Ensuite, je vous trouverai quelque chose de plus confortable.

    Le prince retourna chercher Fabor. Le garçon étant plus lourd, il dût se contenter de passer un de ses bras par-dessus son épaule en tentant de le soulever autant qu’il pouvait.

    Soliflane arriva à la chambre en sueur et essoufflé. Il déposa le garçon près de sa sœur puis, repartir chercher coussins, draps et tapis afin de leur faire des couchettes de fortune. Tout en les préparant, il se remit à parler tout seul :

    -Vous me direz sans doute que cela ne change rien, après tout, vous avez dormi près de cent ans sur le sol alors à quoi bon. Eh bien, il vaut mieux tard que jamais. Je suis sûr qu’en vous réveillant, vous serez bien content de les avoir mes superbes couchettes. Parce que oui, elles sont superbes.

    Quand le jeune homme eut fini, il les installa le plus confortablement possible.

    -Voilà, c’est quand même mieux, non ?

    Il se pencha de nouveau sur la princesse :

    -N’ayez pas peur, ça ne veut pas dire que je vais effectivement partir. J’y réfléchis encore. Comme ça, on est moins seuls.

    Le jeune homme se tournait en se disant qu’il ferait bien de refaire une réserve d’eau quand une main diaphane lui tomba sur les yeux.

     

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