• VII - Xutik

    Xutik Razaug

    Rang : Or

    Héritier de la grande famille Razaug

     

    -Elférad ? Hey.

    L'adolescent se secoua en murmurant :

    -Mais c'est pas lui... Ou il a vraiment rien à foutre.

    Xutik lui toucha doucement le bras :

    -Hey, c'est qui qui a des infos ?

    Elférad se tourna vers lui comme s'il le découvrait pour la première fois :

    -Quoi ?

    Xutik pointa de la tête, la porte par laquelle le couple venait de sortir :

    -Les infos ? C'est qui qui les a ?

    -Le deuxième des Cinq. Autant dire que c'est une impasse.

    Il allait sortir, mais Xutik le retint :

    -Tu ne finis pas ton assiette ?

    Elférad revint :

    -Ah, non. J'ai plus faim.

    Xutik nota, alors qu'Elférad vidait son assiette dans la poubelle, que le garçon avait à peine mangé. Pas totalement serein lui non plus. Il se retint de lui demander de rester car il ne voulait pas manger seul. Quand Elférad quitta la pièce, Xutik retourna à son assiette le cœur lourd.

    Sa théorie des rivaux qui auraient voulu l'éliminer pour avoir le champ libre avec Hiloy avait fini par s'effondrer sous l'insistance de Gec-Nüj. Il avait alors eu une nouvelle idée. Lae Cinquième avait monté le coup pour le sauver et qu'il tombe amoureux d'ellui. L’héritier d’or avait déjà vu ça dans des livres. Mais à nouveau, il avait dû faire avec le scepticisme de son ami. Quelques remarques de sa part avait fini par ranger Xutik de son avis. Pourquoi aurait-iel attendu pour venir l'aider ? Surtout, pourquoi aurait-iel fait tuer une fille pour ça ? L'adolescent avait dû accepter l'inévitable. On lui en voulait et il ne savait pas pourquoi.

    Xutik refusait encore l'idée que l'on veuille le tuer, plutôt qu'on avait essayé de le kidnapper pour une demande de rançon. Il avait écrit à ses parents, mais vu le sujet, il n'aurait pas été étonné que la lettre ne soit jamais partie. Ce qui ce passait à l'école, restait à l'école. En fait, le jeune homme avait envoyé plusieurs lettres, changeant la formulation en espérant que l'une d'elle passerait. Il suffisait que ces parents soupçonnent qu'il y ait quelque chose de bizarre pour tenter d'agir.

    L’héritier d’or finit son assiette, fit sa vaisselle et rejoignit les autres dans le dortoir. Indilk et son amie s'étaient installés sur le même lit, tout au fond de la pièce. Elférad s'était allongé, à l'écart, les yeux au plafond, il semblait réfléchir. Xutik se choisit un lit et s'installa pour dormir.

    Il entendit d'autres élèves entrer tandis qu'il cherchait le sommeil, mais ne fit pas l'effort d'ouvrir les yeux pour voir s'il les connaissait. Il ne s'inquiétait pas d'une nouvelle tentative d'assassinat ou d'enlèvement.

    Des trois manières de s'élever, le meurtre était le dernier choisi. Parce que même s'il était réussi, le titre d'héritier revenait à la sœur ou le frère qui restait. Il fallait donc prévoir de se lancer dans une série de meurtre, dans le cas d'une grande famille ayant plusieurs enfants, et les espions en charge de ce genre de besogne n'étaient pas donnés. Pour Xutik, c'était différent. Fils unique, sa mort mettait sa famille en état de faiblesse, mais le clan les soutiendrait et les aiderait à trouver les coupables. Ceux-ci, s'ils étaient découverts, n'avaient aucune chance de survivre.

    C'est pourquoi un assassinat se prévoyait des années à l'avance. Il fallait des alliés au sein du clan visé pour qu'une fois l'héritier abattu, on puisse renverser le clan, prendre la place de la grande famille et que la nouvelle autorité ne soit pas contestée. Un simple assassinat coûtait du temps et de l'argent, aussi, c'est pourquoi Xutik pensait que l'on avait plutôt tenté de l'enlever. Sans doute pour une rançon. De toute façon, si on a tenté de me tuer, ils n'auront pas de quoi le retenter de sitôt.

    Xutik, en revanche, avait de quoi se payer un espion et il ne s'était pas gêné. Une fois que Gec-Nüj réussi à le persuader que le danger était toujours présent. L'adolescent avait trouvé un mot dans son sac, un beau matin, sans qu'il ne sache d'où cela venait, ni quand il avait été glissé là. Un espion lui faisait savoir qu'il prenait en charge sa demande. Dès lors, Xutik avait attendu. C'était l'espion qui entrait en contact s'il y avait besoin, lui qui décidait où et quand ils devraient se rencontrer. Comme ce soir-là. L’héritier d’or était au rendez-vous, il était à l'heure, mais l'espion n'était pas venu. Il avait attendu, longtemps et avait fini par se retrouver enfermé dehors.

    L’adolescent se réveilla un peu perdu et mit quelques secondes à se souvenir qu'il était à l’hôpital. Une infirmière ne tarda pas à entrer :

    -Allez ! Tout le monde debout ! Le réfectoire est ouvert.

    Xutik grogna en battant son drap avec ses pieds pour s'en dégager. Il remarqua vaguement la présence d'élèves qu'il ne connaissait pas et sortit. Le réfectoire était presque vide quand il entra. Le garçon mangea rapidement pour pouvoir rejoindre sa chambre et dormir encore. C'était leur deuxième jour de repos et il préférait être d'attaque pour ce qu'il avait imaginé durant la nuit.

    Finalement, après son repas, il se sentit parfaitement réveillé et décida de ne pas perdre de temps. Son plan était simple. Si Weikom avait les informations, il irait les lui demander.

    -Xutik ! Où tu vas ?

    Il sursauta en entendant Gec-Nüj l'appeler et se retourna pour le voir arriver en courant presque.

    -T'étais où hier ?

    Xutik se décomposa en se rappelant de sa mésaventure de la veille :

    -M'en parle pas. J'avais rendez-vous avec un espion qui n'est jamais venu. Ça commence à me courir qu'on me pose des lapins.

    Son ami le fit revenir au début :

    -Rendez-vous avec un espion ? Pourquoi tu ne m'en a pas parlé ? T'aurais pas dû y aller seul, ça aurait pu être un piège.

    Xutik haussa un sourcil :

    -Je t'en ai parlé... pendant que tu lisais.

    Les épaules de Gec-Nüj s'affaissèrent pendant qu'il prenait un air qui signifiait clairement « sérieusement ? » Xutik se défendit :

    -C'était un rendez-vous avec un espion. Il ne se serait sans doute pas montré si tu avais été là.

    Son ami écarta les bras :

    -Et ça a mieux marché sans moi ?

    -Bah, ça n'aurait rien changé avec.

    Gec-Nüj admit qu'il avait raison :

    -Du coup, on fait quoi ? Si l'espion n'a pas pu venir, c'est que c'est une affaire grave, non ?

    Xutik leva un doigt :

    -Ce n'est pas forcément mon affaire qui est grave. Peut-être qu'il a été retenu ailleurs.

    L'adolescent abandonna l'idée de lui faire comprendre qu'une tentative de meurtre était déjà grave, en sachant qu'il tentait toujours de nier l'évidence.

    -D'accord, on fait quoi ?

    Xutik demanda :

    -T'as mangé ?

    Gec-Nüj secoua la tête :

    -Je te cherchais. On fait quoi ?

    Xutik pointa le buffet du petit-déjeuner :

    -Tu veux pas manger, d’abord ?

    Son ami s'agaça :

    -Après, dis-moi ce que t’allais faire, là !

    Xutik se décida à lui répondre :

    -On part à la chasse aux secondes années.

    -Certains en particulier ?

    Xutik acquiesça :

    -Le deuxième de la hiérarchie des Cinq.

    -Ah quand même.

    -Ouais.

    Ils se mirent en quête du garçon à travers les parcs et les bâtiments. Il aurait été sans doute plus simple d'aller directement à sa chambre, mais ils ne tenaient pas à attirer l'attention sur eux plus que nécessaire. De plus, ils partaient du principe qu'un jour de repos où il faisait beau, ils le trouveraient sans doute dehors.

    -Xutik, attends.

    Ils traversaient les pelouses qui séparaient les bâtiments des classes des dortoirs pour la seconde fois quand Gec-Nüj le tira brusquement derrière un arbre :

    -Qu'est-ce qu'il y a ?

    Il se pencha pour voir ce que son ami pointait du doigt. Hiloy se tenait devant un banc où les Quatrièmes étaient assis. Xutik ne vit pas le problème :

    -Bah quoi ?

    Gec-Nüj garda les yeux sur le trio en répondant :

    -Ça fait un moment que j'y pense, mais tu trouves pas ça bizarre qu'iel s’intéresse à la mort de cette fille ?

    Xutik se souvint du moment où iel était venu.e les interroger. Il s'était aussitôt montré méfiant. En quoi cette fille pouvait intéresser lae Cinquième ? Ce n'était sûrement pas un hasard. Seulement, comme rien de nouveau n'était arrivé, il avait supposé qu'iel avait abandonné, que cela n'avait été qu'une curiosité d'un moment.

    -J'y ai pensé, oui, mais bon. Iel n'a pas l'air particulièrement investie non plus.

    Son ami restait concentré :

    -Ça ne veut rien dire.

    -C'est quoi ta théorie ?

    L'héritier d'argent détacha enfin son regard du trio pour se tourner vers lui :

    -Peut-être qu'iel la connaissait. Peut-être qu'iel veut se venger.

    Xutik fronça les sourcils :

    -Je ne crois pas. Tu ne l'as pas vu le soir où on m'a attaqué. Iel était chamboulé.e, c'est sûr, mais pas au point de laisser penser qu'iel venait de voir une connaissance mourir.

    Son ami insista :

    -Iel joue peut-être très bien la comédie.

    L'héritier d'or resta dubitatif :

    -Mouais. Cette fois, je crois que c'est toi qui déconnes.

    Le garçon ne répondit pas et comme le silence s’étirait, Xutik reprit :

    -Bon, on va pas s'éterniser. On a un seconde année à trouver.

    Gec-Nüj réagit :

    -C'est vrai et qui de mieux pour nous diriger que ceux qui le connaissent.

    Xutik se pencha pour observer le trio. Hiloy peut-être pas, mais c'est vrai que les jumeaux peuvent le connaître. Il fit un pas hors de leur cachette, mais Gec-Nüj le ramena soudainement derrière l'arbre :

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    L'héritier d'or ouvrit des yeux écarquillés de surprise :

    -Bah, je vais leur demander.

    Son ami secoua la tête :

    -Attends. On va voir ce qu'ils font.

    -Comment ça ?

    L'héritier d'argent sourit :

    -Tu ne t'es jamais demandé ce que les Cinq feraient le jour où ils se rencontreraient ? Ils ont tous grandi dans leur coin, en sachant que les autres existaient. Tu ne te demandes pas de quoi ils parlent ?

    Xutik dévisagea son ami d'un air amusé :

    -Pas tellement, non.

    Il se pencha néanmoins pour apercevoir le trio. De loin, il était difficile de dire qu'Oru était une fille. Sa carrure n'aidait pas vraiment. Elle écrivait frénétiquement dans un carnet, ignorant les deux autres qui s’agitaient auprès d'elle. Enfin, Tefpiro s'agitait tandis qu'Hiloy se contentait de rester immobile.

    -De quoi ils parlent à ton avis ?

    Gec-Nüj se concentra quelques instants avant de dire :

    -Je n'arrive pas à entendre ce qu'ils se disent.

    Xutik entendait la voix agacée de Tefpiro et celle, calme et posée d'Hiloy, mais il ne réussit à distinguer aucunes paroles. Oru finit par se lever et présenta son carnet à lae Cinquième qui sourit en lisant. Elle est mignonne quand même. L’héritier d’or sourit :

    -Tu crois que je devrais lae demander en mariage en fin d'année ou j'attends les trois ans. Iel risque de se faire tuer entre temps. Il vaut mieux pas attendre non ?

    Gec-Nüj laissa échapper un grondement entre ses dents serrées et leva les yeux au ciel :

    -Tu ne vas pas épouser lae Cinquième.

    Xutik soupira :

    -Pourquoi faut-il que tu sois si pessimiste ?

    -Iel ne voudra pas t'épouser, c'est tout. On peut s’intéresser à ce qu'il se passe maintenant ?

    L'héritier d'or revint au trio à temps pour les voir se mettre en mouvement. Tefpiro resta un instant en arrière à crier :

    -Ce n'est pas comme ça que doit marcher l'Union !

    Il finit par rejoindre sa sœur et Hiloy. Gec-Nüj saisit l'épaule de son ami :

    -T'as entendu ?

    -Ouais. Ça veut dire quoi à ton avis ?

    Son ami gardait les yeux sur les trois qui s'éloignaient :

    -J'en sais rien, mais si une union se forme entre les Cinq, ça risque de ne pas être bon.

    Xutik trouva qu'il sautait un peu vite au conclusion, mais ne dit rien. Gec-Nüj le saisit par le bras :

    -Viens, on les suit.

    L'héritier d'or se laissa entraîner. Ils avaient peut-être une chance de trouver Weikom. Il fit remarquer tout de même :

    -Ce serait plus simple de leur demander où trouver le Deuxième, non ?

    Son ami contra en répondant :

    -Et s'ils refusent ? S'ils nous mentent ?

    Xutik avoua que c'était une possibilité. Les trois avaient atteints la bibliothèque, le duo sur leur talons. Gec-Nüj passa la porte et se figea. Son ami manqua lui rentrer dedans :

    -Qu'est-ce qu'il te prend ? Pourquoi tu t'arrêtes ?

    -Parce qu'il n'y a plus personne devant.

    La voix à son oreille lui fit faire un bond. Ils firent volte-face pour découvrir le trio qui s'était caché derrière la porte. Tefpiro enchaîna en demandant :

    -Pourquoi vous nous suivez ?

    Xutik et Gec-Nüj échangèrent un regard en se demandant quelle excuse donner quand Hiloy intervint :

    -Je les connais. Ils sont dans ma classe.

    Iel pointa Xutik du menton :

    -C'est lui qui a failli être tué.

    L'adolescent leva les bras :

    -N'exagérons rien. C'était plutôt une tentative d'enlèvement.

    Gec-Nüj se sentit obligé de préciser :

    -Il est dans le déni.

    Tefpiro mit les mains dans les poches :

    -On en a rien à foutre.

    Sa sœur lui envoya un coup de coude, ce qui ne l'empêcha pas de reprendre :

    -Vous êtes là à cause de ce dont on parlait ?

    Xutik demanda innocemment :

    -Vous parliez de quoi ?

    Une ombre passa sur le visage du Quatrième qui incita Gec-Nüj à intervenir avant que son héritier d'or ne se retrouve encastré dans un mur :

    -On n'a rien entendu.

    Tefpiro posa son regard sur lui :

    -Même pas quand j'ai crié ?

    Un coup sur l'arrière du crâne le fit grimacer. Il se tourna vers sa sœur dont il décrypta l'expression :

    -Oui, je sais. C'est ma faute. Mais fallait pas m'énerver. Et au cas où vous auriez des doutes, je suis toujours énervé.

    Guère émue, Hiloy restait focalisé.e sur les deux garçons :

    -Vous avez entendu quand il a crié ?

    Gec-Nüj joua la prudence en avouant :

    -Oui, il a parlé d'une union.

    Il y eut un silence que Tefpiro brisa en soufflant :

    -Voilà, voilà, voilà.

    Xutik se mit en avant :

    -Cette union dont vous avez parlé. Elle doit rester secrète ?

    Tefpiro eut un air soupçonneux :

    -Pourquoi ?

    L'adolescent sourit d'un air innocent :

    -Justement, j'ai besoin d'info.

    Le Quatrième haussa les épaules :

    -Ce n'est pas un secret. Nous avons formé une union, tous les six. Ça ne concerne que nous et ça n'a d'influence sur personne d'autre.

    Gec-Nüj dit avec ironie :

    -On doit, bien sûr, vous croire sur parole.

    Tefpiro eut un sourire mauvais :

    -Je m'en fous que vous y croyez où pas. C'est comme ça.

    Hiloy intervint soudain :

    -Vous cherchez des info sur quoi ?

    Le Quatrième ricana en glissant :

    -Quand je dis « n'a pas d'influence sur les autres », c'est relatif... depuis qu'iel a débarqué.

    Hiloy l'ignora pour répéter sa question à laquelle Gec-Nüj hésita à répondre. Xutik ne s’embarrassa pas autant et répondit franchement :

    -Je veux savoir qui a ordonné mon attaque et pourquoi.

    Tefpiro claqua des doigts :

    -Voilà des questions intéressantes. Bonne chance.

    Il tournait les talons, mais Gec-Nüj prit la relève en s'adressant aux adolescents :

    -On nous a dit que Weikom avait des informations.

    Le Quatrième se figea alors qu'Oru faisait la grimace. Hiloy se tourna vers les jumeaux :

    -Vous connaissez un Weikom ?

    C'est Xutik qui répondit :

    -Weikom est l'héritier du deuxième clan.

    Gec-Nüj reprit la parole, un peu surpris :

    -Attends. Tu es entré dans une union dont tu ne connais pas personnellement tous les membres ?

    Avant qu'Hiloy puisse répondre, Tefpiro intervint :

    -On va arrêter là, hein. Faut qu'on y aille.

    Il allait repartir quand Xutik lança :

    -Vous pouvez nous dire où trouver Weikom ?

    Tefpiro revint :

    -Et si vous engagiez un espion, plutôt ?

    Gec-Nüj reprit la parole :

    -Pourquoi ? C'est quoi le problème avec ce Weikom.

    Il se tourna vers Hiloy en se disant que si iel connaissait la réponse, iel ne rechignerait pas à leur dire, mais lae Cinquième montra son ignorance d'un haussement d'épaule. Tefpiro ne semblait pas disposé à répondre, mais Oru présenta son carnet au garçon. Malgré le regard désapprobateur du Quatrième, Gec-Nüj lut à son ami :

    -Les infos ne sont pas gratuites.

    Il échangea un regard avec Xutik avant de dire :

    -Oui, ça on s'en doute un peu.

    Tefpiro se frotta le front, agacé :

    -Non, ce n'est sûrement pas ce que vous imaginez. Avec lui, c'est info pour info.

    Xutik croisa les bras :

    -Alors quoi ? On lui donne une info, il nous en donne une ? Ça me paraît équitable.

    Oru secoua la tête et son frère précisa :

    -Non, il n'y a que lui qui donne des infos. Mais, il vous en donnera une qui n'aura apparemment rien à voir avec vous.

    Les deux amis furent perplexes :

    -Dans quel but ?

    Tefpiro les pointa du doigt :

    -Ah ha ! Vous saisissez le problème. Personne ne connaît le but de Weikom à part lui-même.

    Xutik ne voyait pas vraiment le problème :

    -Comme tout le monde, non ?

    -Pas vraiment. Les infos qu'il donne ont parfois des conséquences et c'est pas de celles qui font plaisirs.

    Hiloy finit par se tourner vers Oru :

    -C'est pour ça que tu ne m'en a pas parlé ?

    L'adolescente acquiesça. Gec-Nüj, toujours attentif, demanda à lae Cinquième :

    -Tu cherches quelque chose ?

    Hiloy ne chercha pas à dissimuler, en fait, l’héritier d’argent commençait à se demander si cela lui venait même à l'esprit :

    -Je cherche qui a poussé la fille.

    Xutik s'exclama :

    -Toujours ?! On pensait que tu avais lâché.

    Son ami se retint de faire remarquer que le « on » ne concernait que lui et demanda :

    -Et vous avez accepté de l'aider ?

    Tefpiro pointa sa sœur :

    -Elle, oui. Moi, non.

    Xutik nota :

    -Et malgré le fait que Weikom puisse avoir des informations intéressantes, vous préférez faire sans.

    Tefpiro appuya l'affirmation en disant :

    -Oui, il est angoissant à ce point-là.

    Xutik ne tint pas compte de ces paroles et demanda :

    -Vous savez où on peut le trouver, du coup ?

    Les jumeaux échangèrent un regard avant que Tefpiro ne dise :

    -Essayez le couloir du troisième étage de notre dortoir. Celui qui a vu vers les bâtiments des classes. Vous direz pas qu'on ne vous a pas prévenu.

    Gec-Nüj s'inclina avant de partir, forçant Xutik à faire de même. Celui-ci n'était pas habitué à saluer de cette manière. Au fur et à mesure qu'ils approchaient du dortoir des secondes années, Xutik sentit un nœud dans son estomac qui prit de l'ampleur :

    -La vache, j'angoisse trop.

    Gec-Nüj fit de son mieux pour paraître serein, alors que lui-même sentait peser une certaine pression :

    -Pourquoi ?

    -C'est comme si j'allais rencontrer une célébrité.

    Son ami sourit :

    -En même temps, c'est un peu ça.

    Alors qu'ils montaient les marches, Gec-Nüj reprit :

    -D'ailleurs, tant qu'à faire, tu devrais essayer de le draguer lui. Si tu l'épouses, on sera directement numéro deux. C'est quand même autre chose.

    Xutik se mit à réfléchir sérieusement à la question. Seulement... comment on drague les garçons ? Les filles, c'était facile. Des fleurs et de l'argent. Mais nous, on est plus complexe. Il ne se voyait pas offrir des fleurs au Second. Il se tritura le crâne un moment avant de demander :

    -Si un garçon te draguait, il faudrait qu'il t'offre quoi pour que tu t'intéresses à lui ?

    -Un ami intelligent.

    Xutik grimaça un sourire :

    -Comme t'es rigolo.

    Gec-Nüj lui saisit le bras pour l'arrêter :

    -Il est là.

    Ils restèrent figés au bout du couloir à observer l'adolescent accroupi, les bras croisés sur le bord d'une fenêtre. Le brassard jaune et blanc accroché à son bras ne laissait aucun doute sur son identité. Xutik sentait son cœur battre la chamade. Il ignorait pourquoi, mais il était intimidé alors même que Weikom n'avait rien fait. Lae Cinquième et les jumeaux étaient au bas de l'échelle, supérieurs à lui, certes, mais accessibles. Les trois premiers avaient une aura mystérieuse. On les voyait rarement, ils ne se mélangeaient pas aux autres. Alors, se trouver là, en présence du Second, Xutik se sentit privilégié et incroyablement insignifiant.

    Weikom, le menton posé sur ses bras, faisait battre le rythme à ses trois doigts métalliques. Le son attira l'attention des deux garçons qui notèrent que le pouce, l'annulaire et l'auriculaire de la main droite lui manquaient. A la place, des prothèses de métal se mouvaient aussi naturellement que s'ils faisaient partie de son corps depuis sa naissance. Le voyant si inspiré par le paysage, Xutik se demanda ce qu'il regardait, mais cela ne dura qu'une seconde car lorsque Weikom tourna la tête vers eux, il vit que ses yeux étaient fermés par une longue et large cicatrice. Celle-ci lui barrait le visage de la tempe droite à la tempe gauche, maintenant ses paupières closes. Deux autres partaient des coins de sa bouche pour remonter le long de ses joues jusqu'aux coins de ses yeux. Xutik se demanda si l'auteur de ces blessures était le même ou si l'étrange triangle gravé dans le visage du garçon était le fruit du hasard.

    -C'est pour quoi ?

    Xutik sursauta. Il voulut répondre, mais sa voix resta coincée dans sa gorge. Gec-Nüj non plus, ne put parler et le temps que l'un et l'autre se ressaisissent, Weikom s'était levé. Il marcha lentement vers eux, faisant tinter ses doigts métalliques sur le mur. Il reprit de sa voix douce et apaisante :

    -Soyez pas si angoissés. Y a juste à répondre à la question. Y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses.

    Les deux garçons se sentirent rassurés de le voir si disposé à discuter et Gec-Nüj répondit :

    -On vient pour des renseignements. On nous a dit que vous étiez celui qui pouvait nous informer.

    Weikom eut un sourire, un sourire d'enfant qui contrastait avec ses cheveux blancs qui le vieillissait tant :

    -Vraiment ? Qui vous a dit ça ?

    Ne voyant pas de raison de le cacher, Xutik raconta :

    -J'ai entendu parlé de vous par Elférad et c'est Indilk qui lui en a parlé. Ce sont des garçons de notre classe.

    -Je sais.

    Les deux amis échangèrent un regard se demandant l'un l'autre comment il pouvait savoir, mais ils se retinrent de poser la question. Si ce que Tefpiro disait été vrai, alors, la moindre information avait un prix. Et s’il savait, pourquoi nous l’avoir demandé ? Il voulait voir si on dirait la vérité ? Weikom tendit la main :

    -Vos blasons.

    Après l'arrêt du jeu des souhaits, ils avaient pu les récupérer et ce fut un soulagement général. Xutik avait eu l'impression de récupérer son nom. Aussi, l'idée de s'en séparer même pour un instant, ne lui plut guère. Il devinait que c'était pareil pour son ami car il ne fit pas un mouvement pour obéir. Calmement, Weikom expliqua :

    -J'ai besoin de vos blasons pour m'assurer de votre identité. Je vous les rends de suite.

    Il ne vint pas à l'idée aux deux adolescents que Weikom put être en train de leur mentir. Il se dégageait du Second, un air de sincérité et de tranquillité qui pouvait éteindre n'importe quelle méfiance.

    Une fois qu'il eut les deux petits cercles de métal en main, il en toucha la figure centrale. Xutik se demanda s'il lui répondrait sincèrement s'il ne connaissait pas son blason. Après tout, Weikom n'avait aucun moyen de savoir s'il mentait sur son identité. Il n'eut pas à se poser la question trop longtemps car le Second énonça bientôt :

    -Clan Razaug. Xutik de la grande famille Razaug. Gec-Nüj de la famille Moir. L'or et l'argent, est-ce une affaire qui concerne le clan ?

    Il rendit les blasons et Gec-Nüj répondit :

    -On peut dire ça. Xutik a...

    Weikom le coupa en levant la main :

    -D'abord, je dois vous dire que mes informations ne sont pas gratuites.

    Xutik acquiesça :

    -On sait. On nous a dit que vous donniez un renseignement en plus.

    Le Second confirma en ajoutant :

    -Ce renseignement concernera une personne de votre classe. Il ne vous apportera peut-être rien, mais vous serez obligés de l'écouter.

    L'héritier d'or persistait à penser que ce n'était pas cher payé, alors que Gec-Nüj était déjà plus méfiant :

    -Est-ce que des gens de notre classe sont déjà venus vous voir ?

    Weikom sourit :

    -La classe Panthère est très intéressante. Savez-vous que...

    Gec-Nüj s'empressa de le couper :

    -Attendez, vous allez nous donner une info là ?

    Le Second acquiesça :

    -Tu m'as demandé un renseignement. Je te donne l'information en plus.

    Xutik intervint :

    -On sait qu'Indilk est venu vous voir. Sinon, comment aurait-il pu parler de vous à Elférad ?

    Weikom rétorqua :

    -Comme vous, les jumeaux ont pu lui parler de moi.

    Ah, merde, c'est vrai.... Attends, on lui a parlé des jumeaux ? Le Second poursuivit :

    -Néanmoins, il est venu me voir et il m'a payé en écoutant un renseignement que j'avais sur Elférad.

    L’héritier d’or fut tenté de demander quoi, mais il prit conscience que Weikom venait déjà de leur faire payer un renseignement. Gec-Nüj reprit la parole :

    -Xutik a été attaqué une nuit. On voulait savoir si vous saviez par qui.

    Weikom eut une grimace :

    -C'était un espion. On ne peut pas dire que je croule d'information sur eux. En tout cas, je peux confirmer que c'était une tentative d'assassinat et prévu de longue date comme il se doit.

    Les deux amis pâlirent et Xutik fut presser de demander :

    -Mais, est-ce que ça veut dire qu'il y a des traîtres dans notre clan ? Des familles qui ont rallié un autre clan en secret ?

    Weikom leva deux doigts en l'air pour montrer le nombre d'information qu'ils leur donneraient en plus :

    -Je n'ai pas de renseignements sur ce qui se passe à l'extérieur, mais, je serais toi, Xutik, je resterais sur mes gardes durant le Grand Jeu. Ils ne prendront pas un autre espion de sitôt.

    Gec-Nüj demanda soudain :

    -Comment on peut être sûrs que ce que vous dites est vrai ?

    Xutik se rendit compte que la question ne lui était même pas venue à l'esprit :

    -C'est vrai ça.

    Weikom sourit de nouveau :

    -Celle-là, je vous la fait gratuite. Rien. Mais vous pouvez demander autour de vous. Je ne mens jamais.

    Gec-Nüj ajouta :

    -Même si vous ne mentez pas, les informations que vous récupérez sont peut-être fausses.

    Weikom souriait toujours :

    -C'est vrai. Il n'y a pas vraiment de danger à m'écouter de toute façon. Vous pourrez toujours choisir de m'ignorer.

    Xutik se tourna vers son ami qui annonça :

    -Je ne pense pas que nous ayons d'autres questions.

    Il se pencha vers l'héritier d'or pour lui murmurer :

    -C'était une perte de temps.

    Il lui prit le bras en lui faisant signe de la tête qu'ils devraient partir. Xutik allait protester. Même si les informations n'étaient pas intéressantes, ils devaient payer. Il fallut à Weikom, le temps d'un battement de paupière pour se retrouver à leur hauteur, une main pesant sur l'épaule de Gec-Nüj. Xutik sursauta, alors que l'héritier d'argent s'immobilisait, interdit.

    -Vous n'avez pas payé. Que les renseignements que je donne vous avance ou pas, ce n'est pas de mon fait. Vous venez pour savoir ce que je sais, je dis ce que je sais. J'ai fait ma part, faites la votre.

    Sa voix ne trahissait aucune colère ou agacement. Elle était calme et douce, comme à l’ordinaire. Il ne faisait que rappeler les règles à des adolescents qui avaient probablement juste mal entendu. Gec-Nüj n'aimait pas ça du tout. Il secoua l'épaule pour se débarrasser de la main du jeune homme et dit d'un ton grognon :

    -OK, allez-y.

    Weikom n'avait pas arrêté de sourire et si Xutik trouvait cela encourageant, Gec-Nüj commençait à se dire que cela n'annonçait rien de bon. Le Second commença :

    -Saviez-vous que Theaon Miordenne ferait n'importe quoi pour s'élever ? Elle a la folie des grandeurs... en quelques sortes.

    Les deux amis hochèrent la tête. Weikom demanda :

    -Répétez, que je m'assure que vous ayez bien écouté.

    Ils s'exécutèrent, puis le Second reprit :

    -Saviez-vous que Tahiya Treiouze venait de la zone de départ ? Elle a été adoptée par le clan quand elle était petite.

    A nouveau, les adolescents répétèrent ce qu'ils venaient d’entendre et Weikom conclut :

    -Vous pouvez partir.

    Gec-Nüj s'empressa de tourner les talons, mais Xutik eut une idée :

    -J'aurais une autre question.

    Son ami le tira en arrière :

    -Ça va pas ? Qu'est-ce que tu fais ?

    Xutik prit un air malin :

    -Je vais lui demander pour la fille qui est morte.

    L'héritier d'argent le dévisagea sans comprendre :

    -Pourquoi tu veux faire ça ?

    -Parce que ça intéresse Hiloy. Je lui répéterai ensuite, ce que j'ai appris et le tour sera joué.

    Gec-Nüj commençait à perdre son calme :

    -Mais... y a pas de tour à jouer. Iel te dira merci, point barre.

    Xutik s'énerva également :

    -Pourquoi tu réagis toujours comme ça ? Laisse-moi faire, je ne suis pas débile.

    Son ami insista :

    -Mais tu vas payer le prix, par le Roi !

    L'héritier d'or s'écarta :

    -Et alors ? T'as vu les infos que c'est ? Franchement, je vois pas pourquoi t'en fais toute une histoire.

    Avant que le garçon ne puisse protester, Xutik revint vers Weikom :

    -Je voulais savoir qui était la seconde année qui était morte la nuit où j'ai été attaqué.

    -Jouzens Ajerph. Clan Ezihg. Sa famille a pour blason le pic-vert.

    Gec-Nüj s'approcha, curieux malgré lui, d'entendre le renseignement qu'il recevrait en paiement.

    -D'autres questions ?

    Xutik secoua la tête en attendant la suite. Weikom prit le temps de réfléchir un moment avant d'annoncer :

    -Saviez-vous... que dans votre classe, quatre garçons et une... non, deux filles, ne sont pas ce qu'ils prétendent être ?

    Les deux adolescents s'exclamèrent en chœur :

    -Des espions ?

    -Des traîtres ?

    Weikom resta vague :

    -Un peu des deux, un peu d'autre chose.

    Cette fois, Gec-Nüj s'inclina en disant :

    -Merci pour tout.

    Puis, il saisit Xutik et ne le lâcha pas avant qu'ils n'aient dévalé la première volée de marche. Xutik souriait :

    -C'était pas si terrible, finalement.

    Gec-Nüj gronda :

    -Tu trouves ? Tu ne te demandes pas pourquoi il nous a donné ces renseignements en particulier ? Qu'est-ce qu'il a pu dire sur Elférad à Indilk ? Qui sont les espions et les traîtres qui se trouvent dans notre classe ?

    -Il a dit qu'il y avait un peu d'autre chose aussi. Bien que je ne vois pas de quoi il pourrait s’agir.

    Gec-Nüj n'était pas d'humeur à plaisanter :

    -Xutik.

    Celui-ci reprit son sérieux :

    -Oui, d'accord, c'est vrai que ça soulève quelque questions, mais j'ai des infos pour Hiloy et ça, c'est intéressant.

    Son ami le laissa déblatérer sur la façon dont Hiloy allait lui tomber dans les bras après ça. Pour sa part, il restait concerné par les informations que leur avait donné Weikom. Pourquoi celles-là plus que d'autres ? Étaient-elles liées à eux d'une manière qu'ils ne percevaient pas encore ?

    Xutik aperçut Indilk en bas des marches. L'adolescent et Matharia se faisaient face. Très proches l'un de l'autre, les doigts entrelacés, ils se murmuraient des choses à l'oreille. Xutik vit bien à leur expressions qu'ils n'étaient pas en train de se dire des mots doux. Au contraire, le couple semblait soucieux et avait plutôt l'air d'échanger des avis importants.

    Xutik ne chercha pas à leur adresser la parole. Ils ne se connaissaient pas suffisamment pour cela, et passa près d'eux, sans leur jeter un regard. En revanche, Gec-Nüj s'arrêta :

    -Hey, Indilk. Je peux te poser une question ?

    Xutik revint sur ses pas en levant les yeux au ciel. Il ne demanda rien à son ami en sachant très bien qu'il n'agissait jamais sans raison et attendit la suite. Indilk ne sembla pas ravi de les voir :

    -Quoi ?

    Cela ne dérangea pas Gec-Nüj qui demanda :

    -Tu es bien allé voir Weikom, non ? Il t'a donné une info sur Elférad, n'est-ce pas ?

    L’intérêt d'Indilk s'éveilla et il daigna faire face à l'adolescent :

    -Il te l'a dit ?

    -Il n'a pas dit ce qu'il t'avait dit, mais il a dit que cela concernait Elférad.

    Indilk fronça les sourcils :

    -Et vous voulez le détail ? Vous vous intéressez à Elférad ?

    Les deux amis secouèrent la tête et Gec-Nüj raconta leur discussion avec Weikom en épargnant les détails des informations. Indilk croisa les bras :

    -Tu veux en venir où, au juste ?

    -L'info concernant Elférad, c'est ton prix, si j'ai compris. Tu sais pourquoi il t'a donné celle-là et pas une autre ?

    Indilk secoua la tête :

    -Matharia pense que c'est ça qu'il veut, alors j'évite d'y penser.

    Gec-Nüj fronça les sourcils :

    -Il veut quoi ?

    Matharia s'avança pour répondre :

    -Il veut que vous vous posiez des questions sans réponse. A force de vous questionnez, ça va vous prendre la tête et vous finirez par agir et probablement par faire des bêtises. Parce qu'à force de se triturer le crâne sur un problème, on n'y pense plus clairement. Je ne sais pas si je suis très claire.

    Elle jeta un regard en coin à Indilk qui l'approuva d'un signe de tête. Xutik était perdu :

    -Il veut qu'on se pose des questions ?

    Nouveau hochement de tête d'Indilk :

    -Mais pas sur les renseignements qu’on a demandé, il espère nous voir agir à propos de ceux qui ont servi de prix.

    Gec-Nüj réfléchit :

    -Mais, ils n'ont rien à voir avec nous.

    Matharia glissa :

    -Vous êtes sûrs ? On n'a pas fait le rapprochement tout de suite, mais finalement, ce qu'il a dit sur Elférad pouvait être relié à Indilk.

    Xutik insista :

    -Mais nous, ça n'a vraiment rien à voir. Je veux dire... On parle à peine avec ceux dont il a parlé, voir pas du tout.

    Indilk intervint :

    -Ce n'est pas forcément un truc direct. Elférad et moi, on a des frères. C'est tout.

    Xutik haussa le sourcil :

    -C'est tout ?

    -C'est tout.

    Menteur. Il n'avait pas vraiment besoin de détail et il s'en moquait, mais il était clair qu'Indilk ne leur disait pas tout.

    -Qu'est-ce que tu as fait ?

    Xutik dévisagea l'adolescent en se demandant s'il mentirait encore.

    -J'ai demandé à Elférad, l'air de rien. Ça ne m'a rien apporté, mais au moins, je savais que c'était ça.

    Gec-Nüj conclut :

    -Donc, ça ne mène à rien. Les infos qu'il nous donne ne mènent à rien.

    Le couple haussa les épaules en chœur :

    -Pour nous, non, en tout cas.

    Xutik se tourna vers son ami pour savoir s'il pouvait y aller et après un autre moment de réflexion, Gec-Nüj s'inclina :

    -OK, merci.

    Indilk se détourna sans rien dire et les deux amis s'éloignèrent. Xutik lança alors qu'ils sortaient du bâtiment :

    -Alors, t'es content ? Tu te prends moins la tête ?

    Gec-Nüj ne partageait pas sa bonne humeur :

    -Pas tellement, non.

    Il savait que ces questions tourneraient encore et encore, tel que l'avait prédit Matharia.

    -Bon, il faut qu'on trouve Hiloy.

    Gec-Nüj soupira en emboîtant le pas à l'héritier d'or. Xutik était tout excité à l'idée de devenir un héros aux yeux d'Hiloy. Il regagna la bibliothèque en courant.

    Devant l'immensité de la salle, il se tourna vers son ami :

    -On se sépare. Bah, t'es où ?

    Gec-Nüj n'allait pas s'épuiser à courir. Lorsqu'il rejoignit son ami, l'héritier d'or trépignait sur place :

    -Ah bah, quand même. Tu prends à droite, je prends à gauche.

    Il partit aussitôt, sans vérifier que Gec-Nüj obéirait. Celui-ci se mit en marche d'un pas nonchalant. Xutik fit deux fois le tour de l'immense pièce, sans trouver lae Cinquième. Quand il retrouva son ami qui s'était arrêté pour feuilleter un livre qui l'avait interpellé, il lança :

    -Tu l'as vue ?

    Posant un doigt sur ses lèvres avec un air de reproche, Gec-Nüj le réprimanda :

    -Parle moins fort.

    Xutik répéta en murmurant et son ami daigna répondre :

    -Non. Pas vu.

    -Bon, viens.

    Il l'entraîna dehors. Xutik était bien décidé à annoncer ce qu'il avait découvert aujourd'hui même, aussi, il repartit dans une exploration de l'école. Il traversait la cour intérieure du dortoir des premières années, Gec-Nüj sur ses talons quand il aperçut Elférad et son groupe qui s'envoyait un ballon :

    -Ils ont quel âge, franchement.

    Gec-Nüj nota un autre point :

    -Ils ont l'air d'avoir des soucis, eux aussi.

    Aux paroles de son ami, Xutik fit plus attention au petit groupe. Ils s'envoyaient la balle sans conviction, concentrés sur leur discussion et l'adolescent remarqua, qu'en effet, ils avaient l'air soucieux. Mais bon, qu'est-ce que j'y peux moi ? Il reprit ses recherches. Finalement, il découvrit Hiloy dans la salle Panthère de la salle commune. Falibi et Theaon discutaient à une table encore couverte de livres de cours, de cahiers et de stylos, pendant que Rafirin et lae Cinquième jouaient à la console.

    Xutik se rengorgea avant d'appeler :

    -Hiloy ?

    Tous s'arrêtèrent pour le regarder. Il garda les yeux sur Hiloy :

    -J'ai des infos qui pourraient t'intéresser.

    Il ignorait si ses amis étaient au courant de ses recherches et préféra ne pas préciser. Iel le dévisagea un instant, en se demandant s'il allait se décider à parler :

    -Oui ?

    L'adolescent dit alors :

    -En privé, ce serait peut-être mieux.

    Hiloy se leva et comme iel allait le rejoindre, Falibi lui proposa :

    -Tu veux que je vienne ?

    Hiloy eut un sourire qui signifiait « t'inquiètes, je gère », alors que Xutik y lisait un signe encourageant pour leur mariage futur. Ils se contentèrent de se rendre dans un coin de la salle commune qui était peu peuplé. Xutik commença aussitôt :

    -Je suis allé voir Weikom et je lui ai demandé pour la fille, comme ça avait l'air de te tenir à cœur.

    Lae Cinquième ouvrit des yeux ronds :

    -C'est vrai ?

    -Oui. Elle s'appelait... heu...

    Il fouilla sa mémoire, mais le nom lui échappait. Il finit par changer sa phrase :

    -Son blason est le pic-vert.

    Hiloy repassa les blasons dans sa tête avant de supposer :

    -C'est le clan Ezihg, non ?

    Xutik hésita, plus sûr de rien et Gec-Nüj lui souffla :

    -Oui, c'est ça.

    L'héritier d'or confirma et l'adolescent.e demanda :

    -Il t'a donné son nom quand même ?

    Xutik attendit une nouvelle aide de son souffleur, mais celui-ci avait également déjà oublié le nom. Voyant l'embarras du garçon, Hiloy finit par dire :

    -C'est pas grave. Ça fait déjà une sacrée avancée. Merci beaucoup.

    Iel allait rejoindre ses amis quand Gec-Nüj se mit sur son passage :

    -Attends un peu. T'as eu l'info tu ne crois pas que tu devrais écouter ce qu'il a payé pour ça ?

    Hiloy ne comprit pas immédiatement ce à quoi il faisait référence, puis son visage s'éclaira :

    -Ah, tu parles de l'information en plus ?

    L'héritier d'argent acquiesça et iel dit :

    -T'as raison. Dites-moi.

    Xutik haussa les épaules :

    -Comme tu veux...

    Son ami le coupa :

    -Il nous a dit que Theaon voulait s'élever par n'importe quel moyen.

    Xutik l'observa avec surprise :

    -Ça c'était...

    Gec-Nüj le fit taire d'un regard. Hiloy répéta :

    -Theaon, celle de notre classe ?

    Il confirma et lae Cinquième s'éloigna :

    -Merci encore.

    Quand iel passa la porte, Xutik demanda :

    -Pourquoi tu lui a dis ça ? C'était l'info sur les quatre gars et les filles qu'il nous a dit quand j'ai demandé...

    Gec-Nüj en avait assez :

    -Je sais, Xutik, je suis pas idiot.

    L'héritier d'or n'apprécia pas le ton :

    -Hey ! N'oublie pas à qui tu parles.

    Gec-Nüj s'inclina rapidement :

    -Désolé.

    -Explique.

    Le garçon soupira :

    -Cette information n'est pas liée à nous. Par contre, iel, ça peut l'intéresser.

    Xutik restait perplexe. Il réfléchit cependant, pendant un moment avant d'irriter à nouveau son ami. Malheureusement, il ne réussit à faire aucun rapprochement et finit par demander :

    -Pourquoi ça peut l'intéresser ?

    Gec-Nüj fut sincèrement surpris :

    -Bah... Theaon

    Xutik hocha la tête :

    -Oui ?

    Comme il comprit que ce n'était pas suffisant pour lui faire comprendre, il continua :

    -Theaon sort avec Falibi.

    -Aaaaaah, c'est elle, Theaon.

    Gec-Nüj le regarda avec désespoir :

    -Sérieusement ? Tu ne connais toujours pas les gens de la classe ?

    Xutik ne chercha pas à le cacher :

    -J'ai retenu que ceux qui étaient important. Elle n'a pas l'air très influente, donc, non, elle ne m'intéresse pas.

    Son ami se frotta énergiquement le visage pour chasser une envie de hurler avant de reprendre calmement :

    -Theaon est la copine de Falibi, Falibi qui est amie avec... ?

    Xutik comprit soudain :

    -Elle se lie à Falibi pour se rapprocher d'Hiloy.

    Gec-Nüj tapa dans ses mains :

    -Bravo. Et bah, c'est toujours très dur, mais là, ce fut particulièrement éprouvant.

    -Je ne vois pas de quoi tu parles.

    Son ami eut un rire désabusé, puis dit :

    -Je vais me coucher.

    Xutik le dévisagea, éberlué :

    -Déjà ? Il est même pas midi.

    Gec-Nüj soupira :

    -Je sais, mais courir partout, ça m'a crevé, alors je vais faire une sieste et zut.

    Bougon. L'héritier d'or le laissa partir et s'installa à une table libre. Il aurait pu l'accompagner, histoire d'avancer ses devoirs, mais si les jours de repos étaient appelés jour de repos, c'était bien parce qu'on était censé se reposer. De plus, il commençait à se poser des questions.

    Si ce qu'avait dit Indilk était vrai, et aux vues de ce qu'il venait de découvrir sur Theaon, il y avait des chances que ce le soit. Les deux autres renseignements de Weikom devaient aussi être liés à lui. De manière plus ou moins lointaine. Theaon devenait intéressante, puisqu'il s'intéressait à Hiloy. Pour ce qui était des autres, les traîtres ou espions de la classe, et bien, il y avait des chances pour que ce soit lié à tout le monde. Qui n'aurait pas été intéressé par cette information ? D'ailleurs, il faudra que je m'y penche sérieusement, mais d'abord... Que venait faire Tahiya dans cette histoire ? Le fait qu'elle soit adoptée ne changeait rien à sa vie. A moins qu'elle ne soit pas au courant. La seule raison pour laquelle il avait noté l'existence de cette fille était qu'il se demandait comment son cousin pouvait être héritier d'argent.

    Ils étaient de la même famille, du même sang, donc il aurait dû être héritier d'or. Enfin, rien du tout, vu que Tahiya est déjà héritière d'or. L'héritier d'argent venait d'une famille proche de celle du chef, pas de sa famille même. Ce qui avait encore augmenté son désarroi fut de voir que bien qu'ils portaient le même nom de famille, Treiouze, leurs blasons étaient différents. Ils se sont peut-être juste lancés dans le n'importe quoi. Ou alors... il se redressa sous l'effet d'une inspiration soudaine. Tahiya était l'héritière d'or, donc, adoptée par le chef de clan. Mais, c'est peut-être pour ça qu'ils ont un blason différent. Parce qu'elle est adoptée, ils lui ont peut-être interdit de porter leur blason. Il s'affaissa presque aussitôt quand une objection s'imposa naturellement. Bah, non, si c'était ça, ils n'en auraient pas fait une héritière ou alors, d'argent. Maintenant que ces questions lui étaient venues à l'esprit, il n'était pas près de s'en débarrasser. C'est la faute de Gec-Nüj, ça, encore.

    Xutik s’affala sur sa chaise, rêveur, se repassant les événements de la matinée. Quand il se remémora la discussion avec Indilk, un passage se bloqua dans son esprit. Il a demandé à Elférad. Cette pensée resta un instant, avant qu'il ne se lève brusquement :

    -C'est ça !

    Quelques têtes se tournèrent vers lui, alors qu'il se dirigeait vers la sortie. Si je veux me vider la tête, je n'ai qu'à poser la question directement à Tahiya. De cette façon, il pourrait même découvrir en quoi elle lui était liée. Et pour la troisième fois de la journée, il partit en exploration.

    Comme le déjeuner sonna, l'adolescent se rendit au réfectoire en se disant qu'il avait toutes les chances d'y trouver la jeune fille. D'un geste de la tête, il dégagea des mèches de cheveux lichen pour y voir plus clair. La salle était déjà bien remplie et il prit le temps de détailler les occupants de chaque table, debout à l'entrée. L’héritier d’or ne vit ni Tahiya, ni Nsoah, alors il alla se servir puis s'installer de façon à avoir vue sur la porte.

    Gec-Nüj apparut et Xutik se leva en faisant de grands gestes des bras. Son ami, l'air encore endormi, l'aperçut et le rejoignit après s'être servi.

    -Bien dormi ?

    L'adolescent bâilla en haussant les épaules :

    -Et toi, qu'est-ce que tu as fait ?

    Xutik se pencha par-dessus la table pour répondre sur un ton de confidence :

    -J'ai eu une idée.

    Sans surprise, Gec-Nüj répliqua :

    -Bah, merde alors.

    -Je vais demander à Tahiya pourquoi son blason n'est pas le même que son cousin.

    L'héritier d'argent leva la tête pour le dévisager un moment :

    -Pourquoi ? Ça t'avancerait à quoi ?

    Xutik expliqua alors, le cheminement de pensée qui l'avait mené à cette conclusion.

    -Ça se tient. Tu ne l'as pas encore trouvé ?

    -Je guette la porte.

    Il reporta son regard vers l'entrée en espérant qu'il ne l'avait pas ratée pendant qu'ils parlaient. Son ami fit remarquer :

    -En supposant qu'elle n'est pas préférée manger dans une salle commune.

    Xutik se décomposa :

    -C'est vrai, ça.

    Il hésita un moment entre partir ou finir son repas. En même temps, elle ne va pas disparaître.

    -Bon, on mange et on y va.

    Gec-Nüj mâchait avec lenteur, regrettant déjà son lit.

     

    Ils trouvèrent la jeune fille dans la salle commune générale. Tahiya fut bien surprise de les voir s'installer à sa table et quitta son livre des yeux pour les observer :

    -Vous faites quoi ?

    Xutik ne se démonta pas devant le ton agressif de l'adolescente :

    -On doit te parler.

    Son cousin, assis près de la fenêtre, à l'écart, rejoignit la table. Ses yeux naviguèrent sans cesse entre la table, le plafond et la fenêtre. Il ne fixa jamais l'une des personnes qui l'entouraient. Gec-Nüj laissa son ami parler, après tout, c'était son idée.

    -En fait, j'ai une question.

    Tahiya posa son livre, posa les mains sur la table et le fixa droit dans les yeux :

    -Qu'est-ce que tu veux ?

    Il allait parler quand les Enfermements lui revinrent en mémoire. Ce qu'il disait avait tendance à être mal pris et le sujet était délicat. Elle ne sait peut-être pas qu'elle a été adoptée, pensa-t-il de nouveau. L’adolescent devait être prudent où elle se contenterait de partir après lui avoir mis son poing dans la figure. Il aurait probablement dû réfléchir à une manière délicate de poser la question avant de lui adresser la parole.

    -Tu te décides ?

    -Alors, voilà...

    L’héritier d’or s'arrêta, jeta un regard à Gec-Nüj qui rêvassait et comprenant qu'il n'aurait aucune aide de ce côté, il se lança :

    -J'ai entendu dire que... peut-être... tu aurais... été adoptée....

    Il se crispa, attendant le coup, mais Tahiya se contenta de l'observer en attendant la suite :

    -Et alors ?

    Il retint un soupir de soulagement et allait continuer quand Nsoah intervint :

    -C'est ma cousine.

    Surpris, Xutik posa un regard interrogateur à Tahiya qui l'ignora :

    -C'est quoi ta question ?

    -C'est ma cousine.

    La nouvelle intervention de Nsoah coupa Xutik dans son élan. Tahiya fit claquer sa langue contre son palais et l'adolescent sourit, posa un doigt sur ses lèvres, tout en continuant de fixer le plafond. Xutik attendit quelques secondes pour s'assurer qu'il n'avait pas l'intention de reprendre la parole, mais ce claquement semblait l'avoir intimé au silence.

    -Je voulais savoir... Tu as été adoptée par le chef de clan, vu que tu portes l'or. Alors, comment se fait-il que ce soit ton cousin qui porte l'argent et que vous n'ayez pas les mêmes blasons ?

    Tahiya haussa les sourcils :

    -Rien que ça. Pourquoi ça t'intéresse tellement tout à coup ?

    Xutik avoua qu'il n'avait pas de raison valable de poser ces questions :

    -J'ai parlé à quelqu'un qui m'a dit que tu avais été adoptée et de fil en aiguille, j'ai commencé à me poser des questions.

    -Qui ?

    L'adolescent bloqua :

    -Qui quoi ?

    Elle se pencha par-dessus la table, le fixant intensément :

    -Personne ne sait que j'ai été adoptée. Alors, qui te l'as dit ?

    Xutik hésita. Pouvait-il parler de Weikom ? A aucun moment, celui-ci ne leur avait demandé de garder le secret, donc... Gec-Nüj vint à son secours :

    -C'est le Second. Weikom Qorlia.

    Tahiya se rejeta en arrière, faisant balancer sa chaise sur ses pieds :

    -Le Second ? Comment il sait ça lui ?

    Les deux garçons haussèrent les épaules. Xutik reprit d'un ton sec, pressé d'avoir ses réponses :

    -Il le sait, c'est tout. Tu veux bien répondre ?

    Elle l'observa avec dédain :

    -J'ai pas envie, c'est tout.

    L'adolescent resta bouche bée. T'as encore merdé. Il était clair que pour elle, la discussion était close. Il fallait qu'il trouve un moyen de la relancer. Il choisit de s'écarter légèrement du sujet :

    -Indilk pense que les informations données par Weikom sont liées par un moyen ou un autre à la personne qui les demande.

    Tahiya se remit à se balancer sur sa chaise en répondant du tac au tac :

    -Et tu lui as demandé quoi, toi ?

    -C'est privé. Mais le fait qu'il m'ait parlé de toi, voudrais dire qu'on est lié...

    Elle le coupa :

    -Et tu te bases sur... ?

    Il répéta en se forçant à contrôler son agacement :

    -Indilk pense...

    -Indilk n'en sait pas plus que toi. Il suppose, tout comme toi.

    Xutik ne trouva rien à répondre à cela. Il réalisa soudain que Tahiya savait à présent qu'il était allé voir Weikom pour des renseignements, tandis que lui n'avait toujours pas de réponse à ses questions. Il la vit se pencher pour récupérer son livre, mettant un terme définitif à la conversation. Merci, au revoir ? Je ne crois pas. Il avança le bras pour lui arracher le livre des mains quand un étau se referma sur lui. Son bras fut plaqué sur la table et une douleur le traversa qui lui arracha une grimace. Gec-Nüj s'était levé dans la seconde pour venir au secours de Xutik, mais Tahiya fut encore plus rapide. Bondissant devant son cousin dont la main broyait le bras de l'héritier d'or, elle pointa un doigt menaçant sur Gec-Nüj :

    -Ne le touche pas !

    Le ton vibrant de colère incita l'adolescent à obéir. Xutik se demandait comment un garçon comme Nsoah pouvait avoir autant de force. Il n'était pas particulièrement gringalet, mais tout de même. L’héritier d’argent n'avait même pas l'air de faire le moindre effort. Il fixait un coin de la table avec la plus grande tranquillité. Putain, je passe vraiment une année de merde. Cette pensée soudaine le fit éclater de rire. Gec-Nüj en profita pour proposer :

    -Et si on se rasseyait, tranquillement ?

    Tahiya ne chercha pas à argumenter et regagna sa place. Elle claqua la langue et son cousin lâcha Xutik. Celui-ci se massa le bras en continuant de sourire :

    -J'ai vraiment pas de bol quand même.

    Pour la première fois, Tahiya sourit avec compassion :

    -Oh, toi aussi. J'ai pas vraiment de chance non plus.

    Xutik vit une ouverture :

    -Ah oui ? Pourquoi ça ?

    -Je veux me relaxer avec un bouquin et on vient me parler. J'étudie comme une malade, mais c'est lui qui chope les bonnes notes. Il a une mémoire d'enfer, ce con.

    Le regard de Xutik dévia vers Nsoah en se demandant s'il réagirait, mais l'adolescent fixait le sol en souriant avec fierté. La jeune fille soupira :

    -Que des trucs comme ça.

    Elle se perdit dans ses pensées et l’héritier d’or tenta de la ramener en disant avec douceur :

    -Tu ne veux toujours pas m'expliquer comment il se fait que vos blasons soient différents ? Cherchez ce qui pourrait nous lier ?

    Tahiya retrouva son air sinistre pour répondre :

    -Non. Je te le dis, rien ne nous relie. Ce n'est qu'une théorie d'un gars qui n'a pas vraiment de preuves solides.

    En fait, Xutik savait qu'elle n'avait pas tort. Indilk et sa copine avait déduit cela de l'information qu'ils avaient eu, mais c'était peut-être juste le fruit du hasard. Pareil pour Theaon. Il dit des trucs au hasard en espérant qu'on se prenne la tête. Il resta les yeux dans le vague à réfléchir à la question.

    -Je ne vous raccompagne pas.

    Xutik sortit de sa rêverie :

    -Mm ?

    Sans lever les yeux de son bouquin, Tahiya pointa la porte du doigt. L'adolescent se leva sans rien ajouter, mais Gec-Nüj prit le temps de s'incliner pour saluer. Alors, qu'ils se dirigeaient vers la sortie, Xutik plaisanta :

    -Dis-moi, sincèrement, t'a pas mal au dos à force de faire des courbettes ?

    Le garçon lança un regard noir à son héritier d'or :

    -Il faut bien qu'il y en ait un qui sache où est sa place.

    -Ouuuh, toujours grognon.

    Gec-Nüj soupira :

    -Je peux pas dire que je dorme très bien avec ce qu'il t'est arrivé.

    Xutik lui fila un coup de coude :

    -Tu t'angoisses trop.

    -Et toi, pas assez. Sérieusement, tu ne saisis vraiment pas à quel point c'est grave, ce qu'il s'est passé ?

    Son ami haussa les épaules :

    -Je ne vois pas ce que ça changerait. Il est clair qu'ils n'auront pas les moyens de tenter quoique ce soit avant le grand jeu, donc, bon...

    Gec-Nüj plissa les yeux :

    -Donc, tu veux attendre qu'ils te tombent dessus pendant le grand jeu ? Ça me paraît pas malin.

    Xutik prit un air suffisant :

    -Non, parce que j'ai une nouvelle idée.

    L'adolescent ne cacha pas son découragement :

    -Encore ? Tu veux pas qu'on se pose, tranquille ?

    L'héritier d'or répliqua :

    -Plus vite on aura trouvé qui se cache derrière tout ça, plus vite on dormira.

    Gec-Nüj se rendit à cet argument :

    -OK, c'est quoi l'idée ?

    -On va... aider Hiloy.

    Xutik laissa son ami réfléchir à la magnificence de cette suggestion, mais celui-ci finit par demander :

    -Mais, c'était pas déjà ton idée en demandant pour la fille à Weikom ?

    Le garçon corrigea :

    -Ah non, là, je donnais juste une info. Maintenant, je vais l'aider jusqu'au bout. Je vais l'accompagner, l'aider à fouiller, à interroger.

    Gec-Nüj admit :

    -C'est vrai qu'en trouvant qui a tué la fille, on trouvera probablement qui s'en est pris à toi.

    Xutik sursauta :

    -Et tu n'y avais pas pensé ? C'est étonnant, ça.

    Son ami gronda :

    -C'est pas avec ce que je dors que je garde mon cerveau frais.

    Xutik fit remarquer :

    -Ouais, mais ça fait un moment quand même.

    Gec-Nüj lui jeta un regard noir :

    -Et quelle est ton excuse pour que ça te vienne que maintenant ?

    L'héritier d'or se mordit la lèvre, ne trouvant rien à répondre. Ils étaient de nouveau dans le parc de l'école et s'arrêtèrent un moment pour observer les alentours.

    -Si on suppose qu'ils continuent de chercher, Hiloy sera dans le dortoir des secondes années.

    Xutik acquiesça tout en se mettant en route. Il fut soulagé de ne pas avoir à courir partout quand il découvrit Hiloy et les jumeaux assis sur les marches de l'escalier menant au premier étage. Il soupçonna que le soulagement était partagé quand il entendit son ami soupirer. Xutik s'avança d'un pas résolu.

    Tefpiro, allongé sur les marches, appuyé sur les coudes, le vit venir en souriant :

    -Mais qui revoilà ?

    Gec-Nüj s'inclina, mais Xutik se préoccupa avant tout de dire à Hiloy :

    -On vient t'aider.

    Lae Cinquième passa son regard de l'un à l'autre :

    -M'aider ?

    -Pour la fille.

    Tefpiro se mit à rire :

    -Toi non plus tu ne sais pas quoi faire de ta journée ?

    Gec-Nüj intervint :

    -Pardon, mais j'avais compris que tu ne voulais pas participer à cette recherche.

    Tefpiro pointa sa sœur :

    -Je suis interprète.

    Xutik crut bon de faire remarquer :

    -Elle peut écrire. On l'a vu tout à l'heure.

    -Ouais, mais le temps qu'elle écrive, la discussion a changé de sujet. Ça la soûle.

    Oru tapota la pierre et son frère répliqua :

    -Oui, moi aussi. Je t'aime gros comme ça.

    Il se redressa pour montrer un écart entre ses mains qu'il observa avec un regard critique, éloignant et rapprochant les mains comme s'il ne savait pas quelle distance choisir. Xutik l’ignora pour se concentrer sur Hiloy :

    -Alors ? Vous avez pu avancer avec ce que je vous ai dit ?

    Tefpiro ricana de nouveau :

    -Ils ont un plan d'enfer.

    Oru lui jeta un regard noir et Hiloy répliqua :

    -On t'a déjà dit qu'on n'irait pas se promener en demandant à tout le monde qui passe...

    Il lae coupa :

    -Oui, oh, l'autre plan n'est pas mieux.

    Avant que Xutik ne put poser la question, Hiloy répondit en s’adressant toujours à Tefpiro :

    -On sait déjà que Weikom ne la connaissait pas ou il l'aurait dit à Xutik. Qu'est-ce que ça coûte de demander à Onfionne ?

    Oru grimaça et son frère leva un doigt :

    -Premièrement, ne présume jamais que Weikom t'a tout dit si tu ne sais pas la question qui lui a été posée.

    Il leva un second doigt :

    -Deuxièmement, Onfionne n'aidera pas à moins que tu ne sois disposé.e à retourner à l’hôpital.

    Hiloy se tourna vers Xutik qui fut surpris de cette attention soudaine :

    -C'était quoi la question que tu as posé, exactement ?

    Le garçon fouilla sa mémoire avant de répondre :

    -Un truc du genre : Est-ce que vous savez qui est la fille qui est morte ?

    Il chercha confirmation auprès de son ami qui réfléchissait encore. Celui-ci finit par dire :

    -Je crois que c'était plutôt : je veux savoir qui est la fille qui est morte... non ?

    Xutik haussa les épaules, mais Tefpiro reprenait déjà la parole :

    -Que ce soit l'un ou l'autre, à aucun moment il n'a dit qu'il connaissait la fille ou pas. Donc...

    Hiloy se leva :

    -Donc, on va voir Onfionne.

    Oru suivit le mouvement et ils se mirent en marche vers la cour intérieure. Tefpiro se leva juste pour lancer :

    -Moi, je reste là. Je vous préviens.

    Xutik ne comprenait pas vraiment ce qui était en train de se passer, mais il suivit Oru et Hiloy, Gec-Nüj derrière lui.

    Assis dans un coin de la cour, le Troisième semblait dormir. Cependant, il se redressa en les entendant approcher :

    -Vous avez fini de discuter ?

    Hiloy lança :

    -On est d'accord. Un duel et tu réponds à notre question.

    Onfionne se leva d'un bond :

    -C'est ce qui est convenu.

    Oru donna un coup de coude à lae Cinquième et lui présenta une feuille :

    -Que l'on gagne ou que l'on perde. On est d'accord ? On aura la réponse peu importe l'issue du duel.

    Onfionne alla se placer au centre de la cour :

    -Peu importe l'issue, juré.

    Xutik observa sans rien dire. Il sentait bien qu'il n'avait pas vraiment sa place dans ce qui se déroulait là.

    -Alors ? Qui combat ? L'une de vous ou un de ceux là ?

    Ils se tournèrent vers Xutik et son ami, réalisant leur présence, seulement à cet instant. Hiloy allait se porter volontaire, mais Oru fit un pas en avant.

    -T'es sûre ? Ton frère va pas être content du tout.

    Oru fit un large sourire en levant les pouces en l'air. Onfionne semblait également ravi :

    -Ah, du nouveau.

    Xutik se pencha vers Gec-Nüj :

    -On va assister à un duel entre les Cinq là ?

    Son ami hocha la tête :

    -Tu crois que je peux prendre des notes ?

    Lorsque le duel commença, les deux garçons restèrent bouche bée. Les duels à mort étaient très rares. La plupart du temps, c'était jusqu'à l'abandon d'un des participants. De plus, ce moyen était plus utilisé pour régler un conflit, aussi léger soit-il. Leurs petits duels d'écoles communes n’étaient qu’un entraînement comparés à ceux aux conséquences plus lourdes de l'école des héritiers. De manière générale, ils n'étaient pas pressés de défier qui que ce soit pour prendre sa place. Avec cela en tête, Xutik avait assisté à des duels qui tenaient plus du jeu qu'autre chose.

    Ce qu'il avait sous les yeux était d’un autre niveau. Les coups n'étaient pas retenus, les déplacements étaient précis. Je ne crois pas qu'un héritier est la moindre chance contre eux. Du moins l'un d'eux. Il jeta un regard en coin à Hiloy en se disant qu'iel n'était probablement pas du même niveau.

    -Ça a l'air assez serré.

    Xutik reporta son regard sur le duel. Oru avait réussi à porter quelques coups, mais à présent, elle se tenait en défense alors qu'Onfionne enchaînait les siens.

    -Elle a perdu.

    Xutik se tourna vers Hiloy :

    -C'est peut-être un peu prématuré. Elle tient encore debout.

    Les bras croisés, lae Cinquième secoua la tête :

    -Non, si elle tente d'attaquer, il l’assommera.

    L'adolescent ne prêta pas vraiment attention à son avis. Iel n'avait probablement jamais combattu de sa vie. Pourtant, quelques instants plus tard, la situation n'ayant pas évolué, Oru se laissa tomber sur les genoux, tête basse en signe d'abandon. Hiloy n'attendit pas :

    -Alors ? Le blason pic vert...

    Il la coupa pour répondre :

    -Connaît pas.

    Puis, il quitta la cour. Hiloy tendit une main à Oru pour l'aider à se relever :

    -Bon, on est pas plus avancées. Tu veux aller à l’hôpital ?

    Oru fit jouer sa mâchoire pour vérifier son état, essuya son nez qui saignait puis leva un pouce en l'air.

    -T'es sûre ?

    La Quatrième hocha la tête. Xutik approcha :

    -Alors ? Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

    Ils entendirent de lents applaudissements et Tefpiro entra dans la cour :

    -Voilà, vous êtes contents ?

    Hiloy répliqua :

    -On peut demander au Premier.

    Xutik s'empressa de dire :

    -On peut venir avec vous.

    Gec-Nüj le retint :

    -Je ne voudrais pas jouer les rabats-joie, mais on a un club ce soir quand même.

    Hiloy voulut les rassurer :

    -C'est bon. Vous pouvez y aller. On va se débrouiller.

    Xutik fut déçu qu'iel n’insiste pas pour qu'ils les accompagnent, mais son ami le tirait déjà vers le bâtiment. L'héritier d'or prit le temps de lancer :

    -Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas, hein.

    Gec-Nüj le lâcha une fois qu'ils eurent quitté le dortoir des secondes années.

    -Pourquoi tu fais ça ? C'est pas tout de suite, le club. On avait encore le temps.

    Son ami répondit :

    -Franchement, Xutik, ouvre les yeux. Ils n'ont pas besoin de nous.

    Xutik insista :

    -On ne sait jamais. Peut-être qu'à un moment, on aurait pu être utile.

    L'héritier d'argent préféra ne pas répondre.

    -On a quoi comme club ce soir ? Sabre ou tir à l'arc ?

    -Tir à l'arc.

    -Cool.

     

    Une partie du parc fut aménagée pour l'activité. Des cibles furent placées à des distances différentes. Xutik se rendit directement près des arcs et des flèches. Il en prit un pour l'admirer quand son regard tomba sur un garçon qu'il connaissait :

    -Hey, Citseko !

    L'adolescent leva sur lui ses yeux aux trois couleurs. Il le reconnut et s'inclina, avant de se détourner, mais Xutik le rejoignit :

    -Où est Meb ?

    Citseko pointa une direction du doigt et Xutik aperçut l'héritier d'or entouré de trois autres garçons.

    -Ah, il a toujours su se faire des relations, lui.

    Gec-Nüj les rejoignit :

    -Alors, Citseko ? Comment va l'année pour vous ?

    Le jeune homme dévisagea les deux amis en se demandant ce qu'ils pouvaient bien lui vouloir :

    -Bien.

    Xutik n'aimait pas tellement le garçon. Enfin, ce n'est pas que je ne l'aime pas, c'est plutôt qu'il fait partie des insignifiants. Il savait que Gec-Nüj partageait son avis. En tant qu'héritier d'argent, il tenait plus de l'esclave qu'autre chose et cela était répugnant.

    -Comment est ton niveau de tir à l'arc ?

    Citseko restait méfiant :

    -Tu as besoin de quelque chose ?

    Celui-ci sourit :

    -Non, je discute.

    L'adolescent resta silencieux un instant avant de se décider à répondre :

    -Je m'en sors.

    Gec-Nüj demanda l'air de rien :

    -C'est vrai ? T'es là par passion, alors ?

    -Meb voulait en faire.

    Xutik rit :

    -Enfin, Gec-Nüj, c'était évident. Si Meb veut faire du tir à l'arc, tout le monde doit faire du tir à l'arc.

    -C'est quoi ton problème exactement ?

    Xutik fit volte-face pour tomber nez à nez avec Meb :

    -On discutait avec Citseko. Il faut bien l'occuper pendant que tu fais ta vie.

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