• Attablé devant son petit-déjeuner, Elférad, la joue au creux de sa main, tentait de garder les yeux ouverts en fixant son bol.

    -Ça s'est passé comment ?

    Il se redressa pour répondre à Lyert :

    -Bof, pas super.

    Matior répliqua avec ironie :

    -Tu t'attendais à mieux ?

    Son ami retourna contempler son bol. Ce fut Neghttris qui rompit de nouveau le silence pour demander :

    -Il est où, là ?

    Elférad haussa les épaules :

    -Je sais pas. Je crois qu'il boude.

    -T'as quand même le droit de savoir où il en est. Il t'a dit quoi ?

    L'adolescent quitta son bol pour poser son regard sur Neghttris :

    -Rien. Qu'il galère un peu, mais qu'il n'a pas besoin d'aide.

    En vérité, Elférad se demandait si la mauvaise humeur de Gzadien tenait du fait de leur discussion ou s'il était vexé de ne pas pouvoir avancer tout seul.

    -Bon, ça suffit.

    Elférad se secoua, ébouriffa ses cheveux châtains et se leva. Ses amis le regardèrent avec des yeux ronds :

    -Bah, qu'est-ce que tu fais ?

    L'héritier d'or répondit avec détermination :

    -Je vais enquêter aussi.

    Les trois garçons se levèrent aussitôt :

    -Attends, on vient.

    Elférad les arrêta d'un geste du bras :

    -Non, non. Je m'en occupe.

    Neghttris lui lança un regard plein reproche en disant :

    -Parce que ça marche si bien pour Gzadien.

    Elférad pinça les lèvres à la recherche d'une parade, mais il finit par lâcher :

    -En route.

    Lyert se mit à la hauteur de son ami :

    -On va où précisément ?

    -Voir le crétin.

    Neghttris était sceptique :

    -Tu crois qu'il peut être utile ? Je ne pense pas qu'il ait quoi que ce soit d'intéressant à nous dire.

    Elférad admit que c'était vrai :

    -Mais c'est le seul point de départ que j'ai.

    Et j'espère juste trouver l'inspiration en cours de route. Ils tombèrent sur l'héritier d'or qui descendait manger. Ils le saisirent au passage et le forcèrent à remonter les marches. Il ne tarda pas à geindre :

    -Mais... qu'est-ce que vous faites ? Vous allez m'assassiner !

    Neghttris était déjà agacé :

    -Ça t'épuise pas la parano, non ?

    Ils le ramenèrent à sa chambre. Lyert récupéra la clé dans sa poche et ils entrèrent. A peine relâché, Dorase alla se réfugier sur son lit. Elférad se demanda en quoi cela pouvait le protéger, mais déduisit qu'il n'y avait pas de raison logique à son comportement.

    -Bon, machin, on reprend. Reparle-moi des lettres, des livraisons, et tout le reste.

    L'héritier tenta d'une voix faible :

    -Je m'appelle...

    Elférad croisa les bras en disant avec autorité :

    -J'ai oublié et je m'en moque. Les lettres, grouille.

    Avec angoisse, l'adolescent répéta ce qu'il avait déjà raconté la première fois qu'il avait rencontré le couple. Comment on lui avait confié les lettres, comment il avait utilisé son héritière d'argent pour les livrer. Au fur et à mesure que son récit progressait, Elférad comprit avec certitude qu'il ne découvrirait rien de nouveau. Quand il se tut, Neghttris demanda :

    -Gzadien est revenu te voir ?

    Ah bah, oui, c'est vrai ça. Après tout, si c'était son point de départ à lui, il y avait des chances pour que Gzadien se soit dit la même chose.

    -Oui, mais ça fait un moment.

    Elférad reprit la parole :

    -Qu'est-ce qu'il t'a demandé ?

    -Pareil, mais j'avais rien de plus à dire, moi.

    Matior tenta :

    -Est-ce que tu sais où il est allé ensuite ?

    Dorase secoua frénétiquement la tête :

    -Je l'ai pas suivi, je vous le jure.

    Ils réfléchirent un instant, puis Lyert insista :

    -Tu es sûr que tu lui as dit les mêmes trucs ? Mots pour mots ?

    -Peut-être pas mot pour mot, mais....

    Neghttris se tourna vers Elférad :

    -Ça sert à rien.

    Yep et j'ai pas plus d'inspiration. Il observa un instant l'héritier recroquevillé sur ses couvertures avec, une nouvelle fois, la certitude qu'il ne leur cachait rien. Elférad quitta la chambre sans rien ajouter. Ses amis s'empressèrent de le rejoindre. Il entrait dans sa chambre quand Neghttris demanda :

    -Tu vas faire quoi maintenant ?

    Elférad se mit à fouiller le bureau de Gzadien :

    -Je vais revoir les lettres.

    Il sortit le tas soigneusement rangé dans l'un des tiroirs et les distribua à ses amis qui commencèrent à lire, assis par terre :

    -Peut-être qu'on va voir d'autres détails depuis le temps qu'on ne les a pas lu.

    Ils lurent encore et encore sans rien noter de nouveau. Au final, Neghttris remit ses lettres dans le tiroir :

    -Ça sert à rien.

    Les trois autres soupirèrent en reposant les feuilles qu'ils étaient en train de lire. Lyert s'étira :

    -Gzadien a bien dû trouver un moyen.

    Elférad rassembla les lettres et les replaça comme il les avait trouvé. Matior proposa :

    -On pourrait aller voir à la poste.

    Neghttris répondit :

    -Je ne pense pas. S'il ne semble pas s'inquiéter que l'autre nous raconte ce qu'il sait, c'est qu'il a pris des précautions solides pour qu'on ne le trouve pas si facilement.

    Matior reprit les paroles de Lyert :

    -On revient donc à comment Gzadien a-t-il fait ?

    Elférad qui était resté silencieux, appuyé contre le bureau et plongeait dans ses réflexions, finit par dire :

    -Je sais juste qu'il a écrit à ses parents.

    Neghttris demanda :

    -Tu sais s'ils lui ont répondu ?

    Elférad secoua la tête :

    -Non. Il n'a rien dit.

    Matior se leva :

    -S'ils ont répondu, il a dû mettre la lettre dans son bureau.

    Il approcha, mais Elférad lui bloqua le passage :

    -Non, ça on ne regarde pas.

    Neghttris fronça les sourcils :

    -T'es sûr ? Il peut y avoir des indices. C'est peut-être ça qui l'a débloqué.

    Elférad ne lâcha pas :

    -Lire les lettres qu'on a lu ensemble, OK. Fouillez dans ses affaires privés, non. S'il veut m'en parler, il m'en parlera. En attendant, on fait sans.

    Lyert se leva à son tour :

    -C'est vrai, les gars. Ça se fait pas.

    Neghttris se rendit en disant :

    -OK, mais on fait quoi maintenant ?

    Elférad eut une idée soudaine et alla s'installer à son bureau.

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    Sans répondre à Neghttris, l'adolescent continua d'écrire. Lyert demanda :

    -Tu écris à tes parents ?

    Comme il ne répondait pas, ses amis patientèrent en silence. Quand il eut fini, Elférad relut sa feuille, puis, satisfait, il la plia et la glissa dans sa poche.

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    L'héritier d'or fit face à ses amis :

    -Un détail. Aucun de nous n'a reconnu l'écriture, n'est-ce pas ?

    Neghttris acquiesça :

    -C'est vrai, mais on en avait déduit qu'il la dissimulée.

    Lyert éprouva le besoin de rappeler :

    -Ou elle. On parle que de "il", mais c'est peut-être une fille.

    Matior ajouta :

    -Et ils pourraient être plusieurs.

    Elférad quitta son siège en levant les mains :

    -D'accord, d'accord, mais pour l'instant, j'ai une nouvelle théorie. Si l'on n'a pas reconnu l'écriture, c'est sans doute parce que les lettres sont écrites par quelqu'un que l'on ne connaît pas.

    Neghttris haussa un sourcil :

    -Oui, je pense qu'on en est tous arrivé là tout seul.

    Elférad dressa un doigt avec un sourire en coin :

    -Mais... on n'est pas allé jusqu'à s'imaginer que quelqu'un avait été payé pour écrire ces lettres.

    Un silence accueillit cette nouvelle théorie et l'adolescent en profita pour ajouter :

    -Tu as dit toi-même, Neghttris, qu'il devait couvrir ses traces avec beaucoup de précaution. Alors, forcément, il ne se serait pas risqué à écrire ces messages lui-même.

    Le visage de Neghttris s'illumina alors qu'il comprenait où Elférad voulait en venir :

    -Il a engagé quelqu'un.

    Elférad confirma :

    -Il a engagé quelqu'un.

    Il se leva et sortit de sa chambre. Lyert et Matior restèrent interroger Neghttris :

    -Il fait quoi du coup ?

    Sans répondre, Neghttris courut rejoindre son ami :

    -Tu vas à l'arbre aux espions ?

    Elférad posa un doigt sur ses lèvres :

    -Évite de le crier sur les toits.

    Neghttris jeta un regard alentours pour vérifier que personne n'avait entendu et reprit à voix basse :

    -Tu as de quoi engager un espion ?

    Son ami secoua la tête :

    -Non, mais je tente quand même. Qui sait, peut-être que si l'un d'eux s'ennuie...

    Lyert et Matior les avaient rejoint et le premier le soutint :

    -Qui ne tente rien n'a rien de toute façon.

    Matior ajouta :

    -Ouais, et peut-être qu'il te demandera un service en échange. Un truc pas trop dur.

    Neghttris fit la moue :

    -Ça dépends. Qu'est-ce que tu demandes ?

    Elférad se contenta de sourire d'un air mystérieux. A l'extérieur, à l'écart des bâtiments, se trouvait l'arbre aux espions. Un cercle de terre dans une zone de verdure marquait son emplacement. Lorsqu'Elférad tendit la main, il sentit la présence d'un mur invisible à la limite du cercle.

    -Il y a quelqu'un à l'intérieur.

    Il ne pouvait qu'entrer un par un et en l'absence de témoin. Aussi, il se tourna vers ses amis :

    -Bon, c'est ici qu'on se sépare.

    Neghttris lui posa une main sur l'épaule :

    -OK, tu viendras nous raconter, hein ?

    -Évidemment.

    Ses trois amis s'éloignèrent en lui faisant des signes de la main. Elférad refit face au mur invisible et posa la main dessus en attendant le moment où il pourrait s'y enfoncer. Il dut attendre une minute avant de pouvoir entrer.

    De l'autre côté, une parcelle de métal sortit de terre, le menant droit à un chêne solitaire. L'héritier d'or s'y dirigea en prenant soin de rester sur le chemin. Une fois proche de l'arbre, une cachette s'ouvrit dans le tronc à son attention. Il y glissa son mot et une plaque de métal vint boucher le trou. Seul un espion saurait comment l'ouvrir désormais. Elférad resta un instant pour voir s'il se passerait quelque chose d'autre, mais rien ne se produisit. Lorsqu'il se retourna pour repartir, la passerelle de métal apparut sur sa droite. L'adolescent s'y engagea tout en se demandant où il allait ressortir. Il ne se retrouva qu'à quelques pas de son point d'entrée. En tournant la tête, il eut le temps d'apercevoir le talon de la personne qui entrait à sa place.

    Sans s'en soucier outre mesure, Elférad reprit le chemin du dortoir avant de décider de s’asseoir sur un banc. C'était un jour de repos et il aurait sans doute dû s'avancer dans ses devoirs ou trouver une activité productive à faire avec ses amis. Les connaissant, ça va finir par des jeux de carte dans la salle commune. Le jeune homme sentit un besoin de solitude l'envahir et décida de passer sa journée en solitaire. Il n'avait pas la moindre idée d'où était parti Gzadien et il fit de son mieux pour ne pas y songer. Elférad passa donc sa journée dans la bibliothèque, plongé dans les bandes dessinées et sans même ressentir le besoin de manger.

    Lorsque les lumières furent allumées, il réalisa que la nuit tombait et qu'il devait probablement rejoindre son dortoir avant le décompte. Avec lenteur, le garçon se dirigea vers le bâtiment, mais s'arrêta devant les portes sans en franchir le seuil. Il n'avait pas envie de voir Gzadien ou parler à ses amis. Les mains dans les poches, l'héritier d'or s'assit contre le mur en soupirant et resta à fixer le parc en ne pensant à rien. Il entendit le décompte au loin, puis la fermeture synchronisée des portes et resta encore un moment sans bouger.


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