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Par D-Code le 13 Septembre 2019 à 08:42
Erlhas avait sept ans et ne comprenait pas. Les hurlements de joie des autres enfants l’entouraient, mais il fixait avec appréhension, ceux qui courraient vers leurs pères les bras ouverts. Ils n’avaient donc pas peur que leurs pères deviennent furieux et ne les frappe ?
-Erlhas ?
Il bondit sur ses pieds, saisit son cartable et courut rejoindre sa mère. La jeune femme le souleva de terre pour le serrer fortement dans ses bras. Le garçon fit semblant de ne pas voir le bleu que le maquillage tentait de dissimuler.
-Comment c’était l’école ?
-Long.
Elle rit, un rire étouffé de ceux qui ont appris à se cacher. Sur le chemin du retour, ils marchèrent tous deux, côte à côte, en silence. La grande maison n’était pas loin de l’école et Erlhas adoré ces instants seul à seul avec sa mère, même s’il n’avait rien à dire.
Une fois rentrée, elle lui prépara le goûter et l’aida à faire ses devoirs, comme d’habitude. Puis, il allait jouer dans sa chambre. Il ne s’arrêtait que lorsqu’il entendait la porte d'entrer claquer. Le silence de la maison se brisa soudain et les hurlements commencèrent. Erlhas se figea, fixant avec angoisse, la porte de sa chambre. Il y eut de grands bruits, du verre brisé. Il entendait à peine la voix de sa mère, celle de son père était trop puissante, prenant toute la place. Tout s'apaisa petit à petit et finalement, l'enfant se leva, se glissa dans le couloir et alla s’asseoir au bas des marches. Il vit sa mère arriver dans le salon, en larmes, alors il s'approcha en silence pour qu'elle le prenne dans ses bras. Blottis, ainsi, l'un contre l'autre, face à la fenêtre, ils restèrent immobiles à fixer l'obscurité qui tombée sur le jardin.
La nuit, Erlhas se réveilla sans raison. Cela lui arrivait souvent. Il sortit de son lit, s’approcha de la chambre de ses parents et ouvrit doucement la porte. Il grimpa sur le lit et alla se coucher entre eux. Le garçon ne pouvait pas protéger sa mère des coups. Il savait combien elle souffrait lorsque son père l’enfermé dans la chambre pour aller se défouler sur lui, mais il pouvait faire en sorte qu’il ne la touche pas la nuit. Dormir si près de son père le terrifiait, mais il valait mieux que lui dorme mal, plutôt que sa mère.
Le lendemain, comme à chaque fois, l'enfant se réveilla seul sous les couvertures. Il sentit venir de la cuisine une odeur de chocolat chaud qui le mit en appétit. Il sauta hors du lit et se précipita en bas, sans un regard pour les marques laissaient par les ongles de sa mère sur la porte, quand impuissante, elle entendait son fils pleurer sous les coups de son mari. Après le petit-déjeuner, il fallut se préparer pour l’école.
Erlhas fixait le tableau sans rien y comprendre, puis son regard dévia vers la fenêtre et le ciel bleu. Du mouvement dans la classe, finit par le rappeler à l’ordre. Il s’aperçut qu’un garçon blond se tenait devant sa table.
-Bonjour.
Surpris qu’il lui adresse la parole, Erlhas s’entendit répliquer d’une petite voix :
-Bonjour.
La maîtresse s’approcha d’eux :
-Erlhas ? Tu as entendu ce que je t’ai dit ?
Il baissa les yeux, honteux, alors elle poursuivit :
-Je te présente Sebizan, il vient de changer d’école. Comme nous sommes en milieu d’année, tu vas devoir faire en sorte qu’il se sente bien parmi nous, d'accord ?
Il hocha la tête sans rien dire et le nouveau s’installa à côté de lui. À peine, la maîtresse était-elle retournée au tableau que le garçon s’empressa de demander :
-Tu es fort au foot ?
Gêné, Erlhas jeta un coup d’œil vers sa maîtresse en espérant qu’elle ne l’avait pas entendu. Désireux de couper court à la discussion, il se contenta de faire « non » de la tête, mais le garçon reprit :
-Cool, moi non plus. On n’y jouera pas alors.
Erlhas le fixa en fronçant les sourcils. Le nouveau souriait de toutes ses dents, mais il ne semblait pas à l’aise. Il doit avoir peur. Alors, il se décida à sourire.
Ils s’étaient assis par terre, sur une des marches du préau pour la récréation. En fait, c’est là que Erlhas allait tout le temps rêvasser et le nouveau l’avait suivi.
-T’as toujours était dans cette école ?
Erlhas hocha la tête.
-Moi, avant j’étais dans une école publique. Ici, c’est une école privée, tu le savais ?
Nouveau hochement de tête.
-Moi, c’est mon papa qui a dit à ma maman que je devais venir là, maintenant.
Erlhas se redressa :
-Pourquoi ?
Sebizan haussa les épaules :
-Maman m’a dit qu’il lui a dit qu’il n’accepterait pas qu’un de ses fils, bâtard ou pas, est une éducation déplorable.
-C’est… c’est quoi un bâtard ?
-Maman m’a dit : Un bâtard, c’est l’enfant qui né de l’union secrète d’une douce jeune fille et du dernier des enfoirés.
Erlhas se sentit rougir en entendant l’insulte sortir si naturellement de la bouche du garçon. Celui-ci s’empressa d’ajouter :
-Faut pas le dire, hein ? Que j’ai dit un gros mot. En fait, c’est ma maman qui l’a dit, mais c'était juste pour t'expliquer.
Erlhas sourit, puis dit avec sérieux :
-Elle a pas peur de mettre ton père en colère en disant des trucs comme ça.
-Je sais pas, je connais pas mon père.
-Mais, ta mère lui a parlé ?
-Bah, elle l’a quitté quand elle est tombée enceinte. Elle arrêtait pas de me dire que c’était pas quelqu’un de bien, que si un jour je levais la main sur une fille, elle me mettrait la branlée de ma vie.
Erlhas était choqué et amusé de la manière dont sa mère lui parlait, déjà Sebizan continuait, l’air plus sombre :
-Je crois qu’il a dû faire beaucoup de mal à ma maman.
Erlhas compatit :
-Le mien aussi, il fait du mal à ma mère.
-Et vous partez pas ?
-Je voudrais, mais je sais pas pourquoi, ma mère, elle ne fait rien. Je crois qu’elle a trop peur.
-Tu devrais lui dire que tu veux partir.
-Les histoires de grand ne regardent pas les enfants, m’a dit mon père.
-Pourquoi tu écoutes ce qu’il te dit, s’il est méchant ?
Parce qu’il frappe plus fort pour que ça rentre. Il ne dit rien et Sebizan revint à son histoire :
-Hier, ma maman est rentrée furieuse. Elle m’a dit que mon père nous avait retrouvé et qu’il allait nous ennuyer si on ne faisait pas ce qu’il disait. Alors, on m'a changé d'école.
Erlhas ne tarda pas à se sentir plus à l’aise avec le nouveau. De retour en classe, il osa même parler un peu avec lui alors que la maîtresse leur expliquait un exercice.
Le soir, ils attendirent tous deux sagement l’arrivée de leur mère. Quand une jeune femme blonde apparut au portail, Sebizan saisit la main de Erlhas :
-Viens, c’est ma maman.
La jeune femme fit un signe de la main, souriante en les voyant approcher en courant.
-Maman, lui c’est Erlhas, on est à côté dans la classe.
Elle se pencha pour dire d’une voix douce :
-Bonjour, Erlhas.
Il se sentit rougir et murmura du bout des lèvres :
-Bonjour, madame.
Sebizan reprit de plus belle :
-Tu sais quoi ? Son papa, il est comme le mien.
Erlhas fixa des yeux horrifiés sur le garçon. Non, non, il faut pas le dire. Son cœur se mit à battre violemment. Elle va croire que j’ai menti. Le visage de la jeune femme s'assombrit :
-Vraiment ?
-Oui, il est méchant, il fait du mal à sa maman.
La jeune femme s’accroupit devant lui, approcha la main du visage de Erlhas pour écarter doucement une mèche de cheveux qui lui tombait dans les yeux :
-Tu veux bien me dire ton nom de famille ?
Erlhas hésita, après tout, il ne les connaissait pas vraiment et il n’avait pas le droit de parler aux inconnus.
-Erlhas ?
Il ne cacha pas son soulagement en voyant sa mère arriver et courut vers elle. La mère de Sebizan prit son fils par la main et les rejoignit.
-Bonjour, je suis Jinia Pholarane, la mère de Sebizan. Mon fils vient d’être transféré dans cette école et il semble déjà s’être attaché à votre fils.
Erlhas vit sa mère sourire en saluant à son tour.
-Je suis Fabila Moylin, enchanté.
Le visage de Jinia s’assombrit. Elle les observa l’un après l’autre, avant d'inspirer profondément :
-Et si on prenait un café ?
-Oh, je… pourquoi pas ?
Après avoir acheté leur boisson, elles allèrent s’installer sur un banc près d’un parc d’enfant. Erlhas et Sebizan allèrent jouer. A un instant, Erlhas crut voir sa mère pleurer. Il s’approcha pour voir de quoi il s’agissait, mais il vit la mère de Sebizan la prendre dans ses bras, lui dire quelque chose qui la fit sourire. Alors, il retourna jouer. Elles parlèrent encore longtemps avant de se résoudre à rentrer. Durant le trajet de retour, Erlhas nota que sa mère souriait toujours.
Les jours suivant, les deux mères se virent régulièrement. Erlhas fut souvent envoyé dormir chez Sebizan. Celui-ci vivait avec sa mère dans un appartement minuscule. La seule chambre était celle du garçon, sa mère dormant dans le canapé-lit du salon. L'enfant aimait bien aller chez eux. Pourtant, lorsqu’il se retrouvait allongé près de Sebizan endormi, ses pensées allaient vers sa mère, se demandant ce qu’elle pouvait bien subir durant son absence. Un jour, alors qu'elle l'accompagnait à l'école, il osa demander :
-Maman, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi chez Sebizan ?
Elle s’accroupit devant lui pour lui répondre :
-Bientôt, pour l’instant, il faut que je récolte des preuves pour montrer que l’on ne peut plus vivre avec ton père.
-Mais moi je sais.
-Oui, mais il y a d’autres gens qui pourrait ne pas nous croire.
Erlhas se sentit rougir de colère. Qui osez traiter sa mère de menteuse ? Il ne dit rien et ils se remirent en route. Lorsqu’il aperçut Sebizan dans la cour, il dit rapidement au revoir à sa mère et courut le rejoindre. Sa mère lui avait expliqué la relation entre la mère de Sebizan et son père et qu'il était donc son frère. Erlhas avait été heureux de l'apprendre, mais aussi effrayé, car il ignorait comment il était censé agir. Finalement, le naturel de Sebizan était tel que Erlhas ne se posait plus de question et se laissait aller. Quand on les appelait pour rentrer en classe, il voyait leurs mères s'en aller ensemble en riant. Il était sûr d'une chose, c'est que les choses iraient mieux maintenant.
Un soir, attendant sagement sa mère au portail de l’école, se fut son père qui arriva. Erlhas jeta un coup d’œil vers Sebizan qui jouait avec d’autres enfants et hésita à l’appeler. Il choisit de ne pas le faire. Après tout, il n'y avait pas de raison qu'il subisse une rencontre avec son père. Alors, il rentra sa tête dans les épaules et fixa le sol espérant devenir invisible. Mais, son père s'approcha à grands pas, sans un mot le saisit par le poignet pour l’entraîner à l'écart.
-On peut savoir où ta mère t’envoie dormir ces derniers temps ?
Erlhas garda le silence, même s’il avait voulu parler, sa voix serait restée coincée dans sa gorge. Le ton prit par son père ne présageait qu’une chose.
-Je te pose une question ! C’est pas compliqué, bon sang. T’es pas muet que je sache !
Comme il s’y attendait, la première gifle arriva. Le garçon se retrouva par terre. Les larmes aux yeux, il tenta de s’éloigner en rampant, mais son père le saisit par les cheveux pour le relever. Erlhas sanglota en grimaçant. Il y eut un cri soudain et l’homme se retourna à temps pour voir Sebizan lui foncer dessus. Le garçon lui saisit le bras et le mordit. Leur père gronda, lâcha Erlhas pour frapper son frère. Sebizan tomba en criant et se releva en titubant, les yeux brillant de larmes. Erlhas le rejoignit, le saisit par le bras et ils se mirent à courir. Ils tombèrent sur la mère de Sebizan en retournant devant l'école. D'abord souriante, son visage s'assombrit en les voyant tous deux en pleurs.
-Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Sebizan s’accrocha à la taille de sa mère, tandis que Erlhas cherchait sa mère des yeux.
-Ma… mama… maman…
Il comprit à peine les questions que lui posait la mère de son ami. Il ne réalisa complètement sa présence que lorsqu’elle lui saisit le menton pour voir la marque qui se dessinait sur sa joue.
-Qu’est-ce…
Elle ne finit pas sa phrase, son regard se posant sur l’homme qui s’avançait derrière eux. Elle pâlit, ses mâchoires se crispèrent et elle se dirigea d’un pas décidé vers son ancien amant. La femme lui envoya son sac en pleine figure, faisant suivre par un coup de poings. Surpris par le projectile, l’homme ne put éviter le coup, mais s'empara du bras par la suite pour répliquer à son tour. Les sanglots de Sebizan redoublèrent en voyant sa mère à terre. Erlhas n'arrivait pas à détacher ses yeux du visage enragé de son père. Une silhouette passa près de lui, si vite qu'il ne reconnut pas de suite sa mère se précipitant vers son mari. Elle le poussa violemment en hurlant :
-Tu es malade !! Tu t’en rends compte au moins ?!!!
Erlhas ne se souvenait pas d’avoir déjà vu sa mère dans cet état. Un homme vint au secours des deux jeunes femmes, suivit d’une femme assez âgée. Erlhas se souvint soudain qu’ils étaient revenus devant l'école et que des parents d'élève étaient encore présent. Il se tourna vers le portail et aperçut les visages sidérés et les yeux exorbités qui observaient la scène. L'homme qui était intervenu s'interposait entre sa mère, qui continuait de hurler, et son père. Le garçon n'entendit pas ce qu'ils se disaient, assourdi par ses sanglots et ceux de Sebizan. Son attention fut détournée par des mains douces et fripées qui essuyer ses larmes. Il entraperçut le visage d'un vieil homme, d'autres mains, d'autres voix s'ajoutèrent. Il vit que d'autres tentait de consoler Sebizan sans y parvenir. Une femme rejoignit la vieille femme pour relever la mère de son ami qui semblait encore sous le choc. Sa mère finit par tourner le dos à son père et ce n'est qu'alors que Erlhas remarqua la lèvre en sang et les bleus sur le visage de la jeune femme. Il tendit les bras vers elle et elle le serra fortement en murmurant des mots de réconfort. La mère de Sebizan, une fois debout, essuya ses larmes d'un geste rageur, fouilla dans son sac pour en sortir un carnet. Erlhas remarqua que son père s'éloignait et la mère de Sebizan s'approcha de l'homme qui s'était interposé.
Le reste était flou à présent. Ils s’étaient tous rendus dans l’appartement de Sebizan et sa mère. Ce soir-là, allongé dans le lit avec son demi-frère, Erlhas écouta le silence en se demandant ce qui aller arriver ensuite.
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