• Quatrième battement

    -Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi toi…

    Sans sortir son visage de son oreiller, Erlhas marmonna :

    -Tu me fais les échos maintenant ?

    -Oui oui, répéta Sebizan en baissant progressivement la voix. Je suis ta conscience science science. Il est l’heure l’heure l’heure….

    -Ta gueule, je commence à dix heures aujourd’hui.

    -Oui, mais il y a un problème avec Nouphilo.

    Erlhas se leva en balançant des coups de pieds furieux pour se débarrasser de sa couette.

    -Mais c’est pas vrai, putain de bordel de merde ! Il me laissera jamais dormir çui-là !

    Il trébucha en sortant de son lit, s’empara d’un T-shirt et d’un pantalon qui traînaient, s’habilla en vitesse et demanda en mettant ses chaussures :

    -Il est où cette fois ?

    En relevant la tête, il aperçut Sebizan qui tentait de cacher son sourire derrière sa main.

    -Oh, pu… me dis pas que c’est une blague.

    -Je le dis pas, répliqua son ami avant d’éclater de rire.

    Erlhas se leva en l’informant gentiment :

    -Après la nuit que je viens de passer, tu comprends que je me trouve dans l’obligation de te casser la gueule.

    Sebizan recula pour se mettre hors de portée :

    -Tu n’avais pas quatre gars à envoyer chez le secrétaire général ?

    -Je te hais tellement.

    -J’en pleurerais si j’y croyais.

    A contre-cœur, Erlhas finit de mettre ses chaussures et sortit. Dans le couloir, il jeta un regard vers la porte de Nouphilo en se demandant s’il devait prendre de ses nouvelles ou s’il valait mieux le laissait tranquille. Lorsqu’il l’avait aperçu durant la nuit, l'adolescent avait eu l’air vraiment chamboulé. Aucun doute que la blague des quatre idiots l'avait effrayé. Bon, je suis pas son père non plus. Je vais pas lui demander son état de santé tous les matins, j'ai autre chose à faire. Arrivé en haut des marches, il fit demi-tour pour revenir vers la chambre de Nouphilo. Une vérification rapide de ses poches l'informa qu'il lui restait des bonbons, puis il frappa à la porte. C'est malin et tu vas lui dire quoi exactement ? Je veux pas dire mais depuis hier, tu passes ton temps sur son dos, ça va le soûler. En même temps, il fallait bien que je lui dise pour le secrétaire. C'est vrai que je lui ai déjà demandé cette nuit s’il allait bien mais….

    -Hey, salut.

    Prit de court lorsque Nouphilo ouvrit la porte, c’est tout ce qu’il put dire, mais le garçon sourit :

    -Sebizan m’a fait la même cette nuit.

    -Ah, voilà un sérieux manque d’originalité.

    Puis une autre pensée le frappa soudain :

    -Je te réveille ?

    -Non, je lisais.

    -D’accord… donc, heu… tu n’as pas d’ennui… je suppose, puisque tu n’es pas sorti.

    Nouphilo jeta un regard alentours montrant qu’il ne comprenait pas vraiment ce qu’on lui voulait. Erlhas inspira :

    -C’est Sebizan qui m’a réveillé pour me dire que tu avais des problèmes.

    Il a bon dos Sebizan.

    -Bah non, j’ai pas bougé, j’ai rien fais.

    -Oui, je vois, ça devait être une blague. Sinon ça va ? Je vais prévenir le secrétaire général pour l’incident de cette nuit.

    -Oui, ça va.

    Voilà, maintenant que t’as plus rien à dire, tu vas peut-être la fermer et lui foutre la paix.

    -OK, sois pas en retard pour le petit-déjeuner.

    Sur ces bonnes paroles, Erlhas reprit son premier itinéraire et se rendit au bureau du secrétaire. Il regarda la pendule accrochée pour vérifier l’heure. Huit heures. Sebizan, sale petit bâtard. L'adolescent préférait se rendre en cours sans manger que de perdre une minute de sommeil. Il frappa à la porte et attendit qu’on l’invite à entrer.

    Le secrétaire général posa le stylo qu’il avait en main et fixa sur le jeune homme un regard surpris :

    -Et qu’est-ce qui vous amène de si bon matin ?

    Bonjour à vous aussi.

    -Vous avez tenu à être informé de tous les événements concernant Nouphilo.

    -Oui ?

    -Quatre garçons se sont amusés à l’effrayer cette nuit, j’aurais aimé que vous les convoquiez pour une punition.

    -Vous auriez aimé ?

    Aïe.

    -Ces garçons, qu’ont-ils fais exactement ?

    -Ils donnaient des coups violents sur la porte de sa chambre.

    -Ils sont entrés ?

    -Non, Nouphilo ferme sa porte à clé.

    Le secrétaire se recula contre son dossier et croisa les bras :

    -À clé ?

    Re-aïe.

    -Expliquez-moi pourquoi ce garçon à une clé ?

    -Vu les circonstances de sa maladie, je me suis dit que c’était le mieux, mais je vous ai demandé la permission en début d’année.

    Le secrétaire sembla hésité :

    -Peut-être.

    En même temps jusqu’à hier tu avais oublié son existence, alors bon.

    -Soit, et vous voudriez que je prenne des sanctions contre ces garçons pour avoir frappé à une porte.

    -Ils ont réveillé tout le dortoir, monsieur.

    -Et vous n’avez pas su gérer la situation ?

    -Eh bien, je crois que si. Je les ai calmé et j’ai renvoyé tout le monde dans sa chambre.

    -Bien.

    Un instant, le secrétaire le fixa et Erlhas se demanda s’il était censé ajouter quelque chose, mais il finit par reprendre :

    -Informez-les qu’ils seront en retenue ce soir pendant une heure.

    -C’est tout ?

    Erlhas se maudit aussitôt d’avoir parlé trop vite, à nouveau.

    -Nouphilo frappe les gens depuis le début de l’année et vous n’avez pas jugé nécessaire de venir me voir, ni de prendre des sanctions à son encontre. Je pense que ces garçons seront suffisamment punis.

    C’est pas pareil. Cette fois, il prit garde de ne pas dire le fond de sa pensée.

    -Autre chose ?

    -Non, monsieur.

    -Alors bonne journée.

    C’est cela oui. Erlhas sortit de mauvaise humeur en se promettant de filer une bonne correction à Sebizan dès qu’il en aurait l’occasion.

    Celle-ci se présenta à la récréation du matin. Ayant des options différentes, seul Sebizan avait eu cours, c’était les seuls moments où ils n’étaient pas ensemble, mais Erlhas savait où le trouver. À peine la sonnerie eut-elle retentit qu’il ferma son sac et se précipita dans le couloir. Il se rendit devant la salle de cours où se trouvait son ami et l’aperçut alors qu’il sortait :

    -Sebizan !

    Plusieurs personnes se retournèrent, y compris l’intéressé qui s’empressa de détaler comme un lapin.

    -Reviens ici ! Tu vas me le payer !

    Erlhas lui courut après sans pouvoir le rattraper à cause de la foule d’élève qui se déversait dans les couloirs. Finalement, il le perdit de vue. Arrivé à un escalier, l'adolescent s’arrêta pour réfléchir. Bon, il n’a plus cours avant onze heures que ferait-il ? Draguer ou faire ses devoirs pour cette après-midi. Il pesa le pour et le contre. Sebizan n’était pas aussi nonchalant que les autres le pensé. Il était loin d’être un tombeur et bossait suffisamment pour avoir la moyenne. Sus à la bibliothèque. Il s’y rendit à pas plus modéré au cas où son ami reprendrait la fuite.

    Il ouvrit doucement la large porte de bois et jeta un coup d’œil discret. Ce qu’ils appelaient bibliothèque était en fait une pièce séparée en deux. L’une avait des étagères de métal contenant livres et magazines, l’autre des tables regroupées par quatre pour travailler. Erlhas entra discrètement. Si Sebizan était bien là, il préférait autant être le premier à l’apercevoir. Pourtant, après avoir fait le tour, il dût admettre qu’il n’y était pas. Au dortoir alors. Il sortit de la bibliothèque et prit le chemin de sa chambre en pressant le pas. Il n’aurait pas la patience d'attendre la pause du midi pour lui crier dessus.

    Alors qu’il montait les marches quatre à quatre, il aperçut Nouphilo qui s’était bien collé au mur en l’entendant arrivé. Il passa à côté sans lui jeter un regard, trop concentré sur tout ce qu’il crierait sur Sebizan une fois qu’il lui aurait mis la main dessus.

    -Comment ça s’est passé ?

    Surpris d’entendre le garçon s’adressait à lui, Erlhas se stoppa dans son élan pour lui faire face :

    -De quoi ?

    Nouphilo parut gêné :

    -Heu… le secrétaire, je croyais que tu étais allé le voir.

    -Ah oui, c’est vrai.

    Il redescendit de quelques marches pour se mettre à sa hauteur.

    -Bah, ça c’est pas trop mal passé, mentit-il. Les gars vont avoir une heure de colle.

    -Ok.

    C’est tout ? Pas d’indignation, pas de scandale sur l’injustice de ce monde ?

    -Tu devrais les éviter un bon moment ces deux-là. T’as fini par frappé le mauvais gars on dirait.

    -On dirait.

    Il attendit quelques secondes, mais comme Nouphilo ne semblait pas vouloir ajouter autre chose, il conclut :

    -Bon, j’y vais. Sois sage.

    -OK. Hé !

    Erlhas qui était déjà en haut des escaliers, s’arrêta à nouveau :

    -Oui ?

    -Merci, d’être intervenu cette nuit.

    C’est un petit peu mon boulot mais bon. Erlhas ne dit rien, car le garçon avait parlé avec le plus grand sérieux, comme si cela avait été une chose importante. À bien y regarder, Erlhas le trouva d’humeur plutôt morne, peut-être ne s’était-il pas remis de sa frayeur de la nuit. Espérant l’amusrer, il déclara :

    -Oh, tu sais. C’est pas comme si tu avais été en danger de mort.

    Mais Nouphilo ne rit pas. En fait, il le fixa dans les yeux, avec ce regard si sérieux que Erlhas se sentit tout petit. Ce qui était plutôt perturbant vu qu’il le dépassait d’une bonne tête et que Nouphilo n’était franchement pas très costaud. Celui-ci finit par dire :

    -J’étais en danger de mort.

    Une angoisse étrange saisit Erlhas à ces mots. Le garçon baissa le regard comme soudain honteux de ses propres paroles :

    -Pour moi, je l’étais.

    Puis il disparut dans l’escalier. Erlhas resta à fixer les marches, les mots de Nouphilo résonnant encore dans ses oreilles. La sonnerie le fit sursauter. Quoi ? Déjà ?

    Derrière lui la porte de sa chambre s’ouvrit et Sebizan apparut.

    -Oh, ok, restons calme…

    Erlhas leva les yeux vers lui avant de soupirer et de redescendre les marches pour aller en cours.

    -D’accord, peut-être pas si calme, lança Sebizan en dévalant les marches pour le rejoindre. Qu’est-ce qui t’arrive ? Nouphilo a encore fais des bêtises.

    -Je crois qu’il a vraiment eu la trouille.

    -De quoi ?

    -Cette nuit.

    -Cette nuit ? C’était juste quatre crétins qui cognaient sur une porte. Une sale blague.

    -Juste une blague, c’est vrai, n’empêche que pour lui s’était pas que ça. Sérieusement, tu l’aurais vu à l’instant, il a vraiment pas l’air bien.

    -Il est peut-être malade. Je veux dire une autre maladie, en plus de son truc. Une maladie un peu plus normale, comme un rhume.

    -Un rhume ?

    -Tu devrais l’envoyer à l’infirmerie. Ce sera bien la première fois qu’il y va pour se faire soigner pour une maladie, je veux dire une maladie normale.

    Erlhas ne put s’empêcher de sourire :

    -Crétin.

    -C’est un travail de longue haleine croit moi.

    Cependant, les paroles de Sebizan firent apparaître une question que Erlhas ne s’était jamais posé.

    -Il a des médicaments ?

    -Quoi ?

    -Nouphilo, est-ce que tu l’as déjà vu prendre des médicaments ou un truc du genre ?

    Sebizan réfléchit :

    -Eh bien… je sais que tu le drogues aux bonbons mais sinon…

    Erlhas rit et ils entrèrent dans leur salle de classe.

     

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