• Chapitre 8

    Ils entrèrent dans la large pièce où des gens étaient dispersé sur les différentes tables. Personne ne leur prêta attention quand ils prirent une assiette et qu’un homme y déversa le contenu d’une large marmite. Fripon suivit l’homme qui alla s’assoir à un bout de la pièce. Il n’aurait su dire ce que contenait cette purée, mais elle sentait bien meilleur que tout ce qu’il avait jamais senti jusqu’alors. Il eut une vague pensée pour le bouillon du « au fond du trou » avant d’avaler une large cuillerée. L’homme mangea plus posément et proposa :

    -Tu pourrais rester ici, tu sais. Tu mangerais à ta faim, on t’apprendrait à lire et à écrire. Tu aurais un lit tous les soirs.

    Fripon lui jeta un regard en biais en se contentant de répondre :

    -Comment cela s’est arrêté ?

    -Quoi donc ?

    -L’association, les dirigeants qui coupé les enfants qui ne voulait pas les suivre.

    L’homme fixa son assiette un instant avant de répondre :

    -Il y a eu une sorte de rébellion.

    Fripon ouvrit de grands yeux :

    -Vous y étiez ?

    Il ricana en se contentant de répondre :

    -Il y avait trois garçons, les favoris des dirigeants. C’est eux qui ont décidé de mettre un terme à cette association.

    -Comment ?

    -Cela n’a jamais vraiment été très clair. Les dirigeants ont disparu, c’est l’essentiel.

    Comme il ne semblait pas vouloir en parler d’avantage, Fripon centra la discussion sur l’autre question qui l’intéressé :

    -Mais, l’homme à la canne ? est-ce que ce ne serait pas un des dirigeants qui voudrait recommencer ?

    Le directeur le dévisagea :

    -Pourquoi tuer ceux qui sont déjà à son service ?

    Fripon fourra une nouvelle cuillère dans sa bouche pour éviter d’avoir à répondre.

    L’homme finit par reprendre :

    -Je vais m’occuper de cette histoire. Il te suffit de rester en sécurité ici.

    Fripon parla la bouche pleine :

    -Comment vous allez régler ça ?

    -Je vais parler aux gardes.

    Le garçon n’était pas convaincu, mais néanmoins il hocha la tête.

    -Pourquoi tu ne passerais pas quelques jours ici pour voir comment cela se passe ?

    Fripon dévisagea l’homme avec méfiance avant de hocher à nouveau la tête. Il n’avait pas l’intention de débattre sur cela, bien qu’il n’ait absolument pas l’intention de rester là. Il était clair que s’il voulait que cette histoire se termine, il devrait trouver de l’aide ailleurs. Les gardes ne se dérangeraient certainement pas pour quelques gamins des rues assassinés. L’homme termina son assiette et quitta la table en disant :

    -Resserre-toi tant que tu veux, ensuite tu monteras au premier. C’est là que sont les dortoirs. Les couchettes près des fenêtres devraient être encore libres.

    Fripon le remercia du bout des lèvres. Il n’hésita pas à manger tout son soul, mais se refusa à monter. Il craignait que de goûter au confort d’un lit. Il risquait de ne plus pouvoir repartir. Il quitta donc le réfectoire et sortit directement sans s’arrêter sur le froid qui l’entoure. En levant les yeux vers le bâtiment, il aperçut deux silhouettes découpaient à une des fenêtres de l’étage. Elles semblaient l’observer, à moins que les deux hommes ne lui tournent le dos. Comme elles ne bougeaient pas, Fripon préféra ne pas s’attarder et se mit à courir vers la maison de Jolie-main.

    Personne ne se trouvait dans la petite pièce et la porte ne bougea pas quand il tenta de l’ouvrir. Soufflant dans ses mains gelées, il fit demi-tour en réfléchissant aux endroits où dormir. Ce n’était peut-être pas plus mal, à trop rester avec Jolie-main, il risquait d’attirer l’attention de l’homme à la canne sur elle. D’un autre côté, il n’aimait pas du tout l’idée de rester seul dans la nuit. Il passait devant le « Au fond du trou » quand il freina l’allure. Une lueur apparaissait encore par les fenêtres et il tenta de frapper à la porte. Celle-ci s’ouvrit sans difficulté.

    -Hé ho ?

    Fripon avança d’un pas timide. La pièce était vide, mais il entendit du bruit dans la cuisine. Il s’y rendit pour jeter un coup d’œil. Les deux sœurs s’y activés. L’aîné sursauta en apercevant le garçon :

    -Bon sang, tu m’as fait peur.

    Fripon s’excusa.

    -Comment es-tu entré ?

    -La porte était ouverte.

    Elle jeta un regard à sa sœur qui haussa les épaules, avant de saisir le garçon par les épaules :

    -Allez viens, je vais te raccompagner.

    Fripon se laissa emmener avec une légère réticence :

    -Je ne pourrais pas dormir ici ? dans un petit coin. Je partirais avant l’ouverture, promis.

    La femme l’observa d’un air soupçonneux :

    -Qu’est-ce qu’il t’arrive en ce moment ?

    Il sentit les larmes lui monter aux yeux :

    -Je peux ? juste pour cette nuit ?

    De la cuisine, la voix de la sœur jaillit :

    -Laisse-le donc, il n’a qu’à nous aider à finir pour payer sa nuit.

    Fripon sauta sur l’occasion :

    -Oui, oui, je vais aider.

    L’aînée soupira :

    -Très bien, alors on s’y remet.

    Il n’y avait plus grand-chose à faire. Après la cuisine, il nettoya les tables et les sœurs montèrent les marches étroites qui menait à leur chambre à l’étage. Fripon put rester près du foyer où les cendres étaient encore chaudes.

    Il se réveilla en sursaut alors que le jour pointait à peine. Les sœurs avaient laissé la clé sur la porte afin qu’il puisse s’éclipser avant l’ouverture comme promis. Il se glissa dehors et fut surpris par la douceur du temps. Il observa le ciel avec inquiétude car il craignait que la neige n’arrive. Il se mit en marche pour retrouver Jolie-main quand un son traversa le brouillard. Il se figea sur place. Il ne pouvait pas se tromper. C’était bien le bruit mat et lointain d’une canne que l’on frappait sur le pavé. Est-ce qu’ayant tué tous ceux qui l’avait aidé, l’homme à la canne appelé pour de nouveaux services ? fripon ne pouvait s’empêcher de penser que quelque chose clochait dans cette histoire. Comme l’avait dit Jolie-main et le directeur, pourquoi tué ceux qui travaille pour lui ?

    Le garçon écouta le son avec attention. Ne devait-il pas prévenir ceux qui répondrait à l’appel ? Il se décida rapidement et se mit à courir vers le son de la canne.

    Il aperçut la calèche, l’homme emmitouflé comme la première fois qu’il l’avait vu. Il s’arrêta, se dissimula derrière un mur pour observer la scène. Des enfants étaient déjà présents, mais Souil au moins était absent. Fripon eut le temps de dévisageait l’homme pendant que l’appelle résonnait encore. Il n’arrivait pas à le distinguer, mais le garçon finit par se demander d’où il venait. De la ville claire, c’était sûr… était-ce vraiment sûr ? les dirigeants d’autrefois semblaient venir de la ville sombre pourtant. Il réfléchit un instant en tentant de se souvenir si cela avait été précisé dans ce qu’on lui avait raconté ou si c’était son imagination qui les avait automatiquement placés là. S’il arrivait à savoir où il vivait, il aurait un avantage et il pourrait le dire au directeur. S’il disait aux gardes que c’était un voleur, ils iraient l’arrêter. Ce n’était pas la solution idéale, mais au moins, il serait peut-être condamné à mort. On ne plaisantait pas avec les biens de ceux de la ville claire.

    Fripon continua de réfléchir à l’idée alors que l’homme à la canne lui tournait le dos pour faire face aux enfants réunies. Quand il commença à parler, le garçon s’élança. S’approchant de la calèche, il se glissa à l’arrière. Comme il ne s’y trouvait aucun bagage, l’homme à la canne n’avait aucune raison de passé par là. Enfin, il espérait.

    -Je n’ai rien à vous faire vendre cette fois-ci. Je veux que vous trouviez quelqu’un pour moi. Un garçon, petit, pas très costaud, aux cheveux châtains presque noir. Il vit dans la rue et on l’a vu récemment avec une jeune femme.

    Fripon sentit son sang se glacer en entendant sa description. Il y eut des rumeurs parmi les enfants, mais aucun ne parla avec certitude. L’homme calma les voix en donnant un coup de canne sur le sol :

    -Je ne demande pas de réponse immédiate. Cherchez, enquêtez et faite moi un compte rendu au pont. Vous serez bien sûr récompensé.

    Les enfants s’éparpillèrent en courant alors que l’homme à la canne remontait dans s calèche. Quand le véhicule s’ébranla, l’enfant s’accrocha du mieux qu’il put et regarda les rues passaient du sombre au clair.

     

    Quand la calèche s’arrêta, Fripon se glissa rapidement dessous. Il vit les pieds de l’homme à la canne lorsqu’il descendit et monter une volée de marche. Le garçon espéra que le véhicule ne bougerait pas car il ignorait si l’homme était entré dans une maison ou s’il se tenait encore sur le palier. Il n’aurait pas manqué de remarquer le frêle garçon, seul sur la route dans le second cas.

    Comme en réponse à sa question, il entendit une porte s’ouvrir et une vois d’homme lancer :

    -Alors ?

    -Le message est passé. Il n’y a plus qu’à attendre.

    Fripon risqua un regard vers eux de sous la calèche, mais ne distingua que la cape de l’homme. Ils entrèrent et se dérobèrent à son regard. Le garçon n’avait plus qu’à repérer le numéro et le nom de la rue. Après s’être assurer qu’aucunes ombres ne passaient par les fenêtres du rez-de-chaussée, il quitta son abri.

    Le jour s’était montré depuis un moment, mais la brume s’attardait encore. Il avait essayé de mémoriser le trajet, tranquillement assis sur le porte-bagage. Il se perdrait surement un peu sur le chemin du retour, cela ne l’inquiétait pas tellement. Il tomberait facilement sur quelqu’un qui sera ravi de renvoyer un pouilleux chez lui.

    Il fixa la façade blanche, qui ressemblait parfaitement à celles qui l’entourait. Il jeta des regards dans la rue à la recherche d’une personne qui pourrait lui lire le numéro et le nom de la rue, mais celle-ci était déserte. Il monta les marches dans l’espoir d’entendre une conversation à travers la porte en attendant. Rien ne lui parvint et il se résolu à chercher plus loin pour un promeneur ou une personne quelconque qui passerait dans le coin. C’est fou ça il n’y a donc personne qui travaille ? il sursauta en relevant en apercevant soudain une ombre massive près des chevaux.

    -Qu’est-ce que tu fiches ici ?

    Fripon fixa le cocher sans savoir que répondre et n’arrivant qu’à se demander comment il avait pu l’oublier. Il chercha dans sa mémoire s’il avait déjà vu un cocher sur cette calèche, mais certainement que oui. Ce n’était pas l’homme à la canne qui conduisait.

    -Qu’est-ce que tu fiches ici ?

    En répétant la question, l’homme s’avança d’un pas menaçant. Intimidé, Fripon se ratatina sur place en demandant :

    -Je me suis perdu. Je voulais savoir dans quelle rue on était ?

    Le cocher souleva son chapeau et le garçon pu distinguer des yeux globuleux dans un visage anguleux. Quelque part, Fripon le trouva plus effrayant.

    -Perdu hein ?

    Il hocha la tête. Soudain, l’homme saisit le garçon par le bras :

    -Tu ne serais pas plutôt en train de faire du repérage pour une bande de petits malfrats plutôt ?

    -Quoi ? non, je jure.

    -Ah oui, c’est ce qu’on va voir.

    Il l’entraîna en haut des escaliers. Horrifié, Fripon le vit frapper à la porte de l’homme à la canne :

    -Attendez, je vous jure que je ne suis pas là pour du repérage. Je me suis perdu.

    Le cocher ricana :

    -Jamais vu un gamin des rues se perdre aussi loin.

    Fripon devait avouer qu’il n’avait aucun argument en sa faveur et il dut se contenter de voir la porte s’ouvrir sur un homme assez jeune, au cheveux noirs et yeux verts.

    -Desan ? désolé, je croyais…

    Le cocher fit un geste de la main :

    -Oh, non, monsieur, je ne suis encore là que parce que j’ai trouvé cette petite chose qui traînait devant votre porte.

    Le jeune homme posa les yeux sur le garçon et son visage s’illumina :

    -Merci, Desan. Tu n’as pas idée de combien tu illumines ma journée.

    Il donna deux pièces au cocher qui les prit avec maints remerciements. Fripon passa des mains du cocher à celles de l’homme à la canne avant de voir la porte se refermer sur lui. Il y eut un long silence, du moins parut-il long à Fripon qui fixait la porte close avec horreur. Le jeune homme poussa un profond soupir avant de lui dire :

    -Il va falloir que l’on discute tous les deux.

    D’une voix étranglée, Fripon demanda :

    -Vous êtes l’homme à la canne, n’est-ce pas ?

    Celui-ci fit une grimace :

    -Oui et non.

    Le garçon écouta à peine la réponse et demanda directement :

    -Cous allez me couper les doigts ?

    Sa voix se coinça dans sa gorge alors que des larmes lui brûlaient les yeux. Le jeune homme s’accroupit pour lui faire face :

    -Non, non, non. Ecoute petit, il se passe quelque chose dans la ville sombre, d’accord ? quelque chose qui n’a rien à voir avec moi… enfin, presque.

    Fripon renifla :

    -Je n’ai rien fait, moi.

    -Je sais, ça n’a rien à voir. Quelqu’un s’attaque aux gamins qui bossent pour moi et je ne suis pas encore très sûr de savoir qui. C’est pour cela qu’il faut que tu te caches.

    Le garçon dévisagea le jeune homme. Il semblait avoir vingt à peine et avait l’air sincèrement inquiet pour lui. Pourtant, Fripon n’était pas convaincu :

    -Je vous ai vu dans le vieux bâtiment, vous avez tué Beulk.

    Il eut l’air perplexe :

    -Le quoi ? je n’y ai jamais mis les pieds.

    Fripon fit un pas en arrière mais l’homme le tenait toujours :

    -C’est ça. Je vous ai vu quand même.

    -Ecoute moi, attentivement. Je ne vais pas dans la ville sombre hormis pour réunir les gamins. Ce n’était pas moi…

    Il y eut des bruits de pas à l’étage qui détourna leur attention. Le jeune homme lâcha Fripon pour se redresser et appeler :

    -Fabrarol ! Descends voir !

    Fripon s’affola. Il était clair que l’homme lui mentait. Appelait-il son ami pour le questionner ? sur quoi d’ailleurs ? il refusait de rester pour le savoir. Donnant un violent coup de pied dans le tibia de l’homme, il ouvrit la porte et se précipita dehors. Il entendit l’homme l’appeler et intimer à son ami de le suivre. Un coup d’œil par-dessus son épaule l’informa qu’il était en effet poursuivi. Il aurait pu le semer sans problème dans la ville sombre, mais ici.

    Le brouillard s’était enfin levé, des gens se promenaient ici et là. Pas une foule suffisante pour le perdre néanmoins. Fripon tourna au hasard des rues, mais l’homme à ses trousses ne semblait pas s’épuiser. Il aperçut une petite palissade blanche et sauta par-dessus, traversa le jardin où un chien enchaîné aboya de toute ses forces. Il sauta la palissade de l’autre côté, aperçut une porte ouverte et s’y engouffra déboulant dans un couloir au parquet ciré. Juste en face, une porte vitrée qui devait mener sur la rue. Il l’ouvrit à la volée, ignorant la voix de femme qui lui hurlait qu’il n’avait rien à faire ici. Il s’arrêta de justesse pour laisser passer une calèche puis repris sa course en traversant la rue. Il tourna encore dans deux, trois rues avant de se glisser derrière une étale de fleurs.

    Il resta là à reprendre son souffle en guettant un pas de course qui pourrait lui indiquer que son poursuivant arrivé. Comme il n’entendait rien d’anormal, il se pencha avec précaution pour voir la rue déserte de toute agitation. Des gens passaient tranquillement devant l’étale, un couple s’arrêta devant un instant avant de reprendre leur chemin. Rien n’indiquait la présence de l’homme qui l’avait poursuivi.

    -Eh bien, mon bonhomme, qu’est-ce que tu fais donc là ? il n’y a rien à voler, pas la peine de te fatiguer.

    Il sursauta en entendant la femme qui revenait les bras chargés de fleurs et se leva d’un bond :

    -Non, madame. Je me suis perdu, je n’arrive pas à revenir au pont.

    Elle haussa un sourcil avant de laisser apparaître un léger sourire.

    -Tu dois faire demi-tour, au bout de la rue prend à droite puis de suite à gauche et ce sera tout droit.

    Il la remercia avant de repartir en courant. Il resta sur ses gardes, tout en suivant les indications de la fleuriste et finit par retrouver son chemin sans se faire repérer par l’homme. De retour dans la ville sombre, il courut rejoindre Jolie-main en espérant qu’elle ne lui en voudrait pas de s’être éclipsé sans son avis.

     

    « Les trois mousquetaires, Homère, Hitchcok, La Bruyère, B.FranklinIV »

    Tags Tags : , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :